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Les services de renseignement français pendant la Grande Guerre

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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La Grande Guerre a donné ses lettres de noblesse au renseignement, embrassant toutes les activités d’espionnage et de contre-espionnage, mais aussi en innovant dans le domaine de la guerre psychologique et subversive. Le 2ème bureau français (renseignements) a suivi la situation sur tous les fronts, commenté les renseignements obtenus, évalué les pertes de l’ennemi comme la capacité de ses nouvelles armes ou tactiques et reconstitué l’organigramme de ses formations.

 


Contrairement aux idées reçues, en août 1914 la France était bien renseignée sur la forme que prendrait l’agression allemande. Dix ans plus tôt, une version du plan Schlieffen avait été récupérée par le service de renseignements (SR) du 2ème bureau de l’état-major de l’armée (EMA). Grâce à une étude systématique des forces armées allemandes, des voies ferrées, des gares, au recoupement d’informations fournies par les déserteurs alsaciens-lorrains ou les agents, le haut commandement avait été prévenu des intentions ennemies. Disposant d’une évaluation précise des forces d’invasion, il se refusa pourtant à admettre qu’on engagerait les réservistes allemands en première ligne. L’été, désastreux, coûta près de 300.000 hommes. Si le renseignement collecté était de première main, il n’a pas été exploité à sa juste valeur, les spécialistes du renseignement s’étant heurtés au scepticisme du commandement et à sa foi inébranlable en l’offensive à outrance inspiratrice du plan XVII. Le «miracle» de la Marne survint parce qu’enfin Joffre daigna se fier aux renseignements recueillis.

 

Pendant la guerre, le renseignement français affiche une particularité singulière. Suite au départ du grand quartier général (GQG) pour Vitry-le-François, le 2ème bureau de l’EMA est vidé de sa substance, mais devant l’absence d’informations en provenance du front, le ministre de la Guerre restaure les effectifs du 2ème bureau de l’EMA. Nommé président adjoint de la commission de contrôle télégraphique de Paris et obsédé par les ravages que pourrait causer l’espionnage allemand en France, le Capitaine Ladoux va jouer un rôle déterminant. La «voie renseignement GQG» coexiste donc avec la «voie renseignement EMA». Certes, une telle dichotomie a engendré des difficultés de coordination et des redondances dans les renseignements transmis aux décideurs. Malgré des frictions entre leurs membres respectifs, ces deux structures n’étaient pourtant pas antinomiques mais complémentaires. L’EMA a vite privilégié la recherche du renseignement stratégique, technique, économique et social chez l’ennemi, ainsi qu’il s’est concentré sur la lutte contre l’espionnage dans la zone de l’intérieur. Le GQG a collecté le renseignement opérationnel tout autant qu’il a lutté contre l’espionnage dans la zone des armées. L’urgence du suivi quotidien des opérations servit de moteur à l’évolution des structures. Le renseignement français était donc constitué d’une nébuleuse d’organismes indépendants les uns des autres et parfois rivaux, mais tendant vers un même objectif: faciliter la victoire sur les Puissances centrales. Grâce à sa vision globale, l’EMA a réalisé que le caractère du conflit évoluait: la fin de la guerre de mouvement et la stabilisation des fronts ont amené les belligérants à vouloir emporter la décision par d’autres moyens que le choc frontal. Devenue totale, la guerre laissait une large place à l’innovation technique. On a alors rivalisé d’ingéniosité pour aller chercher le renseignement au plus loin, lequel n’étant plus exclusivement de nature militaire. Dès 1915, on s’intéressa à l’état économique de l’adversaire, à sa force morale pour évaluer sa résistance à l’usure. Cette volonté de se battre en ne négligeant rien pour nuire à l’adversaire fut le principal facteur ayant poussé au développement des techniques subversives et expliqua également la montée en puissance d’une de leurs parades, le contre-espionnage. Mais avancer que l’EMA se serait spécialisé dans la recherche du renseignement autre qu’opérationnel pour marquer sa spécificité serait caricaturer la réalité; il suffit de lire des bulletins de renseignements des différents SR pour s’en convaincre. Certes, les concepts de guerres économique et psychologique trouvèrent à Paris leurs plus ardents défenseurs, mais cela ne veut pas dire que le GQG s’en désintéressa. Seulement, la localisation parisienne de ces organes d’analyse, leur proximité du pouvoir politique, diplomatique, des instances universitaires, commerciales ou industrielles facilitèrent une plus grande ouverture sur le monde et la mise au point de nouveaux moyens de lutte: pour s’affranchir des contraintes du terrain encore renforcées par la guerre de tranchée, la dépose d’agents par avion naquit en 1915. La coopération avec les réseaux de résistance belge et l’Intelligence Service permit d’accroître les possibilités de l’espionnage: aucun dépôt logistique, aucun convoi, aucun champ d’aviation ne fut ignoré par les services alliés; on peut dès lors mesurer les répercussions de cette performance sur l’effort de guerre des Centraux et la difficulté à protéger le secret de leurs offensives. La collaboration interalliée en matière de renseignement allait s’exprimer par la création du SR de Folkestone, mais aussi par des échanges avec les SR anglais, belges, russes, italiens, puis américains.

