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L’audace

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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À l’occasion d’une étude historique sur le terrain, un officier, un brin taquin, disait à propos de l’offensive allemande dans les Ardennes en 1940: «Guderian est audacieux parce qu’il a réussi. Si l’offensive avait échoué, il aurait été incompétent». L’audace n’a-t-elle pas de nature propre? N’est-ce qu’une notion subjective, un point de vue du spectateur qui juge l’action a posteriori? N’est-ce qu’une question de hasard, un jet de dés dont le succès repose sur sa bonne étoile (ou la mauvaise de son adversaire)? En somme, l’audace que nous chérissons tant n’est-elle qu’une chimère de gamins rêveurs? L’auteur de cet article apporte avec passion ses réponses personnelles à ces questions.


La gloire, le combat, l’honneur, la camaraderie sont des catalyseurs d’idéaux. Ces mots façonnent les vocations de générations d’officiers de l’aurore resplendissante de leur carrière à son crépuscule, des bancs de la pompe à Coëtquidan aux confins du Sahel ou de l’Afghanistan. L’audace est un de ceux-ci. Sa force onirique est puissante. S’inscrivant résolument dans l’action, l’audace a le parfum de la jeunesse, de la révolte et de l’aplomb. Elle est une promesse de postérité pour ceux à qui «la fortune a souri»[1]. Qui ne s’est jamais rêvé héros résolu, tel Bournazel, toujours chic et victorieux dans sa veste pourpre, se riant de la mort, inspirant l’effroi chez ses ennemis et l’admiration chez ses compagnons?

 

L’audace: le courage et la transgression…

La première difficulté, et non la moindre, consiste à s’accorder sur le sens du mot «audace». Il a pour racine latine audere, c’est-à-dire «oser». L’audace désigne à la fois «la hardiesse qui ne connaît pas de limite, le courage, mais aussi l’attitude ou l’acte de quelqu’un qui méprise les limites imposées, les règles»[2]. On distingue aisément la fascination que peut opérer l’audace qui conjugue apparemment deux concepts séduisants: le courage et la transgression.

Le courage, tout d’abord, est une vertu. L’armée de Terre la désigne même comme «la clé de voûte de toutes les autres vertus»[3]. Il correspond à l’énergie, essentiellement de nature morale, nécessaire pour produire un effort, réaliser une action malgré la peur, le danger et l’incertitude du résultat. Il est le produit de la volonté et permet de prendre l’ascendant sur l’adversaire ou les évènements. Seul le courage permet de franchir le pas de la prise de risque. Sans lui, l’audace ne serait qu’une velléité, une pure abstraction intellectuelle.

La transgression, elle, est équivoque. Le «mépris des règles» peut en effet s’entendre comme un acte d’émancipation vis-à-vis d’une contrainte jugée inutile, sclérosante ou illégitime. C’est la révolte de l’adolescent ou l’arrogance du militaire. Dans ce cas, la transgression ne relève pas du courage mais, au choix, de l’inconséquence, de l’incompétence ou de la témérité.

En ce qui concerne l’audace, la transgression n’est pas de l’ordre de la révolte mais de celui du risque. La hardiesse connaît donc bien une limite: celle du prix à payer (en général celui du sang) pour le gain espéré. C’est ce qu’on nomme communément l’enjeu. Tout l’art de la prise de risque consiste donc à identifier cet enjeu. La règle n’a pas ici de caractère normatif, elle est simplement structurante. Elle propose un cadre de référence, un point de repère qui aide à mesurer les risques encourus lorsqu’on franchit les limites.

En somme, être audacieux, c’est avoir le courage de dépasser la règle commune en mesurant, et en assumant, les risques liés à la décision prise.

 

… pour garder l’initiative

Cela pourrait sembler singulier pour qui n’est pas familier de la doctrine de l’armée de Terre: l’institution militaire encourage ses officiers à désobéir! En effet, la doctrine française moderne fait une place de choix à l’audace. L’un des cinq documents fondateurs qui forment le socle de la doctrine des forces terrestres[4] traite de l’audace lorsqu’il aborde les principes de la guerre et en particulier la liberté d’action. Celle-ci consiste, en fait, à garder l’initiative. Et cette initiative ne se conçoit pas sans que «le chef fasse preuve d’audace». L’audace se caractérise alors par «une prise de risques raisonnée qui permet d’imposer son action à son adversaire».

Nous touchons là un point de repère fondamental dans la façon dont la pensée militaire appréhende la guerre et sa conduite: l’initiative. L’audace est la clé de l’initiative, elle-même clé de la bataille. Le Général Yakovleff estime même que «la maîtrise de l’initiative est au cœur de la notion de victoire […]. L’initiative est caractérisée comme la détention d’options à exercer. La victoire correspond à la saisie d’options – et donc au renforcement de l’initiative»[5]. Il invite, avec une petite pointe de provocation, le lecteur impatient à ne s’en tenir qu’à ce chapitre, le plus important à ses yeux.

La façon de concevoir le rôle de l’officier est un élément structurant de notre doctrine de commandement: l’officier ne doit pas limiter son action à une application scrupuleuse de prescriptions et de recettes, mais agir selon des principes généraux. Au premier rang de ceux-ci figure la liberté d’action. Il doit comprendre et utiliser pleinement celle que lui donne son chef et définir celle de ses subordonnés. Ainsi, toutes les notions d’effet majeur et de subsidiarité, que nous n’aborderons pas ici, sont à considérer sous le prisme de ces notions fondamentales d’audace et d’initiative.

