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Part de l’audace et de la témérité dans la prise de décision en mai 1940: quels enseignements pour la conception et la conduite

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Napoléon vantait les généraux ayant de la chance. À ce titre, il eût sans doute porté une riche estime à Guderian qui témoigna en 1940 que la fortune sourit effectivement aux audacieux.


L’étude de la percée de Sedan a rappelé combien hardis furent les Allemands, et combien désemparés  furent  les  Français.  Ceux-ci  disposaient  pourtant  d’une planification correcte, mais ils accumulèrent en conduite des décisions à contre-sens, y compris contre leur propre plan. Si timorés que les jugea l’Histoire, ils prirent aussi des risques qui menèrent au désastre.

À cet égard, on caractérise communément l’audace comme la prise courageuse, mais calculée, d’un risque. On l’oppose à la timidité, jugée pusillanime, et à la témérité, imprudente et bravache. Toutefois, si le brouillard de la guerre peut se désépaissir, l’équation comporte toujours des inconnues qui la renvoient à un pari. La manœuvre de Guderian en témoigne: qu’est donc l’audace, sinon une témérité couronnée de succès ? L’historien reconnaît dans les chefs entreprenants des esprits audacieux lorsqu’ils gagnent, et condamne leur inconscience s’ils échouent. Le militaire l’explique par les principes de la guerre dont le respect serait comme la garantie de la victoire. Ceux-ci ont certes le mérite de donner un cadre d’analyse et permettent d’élaborer des méthodes de décision, mais ils limitent la critique au seul cadre espace-temps de la bataille.

Or les différentes décisions prises dans les Ardennes en 1940 révèlent, au-delà des hommes, des états-majors et du contexte, deux systèmes de guerre opposés. C’est précisément l’organisation de ces systèmes qui explique pourquoi les Allemands ont semblé systématiquement tirer parti des situations, au contraire des Français. Aussi, puisqu’il s’agit de tirer des enseignements pour la prise de décision dans les opérations contemporaines, cet article dégagera ce qui a permis à la Wehrmacht d’avoir les bons décideurs aux moments clés, aux bons endroits.

De fait, la bataille de France fut perdue bien avant le mois de mai 1940. La mise en système de la subsidiarité par l’armée de Weimar a permis de générer une Wehrmacht résiliente et sans cesse réactive, animée d’une véritable liberté d’action, et de pensée, en son propre sein. Elle fit ainsi émerger des chefs créatifs, faisant preuve non seulement d’opportunisme tactique, mais aussi technique, au profit de la manœuvre d’ensemble.

La campagne de 1940 marque la victoire de l’audace sur la passivité. Mais elle reste contextualisée.  Ce  n’est  pas  tant  la  prise de  décision  elle-même  qui  explique « comment » les Allemands gagnèrent alors, mais la manière dont une institution est parvenue à faire prévaloir, en toutes circonstances, les bons décideurs. Aussi, c’est dans l’organisation du commandement, par nature élaborée sur un temps long, que ressortent des enseignements pour aujourd’hui.

 

La bataille de France, victoire de l’audace sur la passivité, eût pu être tout autant le symbole de l’inconscience

 

On retient que la hardiesse du plan Manstein et le moral supérieur de ses combattants a permis de vaincre des Français immobilistes. Mais si les Allemands n’avaient changé leurs plans après que les Alliés s’en emparent, leur offensive eût correspondu à la riposte imaginée par Gamelin: la drôle de guerre eût sans doute connu une issue moins triste. Tant semble aléatoire et court, au regard des cas étudiés pendant l’EHT, le chemin qui mène du triomphe à la défaite.

En effet, deux camps de même poids s’opposent alors. De part et d’autre, des états- majors expérimentés, maîtrisant les méthodes de planification et de conduite, innervent des forces hybrides qui combinent des troupes d’appelés et des unités aguerries. Forces et faiblesses des équipements sont compensées par des doctrines qui les optimisent: les Français sont peu mobiles et négligent les transmissions, mais cela ne va pas contre une doctrine défensive où tout est censé se coordonner d’avance ; les Allemands, portés vers l’offensive, sont plus vulnérables, mais disposent de matériels mobiles et équipés de transmissions, capables d’improviser collectivement.

Deux écoles de commandement découlent logiquement de ces postures. La française, par ordre, est très centralisée. L’allemande, par objectif, cultive l’initiative et repose sur le discernement des chefs au contact. La fin justifiant les moyens, les moyens ne prennent de sens qu’en fonction de la fin. Condamnable à maints égards (violation de la Belgique, infiltration de faux agents de liaison français), ce pragmatisme quasi utilitariste favorise néanmoins la prise de décision: la guerre n’est pas une chorégraphie qu’on répète, mais une affaire de bon sens et d’adaptation. La manœuvre hardie du lieutenant-colonel Balk, qui regroupe ses mitrailleuses en une seule unité pour monter à l’assaut des hauteurs de Sedan contre l’avis de son adjoint, constitue une entorse à la doctrine, et aussi un succès: celui de l’expérience, de la juste connaissance des moyens, et du caractère. 

Les enseignements tactiques qu’on tire a posteriori résistent souvent mal au désir «d’institutionnaliser le génie»

 

Ils prennent parfois une forme catégorique pour élever à une portée générale ce qui relève d’un contexte. Il convient donc de chercher les véritables causes structurelles, qui sont davantage organisationnelles.

