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Faire converger les besoins des militaires en système de forces

Dossier G2S n° 24
Relations internationales
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Pour le GCA (2S) Jean-Tristan VERNA l’acquisition d’équipements communs peut se heurter à la nécessaire conservation d’une part de souveraineté indispensable en matière de défense. Au-delà des industriels, c’est aux militaires de se rapprocher pour faire converger leurs besoins en système de forces.


Armée Européenne : la voie de la souveraineté par les matériels ?
 
« Défense européenne », « défense de l’Europe » ou plus encore « armée européenne » : quelles qu’en soient l’ampleur et la profondeur, les débats, opinions et commentaires débouchent toujours à un moment ou un autre sur la question de l’équipement des forces et l’organisation de l’industrie de défense.
 
Combien de fois n’a-t-on entendu fustiger aux plus hauts niveaux, l’aberration que représenterait le nombre de types différents d’engins blindés, d’avions de combat, de frégates qui équipent les armées du continent. Et les injonctions à créer des « Airbus » du naval, du blindé, etc. en découlent aisément.
 
C’est oublier que cette situation est le résultat de plusieurs siècles de guerres intra-européennes, qui n’ont pris fin que depuis deux générations de décideurs politiques ! Les bases industrielles de défense nationales sont l’empreinte laissée par la nécessité qu’ont eue la plupart des États européens d’assurer leur autonomie industrielle pour préserver leur intégrité territoriale, réaliser leurs ambitions, voire garantir leur neutralité, en toute souveraineté.
 
Cet article vise à apporter une contribution à la définition des contours de la souveraineté en matière d’équipement des forces armées. Cette définition pourra tout autant permettre un réel état des lieux des souverainetés nationales que tracer le chemin qui pourrait un jour permettre d’afficher cette souveraineté à un niveau supranational.
 
Dans ce domaine, le premier fondement de la souveraineté est la liberté de conception des matériels 50. Elle découle de la liberté d’élaboration d’un besoin militaire et capacitaire.
 
À notre heureuse époque de « Pax Europea », avant même la dispersion industrielle, c’est bien souvent l’absence de partage de ce besoin qui entraîne la grande diversité des matériels d’un pays à l’autre. Ce que d’aucuns considèrent comme une simple question d’habitude ou de conservatisme traduit plutôt le caractère fortement culturel qui s’attache aux armées nationales du fait de leur rôle dans la stratégie nationale, de l’histoire de leurs guerres, de la nature de leur recrutement, de choix d’organisation parfois très anciens et ancrés dans la culture nationale.
 
On aboutit ainsi à des lignes de forces dont l’inflexion n’est pas facile : peuples de la mer et vieilles tribus de l’hinterland, nations Europe-centrées et conquérants d’empires oubliés, tous ne se retrouvent pas spontanément sur la même conception de leurs besoins militaires, en dépit de sept décennies de standardisation OTANienne. L’un placera ses hélicoptères de transport dans les forces aériennes, l’autre dans les forces terrestres, avec des différences notoires de mise en œuvre, l’un visera l’avion de combat polyvalent quand d’autres constitueront toujours des flottes diversifiées, l’un ne jurera que par la chenille quand la roue aura la faveur du voisin. N’oublions pas les longs débats entre fantassins autour du nombre de combattants de la cellule de combat de base, qui détermine finalement l’architecture du véhicule qui l’embarque !
 
Cette nécessité de maîtriser la conception initiale des matériels se complète en outre de celle de pouvoir les faire évoluer au gré des enseignements opérationnels, des choix d’intégration de nouvelles technologies, etc. Rapidement, un matériel peut prendre une configuration très éloignée de celle d’origine. Un bon exemple est la divergence progressive de configuration des TRANSALL français et allemands, dont l’emploi sur la durée a été très différent.
 
Enfin, un matériel ne se conçoit pas sans son système de soutien, c’est-à-dire la façon dont son maintien en conditions opérationnelles sera réalisé. La vision du soutien a un impact fort sur la conception initiale du matériel : fautil que le moteur d’un engin blindé soit échangeable rapidement sur le terrain, ou un soutien de type industriel sur une base logistique sera-t-il choisi, avec des solutions techniques plus proches de celles employées pour les matériels d’usage civil ? Aura-t-on ou non recours à des capteurs intégrés pour tous les types de matériels ? Là encore, les cultures militaires européennes sont fréquemment incompatibles. Certaines armées privilégient toujours le soutien au plus près de la zone de combat, alors que d’autres considèrent que cette approche ne correspond plus aux réalités opérationnelles et techniques.
 
