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Combat et distance

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Aborder le sujet du combat en fonction du facteur distance, c’est le parcourir sous l’angle de la mobilité, de la portée des armes, de l’ampleur des liaisons et des dispositifs, et de l’élongation logistique. La question est donc très vaste. On tentera de la traiter au travers d’une approche historique et technique permettant de discerner en quoi l’association de la distance et de la précision va remettre en cause les organisations napoléoniennes toujours au cœur de nos systèmes de combat.


Le premier point qui s’impose est celui de la très grande stabilité du facteur mobilité terrestre. Des vieux Grecs au début du XXème siècle, il est lié à celui des étapes de l’infanterie (25 à 30 km par jour) et, sur le champ de bataille, la mobilité tactique maximale est celle des formations de cavalerie, soit au mieux 20 km/h. Le dernier point n’a pas beaucoup changé, les blindés d’aujourd’hui peinant à atteindre les 40 km/h en tout terrain; quant à la mobilité opérative, c’est pire encore. Les Français et les Allemands entrent en guerre contre la Russie quasiment le même jour en 1812 et en 1941; les premiers seront à Moscou le 15 septembre, les seconds en atteindront les faubourgs début décembre. À vrai dire, la différence des performances ne tient pas aux vitesses instantanées, mais aux capacités de la logistique. Si César a abattu 360 km en dix jours à la poursuite d’Afranius en Espagne alors que vingt siècles plus tard la 1ère Armée n’envisageait pas d’actions possibles à plus de 120 km de sa zone d’attente, ce n’est pas que le soldat du XXème siècle se déplaçait moins bien que son ancêtre romain, mais bien que sa logistique, infiniment plus lourde, entravait considérablement sa mobilité et limitait strictement la portée de ses actions.

En cette matière, les performances exceptionnelles se situent du côté des nomades. L’ampleur de leurs mouvements et par là de leurs conceptions stratégiques est exceptionnelle. Embrassant l’ensemble du théâtre d’opération, ils ne se laissent pas polariser par les seules zones d’engagement et accèdent ainsi à une conception élargie et efficace de la sûreté. Leur technique équestre, associée à la maîtrise de l’arc à double cambrure, leur permet de contrôler au mieux le difficile problème de la fixation et de l’engagement de loin, si bien qu’ils domineront le champ opérationnel pendant près de vingt siècles.

La diffusion de l’arme à feu au XVI ème siècle change la situation et redonne aux infanteries occidentales la supériorité dans le combat à distance. Désormais, c’est la combinaison des actions interarmes qui permet d’accéder au succès. On notera, surtout, l’action prépondérante du feu dont la mobilité, la précision et la portée ne cessent d’augmenter, débouchant, dès la guerre civile américaine, sur l’éviction des cavaleries du champ de bataille. C’est aussi le moment où la voie ferrée ouvre de nouvelles possibilités en faveur des mouvements préparatoires à l’action. Le chemin de fer va faciliter le déploiement des concentrations en vue de la bataille, mais il n’aura que peu d’influence sur l’action tactique elle-même. En revanche, les dimensions de la zone de mort augmentent, contraignent le combattant à l’enfouissement et les dispositifs à l’étirement. L’arrivée des armes automatiques et l’allongement des portées de l’artillerie, en même temps que l’augmentation de l’efficacité de ses projectiles, bouleversent la tactique mais aussi la logistique. Désormais, l’artillerie ne tire plus sur ce qu’elle voit mais sur les coordonnées présumées de ses objectifs. C’est une importante évolution, car les engagements se produisent à plus grandes distances, mais aussi une complication car ils réclament des mesures de coordination et de liaison de plus en plus complexes. En même temps, les consommations grimpent de façon vertigineuse car, faute de tirer un coup au but, on en tire beaucoup à côté.

La question des liaisons a toujours été délicate et leur élongation limitée à celle de la mobilité terrestre. Le télégraphe de Chappe a constitué une première amélioration et le téléphone une seconde en dépit de la vulnérabilité de ses fils. Le développement de la radio sera décisif, et une bonne part de l’efficacité des blindés allemands au début de la Seconde Guerre mondiale tiendra à la qualité de leur système de transmissions. Il reste qu’il faudra attendre d’accéder à l’espace pour que la portée et surtout le débit des liaisons changent radicalement. Désormais, le centre de décision stratégique peut échanger avec le centre de décision tactique, et ce dernier avec ses pions subordonnés, sans délai ni limitation. A vrai dire, plus que la portée, c’est le débit qui ouvre le plus de possibilités à un moment où les capacités de traitement de l’information font un bond extraordinaire. La multiplication des informations pourra être traitée dans de bien meilleures conditions qu’il y a seulement vingt ans, et devrait permettre de rééquilibrer le rapport entre les connaissances, la compréhension et les capacités jusqu’à présent quasiment seules à l’origine de l’action. Evidemment, les questions de guerre électronique et de guerre informatique vont prendre une nouvelle et décisive dimension.

