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La Chine, nouvelle puissance maritime

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Nombreux sont les reportages, les études, les réflexions portant sur une Chine qui pourrait devenir dans vingt ans la première puissance économique, industrielle et militaire mondiale. L’étude du Chef d’escadrons Sandrin illustre bien cette montée en puissance chinoise dans un domaine particulier, celui du monde maritime. Il nous montre comment la Chine mène une véritable offensive dans la construction navale, le commerce océanique et le contrôle des infrastructures de transport, affichant ainsi l’ambition de devenir une nouvelle puissance maritime.


Évoluant au rythme rapide de la croissance économique du pays, les chantiers navals chinois ont pris récemment une place mondiale prépondérante dans la construction de navires de transport, simultanément à la montée en puissance de la marine militaire. Concomitamment, des fonds chinois sont massivement investis dans le développement ou la construction d’infrastructures de transport, non seulement en Eurasie mais aussi en Amérique latine, en particulier dans le cadre d’un projet de canal interocéanique au Nicaragua. Ces efforts dans tous les domaines d’activités maritimes sont naturellement censés favoriser les flux d’importation et d’exportation sur lesquels reposent la vie économique et la stabilité politique de la République populaire de Chine (RPC).

Ces constats soutiennent ainsi l’hypothèse que la Chine développe conjointement ses constructions navales et ses infrastructures portuaires afin de disposer, à moyen terme, des attributs d’une grande puissance maritime: marine militaire, flotte commerciale et contrôle des flux maritimes.

Afin de le préciser, il convient d’étudier successivement les efforts récents du domaine de l’armement naval chinois, puis la situation actuelle du commerce maritime chinois, et enfin les projets d’infrastructures maritimes soutenus par des investisseurs chinois à l’étranger.

 

Montée en puissance militaire

 

Au service de la vision stratégique chinoise, la marine de l’armée populaire de libération (MAPL) a longtemps été limitée à un rôle ingrat de défense littorale. Mais les orientations nouvelles de l’économie et de la diplomatie chinoises ont soutenu depuis quinze ans une spectaculaire modernisation des forces navales de ce pays. Dans un contexte de rivalités régionales, notamment avec le Japon et l’Inde (qui disposent de porte-aéronefs et de navires modernes) ou le Vietnam (qui vient de lancer un programme d’acquisition de six sous-marins côtiers), la MAPL continue à développer l’ensemble de ses capacités d’action navale. L’accélération récente des constructions militaires chinoises concerne non seulement l’acquisition tant attendue d’une plate-forme aéronavale, mais aussi le développement de l’ensemble des capacités opérationnelles.

 

Le porte-avions reste aujourd’hui encore l’outil par excellence de la projection de puissance, en dépit de son coût élevé et des progrès effectués par les moyens de détection et de défense contre ce type de grand navire. En Chine, l’Amiral Liu Huaqing[1] réclamait à son gouvernement un programme de porte-avions dès le début des années 1980, à la suite d’une visite auprès de l’US Navy. À la même époque, en Russie, après la première série des croiseurs porte-aéronefs de classe Kiev[2], le porte-aéronefs Amiral Kuznetsov est lancé en 1985. Or le Kuznetsov a un sister-ship, le Varyag, dont la coque construite en Ukraine est revendue en 1997 à une société basée à Macao, puis revendue à une entreprise chinoise du continent après la rétrocession de Macao. Le navire inachevé n’arrive en Chine qu’en 2002, puis il est remis en chantier en 2005 à Dalian et un communiqué officiel de 2007 le présente comme une future plate-forme d’instruction pour les pilotes de l’académie navale locale. Ce type de navire ne dispose en fait que d’une capacité d’action limitée[3]: initialement conçu pour instaurer une bulle défensive autour d’une petite zone d’action navale, il pourrait mettre en œuvre des intercepteurs et des aéronefs de lutte anti-sous-marine (ASM), mais pas des avions d’assaut lourdement chargés[4]. Par ailleurs, on doit noter la prudence initiale du gouvernement chinois, qui est parvenu après maints détours à acquérir un navire d’exception, difficile à concevoir sans expérience. C’est pourquoi la poursuite de sa construction est d’abord présentée comme un projet expérimental, ce qui limite les risques en cas d’échec et préserve un affichage défensif.