S’inspirer de Guderian pour planifier et conduire des engagements qui sont absolument dissemblables aujourd’hui est une gageure. Ne serait-ce qu’en raison du rapport à la mort qui condamnerait ses audaces comme une témérité criminelle. Il reste que celui- ci est devenu un modèle pour qui recherche dans l’initiative qui crée la surprise un facteur du succès.

De fait, il convient de distinguer l’impulsion donnée par un décideur à un instant précis et l’efficacité d’un système dans son ensemble. L’année 1940 a disqualifié les chefs militaires français en condamnant inexorablement la doctrine d’alors, réputée figée, à Douaumont, contrairement à celle, pourtant «mythique» d’après Freyser, de la Wehrmacht. Mais si le général Gamelin avait respecté à la lettre son plan d’avant- guerre, nulle aventure dans les Ardennes ou vers Breda n’eût contrarié son dispositif en brisant sa logique défensive. Ni la doctrine ni les moyens ne manquèrent aux Français, mais une structure de commandement organisée pour faire face à l’imprévu. Ceux-ci n’étaient pas préparés pour absorber le chaos qu’ils provoquèrent en partie en précipitant le contact. Une culture centralisée de l’autorité, proche du management, incitait le commandement à administrer avec un maximum de méthode et un minimum de délégation. Les Allemands avaient une compréhension divergente du leadership, non pour ordonner la contingence, mais pour en tirer profit en la raccordant au but collectif. On peut ici opposer l’attitude du commandant d’unité français abandonnant le pont de Mouzève alors que l’ennemi le talonne, et le coup de main de l’adjudant Kortals qui réduit un à un les bunkers français flanquant la Meuse. Le premier n’avait aucune conscience de l’enjeu faute d’être informé, le deuxième connaissait les intentions de son chef.

 

Les enseignements de la percée de Sedan concernent donc les décisions du temps long

 

Ils seront fructueux s’ils inspirent une subsidiarité qui relayera l’action de chefs aptes à transformer les hasards de la guerre en chance.

L’art de la subsidiarité allemand s’est manifesté par le partage de l’information, qui a généré une culture collective de l’opportunisme. Celle-ci se fait plus nécessaire encore de nos jours, à l’ère de l’hyper-information. La décentralisation de l’exécution permet en effet d’accélérer la prise de décision en adéquation maximale avec le contexte. Celle-ci contribue à la réactivité de l’organisation. Le général Petraeus, qui faisait connaître à tous ses GI sur sa page facebook les grandes lignes de sa vision pour qu’ils agissent d’eux-mêmes dans l’esprit du surge, nommait cela «the operationalizion of the strategic corporal».

Le deuxième enseignement concerne les ressources humaines, en particulier la sélection et la formation des décideurs. Elle répond à un dialectisme qui doit associer 

leadership et management. Compte tenu du fait qu'une confiance totale dans les outils de conduite et de planification, proches de ceux du management, est exclue, il convient d’identifier des esprits capables de décider malgré la friction des opérations, suffisamment solides pour s’imposer vers le bas comme vers le haut. L’exercice est difficile car le profil recherché n’est pas similaire en fonction des circonstances. Il faut donc qu’une organisation identifie et classe ces potentiels en amont pour les former et leur confier les rênes le cas échéant. Ce que tenta trop tard le gouvernement français en rappelant Weygand et en confiant à de Gaulle la 4ème DCr.

En termes de planification et de conduite, cette balance se traduit par une dialogue entre le chef et son état-major, où le rôle des experts, qui connaissent les possibilités exactes de leur fonction, doit permettre d’exploiter tous les outils disponibles, fût-ce de façon non conventionnelle, tel Balk à Sedan. Au niveau tactique, les brevetés doivent chercher à balancer la position du chef en recherchant la confrontation (des idées), et non en tentant de satisfaire ses tendances naturelles par des manœuvres qui «lui correspondent».

 

La problématique posée renvoie finalement davantage à la théorie des organisations qu’à la bonne maîtrise de l’art opératif ou tactique.

L’EHT à Sedan a illustré à quel point la subsidiarité, inspiratrice de créativité, génératrice de vitesse et ciment de cohérence, a contribué à la victoire allemande, bien davantage que le respect formel de la doctrine ou de la chaîne hiérarchique.

Le chef au contact doit pouvoir s’en écarter en utilisant ses moyens selon ce que lui indique son intelligence de situation et l’effet collectif recherché, mais aussi sa culture et quelque imagination. Mais il n’est pas tout de faire jaillir les bons décideurs. Il faut que la structure soit adaptée, à la faveur d’une véritable subsidiarité, à la mise en œuvre de leurs décisions.

 

 

Saint-cyrien de la promotion «Général de Galbert», le Chef d’escadrons Louis- Guilhem LARCHET a servi au 1er régiment étranger de cavalerie et au Centre de doctrine d’emploi des forces. Il a suivi le cours supérieur interarmes de septembre 2016 à janvier 2017.

 

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Titre : Part de l’audace et de la témérité dans la prise de décision en mai 1940: quels enseignements pour la conception et la conduite
Auteur(s) : le Chef d’escadrons Louis-Guilhem LARCHET
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