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La scolarité EMSST : une gestion de crise riche d’enseignements

cahier de la pensée mili-Terre
Témoignages
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Au-delà du simple retour sur investissement pour la Défense, il y a un réel intérêt à réussir la scolarité EMSST à titre personnel, mais aussi pour les armées. Des enseignements peuvent être tirés sur le thème du lien armée-nation pour appréhender ce qui rassemble et éloigne les militaires et les civils, et pour comprendre l’utilité de créer et de maintenir un réseau entre l’enseignement supérieur de haut niveau et le monde de l’entreprise.


Le jeune stagiaire de l’EMSST (car l’officier, dès lors qu’il est stagiaire, est toujours jeune) peut-il continuer à grandir et apprendre, au-delà de simples nouvelles connaissances techniques, dans un environnement civil avec des camarades, ou plutôt des collègues, encore plus jeunes que lui? Pour y arriver, il doit faire preuve d’adaptation et de tolérance, mais aussi d’une certaine fermeté empreinte d’humour bienveillant pour prouver qu’être jeune est réellement un état d’esprit malgré une différence d’âge qui cantonne rapidement au rôle de «délégué» ou de «génération minitel».

Au-delà du simple retour sur investissement pour la Défense, il y a un réel intérêt à réussir cette scolarité à titre personnel, mais aussi pour les armées. Des enseignements peuvent être tirés sur le thème du lien armée-nation pour appréhender ce qui rassemble et éloigne les militaires et les civils, et pour comprendre l’utilité de créer et de maintenir un réseau entre l’enseignement supérieur de haut niveau et le monde de l’entreprise.

En effet, une scolarité EMSST ressemble à une gestion de crise. Trois étapes composent cette scolarité, et chacune d’elles a un intérêt que l’officier doit saisir: le déclenchement du sinistre lorsqu’il met les pieds dans une école civile, redécouvre les plaisirs de la «pompe»[1] et s’intègre à ses nouveaux camarades; la gestion de la crise proprement dite lorsqu’il doit comprendre son milieu pour y évoluer sereinement entre son état de militaire et celui d’étudiant; le retour à la normale lorsqu’il se retrouve à nouveau «aux affaires» après plusieurs mois hors jeu en mode militairement dégradé, en s’efforçant de rentabiliser ce qu’il a appris pour ne pas retomber dans la facilité de la seule technicité militaire.

 

Le déclenchement du sinistre: réussir le lien armée-nation

À moins de 40 ans, l’officier supérieur se sent encore jeune, fort d’une expérience opérationnelle plus ou moins riche; mais il n’imagine pas un seul instant être déjà entré dans la catégorie des vieux, des «anciens». Cela bien sûr est entretenu par le rappel régulier de cette jeunesse par ses supérieurs: «mon jeune ami», «vous êtes encore un jeune officier supérieur», «vous débutez votre deuxième partie de carrière», et autres expressions bien senties que nous avons tous entendues. Las, le choc, un véritable séisme, un tsunami, vous inonde lorsque vous découvrez vos collègues, car cela fait trop «collégien» de dire camarades, plus proches de jeunes embryons[2] que des pairs côtoyés à l’École de guerre.

Tout d’abord, passés les premiers instants de méfiance réciproque avec ces jeunes qui vous regardent en coin et se demandent si vous n’êtes pas un enseignant infiltré, le temps des présentations officielles arrive. Que dire? Comment justifier sa présence dans une école d’ingénieur prestigieuse? Comment se montrer abordable tout en conservant une certaine hauteur? Il s’agit d’une véritable confrontation avec la jeunesse de France et d’ailleurs[3], qui découvre qu’elle va côtoyer deux militaires durant plusieurs mois. La réussite du lien armée-nation devient alors un vrai objectif de notation! Sobrement, vous expliquez votre parcours, sans prétention pour ne pas paraître hautain, mais en insistant tout de même sur votre expérience opérationnelle pour ne pas risquer d’être juste considéré comme un «geek»[4] militaire, sorte de cyber agent secret ressemblant aux héros des feuilletons américains traquant les ennemis à coup de satellites et autres drones.