Or, la vocation du premier porte-aéronef chinois se précise en 2009-2010 avec l’ajout d’un radar tridimensionnel et de systèmes d’autodéfense; puis il est officiellement mis en service le 25 septembre 2012 en présence de Hu Jintao et Wen Jiabao, sous le nom de Liaoning[5]. Il continue sa mise au point en 2013 avec une campagne d’essais aéronautiques, suivie d’un premier déploiement opérationnel en mer de Chine méridionale. Après la mise au point éventuelle du navire, des aéronefs et des procédures de mise en œuvre, le Liaoning pourrait embarquer jusqu’à 24 avions de chasse et 12 hélicoptères[6]. Enfin, la marine chinoise ne semble pas devoir s’arrêter à l’acquisition d’une seule plate-forme aéronavale: selon un plan de développement cité par la presse occidentale, un deuxième porte-aéronefs aurait été mis en chantier en 2013. Il s’agirait d’une réplique du Liaoning, cette fois de construction locale, qui pourrait être mis en service en 2020. À ce début de chantier s’ajoute le projet d’un premier porte-avions nucléaire chinois, dont la construction pourrait débuter avant 2019. Compte tenu de l’accélération observée au cours de ces dernières années, les objectifs chinois semblent ambitieux mais crédibles. Le rêve de l’Amiral Liu Huaqing serait ainsi en bonne voie de réalisation.

De plus, l’ensemble de la flotte de surface chinoise a également augmenté en volume et en qualité, comme s’il s’agissait pour elle de prendre l’initiative face à des menaces potentielles. Au cours des dix dernières années, la MAPL aurait ainsi reçu 37 bâtiments de surface, dont le Liaoning (65.000 t), sept destroyers (6.800 t à 7.000 t), dix-neuf frégates (2.400 t à 3.900 t), sept corvettes (1.500 t) et trois navires amphibies (18.000 t), ainsi que d’autres navires de service ou de soutien. Certes, la plupart de ces unités sont de taille modeste, mais leur arrivée à un rythme soutenu permet une modernisation rapide de la MAPL, qui a donc vraisemblablement acquis les moyens d’assurer sa présence sur l’ensemble des zones maritimes de sa responsabilité. Surtout, l’accélération des constructions militaires chinoises semble indiquer une volonté de montée en puissance rapide dans tous les domaines. En effet, en moins de quatre ans, de fin 2011 à mi-2014, ce ne sont pas moins de sept sous-marins, cinq destroyers, cinq frégates, six corvettes et deux pétroliers-ravitailleurs qui sont en entrés en service au sein de la MAPL[7]. Au rythme actuel des constructions, le remplacement de l’ensemble des unités les plus anciennes sera certainement atteint avant 2020.

Enfin, l’effort visible en surface masque peut-être la priorité discrètement donnée à la modernisation de la flotte sous-marine. Initialement dotée d’anciens sous-marins de conception russe (achetés ou construits localement), la MAPL a développé quatre nouvelles classes de sous-marins entre 1990 et 2010. Par conséquent, elle a construit depuis moins de dix ans des unités variées mais nombreuses et plus modernes, dont trois ou quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, trois sous-marins nucléaires d’attaque et quinze sous-marins à propulsion conventionnelle, portant la flotte sous-marine chinoise à 63 unités en 2013[8]. La discrétion accrue des sous-marins, leur dotation en missiles anti-navires et tout simplement leur nombre constituent des atouts au profit de la stratégie navale chinoise, désormais capable de s’opposer efficacement à toute menace navale dans sa zone de responsabilité[9]. En 2006, un épisode anecdotique rapporté par la presse conservatrice de Washington a illustré un changement de perception vis-à-vis de la MAPL, lorsqu’un petit sous-marin chinois aurait émergé, sans avoir été repéré, à proximité immédiate d’un groupe aéronaval de l’US Navy[10]. Or, aujourd’hui, la présence accrue des sous-marins chinois, au moins dans la moitié ouest de l’océan Pacifique, contribue à faire de la MAPL la deuxième force navale en Asie-Pacifique.

