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Ciel afghan: une gestion particulière de la troisième dimension

cahier de la pensée mili-Terre
Engagement opérationnel
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La gestion de la troisième dimension en coalition est une science absconse a priori réservée à des spécialistes. Comprendre sa complexité permet néanmoins de mieux appréhender les rouages de l’appui aérien et d’entrapercevoir l’envers du décor.

Par le nombre d’acteurs concernés, les spécificités géographiques du terrain, la taille restreinte des zones de responsabilités et la persistance du trafic aérien civil, l’Afghanistan a été un cas concret particulièrement intéressant dans ce domaine. Tout en gardant à l’esprit que l’organisation et l’action sur ce théâtre ne pouvaient être considérées comme des normes, et bien que les opérations y soient maintenant terminées pour les forces françaises, il a semblé intéressant pour les lecteurs des Cahiers de mesurer cette complexité. C’est l’ambition de cet article, initialement paru dans Penser les ailes françaises, et reproduit ici avec l’aimable autorisation du Centre d’études spatiales et aéronautiques.


L’aviation de chasse, à l’instar de l’aviation de transport et des drones de l’armée de l’Air, participe à l’effort de guerre en Afghanistan. L’activité y reste intense même si le nombre de munitions tend à beaucoup diminuer et, de fait, la visibilité de l’appui aérien. Pour autant, cet appui continue à être indispensable alors que son cadre devient de plus en plus délicat et les missions de plus en plus difficiles.

Cet espace d’évolutions est désormais la conjonction d’une architecture particulière des volumes aériens et de procédures strictes qui ne permettent pas à l’aviation d’exprimer tout son potentiel. Il s’agirait pourtant de respecter certaines règles intangibles. Ces lois demeurent unicité de contrôle, homogénéité de milieu et expertises.

Enfin, dans ce type de mission, ce sont aussi de nouveaux rapports de gestion qu’il s’agit de développer avec le soutenu (supported). Ces nouveaux modes seraient autant la conséquence des progrès techniques que la difficulté à assurer la mise en œuvre, le soutien mais aussi la conduite d’un nombre croissant de vecteurs aériens concentrés dans des volumes à l’échelle du terrestre. L’Afghanistan est à ce sujet sans équivoque et doit militer pour une gestion zonale de l’appui aérien, respectueuse des qualités intrinsèques de vecteurs de plus en plus perfectionnés et qui resteront (aussi) rapides.

 

Le détachement de l’aviation de chasse français est basé à Kandahar, dans le sud du pays. Cette région, berceau pachtoune et taliban, est le siège de violents combats. La mission des chasseurs est d’assurer un support aérien aux troupes au sol qui y évoluent.

 

En vertu d’une vraie cohérence opérationnelle, les chasseurs français effectuent des missions de CAS[1] à proximité immédiate de leur base. Ces missions se déroulent quasi exclusivement dans la région de Kandahar au profit de troupes américaines ou anglaises dans les vallées d’Helmand et de Sangin. Parfois, ce sont des forces espagnoles ou italiennes engagées dans le nord et l’ouest du pays qui bénéficient de ce support aérien, au gré des arbitrages faits par les centres de commandement régionaux terrestres. Les troupes françaises bénéficient, sur demande, du support aérien des vecteurs basés à Bagram dans le nord-est du pays. Le détachement drones de l’armée de l’Air est également positionné à Bagram. Avec six chasseurs, un détachement composé d’une centaine de personnes, ce sont plus d’une trentaine de missions aériennes aux multiples ravitaillements en vol qui sont réalisées chaque semaine, de jour comme de nuit.

 

L’enjeu pour un aviateur est, avant toute chose, de dominer l’espace aérien, préalable incontournable à toutes actions armées. En Afghanistan, la domination aérienne est totale et ce ne sont pas les attaques terrestres des insurgés qui grèveront sur le moyen terme le potentiel aérien global de la coalition (majoritairement des attaques roquettes sur les bases et du tir d’armes légères en vol). Cette domination totale ne variera donc pas. Cette domination totale ne doit pas pour autant être tenue pour acquise: la techno-guérilla à laquelle se livrent certains groupuscules comme le Hezbollah nous montre qu’il faut rester prudents en ce domaine, et vigilants.

