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Comment former à l’interculturalité ? 3/3

BRENNUS 4.0
Tactique générale
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En revanche, il est essentiel de décrypter le terrain, l’environnement ou l’univers - autrement dit: la partie immergée de l’iceberg - dans lequel a lieu cette interaction, de façon à neutraliser notre jugement de valeur et à maîtriser les clefs de compréhension de certaines de nos expériences et observations. Concernant les formations impliquant des Français, celles-ci seront d’autant mieux ajustées qu’elles prendront en compte les tendances culturelles particulières qui représentent des obstacles aux relations interculturelles.

Ce travail, chaque contexte devrait l’effectuer. Ainsi, les Allemands, les Américains ou les Chinois doivent s’interroger sur les tendances culturelles allemandes, américaines ou chinoises qui sont des défis, à la fois, pour se projeter à l’international et pour accueillir des partenaires étrangers en mission ou en expatriation chez eux. Qui résiste à la connaissance de soi et à sa propre transformation n’est pas apte aux relations interculturelles.


Six défis français aux relations interculturelles

Concernant notre contexte, on ne peut former à l’interculturalité sans intégrer une série de facteurs franco-français. Sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, nous en mentionnerons six. Le premier concerne notre modèle universaliste, non pas lavocation universelle de certaines valeurs françaises (comme les droits de l’Homme), mais le fondement sociétal français fondé sur la notion de personne abstraite, de ses particularités, religieuses ou culturelles notamment. Il ne s’agit pas de remettre en cause ce modèle, mais de penser l’un de ses points faibles: l’absence d’une culture de l’interculturel sur le plan national qui ne favorise pas le développement des compétences interculturelles quand on se projette à l’international. Il est d’usage de mentionner ici l’interdiction des statistiques ethniques. Mais prenons un autre exemple: le retard que nous avons pris en France par rapport à la Belgique dans le déploiement de médiateurs interculturels à l’hôpital, alors qu’il a été montré que le désengagement des patients dans le traitement par incompré-hension (linguistique, culturelle, religieuse) entraîne un risque plus grand de rechute[5], lequel représente un coût humain pour le patient et financier pour la collectivité. Par contraste, le Canada, dont le modèle se revendique du multiculturalisme aura une maturité plus grande sur le plan des formations interculturelles[6]- ce qui ne signifie pas que le Canada soit dénué de points faibles, la difficulté à circonscrire son identité nationale n’étant pas un des moindres[7].

Le deuxième défi n’est pas spécifique à la France mais il a ses propres ressorts historiques qui mériteraient une analyse approfondie. Il s’agit de notre désastreux fonctionnement en silos, comme si la société française était constituée de spécialistes de leur spécialité dialoguant peu ou mal avec les spécialistes des autres spécialités, les uns et les autres étant séparés par de fortes barrières, qu’elles soient idéologiques ou renforcées par des préjugés et stéréotypes tenaces. Il suffit de songer combien il est difficile de faire se rencontrer les sciences humaines et les sciences de gestion pour s’en faire une idée,[8] ou bien de constater les incompréhensions que le monde civil entretient avec le monde militaire. Or, si nous ne faisons pas d’interculturalité entre nous, nous n’en ferons pas à l’international. Voilà pourquoi former à l’interculturalité, c’est d’abord former à l’interdisciplinarité. Dans un monde à la complexité grandissante, les analyses, recommandations et opérations ont un besoin urgent de regards croisés et de grilles de lecture di-versifiées. Les a priori concernant ce qu’en France nous appelons les «profils atypiques» ne sont pas les mêmes partout. A la City de Londres, des traders peuvent avoir une formation initiale en géographie ou en lettres classiques. En juillet 2013, l’université d’Oxford a rendu publique une étude sur le devenir professionnel des étudiants en lettres et sciences humaines d’Oxford diplômés entre 1960 et 1989. Un tiers d’entre eux occupe aujourd’hui des fonctions dans le management des entreprises, la finance ou le marketing.

Le troisième défi français aux relations interculturelles est aussi lié avec le quatrième et le cinquième qu’une cause avec ses conséquences. Il s’agit de notre manque d’humilité culturelle, souvent tournée en a priori d’excellence. L’humilité est une posture souvent mal comprise, interprétée à tort comme effacement ou rabaissement, peut-être par rapprochement involontaire avec son dérivé, humiliation. Or, il s’agit tout simplement de développer une relation d’égal à égal sans présupposer qu’on sait mieux faire, mieux dire, mieux penser, mieux manger, mieux etc. Claude Lévi-Strauss estimait que si le degré de résistance aux milieux climatiques les plus hostiles avait été retenu comme critère de civilisation, les Eskimos et les Bédouins seraient les plus avancés[9]. Il ne s’agit pas de tomber dans un relativisme absolu, mais de comprendre que d’autres que nous peuvent avoir des modes d’action, des valeurs et descritères de progrès parfois différents, décalés par rapport aux nôtres, mais efficaces dans leur contexte, et de saisir ce qu’ils impliquent dans leur univers mental. L’effort de compréhensionn’est pas possible si le présupposé de la relation contient un sentiment de supériorité et un dénigrement de ce que l’autre est, dit, pense ou fait.Conséquence du manque d’humilité, le jugement de valeur (quatrième défi) n’est pas spécifiquement français. Somme toute, c’est un réflexe banal où qu’on se trouve dans le monde. Qui n’est pas gêné ou choqué par certaines pratiques quand il voyage? Mais là où les Français se distinguent par rapport à d’autres, par exemple aux Japonais, c’est dans leur tendance à exprimer publiquement le jugement de valeur par le langage corporel ou verbal. Nous appartenons à une culture du jugement qui est le corollaire d’un jugement sur la culture[10]

