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Interopérabilité, on peut encore s’améliorer

Dossier G2S n° 24
Relations internationales
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Après avoir évoqué les conditions de l’interopérabilité de nos forces armées, le GCA (2S) Éric MARGAIL   en dresse l’état de l’art actuel avant d’en proposer des pistes de progrès.


Europe de la défense, défense de l’Europe, armée européenne… Le sujet est complexe, ancien et récurrent… La contribution de cet article, appuyée notamment sur l’expérience multinationale de l’auteur, se veut pragmatique : elle ne traitera pas des aspects symboliques, politiques ou économiques de la question ; elle s’efforcera, en partant de ce que pourraient être les besoins militaires de notre pays et de nos voisins dans les années à venir, d’évaluer la situation actuelle et d’envisager quelques voies de progrès. Un certain nombre de considérations et d’arguments pourra sembler aller de soi au lecteur averti. Pourtant, le constat fait ici où là de la fragilité de la réflexion, tant sur la notion de souveraineté que sur la nature de l’action militaire, engage à y revenir.

1. Quels besoins militaires ?
 
On dérogera durant quelques lignes à la règle de ne pas aborder les questions politiques... Il est en effet nécessaire, pour démarrer la réflexion sur des bases saines, de se demander honnêtement pourquoi le bilan européen des dernières décennies, malgré quelques réalisations ici et là, n’est pas à la hauteur des discours. Une raison simple apparaît, essentielle et pourtant un peu tabou à une époque où le concept de nation connait un certain désamour : c’est le caractère profondément régalien de l’action guerrière ; les forces armées sont le premier outil régalien de l’État. C’est d’ailleurs de cette fonction que l’État est né au cours du Moyen-Âge, toutes les autres fonctions s’étant progressivement agrégées, plus ou moins largement d’ailleurs selon les pays.
 
Pour l’État, cet outil intrinsèquement régalien est naturellement difficile à partager pour au moins trois fortes raisons : culturelle, fonctionnelle et politique.
 
D’abord, il touche très directement à la survie de la Nation. Or, cette notion de survie, d’intérêts vitaux, est comprise, ressentie, d’une façon toujours étroitement liée à la géographie, à l’histoire et à la culture de chaque nation. Pour dire les choses autrement, partager une frontière avec les Russes ou border la Méditerranée ne donne pas la même perception des menaces et des urgences de sécurité.
 
Ensuite, on attend de l’outil militaire qu’il garantisse la réactivité et la résilience de l’État. Sa pleine disponibilité ne saurait donc être entravée par aucune disposition extérieure. Notons que cette pleine disponibilité, facteur clé d’efficacité le moment venu, constitue également un facteur de stabilité par le message qu’elle envoie à d’éventuels adversaires.
 
Enfin, et surtout, l’action militaire engage la responsabilité d’aller porter la violence chez un adversaire, au péril de la vie ou de l’intégrité physique de ses propres concitoyens. C’est une des plus grandes responsabilités qui soit pour nos gouvernants.
 
Malgré cela, Il y a de bonnes raisons de ne pas agir seul ! Deux, de nature différente, ont pris une importance considérable depuis quelques décennies : la première raison est la grande difficulté, voire l’impossibilité pour certaines fonctions, d’entretenir seul des moyens militaires complets, qualitativement, mais surtout quantitativement : la deuxième bataille de Falloujah en Irak en 2004, - 300.000 habitants, 5 à 7.000 adversaires sommairement armés -, a demandé trois semaines de combats intenses à plus de 40.000 Américains (1re division de Marines) disposant de 200 chars : c’est hors de portée des principales armées européennes, dont aucune ne possède de tels moyens au complet : volume de forces engageables trop limité, moyens particuliers trop échantillonnaires, capacité à durer réduite (relèves, munitions, rechanges etc.).
 
La deuxième raison est la très grande vulnérabilité politique qui, sauf cas particuliers (urgence évidente, caractère limité dans le temps et les moyens, etc.) s’attache de plus en plus à l’action en solo. A contrario, l’action à plusieurs présente la grande vertu de rétablir, plus ou moins, cette légitimité indispensable tant sur le plan international que sur le plan intérieur.
 
2. Difficulté de partager, nécessité de s’associer. Comment dénouer cet antagonisme ?
 
Il est possible de dépasser cet antagonisme en partant d’une question simple : de quels outils militaires pourrait-on vraiment avoir besoin dans un horizon de moyen terme, soit dans la décennie à venir ? On posera comme hypothèse le besoin de déployer une force d’une taille et d’un niveau opérationnel - tant au niveau des équipements que du savoir-faire - suffisants pour réagir dans des délais appropriés à une crise complexe et conséquente 52, dépassant les actuelles opérations d’intervention limitée ou de stabilisation.
 
Dans les conditions actuelles, il est indispensable pour répondre au besoin opérationnel de construire la force à partir des « boites de Meccano » constituées par les armées nationales.
 