 

Développement du commerce maritime

 

L’effort militaire chinois, aussi remarquable qu’il soit, n’est pourtant pas aussi rapide et aussi ambitieux que la croissance de son transport maritime. La politique chinoise de réformes et d’ouverture a en effet favorisé le développement économique des régions littorales: en quelques années, la Chine a acquis une position dominante, à la fois dans le domaine de la construction navale et dans celui du commerce maritime.

 

En 2014, la Chine a confirmé sa position en tête du classement mondial des constructions navales, devant la Corée du Sud et le Japon. Les chantiers navals chinois concentrent effectivement une immense capacité de construction et les commandes actuelles leur assurent une activité pour de belles années encore. Les vingt plus grands chantiers chinois offraient ainsi en 2011 une capacité de production supérieure à 8,8 millions de tonnes par an. La domination des chantiers navals chinois est illustrée par leur première place mondiale au 1er janvier 2014, avec 36,6 millions de tonneaux de jauge brute (tjb) en commande, tandis que les chantiers coréens en affichent 31,2 millions et les japonais 13,6 millions. Dans ce classement des pays constructeurs, les États-Unis ne sont qu’à la 8ème place avec 1,2 million tjb en commande et le premier constructeur européen est l’Allemagne (9ème rang mondial) avec 1,1 million tjb[11].

Ce résultat commercial impressionnant s’explique par le fait que les chantiers navals chinois ont tout d’abord la capacité de produire des navires marchands simples et en grande quantité, en employant une main d’œuvre à bas coût et en utilisant un acier moins cher que dans le reste du monde. Par exemple, parmi les quinze premiers chantiers navals mondiaux, les six premiers chantiers chinois ont actuellement en commande 53% du nombre des vraquiers (450 navires). Surtout, le gouvernement chinois est directement acteur de cette politique industrielle: cinquante chantiers chinois, publics comme privés, ont été sélectionnés officiellement pour bénéficier de conditions fiscales et bancaires privilégiées. Grâce à ces avantages, les chantiers chinois sont incités à monter en gamme en construisant des navires spécialisés qui représentent une haute valeur ajoutée: des navires méthaniers, gaziers ou chimiquiers chinois commencent ainsi à concurrencer les productions japonaises et coréennes[12]. De plus, l’effort relativement récent du gouvernement chinois en faveur de la construction militaire alimente notablement l’activité des onze chantiers navals nationaux regroupés au sein de China State Shipbuilding Corporation (CSSC) et de China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC), mais la part de leur activité dédiée à la défense n’est pas publiée. La construction navale chinoise s’appuie enfin sur un réseau de centres de recherche technologique afin de soutenir l’innovation locale et de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Hérités de la structure de défense, une quinzaine d’instituts de recherche ou de laboratoires travaillent dans tous les domaines de l’architecture navale, civile comme militaire. Le premier d’entre eux, China Shipbuilding Information Center, déclare avoir conduit 5.000 programmes de recherche depuis le début des années 1960 sous la devise «Créer de la richesse par la connaissance». Cette œuvre d’innovation nationale est éventuellement complétée par des acquisitions à l’étranger, comme par exemple le rachat du diéséliste français Baudoin par l’un des principaux motoristes chinois, Weichai[13]. Ainsi, bien que les chantiers chinois disposent vraisemblablement d’une capacité de production excédentaire, leur développement volontariste permet tout à la fois de favoriser l’emploi de la main d’œuvre locale et de prendre des parts de marché sur tous les segments de la construction navale.