 

Il ne s’agit pas de revenir sur les éléments techniques qui composent la mission de CAS ni sur les enjeux de géopolitiques générales qui jalonnent l’action dans cette région. Ces deux seuls sujets méritent un traitement particulier. Il s’agit de livrer quelques pistes de réflexion concernant le mode de gestion de l’espace aérien au regard de l’expérience pratique vécue. Ces interrogations ne sont pas polémiques mais légitimes car elles sont le reflet réaliste de situations de terrain. Elles ont pour ambition de susciter le débat et proposent quelques voies d’exploration. Evidemment, le cadre interarmées à forte connotation américaine ne participe pas à la souplesse de gestion ni à la célérité potentielle des évolutions. Pour autant, certains aspects sont ou seront incontournables. Ils doivent nous alerter et nous préparer à bien définir dans le concert interarmées la place de l’aviation et à défendre les règles intangibles qui la gouvernent.

 

L’espace manque d’espace

  • L’absorption du flux: un défi pour l’environnement aérien des bases

Le premier élément marquant est celui de la congestion de l’espace aérien sur les zones d’intérêt mais aussi aux abords des bases aériennes. Les bases de Kandahar et de Bagram accueillent un concentré extraordinaire de moyens de tous types. Les zones de travail sont situées à proximité des circuits de piste. Cela ne facilite pas le travail de déconfliction. Kandahar et Bagram ne disposent que d’une seule piste. Le trafic y est l’un des plus denses au monde et n’a rien à envier aux plus grands aéroports internationaux (plus de 1.000 mouvements par jour à Kandahar). C’est parfois 45 minutes d’attente avant le décollage et une gestion du vol qu’il faut déjà revoir avant même d’avoir quitté le sol (créneaux de CAS, rendez-vous avec les ravitailleurs). À l’atterrissage, le temps d’attente est fatalement beaucoup moins long. Les avions se présentent avec peu de pétrole. Les priorités à l’atterrissage entre les différents postulants sont donc définies avec beaucoup de finesse. Le chef de patrouille doit intégrer l’ensemble de ces paramètres pour présenter sa formation avec une réserve d’attente suffisante. Cette réserve d’attente avant le dégagement doit être savamment dosée car le temps utile sur la zone d’intérêt en est directement impacté. Une tonne de carburant représente 25 minutes de CAS. Le cadre est posé.

 

La co-localisation des moyens aériens opérant dans le sud du pays se justifie pleinement par la faiblesse structurelle interne de l’Afghanistan et par des données purement tactiques. Appartenir à une coalition et y être présent au cœur permet aussi de disposer d’une visibilité qui n’est pas sans avantages. Kandahar accueille la chasse seulement depuis 2007, soit cinq ans après l’entrée effective au combat des moyens offensifs d’appui de l’armée de l’Air dès 2002. On a tendance à déjà l’oublier. C’est enfin la conséquence du nombre limité d’infrastructures capables d’accueillir et de soutenir des moyens aériens avides de pétrole, d’oxygène, d’armements ou de réseaux SIC robustes. Il s’agit de garantir ces flux, de protéger efficacement les vecteurs stationnés et de rationaliser leur localisation en fonction de la nature même de leurs missions. La capacité d’un vecteur à assurer une permanence au-dessus des zones de combats terrestres est particulièrement importante en mission d’appui aérien. Le besoin de présence aérienne est immense et toutes les voies permettant de la rationaliser se doivent d’être exploitées. Ainsi, le schéma classique autorisé par la nature même d’un avion de chasse n’a pas été retenu. Ce schéma se déclinerait par une fulgurance de frappe au-delà de l’horizon sur un objectif planifié, à partir d’une plate-forme totalement sécurisée garantissant le soutien technique, logistique et la protection du personnel.

L’impact sur la permanence aérienne, sa réactivité et le coût global par effet domino sur la coalition est immédiat (principalement le pétrole délivré par les avions ravitailleurs dont la disponibilité est toujours un des éléments clés). Chaque demi-heure de transit est ainsi déclinée en minutes à déduire du bilan utile d’une mission aérienne et à sommer en tonnes de carburant. Nos camarades marins de l’aéronautique navale, situés en mer, font également ce genre de quotient. La fatigue des équipages n’est pas considérée comme une variable de l’équation finale même si ces heures de vol ont, indirectement, un impact sur l’entraînement et la formation en métropole. C’est un autre débat, un autre défi, celui du MCO[2] aéronautique et de la disponibilité des vecteurs dédiés à la mise en condition opérationnelle.