 

Savoir, vouloir et pouvoir: comment être audacieux

Les éléments qui précèdent nous éclairent sur les enjeux de la notion d’audace, le «pourquoi». Mais être convaincu de l’importance de l’audace ne résout pas la question concrète du «comment». En fait, pour être audacieux, il faut savoir, vouloir et pouvoir.

Végèce affirmait que «le savoir militaire alimente l’audace du soldat: nul n’appréhende d’exécuter ce qu’il connaît à fond»[6]. L’audace nécessite d’abord de savoir dans le but de comprendre. Dans un monde idéal, il s’agirait d’avoir une vision parfaitement juste de l’environnement dans lequel s’inscrit l’action: savoir exactement ce que nous sommes capables de réaliser, ce que fait ou peut envisager de faire l’adversaire et, enfin, savoir avec certitude ce qu’il fera en réaction à notre action. Mais la guerre est par essence une expérience humaine extrême. Elle échappera toujours, à des degrés divers, aux tentatives d’en délimiter les contours. On ne saura donc jamais ni vraiment tout, ni vraiment au bon moment. Aussi deux champs doivent se croiser: l’intelligence et la doctrine, et la capacité d’abstraction et d’imagination associée à la connaissance d’un phénomène d’une grande complexité.

Cette étape est très importante. Elle constitue le socle sur lequel va se construire une conviction tactique. Plus grande sera la connaissance du cadre doctrinal, plus grande sera la confiance dans cette conviction.

Vouloir est la deuxième caractéristique de l’audace. En effet, savoir est de l’ordre intellectuel et l’action militaire s’inscrit dans l’action. Vouloir permet de passer de l’un à l’autre. Pour donner une perspective à la vertu de courage précédemment évoquée, abordons la notion de doute. Douter est vertueux lorsqu’il s’agit d’une méthode. Le doute méthodique est un processus intellectuel qui vise à volontairement malmener sa propre pensée pour en éprouver les limites. C’est exactement de cela dont il s’agit lorsque, dans les méthodes de réflexion tactique, les modes d’actions amis et ennemis sont comparés puis confrontés. Il permet, in fine, de se forger une «conviction tactique» étayée par une confiance dans la manœuvre choisie. Alors la volonté peut être forte et rester constante malgré les incertitudes inhérentes au combat.

Enfin, il faut pouvoir être audacieux. Un psychologue montrerait aisément que certains caractères favorisent l’audace, c’est une évidence. Toutefois, je suis convaincu qu’il s’agit avant tout d’une question de confiance. Celle-ci dépend à la fois d’un facteur endogène, la conviction tactique que nous avons évoquée, et à la fois d’un facteur exogène, la culture de commandement. Au-delà de la posture qui consiste à s’enorgueillir de la «french touch» autrefois appelée le «génie français», et de professer à qui veut l’entendre la supériorité de notre «effet majeur», il convient de bien mesurer les fondements et les conséquences de notre vision du commandement. Celle-ci est fondée sur la certitude que le brouillard de la guerre étant irréductible, il vaut mieux apprendre à évoluer malgré lui, et surtout avec lui, plutôt que de chercher à le dissiper. Alors, seulement, la vanité de vouloir tout contrôler devient absurde et faire confiance à ses subordonnés n’est plus un luxe, une coquetterie pour soigner sa notoriété, mais une nécessité pour vaincre. Alors, seulement, on apprendra aux jeunes chefs à faire preuve d’audace non pour briller, mais pour préserver à tout prix la liberté d’action de leur chef. Et l’on acceptera, incidemment, qu’ils se trompent.

En définitive, l’audace n’est pas une question de hasard. Guderian, comme tous les grands chefs militaires, n’était pas une tête brûlée qui cherchait à forcer le destin. C’était d’abord un officier qui avait consacré beaucoup d’énergie à l’étude et qui avait réfléchi.

Le chef audacieux est celui qui comprend les risques, en mesure pleinement la portée et tient le cap dans la tempête. Enfin, quelle plus belle définition de l’audacieux que le Général de Gaulle rétorquant à un officier général américain qui se plaignait du caractère aventureux et indiscipliné du Maréchal Leclerc: «Leclerc a toujours fait ce que je lui demandais, même quand je ne lui demandais rien».

 

[1] «La fortune sourit aux audacieux». L’Enéide, Virgile.

[2] Dictionnaire Larousse.

[3] L’exercice du commandement dans l’armée de Terre, 2016 (p. 58).

[4] FT-02, Tactique générale.

[5] Général Michel Yakovleff, «Tactique théorique», Économica.

[6] Végèce, «Epitomé d’art militaire». Au Vème siècle, alors que le souvenir d’Attila est encore vivace, Végèce rédige, à l’intention de l’empereur Valentinien, une synthèse des pratiques anciennes et des écrits des penseurs romains qui l’ont précédé. Cet ouvrage fut une référence incontournable de l’art militaire, depuis le Moyen-Âge jusqu’à l’époque moderne.

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Titre : L’audace
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Emmanuel DUBOIS
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