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Quelques réflexions autour de Gladiator 1/2

Revue de tactique générale - La bataille
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La  scène  de  bataille ouvrant l’excellent peplum du réalisateur américain Ridley Scott se déroule vers 180 après J.­C., date de la mort de l’empereur Marc­ Aurèle. Comme bon nombre de réalisa­tions hollywoodiennes, ce film destiné à un large public ne doit pas être retenu pour la rigueur historique, tant de son scénario, que de la représentations du combat en lui-­même, émaillée de nombreuses incohérences ou anachronismes. Pour l’historien Thierry Widemann, « En dehors du fait qu’aucune bataille décisive n’a eu lieu en 180, année de la mort de Marc Aurèle, on voit l’artillerie envoyer des projectiles à plus de 1km alors que la portée des balistes romaines ne dépassait pas 300 m.


De tels projectiles incendiaires, véritables bombes au napalm, évoquant le bombardement de la lisière dans Apocalypse Now, étaient inconnus des Romains : pour obtenir cet effet, il aurait fallu employer du pétrole qui ne fut mis en œuvre, sous la forme du feu grégeois, qu’au VIIe siècle par les Byzantins. Une charge de cavalerie en pleine forêt est de toute façon inimaginable, mais ici a fortiori, les forêts primaires  de Germanie étant alors d’une densité impénétrable. Les légions s’avancent en lignes successives alors que la tactique romaine, résolument offensive, était fondée sur des attaques en formation profonde. Dans le film, elles se contentent d’encaisser l’offensive des Germains, où le pilum, pourtant bien reconstitué, est employé comme une lance, alors qu’il s’agissait d’un javelot dont le jet préparait l’assaut au glaive. En fait, cette scène de bataille nous renseigne davantage sur une vision anglo-saxonne actuelle de la guerre que sur la tactique romaine. La décision est emportée par les armes techniques : par la puissance de feu, la manœuvre des blindés (suggérée par la cavalerie), et une infanterie destinée à absorber le choc, nettoyer et occuper le terrain »3.

 

L’objet du propos suivant n’est donc pas de relever dans le détail toutes ces erreurs, ni d’exposer les tactiques employées par l’armée romaine durant le Haut­Empire. Pour cela, le lecteur averti pourra s’orienter vers les remarquables ouvrages de l’historien Yann Le Bohec, dont en particulier son Histoire des guerres romaines4. Cette scène constitue en revanche une excellente opportunité pour quiconque s’intéresse à la notion de bataille. Il s’agit ainsi de saisir le prétexte pédagogique offert par cette représen­ tation, certes simpliste, mais suffisamment visuelle pour s’interroger sur quelques notions élémentaires de tactique. Que recouvrent  et quelles acceptions ont, à la veille de la mise en pratique de la doctrine explora­ toire Scorpion5, la bataille, le combat, le choc et le feu ? S’agissant  de tactique générale, le lecteur pourra utilement poursuivre ses réflexions en se référant à la doctrine actuelle des forces terrestres françaises6, à l’indispensable dictionnaire de François Géré7 et la réédition de 2008 de l’introduction à l’histoire militaire8 d’Éric Muraise. Ardant du Picq9 reste bien entendu un incontournable, dont la lecture aujourd’hui encore, apporte un éclairage plus que pertinent sur ces notions. Enfin, bien que les dimen­sions historiographiques de la bataille ne soient volontairement pas abordées dans ce document, on ne peut que recommander le Batailles d’Hervé Drevillon10, parmi tant d’autres, pour finir d’aborder le sujet dans sa globalité.

« Roma victor ! »11 La relation entre la tactique, la stratégie et la victoire. La victoire obtenue dans le film de Ridley Scott, par le général romain Maximus, peut être considérée comme une bataille décisive, puisqu’en permettant la destruction des dernières forces d’opposition barbares, elle conclut la campagne de Germanie et permet à l’empereur Marc­Aurèle d’imposer la Pax romana sur ses frontières orientales. Au cours de l’histoire, on a effectivement pu compter un certain nombre d’affrontements majeurs de ce type, limités dans l’espace et dans le temps, ayant permis à un belligérant de contraindre son adversaire à suspendre les hostilités pour une durée plus ou moins longue. Gaugamèles, Azincourt, Waterloo, Sadowa, Dien Bien Phu constituent à ce titre des batailles décisives.

