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Le commandement « scorpionisé » dans la haute intensité : changement dans la continuité ?

brennus 4.0
Engagement opérationnel
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Alors que la « scorpionisation » de l'armée de Terre est bien engagée, le CEMAT vient de préciser[1] ce qu'est un conflit en « haute intensité » : « un affrontement soutenu entre masses de manœuvre agressives se contestant jusque dans la profondeur et dans différents milieux l'ensemble des champs de conflictualité (physique et immatériel) et dont l'objectif est de vaincre la puissance de l'adversaire ».

Les évolutions récentes (technologiques, sociétales et géopolitiques) ont obligé le monde de la défense et l'armée de Terre en particulier, à s'adapter à ces changements. De nouveaux matériels modernes ont été livrés, la numérisation est omniprésente et la vitesse des échanges d'information s'est considérablement accrue. Mais des fondamentaux incontournables de l'exercice du commandement demeurent, dont le besoin d'anticipation, l'obligation de décision et l'importance du contrôle. L'exercice du commandement reste et restera avant tout un exercice humain.


L'apport de la « scorpionisation » dans l'exercice du commandement

 

Le programme Scorpion permet à l’armée de Terre de faire un saut générationnel, grâce notamment à des équipements (Griffon, Jaguar, SICS) mais aussi pour une nouvelle approche de la gestion de sa logistique (avec le système de préparation opérationnelle – SPO).

 

L'infovalorisation est omniprésente et permet un combat collaboratif où les échanges de données entre les acteurs du champ de bataille (du chef de groupe au véhicule blindé, en passant par les hélicoptères et autres drones) permettent à toute la chaîne de commandement de bénéficier de la situation tactique en temps réel et aux unités de combat d'être plus réactives.

 

Au bilan, Scorpion permet d’accélérer et de mieux maîtriser le tempo des opérations en s'appuyant sur un nouveau système d'information et de communication (SICS). Dans un combat en « haute intensité », nos divers états-majors seraient amenés à commander l'engagement simultané et global de deux divisions sachant que deux autres seraient « à l'arrière », soit en remise en condition, soit en préparation d'une relève des unités déjà engagées. Il s’agit donc de plusieurs dizaines de milliers de pions tactiques, dont les renseignements opérationnels (humains, logistiques, géographiques, renseignements sur l’ennemi...) transiteront « en temps réel » dans les tuyaux numériques.

 

Scorpion facilite ainsi la réflexion du chef et de son état-major car les informations arrivent bien plus vite en étant confirmées et considérées comme complètes. Le commandement doit s'adapter à la « scorpionisation » et à ses nouveautés technologiques ; il doit en maîtriser les nouveaux savoir-faire incontournables,comme, par exemple, les mises à jour et les consultations de bases de données, qui prennent une place plus importante dans le quotidien d’un officier d’état-major, ou bien les logiciels calculant les rapports de forces ou préparant les déplacements tactiques. Dans le sens descendant, les ordres arrivent plus vite aux unités subordonnées sans perte en ligne, voire directement aux systèmes d'armes sans intermédiaires humains (conduites de tir automatiques, guidage des missiles...).

 

Ce changement est fondamental pour nos état-majors car ils devront travailler plus vite, la règle du tiers-temps restant valable. Mais le « temps » devient plus court. Le Maréchal de Lattre rappelait qu' « un outil ne vaut que par la main qui l’anime ». Cette maxime s’applique particulièrement à la transformation numérique ; la formation et l’entraînement du personnel aux outils numériques doivent être sans cesse adaptés aux réalités techniques changeantes qui impactent l’exercice du commandement.

 

Cependant, certaines contraintes demeurent incompressibles, comme, par exemple, les temps de déplacement des unités, de réarticulation ou réorganisation des mêmes unités, de mission brief et backbrief, voire de rehearsal, qui restent de manière générale indispensables.