 

Situé à moins de trois minutes de la ville de Kandahar, zone stratégique, l’espace aérien de la base est géré de manière exemplaire et admirable par des contrôleurs virtuoses. Cette remarquable compétence, alliée à la rigueur des équipages et à la précision des procédures, permet de maintenir la sécurité des mouvements à un niveau plancher. La situation n’en demeure pas moins très délicate mais les marges de progrès significatifs semblent avoir déjà toutes été épuisées. Cela fait quatre ans que les experts du flux aérien travaillent à dégager des lambeaux de créneaux pour intercaler toujours plus de mouvements. Mais la limite est atteinte, et elle est aussi physique. Il n’y a plus de parkings disponibles[3]. Il s’en construit toutefois de nouveaux même si la construction d’une deuxième piste n’est pas à l’ordre du jour. Le nombre d’hélicoptères continue à augmenter. La base accueille désormais 30.000 hommes.

 

Le constat en termes de gestion: on touche à Kandahar à l’excellence du contrôle aérien et il ne viendrait à l’esprit d’aucun équipage de ne pas suivre scrupuleusement les ordres donnés. Ces ordres sont affinés, réfléchis et efficaces.

 

  • Des volumes tactiques saturés

Ce qui est beaucoup plus surprenant c’est la difficulté technique à évoluer dans les zones tactiques. Le nombre de vecteurs aériens évoluant au même endroit en même temps est très important. C’est même systématique. Cette congestion engendre différentes problématiques, toutes majeures. La difficulté pour assurer l’anti-abordage n’est pas la moins importante. En effet, c’est souvent deux, voire trois patrouilles qui s’empilent au dessus d’une petite zone avec des fréquences radio et des objectifs tactiques différents. C’est alors une vigilance de tous les instants qui est requise pour effectuer les changements de niveau, assurer les départs en zone, les arrivées, et ce à chaque ravitaillement en vol. Dire que cela n’impacte pas le travail de support ne serait pas honnête. Au regard des capacités optroniques des POD[4], du point de recherche requis par la troupe au sol, des niveaux disponibles et du volume d’espace encore libre, c’est l’effet militaire qui est impacté. Au pire, cela prend du temps.

Dans ce ballet incessant, l’action cinétique reste cependant sanctuarisée et prioritaire sur toute autre considération. Au besoin, l’espace est libéré sur ordre. Au besoin, le pilote ouvrira aussi les yeux en grand et s’affranchira de ce qui n’est plus l’essentiel. La survie du fantassin restera toujours essentielle en CAS.

 

De nuit, voler sous JVN[5] permet de découvrir l’ensemble des vecteurs qui orbitent dans la même zone (ainsi que tous les tirs au sol). Mais il ne faut pas s’y tromper, les JVN ne sont pas le gage d’une sécurité absolue. Le pilote a une perception erronée des vitesses relatives et de la profondeur de son champ de vision. Par ailleurs, le vol de nuit restera toujours plus délicat. On peut légitimement penser que la L16[6] permettra de mieux gérer cet aspect. Mais à la condition de ne jamais se laisser éblouir par les informations présentées. Les vecteurs amis qui ne sont pas référencés dans le réseau et tous ceux qui ne sont pas détectés par un système de recueil n’apparaîtront pas. Ils sont pourtant bien présents. Pour autant, ce réseau constituera toujours une aide très appréciable pour positionner le ravitailleur en vol qui a une fâcheuse tendance à souvent ne pas être au point prévu: il le fait toujours pour d’excellentes raisons tactiques et elles sont très nombreuses. Ce sont alors de précieux quintaux de pétrole qui sont dilapidés. Au regard des innombrables services rendus quand la contraction pétrole/temps/distance/portée radio commence à cruellement peser sur le conscient de l’équipage, il faut se garder de les critiquer. Qu’ils soient au contraire félicités pour leur travail, indispensable.