 

Le mot tactique, qui vient du grec ( ranger), désigne à l’origine l’ordre ou la disposition des troupes en vue de la bataille. Elle consiste d’une part à disposer sur le terrain les unités de choc, infanterie et cavalerie, en bénéficiant du feu dispensé par l’archerie, puis de l’artillerie, du génie et de l’aviation tactique ; d’autre part à combiner leur action en vue à la fois d’obtenir des effets sur l’ennemi, mais aussi de protéger ses propres troupes. Ainsi que le représente assez correctement le film, la bataille peut donc être comprise au sens strict comme un affrontement violent entre deux formations armées et de taille limitée, dans un espace réduit et durant un temps limité. Conceptuellement, le combat constitue la phase des opérations militaires durant laquelle les adversaires s’affrontent physiquement en utilisant les ressources dont ils disposent.

Le combat produit des effets de destruction ou de neutralisation des ressources physiques et morales chez les adversaires et dont les consé­ quences décident de la victoire ou de la défaite de l’une ou plusieurs des parties belligérantes.  Une guerre est ainsi généralement composée de campagnes, ponctuées de batailles, décisives ou non. Ces batailles sont elles­mêmes composées de combats. La tactique se raisonne donc à différents niveaux et en amont de l’action, c’est ce que l’on désigne sous le terme général de conception et de planification (Command) ; puis lors de la conduite de l’action (Control). Le prolongement de la tactique permet en aval d’exploiter les effets obtenus sur l’adversaire en vue de la bataille suivante, dans le cadre d’une campagne (c’est le rôle du niveau opéra­ tif) ; et/ou du succès stratégique, si cette bataille a été décisive. L’historien militaire John Keegan définit la bataille comme étant « quelque chose qui intervient entre deux armées menant à la destruction morale puis physique de l’une ou l’autre d’entre elles »12. Clausewitz énonce ainsi que « toutes les fois où on ambitionne de s’attaquer aux œuvres vives de l’ennemi, à ses intérêts vitaux, c’est la bataille qui en est le moyen le plus naturel, et (…) le meilleur) ; qui se dérobe à la grande décision en subira le châtiment »13. Dans ses réflexions sur la relation entre la stratégie et la bataille, Die Schlacht (1912), Helmuth von Moltke l’Ancien considère également que la stratégie a les moyens, grâce à la tactique, de réaliser les choses au bon moment et au bon endroit. Elle met ainsi en œuvre à travers la bataille des décisions planifiées à l’avance.

 

La bataille constitue donc pour les stratégistes occidentaux classiques une condition essentielle pour atteindre la victoire. La recherche obsession­ nelle de la bataille décisive, ou de son évitement, constitue un fil directeur dans l’évolution de la pensée stratégique jusqu’à aujourd’hui. La concep­ tion occidentale de cette relation entre stratégie et tactique nourrit très directement les réflexions portant sur les responsabilités des différents niveaux de décision opérationnelle, sur l’organisation du commande­ment, sur les dimensions capacitaires de nos appareils militaires et bien entendu sur nos doctrines d’emploi des forces. Cette relation permet donc de faire très nettement la distinction entre la stratégie (détermination des objectifs politico­militaires, conception et conduite des opérations) ; l’opé­ratique (conception et conduite des campagnes), conceptualisée par les Soviétiques dans les années 1930 ; et la tactique (conduite de la bataille et du combat). Cette distinction nourrit toutefois une controverse fonda­mentale depuis le début du XXe siècle. En effet, l’obsession de la bataille décisive peut conduire à subordonner la stratégie à la tactique, c’est­à­dire à adapter les objectifs stratégiques aux aboutissements tactiques. Pour Moltke l’Ancien, qui a profondément marqué la pensée militaire allemande d’avant­guerre, « devant la tactique se taisent les prétentions de la stratégie, qui doit savoir s’adapter à la situation nouvellement créée ». Foch estimait pour sa part que « la stratégie n’existe pas par elle-même, elle ne vaut que par la tactique puisque les résultats tactiques sont tout»14. Cette inversion de subordination a ainsi caractérisé les opérations du Premier conflit mondial, qu’il s’agisse de l’attaque de Verdun par les Allemands en 1916, ou de la désastreuse offensive du Chemin des Dames en 1917. Cette contro­ verse, au cœur de laquelle se retrouvent des conflits de compétence entre militaires et politiques, a également pu caractériser à certaines périodes les engagements occidentaux après la Deuxième Guerre mondiale. Les opérations en Algérie pour l’armée française ou la guerre du Viêt­Nam pour les Américains constituent à ce titre de bonnes illustrations.

 

« À mon signal, déchaîne les enfers ! » La manœuvre : la relation entre le choc et le feu.