 

Sur les fondamentaux de l'exercice du commandement

 

La « scorpionisation », avec ses échanges transverses automatiques, pourrait modifier quelque peu l'exercice du commandement dans une logique différente de la structure pyramidale « traditionnelle ». En revanche, la notion de délégation (qui pourrait être vue comme une application du principe de subsidiarité) y est plus affirmée car le chef ne peut tout savoir et doit accorder plus de confiance à ses subordonnés. La « scorpionisation » du C2 (commandement et contrôle) aura également pour effet de modifier, dans une certaine mesure, le modèle de supervision directe et de coordination des activités tactiques au sein des forces terrestres. Si le commandement utilisait auparavant principalement la radio pour obtenir des informations et pour communiquer des ordres, la numérisation et l’automatisation des échanges d’une grande partie des informations font que la supervision s’applique moins aux activités directement liées à la récolte des données opérationnelles de base qui respectent désormais des standards très formalisés.

 

La supervision directe concerne beaucoup plus, maintenant, la prise de décisions opérationnelles. Les observations de toute nature seront regroupées, fusionnées et transmises à chaque unité combattante qui en a l’usage. Ainsi, les forces pourraient devenir plus mobiles, de plus petite taille, plus éparpillées sur le théâtre des opérations et avoir un degré d’alerte plus grand. L’utilisation de certaines technologies de l’information et de la communication peut également conduire des acteurs à prendre des décisions en toute autonomie. Chaque personne impliquée dans une opération, quelle que soit sa place dans la hiérarchie, disposera d’une plus grande marge de manœuvre, lui permettant de saisir, si besoin est, les opportunités qui se présentent à elle. Cette autonomie en matière de décision revêt une importance d’autant plus grande que le contexte actuel d’engagement trouve les forces armées terrestres souvent imbriquées avec les populations et exige des prises de décision rapides, qui auraient antérieurement au minimum nécessité l’avis de la hiérarchie directe.

 

Aujourd'hui, la numérisation « responsabilise » des cellules qui peuvent être engagées avec une autonomie plus grande. Concluons de cette partie que la « scorpionisation » va certes améliorer, voire faciliter, les échanges entre les différents niveaux de commandement, mais il restera, in fine, au chef « au contact » non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir de décider, éventuellement en divergence partielle ou totale avec son autorité supérieure, en fonction de son appréciation de situation dans sa zone de responsabilité. La meilleure connaissance du terrain, grâce aux outils de reconnaissance notamment, ne doit pas faire oublier que seul le combattant est en mesure, in situ, d’apprécier une situation. Foch écrivait : « Un homme qui « prend ses responsabilités » est celui qui froidement a tout pesé, tout examiné, qui a vu les risques, qui ayant fait le rapport des risques et du résultat, a jugé que le résultat valait le risque et au-delà, et qui alors a décidé de marcher. »

 

La verticalité du commandement et la fonction de chef « perdurent »

 

Avec la numérisation de l'espace de bataille, puis la « scorpionisation », les formes et les styles de commandement ont subi des adaptations face à l’évolution de l’art de la guerre, des mentalités et des technologies. Pour autant, sur le terrain, lorsque règnent « les frictions et le brouillard de la guerre » et quel que soit le niveau tactique, seul le chef oriente, décide et assume. Chefs et exécutants doivent être en mesure de « vaincre par l’information » sans avoir perdu les qualités de courage, de discipline et d’initiative qui les caractérisaient avant la numérisation de la force. L’importance accordée à un commandement humain et la nécessité, pour les chefs, d’être « vus » comme proches de leurs subordonnés (permettant d’asseoir leur autorité et de maintenir le moral des combattant) demeurent.

 

Quelles que soient les évolutions futures de notre armée de Terre, dans le cadre d'une numérisation croissante de la guerre, ce constat doit être au centre de toute réflexion, afin que les technologies ne prennent pas le pas sur les hommes et RÉFLEXION Juin 2020—2 RÉFLEXION ne déstabilisent pas une chaîne hiérarchique et de commandement indispensable lorsque des hommes - et non des machines - sont envoyés au combat, au contact. Cela est vrai en particulier dans le cadre d'un engagement en « haute intensité » où les chefs et les circonstances imposeront à leurs troupes de donner le maximum, voire de se surpasser. Citons Heinz Gudérian, qui demandait à ses soldats de la première Panzerdivision, en mai 1940 : « Si cela s’avère nécessaire, je vous demanderai de ne pas dormir durant au moins trois nuits ». Il y a des invariants : l'être humain - donc le combattant - a besoin d'être rassuré pour se donner totalement.

