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Renard ou lion? Sommes-nous les dignes descendants du Maréchal de Villars ?

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Sous le prisme des engagements récents qui allient technologie, audace et effet de surprise, la ruse demeure un principe incontournable permettant à l’un des belligérants de prendre l’ascendance sur l’autre.


«Toute guerre est fondée sur la tromperie». Cette citation de Sun Tzu extraite de «L’art de la guerre», traité de stratégie écrit au VIème siècle avant JC, conserve encore aujourd’hui toute sa sagacité. Face à un usage de plus en plus courant de la guerre non-conventionnelle et compte tenu de l’échec relatif de la technologie militaire dans les opérations de contre-insurrection, il s’avère crucial pour les forces occidentales de se réapproprier certains principes opératifs incontournables où la ruse figure parmi les plus illustres.

Procédons par étapes et définissons tout d’abord la ruse autrement appelée, selon les époques et les pays, déception ou tromperie. La ruse est le fait de vouloir induire l’adversaire en erreur en le trompant délibérément et/ou de l’entraîner à commettre une imprudence sans qu’il y ait nécessairement tromperie[1]. Ainsi, l’utilisation de la ruse est jugée comme parfaitement licite par le protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949 même si l’article 37 en restreint le champ d’application en interdisant notamment certaines pratiques qualifiées de perfides (feindre par exemple le statut de non-combattant). Selon Sun Tzu, l’art de la ruse doit être employé en permanence (avant et pendant la confrontation) et à tous les échelons tant au niveau diplomatique, politique que militaire. Nous réduirons à dessein notre champ d’investigation à l’emploi de la ruse dans le cadre militaire.

Principe connu du grand public, mais qui n’en demeure pas moins énigmatique du fait de son aspect évolutif, la ruse revêt différentes formes. Ces différences se retrouvent également dans les écoles de pensée qui s’opposent au sujet de l’emploi et de l’importance de la ruse dans les opérations. Dans un contexte marqué par des engagements terrestres de plus en plus coercitifs, doit-on considérer la ruse comme un procédé suranné ou conserve-t-elle encore toute sa pertinence?

Sous le prisme des engagements récents qui allient technologie, audace et effet de surprise, la ruse demeure un principe incontournable permettant à l’un des belligérants de prendre l’ascendance sur l’autre.

De nos jours, l’usage de la force étant très limité dans nos sociétés occidentales en raison de l’opinion publique, le recours à la ruse peut apparaître comme un nouveau mode d’action permettant de conserver l’initiative sur notre adversaire.

 

La ruse: principe polymorphe, source d’incompréhension

 

Nombre d’ouvrages de doctrine, notamment ceux émanant des forces armées américaines, définissent la ruse comme l’ensemble des mesures conçues pour tromper l’ennemi par dissimulation, manipulation ou falsification de données en vue de l’induire en erreur et de le pousser à réagir d’une manière préjudiciable à ses intérêts. Dans la compréhension de ce terme, une réelle dichotomie existe entre sa forme passive et sa forme active.

La première de ces formes, et certainement la plus connue des deux, est la dissimulation. Ce procédé, simple d’emploi, fut de tout temps mis en œuvre par les armées pour occulter leurs véritables intentions. Ainsi, le belligérant qui a recours à la dissimulation vise à cacher le vrai et à maintenir l’ennemi dans l’ignorance. La préservation du secret devient donc primordiale. Ceci se traduit notamment par la classification des documents pour éviter la fuite d’informations sensibles vers le public comme ce fut le cas en novembre 1942, quand peu de jours avant son déclenchement, un journal new-yorkais annonçait la prochaine invasion de l’Afrique française du nord. Aux niveaux tactique et opératif, le secret est avant tout obtenu par le camouflage.

De nos jours, la dissimulation est devenue plus difficile en raison des moyens d’observation et de géolocalisation, mais conserve néanmoins son intérêt. Au cours des bombardements du Kosovo et de la Serbie en 1999, l’aviation de l’OTAN ne détruisit qu’une très faible partie du potentiel militaire serbe du fait d’une remarquable maîtrise de l’art du camouflage.