Ensuite, durant ces premières semaines, il faut répondre à beaucoup de questions en toute franchise, mais sans dévoiler tous les secrets des orientations que seule la DRHAT maîtrise: «oui, je suis ici de mon plein gré, j’ai choisi cette scolarité et je maîtrise parfaitement mon projet professionnel à court terme». Des éléments de langage bien rodés, crédibles pour justifier notre présence. Un vrai plan de communication préparé à l’avance comme lorsqu’une crise éclate. Au final, les jeunes d’aujourd’hui ont besoin d’éclaircir de nombreuses zones d’ombre et autres clichés sur les militaires, qui révèlent un défaut de communication sur la cible et sur le contenu. Cependant, ces clichés prêtent le plus souvent à sourire et sont rarement blessants ou dégradants pour l’institution. Ces jeunes portent de l’attention à ce que nous sommes et sont curieux. Ils comprennent nos motivations, nos difficultés, à condition qu’elles soient expliquées patiemment et en toute honnêteté, sans cacher nos différences. Mais il faut également faire l’effort de les comprendre pour saisir leur faible intérêt pour les questions de défense dans le contexte économique actuel, malgré leur désir de suivre l’actualité géopolitique internationale.

 

Cultivée, intelligente, nomade, adepte des NTIC[5], cette génération Y[6] veut de l’immédiat et ne comprend pas toujours l’inertie des armées, aussi bien dans le règlement des conflits que dans les méthodes d’acquisition de matériels: trop lent! Pas assez moderne! Il faut alors convaincre au quotidien ces futurs décideurs de nos capacités d’adaptation et de réactivité. Mais il y a un risque qu’avec le retrait d’Afghanistan, les déclarations alambiquées et parfois contradictoires sur la situation en Afrique occidentale, et le pénible renouvellement des matériels quand tous les pays hors Europe réarment, le lien armée-nation chez ces futurs cadres se distende.

 

La gestion de la crise: comprendre ce qui est semblable, ce qui est différent et ce qui nous éloigne

Revenons au cœur de la scolarité et de son quotidien pour tenter de mieux comprendre notre environnement, la logique du monde de l’entreprise (et donc de nos collègues, futurs cadres de haut niveau) et pour trouver comment mieux communiquer sur la Défense. Comme dans une gestion de crise, il est nécessaire de faire bonne figure, d’apparaître toujours serein et force de proposition face aux problèmes, en s’adaptant à un mode de fonctionnement parfois proche du monde militaire – et donc qui nous rassure –, mais aussi souvent différent et surprenant. L’enjeu est alors de s’accorder avec ces étudiants et de sortir de cette technicité dans laquelle les militaires se réfugient dès lors qu’ils n’ont pas confiance et sont confrontés à l’inconnu.

Mais alors, qu’est ce qui pourrait rapprocher un officier supérieur au visage glabre et aux cheveux courts d’un étudiant barbu et mal coiffé? La passion des jeux vidéo et le temps passé sur les réseaux sociaux? Peut-être. Faire la fête? Pourquoi pas. La façon de raisonner les problèmes? Oui, très certainement. Plusieurs parallèles peuvent être établis pour illustrer ce dernier point: méthodes d’approche de la stratégie d’entreprise semblable à notre MPO[7] ; méthode de «problemsolving» pour répondre au fameux «de quoi s’agit-il?» du Maréchal Foch; méthode de «logicalwriting» pour structurer une proposition commerciale identique à notre façon de rédiger des fiches; vocabulaire proche du nôtre dans les processus décisionnels et sécuritaires. Il devient alors plus aisé de partager nos méthodes de travail, de partager une forme d’art qui, en réalité, influence le monde de l’entreprise. Le rapprochement s’opère alors facilement et cet aspect des armées étonne bien souvent ces jeunes étudiants, surpris que nous ne soyons pas surpris.