 

On reconnaît le vrai chef à ce signe que près de lui on éprouve comme une impression physique de force et de sécurité, et qu’on se sent prêt à le suivre partout où il le demandera. « Il nous aurait fait aller avec lui jusqu’au bout du monde », disaient les vieux grognards de Napoléon. Aussi, le chef « scorpionisé » devra-t-il trouver un compromis entre la proximité avec ses subordonnés et l'éloignement physique imposé / permis par les liaisons numérisées. Le chef devra aussi, et même encore plus, commander. Il ne pourra pas se retrancher derrière des algorithmes et autres travaux collaboratifs qui lui permettraient de s'effacer ou de refuser de trancher ; rien n’est pire que l'incertitude et l'indécision. Citons Raoul Dautry[2] : « Ce que les hommes apprécient le mieux chez le chef, c’est le commandement » ou un commandant de corps d'armée qui s'adressait à son chef direct, le général Blanchard commandant le premier groupe d'armées, fin mai 1940 : « Faites ce que voudrez, mon général, mais faites quelque chose ». Il ne faudrait pas pour autant tomber dans un excès inverse où, bénéficiant des outils technologiques qui lui permettraient de s'affranchir des niveaux de commandement intermédiaires, le commandant en chef d'une opération commanderait directement les « petits » chefs tactiques.

 

Le Haut Commandement « pourrait alors être tenté de manœuvrer lui-même les différents modules de la force ou, au minimum, d’imposer à ses subordonnés le détail de leur manœuvre, annihilant ainsi leur liberté d’action ». Cette attitude serait déresponsabilisante pour les échelons intermédiaires qui pourraient estimer avoir perdu la confiance de leur chef. Foch ne disait-il pas que « l’art de commander n’est pas celui de penser et de décider en lieu et place de tous ses subordonnés chez qui la paresse d’esprit mène à la discipline. Il faut laisser aux sous-chefs toutes les décisions de leur ressort ».

 

En conclusion, la « scorpionisation » de l'armée de Terre révolutionne la forme du combat avec l'apparition de moyens d'action et de destruction nouveaux (drones armés), de moyens de commandement nouveaux (SICS, SIA), de moyens de renseignement nouveaux (cybertechnologie). Cette transformation aura un impact sur l'exercice du commandement qui demandera à tous les acteurs des chaînes de commandement l'obligation de maîtriser parfaitement ces outils (numériques en particulier).

Cette maîtrise ne sera possible que par une utilisation « in situ » intensive et fréquente de ces outils, un rythme d'entraînement soutenu qui succédera à une formation de qualité. Les échanges entre tous les niveaux de commandement seront intensifiés et accélérés. Mais l'homme, le soldat, restera le cœur du combat.

C'est bien lui qui ira « au contact ». Ce soldat, même « augmenté », restera un être humain qui ne pourra s'affranchir d'un commandement humain. Le Maréchal de Saxe[3] rappelait au milieu du XVIIIe siècle que « le cœur humain est le point de départ de toute chose à la guerre ». C'est pour cela que l'on peut affirmer que la « scorpionisation » peut être considérée, dans le domaine de l'exercice du commandement, comme un changement dans la continuité.

 

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[1] N 502895/ARM/EMAT/OAT/BEMP/ACT/NP du 18 mars 2020.

[2] Raoul Dautry est un ingénieur polytechnicien (X 1900), dirigeant d'entreprises publiques et homme politique français.

[3] Maréchal de Saxe : maréchal général des camps et armées de Louis XV.

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Titre : Le commandement « scorpionisé » dans la haute intensité : changement dans la continuité ?
Auteur(s) : Par le lieutenant-colonel Emmanuel Desachy, de la direction des études de la prospective (DEP-C2) du CDEC
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