L’utilisation de la troisième dimension augmente la portée des interventions, la profondeur du champ de bataille et l’ubiquité des actions à tel point que tout le monde va être désormais concerné par la bataille. Au départ, l’arme aérienne, totalement intégrée aux forces terrestres, démultiplie leur action en termes de renseignement, de réglage des tirs et progressivement d’appui feu. Assez rapidement, les exigences techniques et les aspirations des aviateurs vont conduire à l’autonomie des armées de l’air. Les exigences techniques étaient incontournables; les aspirations à l’autonomie de la manœuvre aérienne ont eu des résultats beaucoup plus discutables. Ni les Allemands, ni les Anglo-saxons, ni les Israéliens n’ont réussi à obtenir de bons résultats opérationnels avec leurs seuls moyens aériens. En revanche, il ne saurait être question aujourd'hui d'engager une opération sans la participation et si possible la supériorité des moyens aériens. Leur allonge, leur puissance et leur capacité à frapper dans toute la profondeur de la zone d’action avec une précision qui faisait encore défaut il y a une trentaine d’années renforcent de manière décisive toute action opérationnelle à condition de ne jamais oublier l’impératif d’unicité de la manœuvre.

Cette importance de la troisième dimension s’améliore aussi avec l’apparition de l’hélicoptère et la maîtrise de la turbine. Il est d’ailleurs amusant de constater que, cette fois, les armées de terre ne vont pas laisser échapper ce moyen pour l’intégrer sans recours à la manœuvre interarmes. Sa mobilité exceptionnelle le protège de la fixation et lui confère la possibilité unique d’enchaîner concentrations et dispersions dans des laps de temps si courts que la réaction des feux terrestres peut être prise en défaut. En revanche, sa vulnérabilité est très grande et lui interdit de durer dans un combat de haute intensité.

 

Quoiqu’il en soit, ces actions à distance, qu’elles relèvent de l’artillerie ou des armées de l’air, partageaient une faiblesse commune: celle de leur absence de précision. Le gain en cette matière des feux à grande portée affecte désormais considérablement le combat aéroterrestre.

La destruction des objets tactiques mobiles exige une grande précision des armes. Cette précision était, jusqu’à une date récente, l’apanage de l’infanterie, des blindés et des hélicoptères, dont la portée des feux avait certes augmenté, mais ne dépassait guère deux, exceptionnellement trois kilomètres. On était donc naturellement conduit à rassembler des quantités importantes de ces armes dans une bande de quelques kilomètres de profondeur pour accéder à l’indispensable effet de destruction. Selon la forte formule napoléonienne: «À la guerre il fallait se voir de près».

Les aviateurs vont être les premiers à remettre en question cette vérité en accédant à la précision de leurs tirs dès les années 70, tandis que les missiles, tirant au-delà de la vue directe, et l’artillerie la réalisent aujourd’hui. En d’autres termes et pour les seuls moyens terrestres, la profondeur de l’efficacité des feux va passer de deux à vingt kilomètres. On va gagner un facteur dix en portée, ce qui représente en termes de densité des moyens à rassembler un facteur cent! Bon, ne rêvons pas, les choses n’évoluent jamais comme les calculs théoriques pourraient le laisser espérer mais, tout de même, le changement est là et il aura de grandes conséquences. Comme toujours, celui qui aura la capacité de combattre efficacement à distance l’emportera sur le courageux prêt à mourir de près. Cela veut dire que la densité des dispositifs de l’infanterie et des blindés va chuter au bénéfice des multiples armes tirant précisément au-delà de la vue directe, au premier rang desquelles se trouveront l’artillerie et, dans un avenir proche, les drones armés.

Cette exigence sera renforcée par l’amélioration de la connaissance des situations. Incontestable pour celle des amis, elle est également meilleure pour celle de l’ennemi sans atteindre la transparence un moment espérée. Au bout du compte, la concentration des moyens, ressort jusqu’à présent indispensable de la manœuvre, va devoir faire place à celle des effets car elle sera désormais possible dans le cadre de la nécessaire dispersion des dispositifs. En d’autres termes, les distances séparant les objets tactiques d’un même camp vont passer de la centaine de mètres au kilomètre voire plus, condition probablement indispensable à leur survie. Ainsi, non seulement les distances à partir desquelles on pourra efficacement engager les cibles vont augmenter, mais celles séparant les moyens amis vont également s’accroître. Dans ces conditions, ce sont les zones d’engagement qui vont s’étendre et se confondre avec les zones d’action, contraignant à gérer la manœuvre selon ce nouveau critère au détriment de l’ancien caractère axial autour duquel tout était jusqu’à présent organisé. Il est également probable que cet étirement des dispositifs dans toutes les directions, associé à la capacité de tirer en roulant, provoquera une inévitable imbrication entre les pions des deux camps. Alors, nos organisations tactiques, fondées sur la déclinaison homothétique des moyens, des missions, des responsabilités, se déplaçant toutes ensemble dans une même direction, intégrant en leur sein les différentes fonctions interarmes et concevant la sûreté comme une contrainte extérieure aux dispositifs, ont sans doute vécu. Elles vont devoir faire place à une organisation zonale, attachée au terrain, organisant l’action interarmes de manière collaborative et non plus intégrée, et veillant à la sûreté interne des éléments engagés dans leur zone de contrôle de la manœuvre. Les pions tactiques continueront d’avancer, de reculer, de roquer et surtout de combattre, mais le régulateur de leur action ne sera plus un exécutant de leur manœuvre comme le sont encore les capitaines d’aujourd’hui. Cette formule aura pour principal avantage d’apporter un peu de stabilité à un système de combat dont on voit bien que le caractère brownien va aller en s’accentuant. Enfin, cette organisation zonale de la conduite de l’action pourra sécréter, en tant que de besoin, des communautés d’intérêts adaptées aux problèmes tactiques rencontrés et aussi fugitives que ces derniers en faisant accéder ainsi les dispositifs à la véritable modularité.