 

La densité des opérations comme révélateur de certaines carences (et voies de progrès potentielles)

Il y a encore deux ans, les vecteurs disposaient de suffisamment d’espace pour évoluer, et ce avec fluidité. Alors pourquoi n’est-ce actuellement plus possible? Plusieurs facteurs peuvent apporter un élément de réponse: la coordination entre des volumes d’espace dissociés et la perte massive des volumes de responsabilités dédiés au C2[7] air.

 

  • La coordination interne des troupes terrestres coalisées en question

Les opérations terrestres ne se déroulent pas dans le même continuum de temps et d’espace que le vecteur aérien. C’est trivial de le dire, mais cette pédagogie élémentaire doit être encore poursuivie. Le vecteur aérien a besoin de volume pour évoluer. Ce volume est du niveau du régiment, non de la compagnie. Ainsi, l’espace aérien réservé pour un JTAC[8] donné n’est souvent pas suffisant. Attendre également ne serait-ce que quelques minutes pour disposer d’un contact radio, d’une autorisation ou pour effectuer un transfert vers un autre JTAC se chiffre en centaines de kilogrammes de carburant.

 

Au sein d’une même TF[9], le TOC[10] est censé assurer la coordination entre tous ses propres JTAC. C’est le premier échelon de synthèse. La création du TOC, véritable chef d’orchestre au niveau du régiment, fait suite à l’impérieuse nécessité de coordonner l’action terrestre interarmes. La gestion de l’artillerie, le suivi des sections terrestres et la gestion de l’espace aérien font partie de ses missions. En vol, l’aviation de chasse s’appuie d’ailleurs en permanence sur cette structure. Le contact préalable est obligatoire avant de pénétrer son volume de responsabilité. Si la gestion au sein d’une même TF est satisfaisante, la coordination entre deux JTAC évoluant dans le même secteur (à l’échelle terrestre) mais n’appartenant pas à la même TF est très limitée et chronophage. La distance qui sépare deux patrouilles de chasseurs en support de deux JTAC travaillant dans la même zone est très faible voire nulle (un rayon de virage). La séparation se fait alors par différence d’altitude et ce jusqu’à ce que toutes les tranches soient utilisées. Ensuite, ce sont donc les marges de séparation d’altitude qui sont rognées. De nuit, pour des raisons évidentes de sécurité des vols, aucune concession ne peut être faite et la séparation est maintenue à 1.000 pieds par vecteur.

Dans ce cas de figure, les deux TOC différents n’ont pas connaissance de la présence d’un autre support aérien à proximité de leur propre JTAC. Quand ce sont trois TF canadienne, anglaise et américaine qui souffrent de ce déficit de coordination, la barrière de la langue ne peut pas être invoquée. C’est une réalité à laquelle les avions sont confrontés quotidiennement. La densité des opérations terrestres et le nombre de TF déployées aggravent cette situation.

 

  • Un volume d’espace interarmes très gourmand jusqu’à l’obstruction

Conséquence du combat interarmes, l’espace aérien est désormais phagocyté par une multitude de zones à vocation terrestre. Ces zones sont, elles, à l’échelle de l’aérien. Elles sont le fait des ROZ[11] dédiées aux drones de l’armée de Terre, aux hélicoptères mais surtout aux tirs d’artillerie. Le plafond de ces zones est régulièrement de 16.000 pieds voire plus en fonction du calibre de la batterie. Leur forme est sans équivoque: elles sont soit rondes (pour les tirs omnidirectionnels), soit épousent parfaitement le gabarit sol/sol d’une batterie calée sur un axe de tir. Le vecteur aérien se retrouve donc face à un mur aux gestionnaires multiples et difficilement coordonnés comme cela a été décrit dans le paragraphe précédent. L’activation de ces ROZ se révèle être très limitative pour l’aviation. Pour la plupart, les plus importantes, l’activation est permanente. La tendance est de continuer à les multiplier.

Ce mur, dans une certaine mesure, trouve sa déclinaison physique avec tous les ballons captifs[12] qui hérissent le ciel afghan et qui montent pour certains à plus de 4.000 pieds sol. La justification de ces ballons n’est pas l’objet du débat. Leur utilité est évidente mais ce sont autant de câbles métalliques qui barrent physiquement le ciel afghan.