Or, constituer dans les délais voulus une force multinationale apte à réussir militairement et politiquement requiert la réalisation de deux impérieuses conditions.
 
La première est de disposer de suffisamment de partenaires aptes à réaliser le volume voulu pour la force : celle-ci sera constituée de ceux qui le voudront, le pourront dans les délais requis - réactivité fonctionnelle mais surtout politique - et enfin le pourront du fait du niveau de leurs moyens.
 
La deuxième condition est de maîtriser le mode d’emploi du Meccano en amont du déclenchement de la crise, c’est-à-dire avoir la connaissance partagée du niveau de compatibilité des différents moyens appelés à agir ensemble, et l’habitude de les faire travailler très concrètement ensemble.
 
Soulignons que la force à constituer est composée de deux niveaux qui ne présentent pas exactement les mêmes problématiques : à sa tête, le système de commandement, multinational, c’est-à-dire partagé entre plusieurs nations, doit être capable de prendre des décisions dans le cadre de connections complexes avec les environnements politiques, diplomatiques, et de renseignement nationaux, internationaux - grandes organisations internationales - et locaux. À la base, les forces, soutenues par des chaînes principalement nationales, doivent être aptes à interagir entre elles, au sein de chaque milieu - terre, air, mer - et en interarmées.
 
L’interopérabilité, que l’on définira comme l’aptitude pour une entité opérationnelle d’un pays à travailler de façon fluide avec d’autres entités de pays amis, sans nécessiter un temps de montée en puissance trop important - le « warm-up » de nos exercices -, est la clé dont nous disposons aujourd’hui pour relever le défi d’engagements conséquents qui pourraient s’imposer à nous. Le moment est donc venu de faire un point sur l’état de l’interopérabilité en Europe.
 
3. Interopérabilité de nos forces ; essai d’appréciation de situation.
 
Nos armées ont une bonne expérience de l’action avec nos alliés, acquise de deux façons différentes : au travers des coopérations bilatérales, - notamment celle avec les Britanniques, qui a connu un fort développement depuis une décennie - et par la fréquentation permanente des Alliés au sein de l’Alliance Atlantique. Cette fréquentation se partage entre les grands exercices, laboratoire exceptionnel de l’apprentissage de l’action multinationale, et les participations croisées dans les états-majors, quant à eux irremplaçable école de la connaissance mutuelle.
 
Cette expérience permet de distinguer trois niveaux d’interopérabilité : l’interopérabilité technique, qui est celle des équipements, et en particulier des télécommunications ; l’interopérabilité opérationnelle, qui couvre la doctrine et les procédures, et enfin l’interopérabilité culturelle, qui permet une compréhension partagée des analyses, des enjeux, et sur laquelle s’établit la confiance indispensable à l’engagement guerrier.
 
Le bilan de l’interopérabilité technique est, disons-le, mitigé pour ce qui concerne l’action terrestre. Les matériels majeurs et leurs composants (rechanges, munitions) sont généralement différents, entraînant une grande complexité logistique. Malgré des efforts de compatibilité, les différents développements de la numérisation de l’espace de bataille quant à eux tendent à singulariser et à cloisonner les systèmes de communications et d’information de chaque armée nationale. Cette difficulté est pragmatiquement contournée par l’échange de détachements de liaison équipés d’un « terminal » du système national ; cette pratique fonctionne correctement, mais elle exige un bon entraînement mutuel, et réserve la « mixité » multinationale aux niveaux élevés. Le GTIA au sein d’une brigade semble le minimum pour des engagements intenses et complexes.

L’interopérabilité des doctrines et des procédures semble relativement bien établie. Elle est appuyée sur une langue commune, l’anglais militaire, correctement pratiquée au sein des systèmes de commandement. Notons toutefois que la façon de comprendre et de pratiquer la doctrine est sujette à deux facteurs, qui en nuancent le caractère partagé : d’abord la notion de caveat53, contraignante quand elle est annoncée d’emblée, très perturbante quand elle est prononcée en cours d’action. Ensuite la nature des équipements et de la façon de s’en servir des différents partenaires : tout le monde applique le même code de la route, mais il y a ceux qui ont de grosses cylindrées et les autres, ainsi que différentes habitudes de conduite... C’est ainsi que l’on distingue, à mission égale, des approches plus ou moins « cinétiques », dont le contrôle est une vraie difficulté pour le chef multinational. Ceci nous amène à l’interopérabilité culturelle.
 
Chaque armée nationale est porteuse de son histoire et de la culture de sa nation. Certaines armées, comme la nôtre, auront une inclination à la compréhension globale de la situation, en particulier dans ses dimensions humaines, d’autres seront plus focalisées sur la dimension strictement guerrière de leur action ; d’autres manifesteront, pour diverses raisons, une certaine prudence dans leurs actions. Cette donnée ne changera pas à l’horizon qui nous intéresse. Il faut donc la connaître, et notamment au moyen de l’entraînement, apprendre à bien composer avec elle.
 