Au regard d’évènements contemporains comme l’utilisation du camouflage par les Serbes au Kosovo en 1999 ou plus récemment par les combattants d’AQMI au Sahel, la forme passive de la ruse conserve donc un certain intérêt tactique et opératif pour les forces terrestres. Cependant, ces dernières années ont démontré que la dissimulation ne garderait sa pertinence que si elle était pleinement intégrée à un cadre plus général englobant la forme active de la ruse, autrement appelée la déception. Ainsi, il existe un cas très intéressant de camouflage actif-passif qui eut lieu au cours de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. À l’automne 1943, de nombreuses photos aériennes furent prises de l’île de Rabaul, en Nouvelle-Guinée, laquelle abritait un important complexe aéronaval japonais avec près de 110.000 hommes. Ces clichés montraient de très nombreuses maquettes d’avions sur différents sites de l’île. Ces leurres ne trompèrent pas les Américains et ces derniers reportèrent leur effort sur d’autres sites. Jusqu’à la fin de la guerre, ils utilisèrent ce complexe comme zone d’entraînement pour les équipages de bombardiers nouvellement affectés dans le secteur. Or, en 1944, l’un d’eux toucha l’une des maquettes et s’ensuivit plus de quatre heures d’explosions secondaires. Ainsi, il s’avéra que les Japonais avaient utilisé ces structures gonflables représentant des avions comme des soutes à carburant et à munitions.

 

 

Churchill écrivait dans ses «Mémoires de guerre»: «En temps de guerre, la vérité est tellement précieuse qu’elle doit être protégée par un rempart de mensonges». La déception, forme active de la ruse visant à fournir à l’adversaire des éléments erronés, est un procédé qui connaît de nos jours, à l’heure des systèmes «réseau-centrés» et de la guerre de l’information, un regain d’intérêt. Plus complexes que la dissimulation, trois niveaux de déception existent: stratégique, opératif et tactique.

Nous nous cantonnerons aux aspects opératif et tactique. En préambule, il est important de savoir que cette catégorisation dépend de l’effet à obtenir.

Ainsi, les opérations de ruse au niveau opératif ont pour but d’instiller la confusion dans l’esprit de l’adversaire au sujet de l’opération qui doit être déclenchée prochainement. L’utilisation de maquettes et de structures factices est certainement l’exemple le plus connu d’entre tous. Lors de la bataille d’El Alamein en 1942, le Général Charles Richardson, membre de l’état major du Maréchal Montgomery, conçut une manœuvre de déception de grande ampleur pour induire Rommel en erreur. L’objectif était de faire croire à une attaque en provenance du sud. À ce titre, les Anglais déployèrent des dépôts logistiques factices ainsi que des batteries d’artillerie à proximité d’une probable ligne de débouché tandis qu’ils concentraient de nuit les troupes auprès de la véritable ligne de débouché, à l’est.

 

Au niveau tactique, les opérations de déception cherchent à induire directement en erreur l’ennemi auquel nous faisons face. C’est ce que fit Hannibal face à Flaminius en 217 avant JC lorsqu’il simula un mouvement vers Rome en vue d’engager les troupes romaines sur un terrain favorable.

 

Pour conclure cette première partie, et avant d’évoquer les deux principales écoles de pensée qui s’affrontent au sujet de la pertinence de la ruse, il semble intéressant de s’attarder quelques instants sur l’exemple le plus abouti de la ruse combinant dissimulation et déception: l’opération FORTITUDE qui eut lieu au cours du premier semestre de l’année 1944 dans le cadre de la préparation du débarquement en Normandie. Ainsi, le 5th Wireless Group-electronic warfare créa d’innombrables réseaux radios en vue de simuler une concentration de forces aux ordres du Général Patton face au Pas-de-Calais et de tromper les stations d’écoute allemandes (ruse active). Parallèlement, des bombardements intensifs sur des voies de communication dans le nord de la France eurent lieu de janvier à avril 1944 en vue de conforter les Allemands sur l’hypothèse d’un débarquement dans le Pas-de-Calais. Enfin, des fuites contrôlées dans les canaux diplomatiques furent orchestrées par les services secrets alliés. Dans le même temps, la concentration des forces alliées entre Plymouth et Newhaven se fit en toute discrétion en face de la Normandie (ruse passive). Ultime mesure, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, des milliers de mannequins surnommés «Rupert» furent largués au nord de l’estuaire de la Seine afin de définitivement leurrer l’OKW[2].