 

Le responsable de l’espace aérien n’est plus le C2 air disposant des compétences (un contrôleur aérien) et des moyens dévolus à la gestion d’espace (un radar). Les responsables de ces immenses volumes sont les gestionnaires terrestres qui ne disposent pas de radar (les TOC) et dont les qualifications pour coordonner un enchevêtrement aussi complexe de volume restent à être éprouvées.

 

Ainsi, ce sont deux, voire trois organismes différents qu’il faut contacter pour pénétrer une zone de support ou s’assurer du volume indispensable à la mise en action spécifique du vecteur (tir, SOF[13]). Activés initialement par radio, les niveaux de vol sont réservés et l’équipage prend bonne note de toutes les contraintes spécifiques du secteur.

En cours de mission, l’information de vol est faible voire dangereuse (ne reflétant pas une réalité électromagnétique faisant fi des vecteurs supposés être – ou non – dans la zone). C’est un réel cas de conscience qui est posé car la déconfliction «aux procédures» a déjà montré ses limites et l’action aérienne doit être menée. Les soldats au sol ont besoin d’appui et de réactivité.

 

Quelles sont alors les grands enseignements de ce laboratoire permanent, quelles en sont les constantes?

 

Quelques voies de recours: défendre des principes connus et robustes

  • Expertise, unicité et homogénéité du milieu

La nécessité de disposer d’échelons de synthèse de conduite pour gérer l’espace est une évidence. Au vu de la complexité des opérations, la nécessité de découper l’espace aérien en volumes élémentaires pour gérer le combat interarmées se justifie également. Ce découpage doit prendre en considération les contraintes physiques du chasseur et ne pas se contenter, a minima, des performances des vecteurs les plus lents. Le découpage en strates, naturel pour l’aviateur, peut intégrer l’ensemble des besoins: du bas niveau, celui des hélicoptères, des mini-engins volants de reconnaissance (mis en œuvre par le fantassin) jusqu’au très haut niveau, celui des ravitaillements en vol, des transits ou de la reconnaissance stratégique (drones inclus). L’architecture d’espace est donc fondamentale.

 

De plus, les procédures ne seront robustes et crédibles que par leur unicité. Dans ce domaine, l’armée de l’Air dispose d’une expertise que nul ne doit lui contester au risque d’être confronté aux maux qui nous occupent en Afghanistan. Il en va d’une meilleure sécurité mais aussi d’une plus grande efficacité d’action.

 

Mais cette expertise ne sera rien sans l’unicité de gestion et de commandement qui garantit la cohérence d’ensemble. Aux échelles qui sont celles de l’aviation, l’unicité est un facteur primordial en ce qu’elle permet de la souplesse d’emploi, de la réactivité, le «retasking», une gestion efficiente des moyens disponibles au niveau du théâtre, et ce en temps réel. Cela ne préjuge pas, le cas échéant et sur un temps limité, de raisonner et de conduire des actions aériennes au niveau local au sein des commandements régionaux. Mais le pilote, où qu’il soit, doit être en mesure de contacter ou de se faire contacter par la structure de conduite, de Mazar-I-Sharif (à l’extrême nord) à Spin Boldak (au sud). On dépasse allègrement le niveau tactique ou local. C’est une évidence. En dépit des contraintes techniques (relais radio/radar notamment), cette unicité de gestion doit être systématiquement recherchée pour les vecteurs aériens. On ne doit pas se laisser aspirer par d’autres considérations qui ne sont pas exclusivement spécifiques à la troisième dimension. Il faut donc être vigilant quant aux structures de conduite et aux procédures.

 

L’action aérienne tire une des ses qualités propres de sa capacité à s’affranchir des frontières physiques. Il ne faut donc pas s’en créer, ne pas accepter que les procédures, le découpage d’espace, le mode de gestion deviennent autant de contraintes qui grèvent l’efficacité de l’arme aérienne. Certes, les opérations passées ont pu laisser penser que cet aspect n’était qu’un détail technique, mais on ne peut confondre une opération dans le vide du désert africain et la complexité d’une opération interarmées, interalliées qui constitue le sens de l’histoire. Le C2 air doit être en mesure de garantir au vecteur aérien l’homogénéité de son espace d’évolutions, «du sol au plafond».