Rester maître du choix des fonctionnalités opérationnelles d’un matériel et des solutions techniques permettant de les atteindre, avoir la liberté de le faire évoluer, décider de la façon de le soutenir pendant la période d’utilisation, voilà le premier fondement de la souveraineté en matière de matériels militaires.
 
Un second fondement de la souveraineté, sur lequel il n’est pas utile de s’étendre longuement tant il est évident, est la liberté d’emploi des matériels. Un ensemble politique souverain, national ou supranational, doit pouvoir déployer et utiliser librement ses moyens militaires partout où le besoin s’en fait sentir, et sans autres restrictions que celles imposées par le droit international. Nous connaissons bien les limitations mises au déploiement et à l’utilisation opérationnelle des matériels acquis auprès des États-Unis au titre de la procédure FMS 51. Même la France les a expérimentées avec les missiles JAVELIN, et achète, et armera bientôt, des drones REAPER en dépit de ces entraves à sa liberté d'action.
 
Faut-il faire de la liberté d’exportation un autre fondement de la souveraineté ?
 
Un débat existe sur la réalité de l’impératif économique d’exportation qui permettrait de contenir le coût d’acquisition des matériels et compenser le faible volume des séries « nationales ». Une harmonisation des besoins au niveau supranational serait peut-être un argument pour surmonter cet impératif.
 
Mais l’exportation n’est pas seulement un levier économique. Elle est aussi un instrument de politique étrangère, d’influence sur la scène géopolitique, de consolidation des liens avec des alliés. Pouvoir exporter, ou diffuser, des matériels militaires au gré des intérêts stratégiques se rattache ainsi à la notion de souveraineté, et il est pertinent de poser systématiquement la question de son « exportabilité » lorsqu’un matériel entre en conception, puis en production.
 
Liberté de conception, de soutien et d’évolution, liberté d’utilisation opérationnelle, liberté d’exportation, tels sont les fondements que l’on peut retenir pour définir la souveraineté appliquée à l’équipement d’une armée, qu’elle soit nationale ou à vocation supranationale.
 
Bien évidemment, chaque type de matériel ouvre des enjeux et des difficultés spécifiques qu’il serait fastidieux de développer : sans parler des moyens de la dissuasion nucléaire, les matériels classiques, dénombrables, ne soulèvent pas les mêmes questions que les systèmes de commandement et d’information intégrés, ou encore les systèmes de systèmes complexes, très en vogue dans le club restreint des nations techno-connectées.
 
Mais il existe des capacités subséquentes communes à tous les types de matériels : les compétences humaines, les politiques et moyens de recherche et technologie, désormais fortement liés à la R&T du monde civil, la maîtrise des droits de propriété intellectuelle, l’autonomie de réglementation et de fixation des normes techniques et environnementales, les processus de décision politique d'investissement et les procédures administratives d’attribution des budgets et de maîtrise d’ouvrage des programmes d’armement, etc., tous domaines dont l’effort global mis en œuvre il y a quelques décennies pour bâtir les moyens de la dissuasion française autonome constitue un bon exemple historique. Le changement de culture stratégique qui fut imposé aux armées françaises à cette époque en fait d’ailleurs partie.
 
L’acceptation de ces fondements conduit, en principe, à les prendre en considération lorsqu’on définit la politique d’acquisition et de fabrication des matériels, que cette politique soit globale ou qu’elle s’applique à une famille d’équipements, voire à un matériel individualisé.
 
La France s’est essayée à cet exercice avec la théorie des trois cercles, reprise dans ses livres blancs de 2008 et 2013.
 
À un premier cercle dit « de souveraineté », définissant les capacités critiques à maîtriser au niveau national, s’ajoute un cercle « d’interdépendance européenne » qui suppose une convergence des spécifications technicoopérationnelles et un partage industriel équilibré. Vient enfin le cercle du « recours au marché mondial », pour les moyens dont l’approvisionnement peut être garanti sans rupture, ni restriction.
 
On connaît les difficultés que soulève cette catégorisation des acquisitions.
 
L’ambition de souveraineté que porte le « premier cercle » passe par la capacité à dégager les ressources humaines et économiques nécessaires à sa mise en œuvre. Si on considère que ces capacités de souveraineté regroupent le nucléaire et les plates-formes complexes qui s’y rapportent, le spatial, les systèmes de renseignement, le domaine « cyber » et certains armements très sophistiqués comme les missiles, les compétences technologiques à réunir et les budgets à mobiliser saturent assez rapidement les capacités nationales.
 
Au-delà des dispositions de nature procédurales qu’elle suppose (par exemple, des procédures d’acquisition spécifiques), l’interdépendance (européenne) définie au travers du deuxième cercle, est d’autant plus critique à réaliser qu’elle s’attaque à deux positions difficiles à entamer : les cultures militaires et les intérêts industriels, avec leur volet social. Force est de constater que ces réalités s’imposent aux volontés d’harmonisation et de coopération, passées et actuelles.
 