A contrario, beaucoup de situations révèlent des différences, parfois amusantes, mais bien souvent agaçantes. Il s’agit de deux logiques qui s’affrontent: logique de l’honneur contre logique du contrat. Celles-ci sont définies par Philippe d’Iribarne dans son livre «La logique de l’honneur»[8]. Ce chercheur explique le poids des traditions nationales pour définir le rapport entre les valeurs et le pouvoir. Ainsi, les valeurs seraient à la base de la vie sociale dans l’entreprise en France, et plus généralement dans la façon de se comporter et de mener les activités. Mais, de plus en plus, cette logique de l’honneur est remplacée par une logique du contrat, plus américaine, à travers l’image d’entreprises moins hiérarchisées où tout le monde est sur un pied d’égalité dans les rapports aux autres, où le tutoiement est de rigueur quel que soit le rang hiérarchique. Cela peut agacer parce que propre à une culture et à des traditions qui ne sont pas les nôtres, et qui engendrent des dérives loin de la logique de l’honneur, à la base du modèle social français. Que l’on adhère ou pas à ce modèle, il est ancré dans les comportements des plus anciens, et semble disparaître chez les plus jeunes au profit d’une logique du contrat où n’est fait que ce qui est choisi, que ce qui est contractualisé, pour un gain de plus en plus exclusivement matériel.

 

Reconnues et souvent copiées, les méthodes de raisonnement et d’expression des armées continuent à inspirer le monde de l’entreprise. Pour l’instant, admirées ou incomprises, les armées ne laissent pas indifférente cette génération Y. Mais les logiques s’affrontent de plus en plus et ce qui nous rassemble encore pourrait s’effriter rapidement. Des actions devraient être menées pour mieux faire connaître les armées dans ces grandes écoles de haut niveau, en les ciblant pour concentrer les efforts de communication. Le plan Campus Saclay à l’horizon 2015[9] représente une vraie opportunité que les armées doivent saisir pour rester connues et comprises des futurs grands cadres du pays: participation aux forums, présentation de la Défense, conférences thématiques et/ou enjeux au sein des grandes écoles.

 

Le retour à la normale: entretenir un deuxième réseau dans l’intérêt des armées

La scolarité, une fois les étapes décrites ci-dessus passées, offre l’opportunité de créer un deuxième réseau au sein du monde de l’entreprise et parmi ces étudiants côtoyés pendant plusieurs mois, futurs cadres de haut niveau à la pointe des dernières évolutions technologiques et du potentiel de celles-ci. Par exemple, qui, mieux que cette jeunesse à fort potentiel, peut appréhender, comprendre et expliquer le cyberespace et ses enjeux? Olivier Kempf définit le cyberespace non pas comme «un simple espace technique qui serait la chose des seuls informaticiens, [mais comme] un espace social où des acteurs de tous types agissent, dialoguent, mais aussi se confrontent»[10]. Préalablement à toute définition de cyberstratégie, il faut donc comprendre ce cyberespace. Ceci sera d’autant plus aisé en impliquant les plus jeunes dans les choses de la Défense grâce à des échanges et des rencontres permis par un réseau fiable et solide.

De plus, pour profiter pleinement de ce réseau et des potentialités ainsi offertes, il faut éviter de retomber dans cette technicité qui caractérise l’officier, même breveté, dès qu’il revient «aux affaires». Oui, les opérations sont prioritaires! Mais elles donnent l’impression de nous replier sur nous-mêmes. L’Afghanistan a refait prendre conscience aux Français que l’armée fait la guerre[11]. Ce théâtre a contribué à réduire l’indifférence de la nation pour sa Défense[12]. Mais cette opération sera bientôt terminée et ce serait une erreur de ne pas valoriser le capital acquis lors de ces dernières années auprès de nos concitoyens. Une solution pour maintenir ce lien renforcé et rayonner davantage serait de sortir de la technique militaire et montrer nos capacités de réflexion, comme lors de ces scolarités post École de guerre, en favorisant la mobilité externe.