Concernant les flottes commerciales, la Chine est devenue le troisième pays au monde au classement du contrôle réel des navires. Ce contrôle est celui qui est effectivement exercé indépendamment de l’affichage d’un pavillon de complaisance: après la Grèce et le Japon, la Chine a fortement progressé en 2014 (+15%), passant ainsi devant l’Allemagne dans ce classement mondial. Au total, la Chine contrôle ainsi 184 millions de tonnes de port en lourd et Hong-Kong en contrôle 34 millions. Pour mémoire, le tonnage de commerce des États-Unis d’Amérique est inférieur à 50 millions de tonnes et le tonnage français inférieur à 10 millions. Par type de navires, le tonnage et le nombre des bâtiments chinois sont assez inégalement répartis, mais toujours relativement importants. La flotte chinoise compte même le plus grand nombre de vraquiers au monde avec 1.985 navires en 2014, suivie de près par le nombre de vraquiers grecs (1.787) et japonais (1.672). Toutefois, le tonnage moyen de ces vraquiers chinois n’est que de 60.000 tonnes, ce qui reste nettement inférieur au tonnage moyen des japonais (87.000 t) et grecs (77.000 t). Nombre de navires chinois sont donc vraisemblablement dédiés au trafic local. Moins prodigue en navires spécialisés, la flotte chinoise figure néanmoins au troisième rang mondial en pétroliers (en nombre et en tonnage) et au deuxième rang mondial en nombre de porte-conteneurs (396) avec un progrès de 9% en 2014, mais elle reste loin derrière l’Allemagne (1.787 navires), qui en contrôle autant que les six pays suivants dans ce même classement. Tous types de navires de commerce confondus, la flotte chinoise a progressé de 15% en 2014, ce qui est la deuxième plus forte hausse après celle des Émirats arabes unis (25%). Concernant les équipages, la main d’œuvre chinoise est notoirement la plus nombreuse même si elle n’est pas encore la mieux qualifiée, avec 13% de la population du personnel d’exécution (1er rang mondial) et 8% des officiers (2ème rang mondial) selon des chiffres publiés en 2010[14]. Tout ceci fait que la marine de commerce chinoise est devenue un partenaire incontournable pour la plupart des échanges maritimes.

Enfin, soutenus par la croissance chinoise phénoménale de ces trente dernières années, les ports chinois sont devenus les principaux pôles de commerce de la planète. À l’échelle de l’économie chinoise, une quinzaine de ports chinois dépassent aujourd’hui les 200 millions de tonnes d’échanges annuels. Au classement mondial des plus grands ports de commerce, on ne compte pas moins de huit ports chinois parmi les dix premiers. Ce sont, dans l’ordre d’importance: Ningbo, Shanghai, Tianjin, Guangzhou, Suzhou, Qingdao, Tangshan et Dalian. Seuls un autre port asiatique (Singapour, 3ème rang) et un port européen (Rotterdam, 9ème rang) sont inclus dans cette liste du gigantisme. Par comparaison, un seul port japonais (Nagoya) dépasse les 200 millions de tonnes par an, les principaux ports de Californie ont un total inférieur à 150 millions de tonnes, tandis que Marseille est en baisse avec 80 millions et que Le Havre est en hausse avec 68 millions. La répartition des ports chinois indique clairement la place des régions industrielles et maritimes chinoises, dont trois pôles se distinguent: au centre, Ningbo et Shanghai dominent le commerce maritime mondial avec au total plus de 1,5 milliard de tonnes transportées; au sud, le delta de la rivière des Perles avec Guangzhou (Canton), Hong-Kong et Shenzhen a vu passer près de 965 millions de tonnes en 2014. Mais la croissance la plus forte est enregistrée dans les ports du nord de la Chine, répartis autour du golfe de Bohai et de la péninsule du Shandong, par lesquels ont transité au total environ 2,5 milliards de tonnes en 2014[15]. Cette nouvelle polarité des ports de commerce du monde illustre en fait la place prise dans l’économie mondiale par la puissance maritime chinoise.

 

Déploiement d'un réseau commercial mondial

 

Depuis son entrée à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, l’économie chinoise s’est résolument inscrite dans la mondialisation et tout particulièrement dans la maritimisation de ses activités. Afin de soutenir la croissance, les investisseurs chinois ont progressivement pris le contrôle d’un réseau d’infrastructures de transport à l’étranger. Ce réseau sous contrôle chinois se développe d’abord au profit de l’économie vers les sources de matières premières et les débouchés à l’exportation, mais aussi vers des zones potentiellement conflictuelles comme le Nicaragua.