 

Cette opération audacieuse, quoique ancienne, démontre la place prépondérante que peut encore occuper la ruse dans les opérations.

 

La ruse: principe controversé opposant l’école du renard à celle du lion

 

Dès l’antiquité, bien avant que les écrits de Sun Tzu n’atteignent l’Occident, des auteurs tels que Frontin et Polyen opposent deux manières de faire la guerre, celle du renard et celle du lion. Cette opposition se comprend au travers de la place que doit tenir la ruse dans la préparation et la conduite des opérations. Il s’agit de savoir si la ruse détient ou non une place prépondérante.

Tout d’abord, il convient de s’attaquer à un poncif qui cantonne l’école du renard à la sphère orientale. Certes, «L’art de la guerre» de Sun Tzu est incontournable dans toute étude portant sur la ruse, mais il ne doit pas occulter les nombreuses publications qui traitèrent ce sujet en Occident, avec des auteurs aussi illustres que Machiavel ou le comte de Guibert. La première traduction en langue occidentale de «L’art de la guerre» ne fut d’ailleurs éditée qu’en 1772.

Mais quel est donc alors le postulat de ce courant de pensée? Celui-ci considère la ruse comme la base de toute opération victorieuse, c’est l’arme de choix. Dans sa forme simple, ce procédé a recours à l’emploi simultané de deux forces indépendantes mais coordonnées, l’une ayant pour mission de détourner l’intérêt de l’ennemi et la seconde ayant pour mission de conduire l’action principale. Cette manœuvre globale en deux échelons mêlant dissimulation et déception a pour finalité de priver l’ennemi de son centre de gravité. L’objectif final recherché est de contraindre l’ennemi à s’engager à mauvais escient suite à une feinte. L’un des plus brillants généraux confédérés T.J. «Stonewall» Jackson, vainqueur à Bull Run en 1861, exprimait cela dans un axiome: «Mystifier, induire en erreur et surprendre l’ennemi». Comme l’écrivait Jean Guitton dans «La pensée et la guerre», «ruser, c’est altérer chez l’ennemi le calcul du probable» et l’entraver ainsi dans sa volonté d’user pleinement de la force comme le préconise l’école du lion.

 

Face aux adeptes de l’école du renard se trouvent les partisans de la force qui considèrent le recours à la ruse comme négligeable voire inutile.

Pour Clausewitz[3], l’emploi de la ruse est une perte de temps et une valeur incertaine, c’est l’option de dernier recours. La ruse n’est à ses yeux qu’un auxiliaire de la force. L’issue de la guerre se décidant avant tout par l’épreuve de force et la bataille décisive, la ruse ne peut être pour lui qu’un agrégat parmi d’autres mais en aucun cas un facteur décisif. Ainsi, la ruse ne peut être employée que dans le cadre de conflits limités et certainement pas dans le cadre de conflits majeurs où se confrontent des armées de masse. Le cas de l’opération FORTITUDE, précédemment citée, démontre cependant les limites de l’argumentaire de Clausewitz concernant l’emploi de la ruse. Enfin, l’omniprésence de l’auteur de «De la guerre» au sein de la pensée milliaire a eu pendant longtemps pour conséquence directe une certaine forme de désaffection pour la ruse. Les opérations terrestres de la Première Guerre mondiale, se caractérisant par un usage systématique de la force, l’illustrent de la manière la plus probante.

Antoine de Jomini[4], quant à lui, évacue tout simplement la ruse comme paramètre de la conception et de la conduite des opérations. La ruse n’est pas importante et ne mérite pas d’être étudiée.

