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⚡️ La transparence du champ de bataille à l’aune des nouvelles technologies

BRENNUS 4.0
Sciences & technologies
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Des tous premiers combats de l’huma­nité sur les rives du lac de Turkana il y a 10000 ans, jusqu’à notre déploiement en bande sahélo­saharienne, le brouillard de la guerre, c’est-à-dire le climat d’incertitude dans lequel se déroule la guerre, a toujours fait partie de  l’engagement de  la  force. N’importe quel homme, fut­il plus ou moins impliqué dans la conduite de la guerre, fut­il plus ou moins éloigné du front, a cherché à le dissiper. À cet effet, les moyens employés pouvaient aller du simple espion jusqu’au satellite bardé de capteurs en tous genres. Aujourd’hui, les progrès technolo­giques  à  notre  disposition nous  permettent de maintenir en permanence des moyens de surveillance, de détecter une présence humaine à plusieurs milliers de mètres d’altitude ou la moindre émission électromagnétique.


Il devient même difficile de s’en passer à tel point que certaines opérations peuvent être reportées, voire annulées, faute de drone ou de renseignements.

À l’inverse, et par effet miroir, la recherche de la surprise devient de plus en plus complexe à une époque ultra­numérisée où chaque mouvement de troupe est reporté sur les réseaux sociaux1, quand il n’est pas détecté par des moyens conventionnels.

La technologie a donc un effet paradoxal : si elle peut permettre d’accroître la transparence du champ de bataille, elle peut à l’inverse permettre de l’opacifier ou de tromper l’adversaire. De fait, elle entretient le cycle perpétuel de l’épée et du bouclier.

 

Dans  la  conduite de  la  guerre,  le  diptyque « nouvelle technologie » et « transparence du champ de bataille » soulève par conséquent de nombreuses questions. Elles se posent d’ailleurs autant dans le domaine des principes tactiques que dans celui de la conduite de la guerre. Grâce à la technologie, est­il possible de tout voir, en permanence, de créer la surprise ? Faut­il s’abandonner au tout technologique ? À l’inverse, peut­on se soustraire à l’adversaire, voire le tromper, alors qu’il possède des capteurs de dernière génération ?

Par conséquent, il est permis de penser que, dissiper ou opacifier totalement le brouillard de la guerre, malgré les progrès techno­ logiques, est une chimère qui nous impose de revoir notre appréhension et l’application des principes tactiques.

 

Ainsi, nous verrons que si la technologie présente des attraits indéniables et des opportunités incontestables pour le chef, elle ne peut changer la nature de la guerre et ce qu’elle a d’immuable2 . Par conséquent, cela doit conduire, à l’aube de l’ère Scorpion, à s’interroger sur les évolutions en matière de planification et d’exécution, à accepter que la guerre recèlera toujours une part d’incertitude, et de renouveler, voire ouvrir la réflexion tactique.

 

Des promesses d’ubiquité et de furtivité

Le  développement de  nouvelles technologies a  très  consi­ dérablement amélioré notre perception du champ de bataille autant qu’il a permis d’accroître les capacités de leurre et de déception. Dès lors, le  mariage entre équipement de haute technologie et conduite de la guerre ouvre considérablement l’éventail des possibilités militaires sur le champ de bataille.

D’abord, c’est dans le domaine de la surveillance que les avancées ont été les plus notables. Les drones en sont la  meilleure illustration. Il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, leur emploi n’en était qu’à ses balbutiements. Le premier drone de surveillance Predator volait en 1995 au­dessus de la Bosnie. La France n’utilisait alors que le CL-289, un drone de reconnaissance hyper véloce qui, s’il ne permettait pas de recevoir des images en temps réel, avait le mérite de proposer des alternatives aux sources de renseignement classiques de l’époque. Aujourd’hui, les drones peuvent évoluer pendant plusieurs dizaines d’heures, tout en étant pilotés depuis n’importe quel point de la planète tout en étant armés. Ils offrent au chef la possibilité d’intercepter des communications, d’observer par quasiment tous les temps et de saisir très vite une opportunité, comme par exemple une opportunité de destruction. Il devient d’ailleurs presque impossible de s’en passer du fait de la plus-value tactique qu’ils peuvent offrir.

Puis, dans le  domaine des systèmes d’information et  de communication (SIC) auquel s’ajoutent les aspects cyber, il est difficile pour un ennemi, fut-il asymétrique de se soustraire aux interceptions. L’emploi des réseaux sociaux ou des téléphones portables, pour ne citer qu’eux, offrent la possibilité de carto- graphier précisément les caractéristiques et  les  réseaux de groupes terroristes ou criminels. Que ce soit en Afghanistan, au Mali ou au Proche­Orient, l’impossibilité de recourir à d’autres formes de communication,  conjuguée au développement  des moyens d’interception, permettent d’accroître la connaissance de l’adversaire, mais également de pouvoir anticiper ses mouvements.