Par suite, nous manifestons souvent plus facilement que d’autres notre agacement, notre ennui, notre désaccord, nous critiquons une suggestion devant tout le monde, pointant ainsi du doigt le verre à moitié vide, prompt également à repérer immédiatement les fautes et les erreurs, voire à les signaler par une remarque ironique. Autant de réflexes rédhibitoires à l’international, que toute formation à l’interculturalité doit intégrer pour insister sur des postures plus favorables aux interactions. En effet, alors que dans la plupart des cultures du monde les gens ont tendance à intérioriser le négatif et à extérioriser le positif, quitte à l’exagérer, nous avons tendance à faire l’inverse: à extérioriser le négatif et à limiter, voire neutraliser, l’expression du positif (cinquième défi). Il est toujours singulier de voir des participants français à une formation interculturelle noter très consciencieusement de « partager plus souvent la satisfaction et defaire plus de compliments».

Le sixième défi concerne une illusion liée à notre manque de pragmatisme: croire que savoir, c’est savoir faire. Or, dans l’approche interculturelle, ce n’est pas parce que je suis expert de telle culture que j’ai développé les compétences pour interagir avec les contacts originaires de cette culture. Je peux parler parfaitement japonais, connaître sur le bout des doigts l’histoire, les us et coutumes, la gastronomie, l’histoire, la littérature du Japon et me révéler catastrophique dans mes relations professionnelles avec les Japonais. Or, le centre de gravité de notre système éducatif se situe plus dans les connaissances théoriques que pratiques, entraînant une dévalorisation des filières d’apprentissage, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays, comme en Suisse ou en Allemagne. Même si ce travers tend à s’atténuer[11], le savoir reste encore largement dispensé de façon magistrale par un professeur face à des élèves ou des étudiants passifs. Nous retrouvons ensuite transposés en entreprise certains réflexes acquis dans notre système éducatif, lorsqu’on promeut un collaborateur à des fonctions managériales en raison de son niveau de connaissances et d’expertise, et non pas de ses qualités relationnelles et de son esprit d’équipe. A l’international, ce trait culturel est un handicap pour la coopération quand nous évaluons les autres en fonction de leur savoir, et non de leur savoir-faire. Nous sommes alors prompts à repérer chez notre partenaire espagnol, ivoirien ou indien uneignorance ou une approximation, voire une simple «faute» de français, ce qui a pour double effet de le décrédibiliser et de nous empêcher d’évaluer à sa juste mesure son mode d’action.

 

Comment ne pas former à l’interculturalité

La recette empoisonnée de la non-formation à l’interculturalité est somme toute assez simple à réaliser. Il suffit de concevoir la formation comme un cours et de s’en tenir à l’apport de connaissances sur une culture étrangère en supposant que ce flux descendant s’accompagne nécessairement de compétences. Les participants sont alors réunis dans une salle de réunion, voire une salle de classe, et interagissent peu avec l’intervenant, et encore moins entre eux. Ils ne font pas de jeux de rôle, pas de mises en situation, ne libèrent pas la parole sur leurs questionnements, n’analysent pas leurs retours d’expérience, ne partagent ni enseignements ni conseils, n’identifient pas des bonnes pratiques, ne définissent pas de modalités pour leur suivi et leur évaluation. Et comme l’intervenant présente les enjeux interculturels en faisant le point sur les différents concepts théoriques, puisqu’il décrit les contextes culturels en partant de généralités avant de donner quelques exemples illustrant ces vérités, ils acquièrent la conviction que s’adapter à une culture étrangère s’apparente au respect du code la route. Et parce qu’ils maîtrisent un savoir théorique, ils se croient prêts pour leur prochaine mission à l’international.