 

À défaut d’être historiquement réaliste, la représentation spectaculaire de la bataille de Gladiator met en exergue un second point essentiel de la bataille : la manœuvre. Celle­ci ne se résume en effet plus depuis fort longtemps à la rencontre frontale entre deux masses non réactives. Le choc et le feu sont les deux moyens principaux dont dispose le tacticien pour protéger ses troupes et pour attaquer celles de l’adversaire. Le terme feu recouvre en fait tous les procédés de combat à distance. Le terme de choc concerne, quant à lui, le combat de contact sous toutes ses formes. La mobilité, l’organisation du terrain et la protection démultiplient la puis­ sance du choc et permettent d’atténuer à la fois les effets du choc adverse et ceux de ses feux. Les effets matériels du feu et du choc sont indisso­ ciables de leurs effets psychologiques, dont l’atteinte conditionne princi­ palement le succès ou la défaite tactique. L’ensemble des actions visant à réaliser ces effets se retrouve donc dans la bataille. Celle­ci recouvre théoriquement une phase préparatoire, destinée à modeler le milieu et l’adversaire ; une phase d’atteinte d’objectifs décisifs ; et enfin une phase d’exploitation. L’assaut, qui s’accompagne parfois d’un corps ­à­ corps, ne constitue que l’un des instants paroxysmiques du choc et peut se retrouver dans n’importe quelle phase de la bataille. Il n’en constitue donc pas forcé­ ment son moment ultime. La supériorité du feu sous toutes ses formes, caractérisant les conflits du XXe  siècle a vu une tendance grandissante à l’évitement de l’assaut, permise par les progrès technologiques et l’accroissement de l’efficacité des moyens de combat à distance. Le choc reste toutefois indispensable pour garantir la maîtrise du milieu dans la durée, comme l’ont montré nos récents engagements opérationnels.

 

Les phases successives de la bataille nécessitent, d’une part une planifica­ tion préalable, d’autre part une aptitude en conduite à gérer la contingence, c’est­à­dire ce qui n’avait pas été imaginé ou retenu lors de la planifica­ tion. Cette aptitude à la contingence, et donc à la manœuvre, est rendue indispensable par l’incertitude générée par l’adversaire lui­même et par les frictions impliquées par l’environnement de la bataille et le hasard. Elle suppose donc au minimum une certaine fiabilité des systèmes d’acquisition du renseignement ; une aptitude à la réversibilité des actions, à l’agilité et à la réarticulation des dispositifs ; et la mise en place systématique d’un élément réservé. Cette aptitude à gérer la contingence sous­entend égale­ ment une capacité à transmettre des ordres de conduite le plus rapidement possible. La qualité des systèmes d’information et de communication sous­ tend donc fondamentalement l’aptitude à la manœuvre. C’est tout l’enjeu du concept de combat infovalorisé, aujourd’hui porté par le programme Scorpion.

 

 

3   Widemann, Thierry, Quid de la célèbre première scène du film Gladiator, paru dans Guerres et Histoire, n° 6, avril 2012.

4   Le Bohec, Yann, Histoire des guerres romaines : Milieu du VIIIe siècle avant J.-C. - 410 après J.-C., Tallandier, 2017.

5   Centre de doctrine et d’enseignement du commandement,  Lettre de la doctrine, n° 8, juin 2017, https://www.penseemiliterre.fr/ressources/30084/41/lettre­08.pdf.

6   Centre de doctrine et d’emploi des forces, FT-02 - Tactique générale, 2009,  https://www.cdec.terre.defense.gouv.fr/layout/set/print/publications/doctrine­des­forces­terrestres­ francaises/les­documents­fondateurs/ft­02.

7   Géré, François, Dictionnaire de la pensée stratégique, Larousse, 1999. Cet ouvrage n’est plus disponible en librairie classique, mais peut encore être acquis en version électronique.

8   Muraise, Éric (de son vrai nom Maurice Suire, 1908­1980), Introduction à l’histoire militaire, Lavauzelle, 1964, rééd., 2008.

9   Ardant du Picq, Charles, Études sur le combat :  combat antique et combat moderne, Hachette & Dumaine, 1880, rééd. Economica, 2004.

10   Drévillon, Hervé, Batailles. Scènes de guerre de la Table Ronde aux tranchées, Seuil, 2007.

11   La citation est reprise du dialogue du film. Il serait néanmoins grammaticalement plus correct de dire « Roma vicit » ou « Roma victrix (est) ».

12   Keegan, John, The Face of Battle: A study of Agincourt, Waterloo, and the Somme, London, (Anatomie de la bataille, Robert Laffont, 1993 ­ rééd. Perrin, 2013).

13   von Clausewitz,  Carl, Vom Krieg (De la guerre), 1832, rééd. Tempus, 2014.

14   Foch, Ferdinand, Des principes de la guerre. Conférences faites à l’École supérieure de guerre, Berger­Levrault,  1903,

 

 

 

 

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Titre : Quelques réflexions autour de Gladiator 1/2
Auteur(s) : Colonel Fabrice CLÉE, chef du pôle études et prospective
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