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Quelques réflexions autour de Gladiator 2/2

Revue de tactique générale - La bataille
Histoire & stratégie
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Cette conceptualisation  relativement claire du combat souffre toutefois d’un certain nombre de limites flagrantes. La nature, la forme et la dimen­sion de la bataille ont en effet considérablement varié au fil des siècles et notamment à partir de l’entrée dans l’ère industrielle.


Un historien français, le général Jean Colin15, qui fut tué à l’ennemi en Macédoine en 1917, avait envisagé dès 1911 le tournant fondamental qui allait se produire au cours de la Première Guerre mondiale. Selon lui, les batailles s’étendraient dans le temps et dans l’espace. Elles seraient caractérisées par des méthodes propres à la guerre de siège, où l’artillerie de longue portée serait prédomi­ nante. Il serait difficile d’exploiter les percées et enfin, la puissance maté­ rielle l’emporterait sur la force morale et les qualités du combattant. On avait effectivement pu pressentir dès la Guerre de Sécession, que la pra­ tique guerrière allait profondément être modifiée au travers de mutations essentielles. En premier lieu, l’irruption de la guerre de mouvement de grande ampleur caractérisant la plupart des campagnes révolutionnaires et napoléoniennes, laissait déjà présager des évolutions profondes dans la manière d’engager, puis d’employer les armes (infanterie, cavalerie, artillerie à l’époque) dans la bataille. Le système divisionnaire « moderne » imaginé par le lieutenant­général de Bourcet16, réellement mis en œuvre puis optimisé par l’Empereur avec la création du niveau du corps d’armée, permettait effectivement une évolution profonde de l’art de conduire les opérations. La nature de la bataille s’est ainsi transformée en l’espace d’un siècle, moins en raison de l’évolution des armements, que des réponses apportées aux difficultés logistiques de l’époque, des progrès des moyens de communication et de l’accroissement des effectifs à partir du Premier conflit mondial.

 

La seconde mutation majeure relève du passage de l’effet de choc à la suprématie du feu, définitivement consacrée avec les hécatombes de l’été 1914. À partir de ce tournant, à mesure que les armées occidentales disposaient de moyens technologiques de plus en plus performants, la capacité de toucher l’adversaire de manière industrielle et sans avoir à recourir au contact direct a profondément changé la nature du combat, l’arrachant progressivement à la logique systématique de la mêlée et du corps à corps. Ainsi, la bataille se caractérisait depuis le néolithique, jusqu’aux combats de Tannenberg et de La Marne en 1914, par un enga­ gement généralement bref et violent de quelques heures, culminant avec une phase d’assaut destinée à briser la cohérence du dispositif adverse. À partir du Premier conflit mondial, se substitue donc une autre forme de bataille, constituée d’une succession de combats composant un seul et même engagement de plusieurs semaines, voire plusieurs mois (Verdun, Stalingrad, Koursk, Mossoul). À de très rares exceptions près (Dien Bien Phu par exemple), aucune bataille réellement décisive n’a donc pu être observée dans la deuxième partie du XXe siècle. De ce constat, un sta­ giaire de l’École supérieur de guerre, le commandant  Guy Brossollet, tire au milieu des années 1970 une thèse audacieuse pour l’époque17, dans laquelle il remet en cause la nécessité de la bataille face à un adversaire numériquement supérieur. Il propose un système de défense modulaire et dans la profondeur qui inspirera ultérieurement les réflexions allemandes sur la techno­guérilla, mise en œuvre avec succès par le Hezbollah contre Israël en 2006.

Mais le fait fondamental ayant réellement transformé la nature de la bataille, relève de la porosité aujourd’hui permanente entre les sphères civiles et militaires dans la guerre. La guerre étant devenue totale, la bataille implique une mobilisation complète de toutes les ressources dis­ ponibles pour combattre. L’anéantissement définitif ou l’épuisement com­ plet des ressources de l’un des belligérants, constituent donc désormais la seule limite à la bataille, hormis lorsque l’un des adversaires estime que le coût à consentir pour la victoire est devenu exorbitant. Ce fut le cas avec le Second conflit mondial, sans qu’aucune bataille réellement décisive ne puisse réellement être observée. C’est ce même constat que fait l’historien britannique Hew Strachan. « Parce que la bataille départage un vainqueur et un vaincu, elle représenterait une fin en soi. Mais, avec la capacité pour les nations de rééquiper leurs armées, s’ouvre la perspective de batailles sans limites dans le temps et l’espace. L’époque de la bataille décisive semble bel et bien terminée »18. Cette redécouverte de la guerre illimitée et au sein des peuples, systématisée à partir des conflits de décolonisation, rend donc incontournable une approche globale, civile et militaire, des opérations. La victoire militaire à elle seule restant certes indispensable, mais insuffi­ sante pour garantir une paix durable.

 

« Les  hommes  devraient  savoir  lorsqu’ils  sont  vaincus. Le  saurais-tu Quintus ? Le saurais-je ? »

 

Pour conclure ce bref propos, rien dans une bataille entre des légions romaines et des tribus germaniques n’aurait vraisemblablement ressem­ blé à la scène imaginée et filmée par Ridley Scott. L’auteur de ces lignes en recommande toutefois le visionnage, car la qualité générale du film et celle du jeu des acteurs compensent très largement, pour l’amateur de 7e art peu exigeant qu’il est, l’absence flagrante de réalisme historique. Au­delà des réflexions cinématographiques et tactiques inspirées par cette scène, cette œuvre trouve un autre intérêt. Elle témoigne d’une certaine fasci­ nation de nos contemporains, en particulier chez nos alliés américains, pour le fait technologique. La représentation très manichéenne de l’af­ frontement questionne en outre sur la capacité qu’ont généralement les Occidentaux, à comprendre l’altérité, l’adversité sous toutes ses formes et la complexité caractérisant l’environnement de la bataille. La pensée stratégique et tactique d’aujourd’hui est naturellement profondément atti­rée et marquée par les promesses offertes par les nouvelles technolo­gies. Cette approche a pourtant montré au cours de l’histoire, qu’elle était généralement inefficace. Ainsi que le souligne fort justement l’historien britannique Lawrence Freedman, la « tentation constante de croire qu’il existerait des solutions technologiques à des problèmes essentiellement politiques »19 n’incite ni les prospectivistes, ni les stratégistes à prendre en compte de façon suffisamment globale les ruptures opérationnelles pré­visibles. Le problème principal réside dans la difficulté de déterminer avec précision l’impact probable d’une nouvelle technique sur l’art de la guerre. Souvent, cet impact est soit sous­estimé, soit surestimé, ou alors produit des effets tout autres que ceux prévus. L’histoire démontre par ailleurs, et nos récents engagements le prouvent, que la technologie et la puissance de feu ne garantissent ni la victoire, ni la paix, si l’usage de cette supério­rité n’est pas guidé par des ambitions et une volonté politique clairement établies avant même l’engagement au combat. L’absence de définition d’objectifs politico­militaires et stratégiques est en soi un gage d’échec. La résurgence de la prééminence du facteur moral, entendu de manière collective, sur le fait technologique, donne ainsi une toute autre résonance à cette célèbre citation du maréchal Foch : « Accepter l’idée d’une défaite, c’est être déjà vaincu ».

 

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Titre : Quelques réflexions autour de Gladiator 2/2
Auteur(s) : Colonel Fabrice CLÉE, chef du pôle études et prospective
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