Par effet « miroir » enfin, les capacités pour leurrer l’adversaire se sont également considérablement accrues. En la matière le cheval de Troie, ou l’Opération Fortitude avec son armée fantôme et ses vraies­fausses émissions radiophoniques demeurent dans tous les esprits. Aujourd’hui, certaines technologies de leurres font appel à des systèmes gonflables et chauffés pour tromper les caméras thermiques3 actuelles. Rien de nouveau certes, mais ce sont des innovations adaptées. Dans un autre domaine, les États-Unis développent des drones volant pour saturer les radars aériens adverses, en  reproduisant des  formations de  bombardiers4. Pourquoi ne pas imaginer aujourd’hui des systèmes qui feraient appel à des « bots » ou des systèmes pour simuler la signature électromagnétique de groupements tactiques interarmes (GTIA) ou de postes de commandement pour tromper les capacités de détection adverses ? Ces technologies peuvent donc contribuer à entretenir le brouillard de la guerre à des fins de déception ou pour créer la surprise.

La technologie est donc particulièrement prometteuse. Mais son emploi présente quelques risques.

 

Les risques du « tout technologique »

S’il est possible à ce jour de mieux appréhender le champ de bataille en raison des capacités offertes par la technologie, il est bien illusoire de penser que, à plus ou moins long terme, une transparence totale pourra être acquise.

D’abord, l’usage d’équipements de haute technologie fait appel à des vecteurs qui, dans la logique du glaive et du bouclier, ont des failles. À titre d’illustration, un rebelle dissimulé sous une simple couverture parvient à tromper les caméras thermiques les plus avancées. Les interceptions téléphoniques peuvent être contournées par l’usage de moyens ou de procédés qui pouvaient paraître jusqu’à présent obsolètes5. À l’inverse, les PC actuels du niveau division et supérieur ne peuvent se réarticuler que très lentement quand ils ne sont pas inamovibles. Les moyens mis en œuvre pour les faire fonctionner sont en effet particulièrement lourds (shelters « énergie ») et très longs à installer (réseaux informatiques  et les moyens de communications).  Et que dire de leur fragilité dans un contexte de conflit symétrique, où leur  signature électromagnétique les  rendra instantanément détectables. Le conflit en Ukraine a démontré que l’usage ne serait­ce que d’un téléphone ou de quelques postes radios, avait attiré les feux de l’artillerie en quelques minutes.

Par ailleurs, la guerre malgré le progrès n’a pas changé de nature. Elle reste et restera encore le lieu de l’affrontement de volontés humaines avec toute leur part de subjectivité, de méthode, voire d’irrationalité. Elle sera toujours le lieu d’expression de la « friction », au sens de Clausewitz. À cela s’ajoute que le champ de bataille ne peut se réduire à un plateau de jeu d’échecs ou de jeu de go. Pour le jeu d’échecs, le nombre de parties possibles s’élève à 101206, chiffre bien inférieur au 10600 du jeu de go... Quelle serait la valeur de ce chiffre sur le champ de bataille, un espace non délimité comme les plateaux de jeux, dont les pièces ont des capacités multiples ? À cela s’ajoutent l’humain et la dimension psychologique des combattants et de leur chef. Le chiffre tend, sans nul doute vers l’infini et révèle qu’aucun ordinateur ne pourrait concevoir et conduire une guerre à la place d’un humain.

De fait, il apparaît chimérique de croire à la transparence totale du champ de bataille dans un avenir proche, en dépit des capacités offertes par la technologie. Certes le brouillard de la guerre n’en sera qu’un peu plus dissipé. Toutefois, s’en remettre à la technologie de manière inconsidérée présente des risques. On peut imaginer un effet « tunnel » par le biais duquel le champ de bataille serait certes plus transparent, mais au travers d’une lorgnette à faible champ. En outre, placer une confiance trop prononcée, voire aveugle, dans ce qui est restitué au travers d’un écran, soulève le risque de ne pas prendre en compte les signaux faibles, voire l’essentiel… et de se faire paradoxalement surprendre. C’est d’ailleurs l’une des leçons de l’opération Bagration en juin 1944, où la Wehrmacht est intoxiquée par la maskirovska soviétique à l’ouest de l’Ukraine. Enfin, et paradoxalement, l’afflux de renseignements risque de créer une thrombose par « excès de data ». C’est le syndrome « d’hoplite numérique » , décrit dans l’étude éponyme.