En Afghanistan, si la moitié de l’espace aérien échappe au contrôle du C2 air, c’est aussi tout l’espace aérien nécessaire au CAS.

 

  • Gestion zonale: économie des moyens, efficacité identique

Enfin, il faut aussi intégrer la capacité des vecteurs aériens à se déplacer vite. Ils disposent de moyens optroniques performants, de moyens de localisation précis et d’une capacité de frappes métriques tous temps. Si le niveau de ces performances doit faire l’objet d’évolutions constantes, il n’en demeure pas moins que ces qualités ne sont pas toutes mises à profit. En effet, si chaque opération terrestre désire disposer de son propre appui aérien (ce qui est légitime au regard de la protection assurée), il n’en demeure pas moins que la congestion de l’espace et même le coût global milite, in fine, pour une gestion zonale du soutien aérien. Ainsi, une patrouille peut aussi assurer un support aérien pour différentes sections terrestres, dans le même tempo et dans la même zone géographique. Le temps d’intervention est le quotient entre la distance et la vitesse. Quelques minutes et des dizaines de kilomètres qui ne représentent pas un critère dimensionnant au regard de la densité des actions terrestres.

Il faut donc casser définitivement ce mythe qui veut qu’une patrouille ne puisse pas assurer de protection zonale (et non plus exclusive à une demande spécifique d’une section terrestres donnée). Au cas où il ne se passe rien de particulier dans la zone de responsabilité, la hiérarchisation de la présence restera à défaut possible. Un «tasking» tournant est également facilement envisageable. Le cas échéant, la réserve constituée par les patrouilles en alerte au sol pourra aussi absorber une part de l’activité si les patrouilles en vol se révèlent  insuffisantes. C’est déjà le cas et les procédures sont rodées.

 

Par ailleurs, les systèmes actuels permettent d’acquérir rapidement les points sol clés. Une permanence totale au-dessus d’une progression terrestre avec une description exhaustive et précise au fil de l’eau n’est plus indispensable pour assurer la sécurité des troupes au sol ou l’efficacité de l’action aérienne. Si les éléments de situation indispensables à la bonne compréhension de l’action terrestre continuent à être fondamentaux, le JTAC, la qualité de son dialogue, sa formation, ainsi que la précision des systèmes embarqués ont une importance plus capitale encore que la permanence radio avec un JTAC donné. Le fameux continuum de temps et d’espace qui est si différent. En quelques minutes la situation est connue avec précision. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille s’affranchir d’un support planifié: au contraire, au niveau tactique, bien discriminer les zones et les périodes à risques permet de multiplier le soutien sur le plan opératif.

Or, on constate que nous sommes encore loin de ce mode de gestion courant en dépit des démonstrations quotidiennes lors des supports impromptus durant les TIC[14]. Le délai de réponse est quasi immédiat. Les patrouilles de chasseurs sont déroutées en moyenne une mission sur deux pour appuyer une autre section terrestre en difficulté. Par sa capacité à agir vite à des distances relativement importantes, le chasseur se démarque par ailleurs fondamentalement des drones armés actuels (qui disposent d’autres qualités complémentaires). C’est important de le noter. Cette gestion zonale a été appliquée avec succès lors des élections de septembre 2010. Le nombre de TIC traités par des appareils positionnés préventivement de manière rationnelle et capable de mailler l’ensemble du territoire fut la preuve de la cohérence de ce type de raisonnement. Malheureusement, ce sujet de débat qui animait déjà le CJOC[15] (ex IJC[16]) il y a trois ans peine toujours à s’imposer.

Ce qui est indéniable: le volume aérien n’est pas indéfiniment extensible. Les gammes de fréquences radio ou le spectre électromagnétique non plus.

 

Conclusion

La troisième dimension et sa gestion doivent rester l’apanage de spécialistes, ce que démontrent tous les jours les contrôleurs aériens de Kandahar, véritables orfèvres d’un espace des plus complexes au monde. Cette expertise, que l’armée de l’Air développe depuis son origine, permet de garantir des procédures optimisées et robustes. L’unicité de gestion de l’espace aérien doit aussi garantir ce qui fait le propre de l’avion: sa faculté à évoluer dans un système homogène affranchi de toutes frontières physiques. C’est fondamental si l’aviation veut conserver son efficacité, profiter de son extraordinaire mobilité et peser sur le plan tactique à la juste hauteur de ses capacités.