 

Ladoux réussit à convaincre Millerand de la nécessité de réformer le contre-espionnage. Lorsque la section de centralisation du renseignement voit le jour le 28 mai 1915, c’est lui, son inventeur, qui est pressenti pour la commander. Très persuasif, il voit ses attributions s’accroître au contrôle des postes frontières, à l’expérimentation de techniques liées à la propagande aérienne. Bien plus qu’un simple service de «centralisation», la SCR assure le lien avec la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur, dont le directeur est placé depuis 1914 sous les ordres du ministre de la Guerre. Improvisateur génial tout autant qu’avant-gardiste, Ladoux l’est certainement. Cette création et celle en décembre du 5ème bureau de l’EMA restent la meilleure illustration de la vision globale possédée par le personnage. Ce bureau englobe SCR (activités de contre-espionnage en France et à l’étranger) et SR (recherche du renseignement stratégique et actions clandestines chez l’ennemi et les neutres); il développe également des procédés de guerre psychologique et subversive, comme il participe à l’asphyxie économique des Empires centraux. Car la Grande Guerre fut l’occasion de mettre sur pied des organes de recherche spécifiquement destinés à la guerre économique. Cette orientation répondait à la nécessité de rendre plus efficace le blocus concourant à asphyxier l’Allemagne, les services civils se livrant à cette tâche ayant d’énormes besoins en renseignement pour identifier les firmes neutres suspectes de contrebande et établir les listes de produits vitaux pour la production des trusts adverses. Les agents furent amenés à prendre des risques inouïs pour percer les secrets de l’industrie d’armement allemande. Dans ce contexte fébrile, les procédés d’espionnage connurent forcément une évolution constante. Persuadé du caractère très particulier de la guerre secrète, Ladoux tenta d’inculquer à ses hommes des méthodes d’action novatrices, choquantes pour l’époque. Elles lui valurent d’être mis à l’index par ses chefs directs, soucieux de ne pas se compromettre. Son côté brouillon, son exubérance (ses succès dérangeants aussi) allaient précipiter son éviction en 1917. Les méthodes de camouflage des messages, tant par l’élaboration d’encres sympathiques de plus en plus perfectionnées que par la mise au point de systèmes de chiffrement complexes, marquèrent aussi cette course au progrès technique. Enfin, l’aspect psychologique et propagandiste ne fut pas oublié: des ballonnets, puis des avions transportant des tracts furent mis en œuvre par les SR afin d’inonder les territoires envahis et l’Allemagne, hâtant la désagrégation morale de l’adversaire.

 

L’attaque allemande sur Verdun de 1916, bien qu’annoncée par le SR, prend le commandement «par surprise». Une fois de plus, l’avertissement n’est pas écouté, pas plus que les mises en garde de Driant. L’état-major se montre toujours incapable de profiter des informations transmises sur l’ennemi pour parer ses coups. Sur le plan offensif, malgré un afflux de renseignements de plus en plus fiables, les attaques continuent à être montées comme si l’ennemi était incapable de réaction. Nonobstant, le 2ème bureau organise la formation des officiers de renseignement régimentaires, sort des mémentos pour rationaliser et optimiser la recherche des informations. En février 1917, le 5ème bureau de l’EMA est supprimé et c’est un 2ème bureau rénové qui reprend les activités de renseignement et de guerre secrète.

 

Survient l’offensive d’avril 1917. L’échec peut être imputé à la négation des renseignements par Nivelle. Devant les pertes, il faut choisir: attendre «les Américains et les chars», ou continuer ainsi et cesser le combat «faute de combattants». Doit-on incriminer les SR pour n’avoir pas suffisamment montré au commandement que cette façon de se battre était suicidaire? Non, et c’est le plus désolant. De mieux en mieux organisés, dotés d’un matériel de plus en plus performant, les 2èmes bureaux de la chaîne opérationnelle ont parfaitement décrit ce qu’ils connaissaient des défenses ennemies. Or, par suffisance ou par incompétence, le commandement n’a pas pris en considération ces renseignements.

 

C’est avec Pétain que l’état d’esprit vis-à-vis des SR évolue de manière significative. Nommé après l’hécatombe, il est convaincu que «le feu tue» et veut limiter les pertes en s’enquérant de tous les éléments visant à connaître les projets de l’ennemi. Son but est de se prémunir de ses surprises dans la défensive et, dans l’offensive, de lui asséner des coups sûrs en consentant un minimum de tués. L’épisode des mutineries va montrer le côté déplaisant d’un SR quand il se retourne contre ses frères d’armes. Ses manigances, tendant à masquer la responsabilité du commandement dans l’éclatement des révoltes, ont été clairement établies; sa tentative de désinformation, voulant faire croire que l’incurie du ministre de l’Intérieur était à l’origine de tout, a fait faillite lors du procès Malvy. En outre, l’implication de quelques-uns de ses cadres dans l’instruction des «affaires de trahison» a achevé de ternir sa réputation; les condamnations expéditives du 3ème conseil de guerre, permises grâce à la fourniture de dossiers «trop bien ficelés», laissent planer des doutes sur la moralité des contre-espions: depuis l’affaire Dreyfus, il n’est pas évident que leur mentalité ait évolué. À Paris, la proximité du pouvoir n’a pas toujours permis aux officiers d’active ou de complément de conserver une parfaite indépendance, mais certains, peu scrupuleux, ont profité de leur place de dispensateur de l’information pour faire accréditer leurs idées politiques qui semblaient correspondre aux besoins de la défense nationale. Des hommes politiques de gauche, tels Malvy ou Caillaux, en ont fait les frais, mais l’histoire a vite réparé cette injustice[1].