 

Intégrer les révolutions technologiques à notre culture militaire

Par conséquent, il convient de s’interroger sur l’application des principes de la guerre à l’ère de la numérisation de l’espace de bataille et de l’agilité promise par l’info valorisation. Autrement dit  et  pour citer Rémy Hémez, les  nouvelles technologies « imposent une réflexion afin d’intégrer ces nouvelles capacités dans notre conceptualisation de la surprise»8   et, surtout, de l’appréhension du champ de bataille.

Certes, l’innovation technologique s’accompagne de  progrès et d’apports incontestables en tactique. L’info valorisation, par exemple, que le programme Scorpion apportera à l’Armée de Terre, élargira considérablement le champ des possibles de nos forces terrestres : agilité, rapidité d’acquisition et de partage du renseignement, protection et agressivité etc. L’ensemble des innovations techniques devra nécessairement s’accompagner d’un  renouvellement de  la  réflexion doctrinale et  tactique, comme cela a été le cas à la fin de la Première Guerre mondiale, lors de l’apparition du char de bataille. Pour autant, il ne faudrait pas oublier les acquis de siècles d’histoire militaire et croire que, en matière de transparence du champ de bataille, tout sera plus clair, plus visible. La friction, la dialectique des volontés et d’autres épiphénomènes liés au combat n’en seront pas atténués pour autant.

Par ailleurs, si la culture militaire française privilégie les trois principes de la guerre, que sont la concentration des efforts, la liberté d’action et l’économie des forces, l’apport de la technologie nous impose certainement de les reconsidérer. Désormais, le principe d’économie des forces pourrait évoluer. Par exemple, l’articulation d’un GTIA pourra muter en cours d’action, selon qu’on passe d’une manœuvre centralisée vers des manœuvres de moindre envergure à l’échelon SGTIA, puis revenir à un niveau centralisé et ainsi de suite.

Par conséquent, au­delà de  la  doctrine, il  sera peut­être nécessaire de changer ou de revoir nos concepts intellectuels, notre « mindset tactique », d’encourager plus qu’avant l’initiative des chefs, leur agressivité tout en restant dans le cadre de nos règles d’engagements.  C’est ainsi que l’on pourrait entretenir la  confusion chez l’adversaire pour le  déstabiliser, avec des dispositifs très agiles et véloces. À l’inverse, le combat collaboratif ouvre des perspectives pour se prémunir de la surprise adverse. Les dispositifs offensifs et défensifs pourraient être déconcentrés, voire dissociés, pour n’offrir que des profils bas aux coups ennemis.

 

Conclusion

Jamais la technologie ne nous offrira l’ubiquité ou la furtivité sur le champ de bataille. Et quand bien même elle nous le permettra, la nature de la guerre ne changera pas radicalement : la friction ne disparaîtra pas du champ de bataille, et l’être humain non plus, à moins d’une robotisation autonome totale ce qui n’est pas souhaitable. Offrant des capacités incontestables, voire certaines formes de supériorité, elle requiert maîtrise et discipline sous peine de risquer l’asphyxie par excès de data ou de s’affranchir de nos actes réflexes et élémentaires, pour ne citer que ces deux exemples. De fait, les progrès actuels et à venir nous imposent de l’intégrer à nos différents processus9   et de repenser notre application des principes de la guerre, sous peine de réduire nos futurs programmes d’armement à des outils supplémentaires. Enfin, la technologie ne doit pas occulter le fait que quel que soit le niveau de technologie d’une armée, le premier des principes au combat sera toujours l’incertitude.

 

 

1   Comme le site liveuamap.com qui recense les activités militaires par le prisme de différents réseaux sociaux.

2   Dialectique des volontés, frictions, brouillard.

3   Andrey Smirnov, AFP, 2011.

4   Laurent Lagneau, blog opex360.com, article du 28/08/2018.

5   Ben Laden a communiqué pendant longtemps par messagers, jusqu’à ce que l’un d’eux ne fasse une erreur.

6   Nombre de Shannon.

7   Pierre Chareyron, Le combat de l’infanterie à l’âge de l’information, Études de l’IFRI, Focus stratégique n° 30, avril 2011.

8   Rémy Hémez, L’avenir de la surprise tactique à l’heure de la numérisation, Études de l’IFRI, Focus stratégique n° 69, juillet 2016.

9   Formation, entraînement, planification, exécution, conduite etc.

 

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Titre : ⚡️ La transparence du champ de bataille à l’aune des nouvelles technologies
Auteur(s) : le chef de bataillon Philippe Georges
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