Pour ce qui est de l’appui aérien, le débat reste ouvert entre gestion zonale, respectueuse des qualités intrinsèques du vecteur chasse, et la gestion actuelle des demandes (hiérarchisation des JTAR[17] et soutien particulier, au cas par cas). La gestion zonale est indirectement réalisée pour les TIC. La structure de conduite air du théâtre (ASOC[18]) y veille. Ce mode de gestion a aussi fait ses preuves préventivement durant les élections de septembre 2010. Le CAOC[19] a pu appliquer ce qu’on appelle à l’École de guerre[20], et qui agite tout particulièrement les groupes de planification opérationnelle du moment, la stratégie (faussement moderne) de la tâche d’huile[21]. Le pilote de chasse l’applique naturellement depuis toujours même si elle s’apparente davantage dans le domaine aérien à de l’influence. Ce ne sont pas les pilotes de défense aérienne qui le contrediront, eux les spécialistes de l’«interdiction[22]». Les bombardiers, eux, font peser leur menace à une distance directement proportionnelle à la portée des vecteurs et des armements air/sol.

Les deux choses ne sont pas tant éloignées, à y regarder de plus près. La tâche d’huile aérienne ne doit pas être épongée par des structures et des modes de gestion d’espace inadaptés. Il est du devoir de l’aviateur de veiller au respect de ces principes fondamentaux qui forgent l’action aérienne depuis sa création. L’Afghanistan ne fait pas exception, au risque de subir des critiques qui seraient cette fois justifiées.

 

 

[1] CAS: Close Air Support (appui aérien rapproché)

[2] MCO: maintien en condition opérationnelle

[3] Les ATT ne sont autorisés à stationner qu’une heure pour effectuer leur rotation.

[4] POD: système optronique de visée embarqué (laser, vidéo, électromagnétique…)

[5] JVN: jumelles de vision nocturne

[6] Liaison16: réseaux où les membres (disposant des autorisations électroniques) participent à une sorte de communauté et s’échangent toutes les informations relatives à leur position et à ce qu’ils détectent avec leurs capteurs embarqués (radar notamment). Ce système devient indispensable pour participer à une coalition de bon niveau. Le Rafale est équipé et le Mirage 2000D est en cours de transformation. Les premiers Mirage 2000D transformés ont été envoyés à Kandahar fin janvier 2011.

[7] C2: Command and Control

[8] JTAC: Joint Tactical Air Controler. C’est une personne située au sol (généralement de l’armée de Terre) et qualifiée pour dialoguer avec les vecteurs assurant un appui aérien pour une de ses propres sections. Son rôle est fondamental car le chasseur ne dialogue qu’avec cet élément qualifié qui donne tous les éléments du support (demandes spécifiques, objectifs, effets désirés, positions des troupes amies…). Le JTAC est le lien entre le GC (Ground Commander) et l’appui aérien. Un JTAC dispose de JFO (Joint Forward Observers) qualifiés et qui le renseignent sur les éléments au plus prêt du contact. Ainsi, un JTAC peut avoir la responsabilité de différentes sections terrestres et de différents JFO. Le JTAC est généralement situé en retrait immédiat du combat. Les JTAC français sont tous formés par l’armée de l’Air, au sein du CFAA (Centre de formation à l’appui aérien) à Nancy.

[9] TF: Task Force. C’est l’échelon de commandement de l’armée de Terre qui se décompose ensuite en parties élémentaires. En Afghanistan, la TF française est la TF «Lafayette» qui regroupe 3.700 hommes. Le volume d’une TF est très variable et dépend surtout de la nationalité. Une des TF US située à Kandahar est composée de 20.000 hommes. Le détachement chasse français ne dépend pas organiquement de la TF «Lafayette» mais est subordonné au COMAIR, un colonel de l’armée de l’Air dont le mandat est de six mois. Le COMAIR dépend organiquement du REPFRANCE, un colonel de l’armée de Terre situé à Kaboul. La TF «Lafayette» est commandée par un général de l’armée de Terre.

[10] TOC: Tactical Operations Center. Généralement situé sur une FOB (Foward Operations Base) très sécurisée et à distance des combats.