 

Le programme pacifique de développement économique du gouvernement chinois a été récemment dévoilé sous le nom de «Nouvelle route de la soie». En l’occurrence, ce sont deux réseaux, l’un terrestre et l’autre maritime, respectivement dénommés la «Route» et la «Ceinture»[16]. Ces projets visent à constituer un vaste réseau d’infrastructures de transport à travers l’Asie centrale et le long des routes maritimes d’Asie du sud, principalement à destination ou en provenance du Moyen-Orient et de l’Europe occidentale. Mais auparavant, en océan Indien, des facilités d’accueil au profit des navires chinois avaient déjà été instaurées dans une dizaine de ports (dont Gwadar au Pakistan, à proximité immédiate du détroit d’Ormuz). Ce début de réseau stratégique, à la fois commercial et militaire, avait été décrit par un cercle conservateur de Washington comme le «collier de perles» de la Chine, bien que ce terme n’ait pas été reconnu officiellement par Pékin. Or ces réseaux, assumés ou non, ont pour point commun de permettre d’arrimer plus solidement la Chine à ses fournisseurs de matières premières, en particulier les hydrocarbures et les minerais en provenance de Russie, d’Asie centrale, du Moyen-Orient et d’Afrique. De plus, les investisseurs chinois peuvent profiter d’opportunités historiques pour prendre le contrôle de débouchés commerciaux: à la faveur de la crise financière mondiale de 2008-2009, des fonds chinois ont été massivement investis dans les infrastructures portuaires et énergétiques en Grèce, en Espagne et au Portugal. Grâce au déploiement de tels réseaux, la Chine améliore insensiblement sa position économique tout comme son influence diplomatique[17].

Dans ce contexte récent de déploiement tous azimuts de la puissance économique chinoise, les échanges commerciaux chinois sont principalement orientés vers les marchés proches (Asie orientale et du Sud-est), la fourniture de matières premières (Afrique et Asie centrale) ou les débouchés d’exportation (Europe et Amérique du Nord). En revanche, l’Amérique latine a longtemps figuré au dernier rang des priorités économiques chinoises. En effet, après avoir établi des relations privilégiées avec certains pays d’Amérique latine dans le cadre du mouvement des «non-alignés» des années 1950, la Chine, dès 1979, a privilégié son accès aux marchés et aux investisseurs des pays dits développés. Ce n’est que dans la décennie 2000 que l’affection chinoise a basculé à nouveau en faveur de l’Amérique latine, surtout à la recherche de matières premières et notamment au Mexique, en Argentine et au Brésil. Tout en affichant ses principes de coexistence pacifique, essentiellement fondés sur la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, la Chine a également repris son aide au développement envers l’Amérique latine sous la forme d’investissements qui visent officiellement à «réaliser des projets à la fois utiles au pays bénéficiaire et à la sécurisation des approvisionnements de la Chine en produits stratégiques»[18]. On peut donc supposer que l’intérêt des investisseurs chinois, guidé par le besoin économique à court et à moyen termes, n’exclut pas d’agir indirectement sur la stabilité politique du pays hôte.

Cependant, un projet d’une toute autre nature est en cours de développement au Nicaragua. Il diffère notoirement des autres investissements, car l’intérêt que la Chine y porte ne concerne pas tant ses ressources que sa localisation géographique. Le projet d’un canal transocéanique devant relier l’Atlantique au Pacifique y a été annoncé en 2013. Ce projet de canal a été officiellement lancé en décembre 2014, et c’est d’abord son ampleur qui retient inévitablement l’attention: cinquante milliards de dollars d’investissement, 278 km de long (le triple de celui de Panama) et 30 m de profondeur (le double de Panama), ce qui doit permettre le passage de navires jusqu’à 400.000 t[19]. Concurrent direct du canal de Panama, ce projet au Nicaragua avait déjà été planifié sans succès en raison du manque de financement et de l’instabilité politique locale. Mais si, cette fois, il était mené à bien, ce serait avant tout en raison de l’ambition économique et stratégique de la Chine. Or le gouvernement du Nicaragua a accepté de concéder pour 50 ans le tracé et l’exploitation du canal à une entreprise basée à Hong-Kong, opportunément dénommée HKND[20]. Le gouvernement chinois a nié toute implication directe, mais le discours officiel laisse place à l’interprétation, comme le rapporte la revue Asian News Monitor: «Ce projet relève d’une initiative de l’entreprise concernée. Le gouvernement chinois n’y est pas engagé»[21]. Cette insistance ne décrit pas les relations informelles que le gouvernement chinois est susceptible d’établir avec ce projet qui ne peut le laisser indifférent.