Enfin, entretenir un réseau dans le monde de l’entreprise et parmi ces futurs anciens étudiants peut faciliter un retour à la vie civile. Car il n’est pas nécessaire de le cacher: à l’heure où l’on parle de «dépyramider» les armées, il ne faut pas stigmatiser les départs volontaires. Au contraire, il peut être intéressant de les encourager en dépassant les visions simplistes d’une solution de reclassement d’officiers généraux ou d’une reconversion facile. En effet, relancer une carrière en créant une entreprise ou en y acceptant des postes à responsabilités demande du courage et un fort investissement personnel dans lequel bénéficier d’appuis peut s’avérer indispensable. Le statut de militaire, même reconverti, continuera de coller à la peau et il y a tout intérêt à ce que les personnes ayant fait ce choix représentent l’institution avec dignité et efficacité. Il s’agit aussi d’une autre façon de servir les armées.

 

Conserver des liens étroits avec un monde découvert durant l’année de scolarité au sein d’établissements de haut niveau de l’enseignement supérieur est indispensable pour l’officier breveté ou diplômé technique. Outre le bénéfice à titre personnel d’un deuxième réseau à dominante civile toujours utile pour l’avenir, l’officier peut y trouver un moyen de rayonner hors de toute technicité purement militaire et de faire sortir les armées de l’ombre. Mais l’effort ne peut être uniquement personnel. Ainsi, la gestion de ces officiers doit bien sûr prendre en compte leurs nouvelles compétences, mais aussi exploiter leurs capacités à évoluer dans un milieu civil en mobilité externe, forts de leur expérience de ce monde parfois différent du nôtre.

Souvent perçue comme une étape pénible, imposée ou encore catégorisant dans une unique voie expert, la scolarité EMSST offre de nombreuses opportunités à l’officier breveté ou diplômé comme aux armées: renfort du lien armée-nation, meilleure compréhension des préoccupations des jeunes Français, réseaux dans le milieu de l’entreprise, possibilité de faire rayonner la Défense en dehors de toute technicité uniquement militaire et souvent sclérosante, connaissance du monde civil. Les armées ont beaucoup à gagner à mieux utiliser les potentialités de cette scolarité. Le développement des partenariats ou des participations aux forums des établissements de haut niveau de l’enseignement supérieur, associé à une meilleure répartition des postes en mobilité externe présenterait sans aucun doute une plus-value indéniable.

 

[1] Appellation traditionnelle des études académiques dans le langage des Saint-Cyriens.

[2] Élève de première année à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr.

[3] Environ 50% des étudiants du MS MSI de Centrale Paris sont étrangers, essentiellement en provenance du Maghreb.

[4] Personne passionnée par l’informatique, la science-fiction, le fantastique et qui y investit beaucoup de temps aux dépens de sa vie sociale.

[5] Nouvelles technologies de l’information et de la communication.

[6] La génération Y est une appellation communément utilisée pour désigner des personnes nées approximativement entre 1980 et 1995.

[7] Méthode de planification opérationnelle.

[8] «La logique de l’honneur, gestion des entreprises et traditions nationales», Philippe d’Iribarne, Ed. Seuil, 1989.

[9] En plus de l’École Polytechnique et de l’école HEC déjà sur place, plusieurs établissements d’enseignement supérieur doivent être déménagés sur le campus du plateau de Saclay, comme (voir sur Internet) l’École normale supérieure de Cachan, l'ENSTA ParisTech, Agro Paris Tech, l'École centrale Paris, l'ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech et tout ou partie de l’université Paris-sud 11.

[10] «Introduction à la cyberstratégie», Olivier Kempf, Ed. Économica, novembre 2012.

[11] Voir à ce sujet l’étude de Bénédicte Chéron, L’image des militaires français à la télévision 2001-2011, Études de l’IRSEM n°21, 2012.

[12] Un sondage Harris Interactive révélait en novembre 2011 que 65% des Français estimaient qu’il fallait réduire le budget de la Défense. D’après un sondage Ipsos, ils ne sont plus que 37% en novembre 2012.

 

Saint-Cyrien de la promotion «Général Lalande» (1996-1999), le Chef de bataillon Christophe LIBERT est issu du génie, branche sécurité. Breveté de l’École de guerre en 2012, il suit actuellement la scolarité du mastère spécialisé «management des systèmes d’information» de l’École Centrale de Paris.

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Titre : La scolarité EMSST : une gestion de crise riche d’enseignements
Auteur(s) : le Chef de bataillon Christophe LIBERT
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