Pour ce qui est du recours au marché mondial, gare à ne pas le considérer comme une garantie absolue. L’épisode malheureux des munitions de petit calibre connu par la France il y a quelques années ne doit pas être oublié. Et que devient-on lorsqu’une crise généralisée précipite tous les clients démunis vers un nombre limité de producteurs ? La saturation rapide des capacités de transport stratégique lors de la montée en puissance ou de la fin de grandes opérations est un exemple de ces goulets d’étranglement potentiels.
 
Traduire dans des matériels communs la volonté de construire des forces supranationales efficaces sur le plan opérationnel et à la portée des capacités financières nécessite donc de surmonter ces difficultés en matière d’acquisition : vers quelle ambition stratégique et souveraine doit-t-on orienter la définition des capacités critiques ? Quel corpus partagé de doctrines militaires doit-il servir de référence à la définition technique des matériels, à leur gestion de configuration et à leur système de soutien ? Comment organiser les activités industrielles de fabrication et de soutien en service ? Sur quel socle politique peut-on bâtir les flux avec le reste du monde, tant pour l’approvisionnement que pour l’exportation ?
 
Attention ! Absence d’une politique étrangère et d’une chaîne de commandement européenne s’imposant aux pays membres, appétence de certains de ces derniers pour les matériels majeurs d’origine américaine, difficultés récurrentes pour organiser à l’échelle du continent une industrie d’armement très largement privée et en partie détenue par des fonds américains, voilà autant de sujets à traiter à un niveau politique en préalable à tout lancement de grandes idées touchant au domaine militaire proprement dit !
 
Quant aux militaires, que peuvent-ils faire ?
 
D’abord, rappeler l’impératif de réalisme : au niveau national, en veillant à que l’on ne lâche pas la proie des capacités souveraines existantes pour l’ombre de la constitution de capacités communes aux contours et aux modalités de mise en action mal ou peu définis. Puis, dans la mesure où un processus politique serait engagé pour aboutir à cette « armée européenne » qui revient périodiquement à l’ordre du jour, y revendiquer une place importante pour faire valoir les précautions à prendre dans le domaine technique des matériels, sujet qui est volontiers absent des préoccupations des diplomates.
 
Deuxième action possible, s’attacher à proposer des solutions techniques transitoires, et fiables, à partir de l’existant. Cette action peut s’appuyer sur une pratique ancienne, celle de la cohabitation des armées nationales au sein de l’OTAN, même lorsque leur intégration n’est pas totale, comme ce fut le cas des armées françaises pendant une quarantaine d’années. Et des exemples existent déjà au sein de l’Europe, comme l’European Air Transport Command (EATC) créé en 2010.
 
Enfin, sans renier les fortes racines culturelles de chaque armée nationale et sans sous-estimer l’impact des intérêts stratégiques spécifiques de certaines nations, les militaires auront intérêt à développer le partage de leurs approches techniques, tactiques et logistiques.
 
Chaque nation imprime une marque spécifique à ses militaires, selon qu’elle choisit de bâtir un modèle d’armée complet, autonome, ou se contente de quelques « niches d’excellence », selon qu’elle leur demande de préserver ou non une capacité de « nation cadre ». La culture d'une armée s’inspire également fortement des délais d’engagement fixés par les processus de décisions politiques, de son approche des relations avec les populations présentes sur les théâtres d’opérations lointains, de sa capacité à appréhender des opérations de longue durée, du niveau d’intégration des facteurs humains dans le développement et l’emploi de ses matériels.
 
Avoir une vision réaliste et partagée de ces aspects culturels est la seule voie pour aboutir à des spécifications technico-opérationnelles convergentes. Il faut donc une enceinte officielle d’échange et de réflexion sur ces sujets, qui peuvent paraître techniques et militaro-centrés. En effet, si les militaires ont toute leur place dans les débats européens de niveau politico-militaire et stratégique, il sera tout aussi important de leur offrir un cadre formel pour réfléchir et discuter sur la préparation des systèmes de forces partagés entre nations.

 

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50 Le terme « matériels » est pratique à utiliser mais est réducteur. Il faut conserver à l’esprit qu’il recouvre aussi bien des matériels dénombrables, de complexité plus ou moins grande, des systèmes d’armes dont l’efficacité ne se concrétise que par leurs connections avec leur environnement, des systèmes d’information, etc.

51 Foreign Military Sales

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Titre : Faire converger les besoins des militaires en système de forces
Auteur(s) : GCA (2S) Jean-Tristan VERNA
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Armée