L’argument de l’entrepreneur HKND pour construire ce deuxième canal transocéanique est la capacité réduite de celui de Panama, déjà saturé actuellement, qui ne parviendrait pas à faire face à l’augmentation prévisible du trafic maritime dans les années à venir. Néanmoins, le risque financier n’est pas négligeable car l’investissement considérable de cette construction ne sera probablement pas rentable avant plusieurs décennies. Au Nicaragua, les opinions divergent fortement: le Président, Daniel Ortega, soutient ce projet, faisant valoir les retombées économiques locales attendues de la construction de nombreuses infrastructures portuaires, ferroviaires et aéroportuaires liées au projet de canal (50.000 emplois directs); mais l’opposition politique et une large frange de la population dénoncent cette concession qui engendrera, selon eux, une perte de souveraineté et qui, de plus, se traduira par des expropriations massives. Par ailleurs, ce projet prépare très probablement une catastrophe écologique locale  en raison de l’entrée inévitable d’eau de mer et du passage de très grands navires dans le lac Cocibolca, le plus grand réservoir d’eau douce de la région. Ces arguments sont vraisemblablement sans effet sur la détermination de l’investisseur chinois. Mais du point de vue des États-Unis d’Amérique, la construction d’un deuxième canal pourrait aussi bien être interprétée comme un geste provocateur, voire comme un nouveau point de discorde internationale. En effet, la prise de contrôle par la Chine d’une voie essentielle au trafic entre les deux façades maritimes américaines serait de nature à constituer un contrepoids à l’hégémonie navale américaine. Le gouvernement chinois est en effet particulièrement sensible à sa dépendance vis-à-vis des détroits, vraisemblablement considérée comme un point faible dans son développement. Or la légitimité du régime repose sur sa capacité à assurer la croissance économique qui répond aux attentes matérielles de sa population. Dans ce contexte économique, stratégique et diplomatique, le projet de canal au Nicaragua prend tout son sens car son contrôle par la Chine lui donnerait la valeur d’un contrepoids stratégique ou d’une monnaie d’échange diplomatique.

 

Conclusion

 

On ne peut que constater non seulement la place désormais prépondérante, mais aussi la croissance particulièrement rapide de la puissance maritime chinoise. Certes, la qualité des constructions ou leur plus-value technologique sont encore en-deçà des critères les plus modernes, mais le volume des navires comme celui des échanges commerciaux, des ports et des investissements chinois attirent l’attention d’une manière remarquable.

Il reste à déterminer si cette croissance concomitante dans plusieurs domaines du secteur maritime relève d’une véritable volonté politique à laquelle serait associée une planification plus ou moins précise, ou bien s’il ne s’agit que de la conséquence naturelle, dans le domaine maritime, de la logique d’économie de marché appliquée à la Chine depuis trois décennies. Constatant les choix technologiques et les sauts qualitatifs effectués récemment ainsi que l’accélération évidente de l’économie navale chinoise depuis moins de dix ans, on peut entrevoir une direction consciente de cette croissance avec l’objectif de devenir une puissance maritime. Les investissements chinois le long des routes maritimes du pétrole et en direction des partenaires commerciaux en Asie, en Europe et en Afrique, relèvent plutôt de la logique économique. Quant à la montée en puissance de la marine militaire, elle correspond à une vision stratégique essentiellement défensive, qui concerne d’abord les côtes chinoises ainsi que les eaux et les territoires revendiqués de longue date par le gouvernement de la RPC.

