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La guerre d’Espagne et ses lendemains

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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La guerre civile d’Espagne aurait pu demeurer un événement périphérique parmi les nombreux soubresauts de l’Europe des années 1930, s’il ne s’était agi que d’un affrontement entre Espagnols pour la détermination de leur futur régime politique, ou encore si elle avait été terminée en quelques semaines, au profit de l’un ou l’autre camp, comme de nombreux observateurs – ou acteurs – l’estimaient vraisemblable.


Elle dut au contraire son retentissement considérable à sa durée, aux ingérences étrangères de toute nature qu’elle suscita et qui furent décisives dans son déroulement, et au fait qu’elle déboucha sur un régime à la fois abominablement répressif et le plus stable que l’Espagne ait connu depuis les invasions napoléoniennes. Paradoxalement, elle devint un sujet tabou en Espagne dès le début de la transition démocratique, afin de ne pas en compromettre le succès qui était tout sauf acquis d’avance.

Faisant fond du témoignage des derniers survivants, d’archives qui s’ouvrent progressivement, et d’une historiographie abondante mais le plus souvent partisane, Bartolomé Bennassar se propose de réaliser une synthèse, la plus dépassionnée possible, sur le conflit lui-même et ses lendemains, en s’intéressant tout particulièrement à l’émigration suscitée par la victoire nationaliste de 1939.

Les causes fondamentales de ce drame sont la pauvreté, le sous-développement économique et la frustration sociale. Au XIXe siècle, après la perte de son empire, l’Espagne ne compte plus dans le monde. Son instabilité politique chronique empêche tout progrès économique et social, d’autant que pour beaucoup l’idée de réforme reste associée à celle du Français, envahisseur honni. Le prolétariat urbain, peu nombreux, est très radical et fait cause commune avec les masses rurales miséreuses. La violence sociale se banalise.

Les années 1920 et 30, avec le coup d’Etat de Miguel Primo de Rivera, puis la période républicaine, révèlent qu’aucune force organisée n’était prête à prendre la relève d’une monarchie durablement discréditée. Dans un climat de surenchère gauchiste, les élections de 1936 sont indécises et contestées par tous les camps. La déliquescence de l’Etat et les provocations anticléricales indignent les classes moyennes. Dès lors la course à la guerre est lancée, en dépit de la prudence initiale de la haute hiérarchie militaire et du général Franco en particulier, tandis qu’une partie des mouvements de gauche appellent de leurs vœux un soulèvement militaire qu’ils espèrent écraser aisément pour assurer le triomphe de la Révolution.

Du récit bien connu des opérations, dont l’objectif passe assez rapidement d’un anéantissement total de l’adversaire à une conquête/résistance obstinée au rythme des ralliements de provinces au « Mouvement » ou des contre-offensives légalistes de plus en plus désespérées, ou retiendra surtout trois thèmes omniprésents au fil des pages :

  • l’expression d’un antagonisme irréductible entre deux camps que tout opposait, croisade ultracatholique contre révolution communiste ou libertaire, hormis l’appartenance à la même nation (encore que les particularismes catalan, basque, navarrais aient joué un rôle important),
  • le rôle de laboratoire militaire dans des domaines aussi divers que le renseignement, la logistique (le premier pont aérien de l’histoire emmène l’armée du Maroc dans la péninsule), le matériel (chars, avions) et son emploi (l’habileté tactique des chefs nationalistes espagnols ou étrangers contrecarre la supériorité intrinsèque des blindés soviétiques), la désinformation et l’action psychologique…
  • l’importance des ingérences intérieures, qu’il s’agisse de l’appui en hommes (brigades internationales contre volontaires italiens surtout) ou en armement, les deux camps étant à peu près aussi démunis dans ce domaine au début du conflit. B. Bennassar décrit les démarches des émissaires républicains ou nationalistes auprès de leurs soutiens extérieurs « naturels » et oppose l’attitude de Hitler et de Mussolini, qui n’ont jamais fait de cadeau à Franco mais ont constamment cherché à lui faire gagner la guerre, à celle de Staline qui s’est désintéressé progressivement de l’Espagne à mesure que le gouvernement républicain étalait ses divisions (dont les menées des agents soviétiques étaient d’ailleurs largement responsables) et donnait la preuve de son incapacité à remporter la victoire. Par ailleurs, la Grande-Bretagne était initialement plutôt favorable au « Mouvement », ce qui détermina dans des sens inverses l’attitude de la France et de l’Italie.

L’une des images les plus répandues à propos de ce conflit est celle du cortège d’atrocités envers les populations civiles dont il fut accompagné. B. Bennassar montre qu’elle furent commises pour l’essentiel dans les premiers mois d’affrontement, et équitablement réparties entre les deux camps, certaines catégories payant un tribut particulièrement lourd (ouvriers des Asturies et enseignants d’une part, propriétaires terriens et clergé de l’autre, élus locaux et notables des deux bords…) Mais l’historien insiste surtout sur l’absence de tout désir de réconciliation nationale chez Franco (contrairement à certains de ses généraux). Non seulement le Généralissime rejeta toutes les offres de reddition honorable alors que sa victoire était assurée, mais son régime instaura une répression aussi féroce que mesquine envers ceux qui dans la majorité des cas n’avaient fait qu’obéir à un gouvernement formellement légitime, voire leurs enfants : l’amnistie complète ne fut proclamée qu’en 1969. Ce manque de générosité est difficilement explicable par l’idéologie tant les convictions politiques ou religieuses du Caudillo sont floues et généralement considérées comme tièdes ; en tout cas, il priva le pays d’une partie de ses forces vives en précipitant des millions d’Espagnols dans une résistance de survie (jusque dans les années 50), une existence souterraine, un exil parfois définitif[1] et même plus tard dans le terrorisme.

En raison du nombre des intellectuels européens qui y ont combattu, et de l’abondante littérature (de Bernanos à Hemingway) qu’elle a inspirée, la guerre d’Espagne a pu être caractérisée comme « la dernière guerre romantique, faite non de combats mais de tragédies ». Notre auteur montre qu’elle fut assurément la première guerre idéologique, peu d’écrivains ayant , à l’instar de George Orwell, su résister à la tentation de la réduire à un affrontement « rouges contre fascistes ». Elle fut aussi une guerre de l’utopie, qui modela profondément la société espagnole mais fournit aussi une référence durable, pour le meilleur et pour le pire, à la gauche européenne de l’après-1945 (que l’on se souvienne entre autres des procès Rajk, Slansky et Dimitrov). Même si la proximité chronologique de la IIe Guerre mondiale conduit à en sous-évaluer l’importance, elle demeure un épisode essentiel pour la compréhension de l’histoire de notre continent.

 

 

[1] L’ouvrage fournit une description particulièrement documentée des conditions d’accueil, d’installation et parfois de retour des émigrés ayant franchi la frontière française.

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Titre : La guerre d’Espagne et ses lendemains
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel GERVAIS
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