Quant à l’organisation à l’origine de la demande de formation à l’interculturalité, elle n’a pas clairement défini ses objectifs. De toute façon, elle a délégué son besoin au service formation qui n’a pas de contact avec le département directement concerné et commande des formations sur catalogue sans savoir si le contenu correspond effectivement aux besoins spécifiques desfuturs participants. Ces derniers peuvent être, tout aussi bien,des ingénieurs en charge de gérer un projet industriel avec des partenaires indiens, que des négociateurs travaillant la relation sur le long terme avec des contacts turcs, une équipe commerciale préparant la réponse à un appel d’offres aux Emirats, des membres du service marketing et de la communication s’interrogeant sur l’adaptation au contexte brésilien d’un produit, de son emballage, de sa campagne publicitaire, de son site internet, ou encore un responsable de la gestion des risques se demandant comment sensibiliser et former à la sécurité les collaborateurs des différentes filiales de son entité. Pour chacune de ces situations singulières, la formation interculturelle s’appuiera sur un programme identique présentant le matin les codes culturels du pays cible, et l’après-midi les codes professionnels. Enfin, la formation à l’interculturalité échouera avec succès dans un contexte où les défis français aux relations interculturelles n’auront pas été pris en compte. C’est particulièrement le cas lorsque les participants ne quittent pas la position de surplomb culturel et d’a priori d’excellence, encouragés en cela par leur entreprise qui exige d’eux tout sauf de la flexibilité avec les partenaires étrangers. Il arrive ainsi que le formateur s’étonne de contacts justifiant ainsi leur besoin en formation interculturelle destinée aux collaborateurs français: «Nous aimerions qu’ils soient plus efficaces pour... imposer nos méthodes à l’international», et aux partenaires des filiales étrangères: «Libérer leur parole pour qu’ils fassent des suggestions... visant à mieux appliquer nos manières de faire». Au fond, ce qui est souhaité, c’est que les étrangers deviennent comme nous. Ce sont là des objectifs de guerre de tranchée culturelle qui ne peuvent mener qu’aux maladresses des uns et à la démotivation des autres.

On saura donc comment former à l’interculturalité quand on saura comment échouer à le faire. Il n’y a assurément pas de recette miracle pour développer les compétences interculturelles, pas plus qu’il n’y a de boîte à outils toute prête pour interagir avec quelque culture que ce soit. Mais il y a des conditions essentielles, pour ne pas dire universelles: l’humilité culturelle, la mise à distance de la tentation du culturalisme, la neutralisation du jugement de valeur, le développement du sens de l’observation, la compréhension de nos points faibles à l’international, le recueil des témoignages des acteurs en présence, la prise en compte et l’analyse des retours d’expérience, l’explication mutuelle des malentendus, la recherche et la définition en commun d’ajustements, l’identification et la construction des similitudes – et, finalement, la conscience qu’on n’a affaire qu’à des individus singuliers et que les cultures d’où ils proviennent sont des organismes vivants, complexes, fluctuants, en devenir, parfois très manifestes dans les attitudes et comportements, parfois en retrait, discrets, ou même absents, sans influence. En définitive, le facteur culturel n’est qu’une déclinaison du facteur humain. La rencontre interculturelle, c’est toujours l’enjeu de la relation humaine de l’autre en soi et de soi en l’autre. Il y a là encore bien des terres inconnues à explorer, ainsi que le notait dans sa Chronique japonaise le grand voyageur Nicolas Bouvier: « Si l’on ne peut plus guère progresser aujourd’hui dans l’art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l’art de se comprendre»[12].

 

[5] Cf. le rapport d’activité 2006 du service de médiation interculturelle du CHU bruxellois Brugmann

[6] Le C.A.I., Centre d’Apprentissage Interculturel, rattaché au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et qui compte parmi ses clients l’Agence canadienne de développement international, le ministère de la Défense nationale ou la Gendarmerie royale du Canada, a été créé en 1969. Voir https://www.international.gc.ca/cil-cai/index.aspx?lang=fra

[7] Le 30 juin 2014, une émission de Radio Canada International posait la question: «Mais, quelle identité canadienne?» Le sujet était introduit de la façon suivante: «Cela fait des décennies, sans doute depuis sa création en 1867, que les Canadiens se demandent à quoi tient l’identité canadienne. [...] Les étrangers qui viennent s’établir au Canada décrivent plus facilement notre identité ».

[8] Ce qui est moins le cas aux Pays-Bas, d’où viennent certains des pionniers du management interculturel, reconnus dans le monde entier, comme Geert Hofstede et Fons Trompenaars

[9] Race et histoire, Folio essais, pp.46-47

[10] Ainsi, lors d’une journée d’étude sur intelligence culturelle à l’UNESCO le 3 février 2011, nous avons sursauté, ainsi qu’une partie du public originaire de différents pays d’Afrique, lorsque le directeur de la stratégie, du développement et des affaires publiques de l’Audiovisuel Extérieur de la France est intervenu à la tribune pour affirmer que «beaucoup de pays reconnaissent le droit à la France de porter un jugement sur leur propre culture».

[11] Notamment via les initiatives de plus en plus répandues de «classes inversées» visant à plus d’activité et d’autonomie des élèves pour développer leurs compétences. Voir http://www.laclasseinversee.fr

[12] Payot, p.113

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Titre : Comment former à l’interculturalité ? 3/3
Auteur(s) : Monsieur Benjamin Pelletier, formateur en management interculturel
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