 

Nommé généralissime des armées alliées en 1918, Foch sut se servir du renseignement pour terrasser son adversaire. À cette époque, croisant les informations émanant de diverses sources, le 2ème bureau du GQG fournissait d’excellentes synthèses de renseignements, autorisant des succès considérables comme l’échec du Friedensturm ou, jusqu’à l’Armistice, les percées successives du front de Ludendorff. On a parfois reproché à Pétain d’être attentiste et moins mordant que Foch, mais ont-ils considéré différemment le renseignement? «L’assommoir arithmétique» de 1918, c’est-à-dire les coups de boutoir assénés par le second sur le front allemand jusqu’à la victoire, ne fut possible que grâce à une politique agressive de recherche du renseignement de contact encouragée par le premier. Affirmer que le commandement se désintéressait du renseignement serait ainsi mentir: longtemps, il n’a retenu que celui qui servait ses propres convictions. Avec la guerre de tranchées, il désira connaître l’ordre de bataille et l’état des pertes adverses, de même que la situation économique, politique et morale en Allemagne. La bascule de forces d’un front à l’autre étant annonciatrice d’offensives, l’étude du trafic ferroviaire devint fondamentale. Sur le front, la collecte du renseignement de contact devint l’affaire de tous, les patrouilleurs ramenant dans nos lignes objets, documents et prisonniers; aux côtés des aviateurs, les fantassins fournirent un renseignement de masse aux 2èmes bureaux. Les techniques d’observation firent également de grands progrès: de l’aérostation, on passa aux photographies aériennes permettant l’emploi d’échelles cartographiques allant jusqu’au 1/5.000. En doublure du 2ème bureau de corps d’armée, le service de renseignement de l’artillerie montra l’importance de la localisation des batteries et des tranchées de l’adversaire. D’autres techniques naquirent: les écoutes, la radiogoniométrie, le repérage par le son et les observations effectuées par les sections de repérage par observation terrestre, qui favorisèrent la création d’un maillage dense capable de reconstituer le déploiement de l’ennemi et de suivre ses déplacements du front jusque dans la profondeur de son dispositif.

Parti d’à peu près rien, le renseignement français a montré sa forte capacité d’innovation pendant la guerre. Souvent privé de directives claires, manquant de reconnaissance pour ses travaux, il a eu beaucoup de mérite. Même si ses résultats ont pu paraître inégaux jusqu’en 1918, ses organes ont globalement répondu à leur mission d’information des décideurs en permettant de circonvenir les menaces. Grâce à des synthèses variées, les SR ont facilité l’édification des plans d’opérations de l’état-major. Aux dires mêmes de leurs ennemis de 1914 (lesquels ne peuvent être taxés de francophilie) ou même des Britanniques, ils n’ont pas eu à rougir de leurs résultats. Par un habile mélange de réflexion et d’improvisation, s’appuyant sur des personnalités marquées, ils ont très largement contribué à vaincre l’armée de Guillaume II. Pour eux, ce conflit mondial a été l’occasion de créer et d’expérimenter de nouvelles techniques d’action qui allaient partout fixer les règles de la guerre secrète et contribuer ensuite à l’émergence des «services spéciaux» de la Seconde Guerre mondiale. Il convient malheureusement de faire remarquer que la décision militaire aurait probablement été acquise plus vite si, dès avant août 1914, le commandement avait bien voulu leur faire confiance en mettant de côté ses a priori et en se persuadant du caractère erroné de certaines de ses convictions stratégiques.

 

 

[1] Idem, pp. 1542 à 1670.

 

Le Lieutenant-colonel Olivier LAHAIE est affecté l’École supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major. Il est diplômé technique de l’enseignement militaire supérieur et docteur en histoire. Il est chercheur associé au Service historique de la Défense/département de l’armée de Terre. Il a également été membre du corps professoral aux Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, en tant que chef du cours d’histoire militaire (2005 à 2009), puis chef du département histoire et géographie (2009-2013). Il est toujours chercheur associé au centre de recherches des Écoles. Nombre de ses travaux ont été consacrés à la Grande Guerre.

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Titre : Les services de renseignement français pendant la Grande Guerre
Auteur(s) : le lieutenant-colonel Olivier LAHAIE
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