[11] ROZ: Restricted Operations Zone. Espace spécifique qui est créé à chaque fois qu’il faut se réserver un volume. Les ROZ peuvent être temporaires, permanentes, avoir toutes les formes (en fonction du besoin). La pénétration d’une ROZ est soumise à autorisation. En Afghanistan, chaque TF, chaque FOB dispose de ses propres ROZ. Généralement ces volumes montent jusqu’au FL 160. Elles sont intégrées à l’architecture d’espace du théâtre et mises à jour quotidiennement.

[12] Ces ballons captifs sont généralement employés pour la surveillance d’un périmètre grâce à l’emploi de moyens optroniques (jour + nuit) accrochés aux nacelles. Ils sont reliés au sol par un câble métallique. Ce câble monte ou descend en fonction de la MTO et du vent.

[13] SOF: Show of Force. C’est un passage à très basse altitude au-dessus de la position ennemie. Le SOF constitue un ultime avertissement avant une action létale. Cette manœuvre est beaucoup utilisée en Afghanistan.

[14] TIC: Troups In Contact. Accrochage direct d’une force amie avec des insurgés.

[15] CJOC: Combined Joint Operations Center. Centre de commandement interarmées et interalliés. Situé à Kaboul dans le quartier des ambassades (zone verte), ce centre de commandement dirigeait les opérations en Afghanistan. Le CJOC s’appelle désormais l’IJC qui est situé maintenant sur l’aéroport de Kaboul.

[16] IJC: ISAF Joint Command

[17] JTAR: Joint Tactical Air Request. Le JTAC (cf. note 8 de bas de page) fait individuellement son expression de besoin d’appui aérien via ce format. Tous les éléments nécessaires au support y sont présents (fréquences radio, coordonnées, ..). Le JTAR est ensuite classé par ordre de priorité par les différents commandements terrestres avant d’être définitivement priorisé par l’IJC au niveau global. Tous les JTAR sont traités au cas par cas. La règle de classement est confidentielle. L’armée de l’Air assure le soutien aérien en fonction d’un numéro d’ordre donné au JTAR.

[18] ASOC: Air Support Operations Center. Organiquement rattaché au CAOC, c’est la cheville ouvrière du centre de commandement et de coordination de l’armée de l’Air (le CAOC). Basé au sein même de l’IJC qui est un centre de commandement interarmées, l’ASOC assure la conduite en temps réel de tous les avions au dessus du théâtre afghan. L’ASOC traite en particulier de la conduite des missions de CAS (retasking, ravitaillement en vol…). Son rôle est fondamental. C’est le décideur unique pour le théâtre en ce qui concerne l’action aérienne. Sa localisation au sein de l’IJC doit permettre une meilleure réactivité avec le «client»: les forces terrestres. L’ASOC est «4 eyes only», ce qui signifie que les aviateurs français ne disposent pas d’un accès direct à l’ASOC comme les US/UK/CAN/Australiens

[19] CAOC: Command Air Operations Center

[20] Ex CID (Collège interarmées de défense). Cette formation reprend une de ses anciennes appellations pour mieux marquer son caractère militaire.

[21] Stratégie qui a démontré son efficacité durant la guerre d’Algérie. Il s’agit de créer des points d’ancrage solides sur le territoire et y rayonner. La multiplication de ces points doit permettre d’étendre, peu à peu, son autorité locale jusqu’à la jonction d’une autre sphère d’influence. Et ainsi de suite.

[22] La mission de défense aérienne a pour objectif principal de gagner et ensuite conserver la supériorité aérienne (SWEEP ‒ nettoyer). Ainsi, chaque volume d’espace fait l’objet d’un traitement particulier par la chasse amie pour interdire à l’aviation ennemie la possibilité de le pénétrer. Généralement, un vecteur de défense aérienne a la responsabilité d’un volume donné dont il est le garant (zone de responsabilité). Mis bout à bout, chaque volume constitue l’espace global dont la maîtrise est recherché. Depuis 1916 et la bataille de Verdun, la Sweep travaille ainsi.

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Titre : Ciel afghan: une gestion particulière de la troisième dimension
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel WENCKER, de l’armée de l’Air
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Armée