On voit aussi que la nature même du lien tactique, aujourd’hui encore imprégné de relations physiques, charnelles et fraternelles, va devoir évoluer pour conserver son facteur d’efficacité primordial: la confiance. La confiance repose d’abord sur la conviction d’appartenir à un système efficace qui peut vous emmener au succès. Le maintien de structures inadaptées, de procédés de combat périmés, d’équipements décalés par rapport aux exigences des affrontements à venir ruinerait la confiance en pleine action et conduirait au désastre de manière beaucoup plus sûre qu’anticiper un difficile, mais aussi passionnant travail d’adaptation.

Fantastique changement autorisé par le développement des systèmes d’information permettant une diffusion au plus bas niveau de la situation tactique désormais partagée du haut en bas de l’échelle de l’action. On voit bien également que ces bouleversements vont impacter toute la chaîne organisationnelle ainsi que la répartition des moyens et des équipements. Les actuelles armes de contact vont perdre une partie de leur rôle de destruction pour devoir s’appliquer à servir des objectifs convenables aux feux indirects. Quelque part, c’est toute la notion d’appuis qui va s’en trouver modifiée. En même temps, on va devoir admettre que l’organisation en régiments ou bataillons qui, d’ores et déjà, n’a plus qu’une réalité organique, va devoir s’effacer devant une structure permettant la vie et l’instruction d’une part, tandis que la préparation au combat se fera à l’occasion d’amalgames de moyens perpétuellement adaptables, d’autre part. Tout cela n’ira pas sans résistance, changement de mentalités, expérimentations et tâtonnements de tous ordres, mais on ne pourra rien contre les impératifs touchant à l’efficacité tactique qui ont toujours, sans aucune exception, façonné les systèmes de combat et par là les organisations militaires.

De l’âge de bronze à la Renaissance, les armées occidentales ont adopté des organisations monolithiques où le combat à distance avait une efficacité marginale. Pendant la même période, les archeries montées des nomades ont dominé les espaces opérationnels. L’apparition de l’arme à feu a changé la donne, mais il faudra attendre l’aube de l’ère industrielle pour que l’idée du corps d’armée émerge et autorise des déploiements rapides à l’échelle de l’armée tout entière, établissant ainsi la continuité entre manœuvre et bataille.

L’augmentation de la productivité des armes allait ensuite provoquer la dispersion des dispositifs en même temps que les exigences de la logistique faisaient chuter la mobilité générale en dépit d’innovations aussi importantes que la machine à vapeur et le moteur

  • En outre, les mesures de coordination restaient limitées en raison du faible débit des systèmes de transmissions. Surtout, la destruction effective des moyens de combat de l’adversaire passait toujours par la concentration de moyens, capables du tir au but, dans une bande correspondant à la portée des armes précises.

Désormais, la précision des feux aéroterrestres, l’amélioration de la connaissance des situations tactiques, le partage par tous les échelons de cette connaissance vont encore accentuer le processus de dispersion car le rassemblement des objets tactiques va devenir suicidaire. L’obtention du succès passera par la concentration des effets, qui sera déconnectée de celle des moyens en raison de l’accession à la précision des tirs s’effectuant à grande distance au-delà de la vue directe. Le ressort de la manœuvre future verra les armes de contact chercher à provoquer la concentration des moyens de l’adversaire pour les offrir aux feux indirects destructeurs air/sol et sol/sol. Les organisations homothétiques des moyens de combat, des espaces et des missions à objectif axial de percée le cèderont probablement à un exercice de contrôle des espaces de manœuvre où l’imbrication sera inévitable et où la sûreté prendra un caractère interne aussi désagréable qu’exigeant.

 

Au fond, nous allons assister à un rééquilibrage des principes au bénéfice de l’économie des forces grâce à l’accès à la véritable modularité. La concentration des efforts relèvera de celle des effets et non plus de celle des moyens, tandis que la liberté d’action changera de nature en faisant une meilleure place à la connaissance pour utilement compléter les seules capacités. L’association de la distance et de la précision va bouleverser un équilibre bicentenaire. Le grand Empereur va devoir se retourner dans sa tombe.

 

 

 

 

 

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Titre : Combat et distance
Auteur(s) : le Général HUBIN
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Armée