4. Quelles voies de progrès concrètes, dès maintenant ?
 
On le voit, on ne part pas de rien, et d’un point de vue militaire, la situation actuelle permettrait d’ores et déjà de constituer et d’engager une force de taille respectable et au fonctionnement satisfaisant. Il n’en demeure pas moins qu’il reste des limitations, qui doivent impérativement être réduites. Pour rester dans le souci de pragmatisme que s’est fixé cet article, il convient de trouver des voies de progrès présentant un bon rapport coût - efficacité dans des délais raisonnables. On en évoquera deux : la pratique des échanges d’officiers, et une certaine manière de pratiquer l’entraînement.
 
La pratique des échanges d’officiers est ancienne. Elle est particulièrement vertueuse, avec un double effet : un effet immédiat, dans l’action, en bénéficiant de l’expertise, de l’expérience et du ressenti d’un camarade allié qui n’a pas suivi la même formation, le même parcours et n’a pas la même culture ni la même expérience opérationnelle ; un effet différé lors du retour de cet officier dans ses rangs nationaux, qu’il nourrit à son tour de ce qu’il a vu, appris, lors de son détachement.
 
Néanmoins, dans la perspective d’actions communes entre européens, ces pratiques sont encore trop anecdotiques. Il conviendrait de les multiplier dans les champs de la formation (en particulier à l’École de guerre et au CHEM54, ne serait-ce que pour des séjours limités à quelques semaines, choisies au moment clés de ces scolarités), et des grands exercices : l’apport de renforcements extérieurs - outre le fait qu’ils viennent compléter utilement des effectifs que nous avons toujours du mal à réaliser au niveau national - est toujours extrêmement précieux : c’est là qu’on y travaille en profondeur les divers aspects de l’interopérabilité, et tout particulièrement son volet culturel.
 
Les grands exercices méritent un développement particulier : comme la répétition générale d’un orchestre, ils coûtent chers et immobilisent des moyens humains et matériels rares et précieux ; parfois même, lorsque certains « pupitres » n’ont pas suffisamment fait leur travail préparatoire, ils sont une forme de gaspillage. Pourtant, leur fort aspect symbolique, les apprentissages logistiques et de communication qu’ils permettent, et le message qu’ils envoient éventuellement à de potentiels adversaires, les rendent indispensables.
 
Cet antagonisme peut être dénoué par le développement de façons de s’entraîner limitées au travail des systèmes de commandement - du commandement de la force et son environnement d’animation jusqu’au poste de commandement des pions55 de combats. Les systèmes d’information et de communication peuvent dans une première phase n’être déployés que de façon très légère : le Table Top Exercice est un excellent exemple de cette façon de travailler. Consistant à mettre autour d’une table des décideurs56 et à les faire réfléchir à différents problèmes opérationnels, soit de court terme (décision de conduite) soit à un horizon plus lointain (évolution du plan de campagne), il conjugue facilité de mise en œuvre, légèreté des coûts et très grand réalisme de l’entraînement du processus visé57 : c’est là que s’y cultive en profondeur l’interopérabilité culturelle, d’abord autour de la table de travail et des écrans, puis dans les discussions de couloirs et enfin lors des moments de cohésion qui accompagnent la séquence.
 
En synthèse
 
Les Européens disposent, peut-être sans le savoir, car c’est le résultat d’actions permanentes conduites depuis des décennies, d’une base non négligeable pour conduire des actions militaires en commun. Il s’agit de poursuivre avec lucidité, sans romantisme ni pessimisme excessifs : des insuffisances actuelles pourront être corrigées, tandis que des aspérités plus durables doivent être parfaitement connues et intégrées dans les façons de procéder.
 
Les institutions militaires peuvent, doivent donc rendre compte à leurs dirigeants politiques qu’ils ont la possibilité, s’ils le souhaitent, d’agir avec des partenaires européens. Cela aura pour mérite de bien situer la question militaire européenne à son bon niveau, le niveau politique.
 
Faire fructifier nos atouts actuels est un bon moyen d’attendre le jour, encore éloigné semble-t-il, où la nature de l’organisation politique européenne permettra et demandera une forme de partage ou de mise en commun de nos moyens guerriers.

 

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52 On se fixera comme repère une force interarmées d’une à deux divisions type OTAN pour la composante terrestre, entrant en premier sur un théâtre à stabiliser.

53 Un caveat est une limitation, d’origine politique, interdisant à une force armée de remplir certaines missions.

54 Centre des hautes études militaires.

55 Selon le niveau de l’exercice, PC de Groupement tactique, ou PC de brigade, le but étant de créer le réalisme (viscosité du système et originalité des acteurs) d’une chaîne de commandement complète.

56 Et le cas échéant leurs collaborateurs, afin de créer les processus de travail avec eux.

57 En l’occurrence, le travail des chaînes de commandement.

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Titre : Interopérabilité, on peut encore s’améliorer
Auteur(s) : GCA (2S) Éric MARGAIL
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