Mais l’intérêt chinois pour le trafic commercial en Amérique centrale dépasse quelque peu ce cadre économique et militaire évident. Si, un jour, la RPC contrôlait effectivement un canal transocéanique entre Pacifique et Atlantique, rien ne serait plus comme avant pour le trafic mondial. L’image internationale de la Chine, nouvelle puissance maritime, en serait durablement changée. Bien plus qu’un investissement risqué, le projet chinois de canal au Nicaragua est donc vraisemblablement soutenu par une ambition stratégique à long terme. Sa réalisation éventuelle mérite d’être suivie avec le plus grand intérêt pour l’avenir des relations internationales.

 

 

[1] Commandant en chef de la marine et de l’armée populaire de libération (1982-1987)

[2] Deux de ces navires, retirés du service, ont été rachetés par la Chine et observés en détail dans les années 1990

[3] Les porte-aéronefs de classe Kuznetsov ne disposent pas de catapulte de lancement, ce qui limite la masse au décollage des appareils embarqués

[4] Langloit Philippe, «Chine et Russie, le même combat aéronaval?» dans Défense & Sécurité internationale, hors-série n°20, «La puissance aéronavale», octobre 2011, pp. 92-95.

[5] Le nom de Shi-Lang (amiral chinois qui a soumis Taiwan en 1683), évoqué en 2007, a été abandonné à la faveur de l’apaisement des relations entre l’île et le continent

[6] Sheldon-Duplaix Alexandre, «Où en est le programme de porte-avions chinois?» dans Défense & Sécurité internationale, n°101, mars 2014, pp. 90-97

[7] Sheldon-Duplaix Alexandre, «Chine 1er constructeur mondial» dans Marines & Forces navales, n°145, juin-juillet 2013, pp. 48-63

[8] Palmade Jérôme, «Asie du nord-est, la Chine affiche de sérieuses ambitions» dans Défense & Sécurité internationale, hors-série n°11, avril 2010, pp. 84-90

[9] Zajec Olivier, «Sous-marins! Retour sur un tropisme chinois» dans Défense & sécurité internationale, hors-série n°15, décembre 2010, pp. 88-93

[10] Marchand Stéphane, «Quand la Chine veut vaincre», Fayard, 2007, pp. 215-225

[11] Le marin, hors-série, «L’atlas 2015 des enjeux maritimes», 4ème trimestre 2014, pp. 93-101

[12] Le marin, hors-série, «L’atlas 2015 des enjeux maritimes», 4ème trimestre 2014, pp. 93-101

[13] SHELDON-DUPLAIX, Alexandre, «Chine 1er constructeur mondial» dans Marines & Forces navales, n°145, juin-juillet 2013, pp. 48-63

[14] Le marin, hors-série, «L’atlas 2015 des enjeux maritimes», 4ème trimestre 2014, pp. 63-81

[15] Le marin, hors-série, «L’atlas 2015 des enjeux maritimes», 4ème trimestre 2014, pp. 63-81

[16] Communication par l’agence Xinhua

[17] GRESILLON, Gabriel, et EKMAN, Alice, «La Chine entend ravir aux États-Unis le statut de leader de la zone Pacifique», LesEchos.fr, 05/03/2015

[18] CABESTAN, Jean-Pierre, La politique internationale de la Chine, SciencesPo, 2010, p.366

[19] MARMOUYET, Françoise, «Relier Atlantique et Pacifique, le projet titanesque et controversé du Nicaragua», France24.fr, 23/12/2014

[20] Hong-Kong Nicaragua Development

[21] Traduit de l’anglais par l’auteur

 

Saint-cyrien, le Chef d’escadrons Pierre SANDRIN a servi dans des unités de cavalerie blindée puis à l’état-major du commandement de la force terrestre. Il suit actuellement la scolarité du diplôme technique en langue chinoise, à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).

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Titre : La Chine, nouvelle puissance maritime
Auteur(s) : le Chef d’escadrons Pierre SANDRIN
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