 

Ce dernier constat est intéressant à plus d’un titre car il démontre l’ouverture d’esprit des Américains, qui ne se laissent enfermer dans aucun carcan intellectuel. Imprégnées de la pensée jominienne, les armées américaines n’en demeurent pas moins pragmatiques. Dépassant les clivages conceptuels, elles ont démontré à de nombreuses reprises qu’elles accordaient une très grande place à la ruse dans leurs opérations, comme ce fut le cas dernièrement lors de la seconde bataille de Falloujah en Irak en novembre 2004.

 

La ruse apparaît comme un nouveau mode d’action à privilégier

 

Il faut se rendre à l’évidence. Au cours de ces dernières années, ce sont surtout les organisations terroristes qui ont eu recours le plus activement aux opérations de déception. Le succès opérationnel et médiatique des attaques du 11 septembre 2001 est essentiellement dû à une remarquable maîtrise de l’art de la ruse. Se sachant épié (réseau Echelon), Al Qaïda utilisa des moyens tombés en désuétude pour maintenir ses communications tout en continuant d’utiliser les moyens de communication actuels en vue d’intoxiquer les agences de renseignement occidentales. C’est ainsi qu’Al Qaïda utilisa des estafettes pour transmettre ses directives opérationnelles aux différentes entités de l’organisation. Dans le registre de la dissimulation, les équipes terroristes qui perpétrèrent les attaques du 11 septembre s’attachèrent pendant plusieurs mois à se fondre le plus possible au sein de la société américaine en adoptant une tenue vestimentaire occidentale et en évitant les mosquées. Ce procédé de camouflage, aussi simple soit-il, permit à tous les membres des équipes de passer aisément les contrôles dans les aéroports.

À l’aune de ce constat et en vue de trouver des réponses efficaces aux nouvelles menaces, il convient de réfléchir sur la pertinence de se réapproprier les savoir-faire liés à la ruse.

Tout d’abord, nous assistons dans les sociétés occidentales depuis la fin du second conflit mondial à un rejet de toute forme de violence, d’où une limitation de l’emploi de la force et une recherche systématique d’un règlement pacifique. Le poids de l’opinion publique qui peut se retourner très facilement après de lourdes pertes explique également ce déni. La ruse apparaît donc comme un moyen de compenser ce déficit de force. Elle peut aussi être un moyen pour démultiplier la force et emporter la décision lorsque les deux belligérants disposent de forces semblables. La dissimulation et la déception peuvent par conséquent concourir à l’application de l’un des principes de la guerre de Foch qui est l’économie des moyens, la ruse permettant indubitablement au chef de compenser un déficit de moyens ou de les allouer à d’autres missions. Le 26 juillet 1712, Villars, commandant la dernière armée du royaume qui se trouvait alors dans une situation extrêmement défavorable, réussit à défaire le prince Eugène à Denain grâce à l’application de ce principe qui se traduisit par le fractionnement de son armée sur plusieurs routes induisant ainsi en erreur son adversaire.

Les exemples de victoires dues à l’emploi de la ruse sont multiples. Cependant, nos armées sont-elles instruites à ces procédés? Contrairement aux armées israéliennes, mais surtout américaines, qui ont érigé la ruse au rang de concept interarmées avec la Joint Publication 3-13.4 Military Deception, les armées françaises ne semblent pas avoir pris en compte cette notion dans sa globalité. À l’exception de quelques publications émanant d’écoles d’arme, il n’existe pas de documents de doctrine relatifs à ce sujet. Par ailleurs, il n’existe pas actuellement, dans les écoles de formation initiale, d’instruction ou tout du moins de sensibilisation aux notions de déception et de dissimulation. Certes, certaines règles de camouflage sont rappelées aux élèves lors des phases pratiques sur le terrain, mais ces procédés ne sont en aucun cas développés au niveau de concepts et incorporés aux phases de conception des ordres et de conduite d’une opération. Il semblerait par conséquent opportun de réintroduire dans le corpus des cours dispensés dans les écoles et les centres de formation des séances d’instruction dédiées à la mise en œuvre de la dissimulation et de la déception au niveau tactique, en vue de démentir l’assertion du comte de Guibert qui conserve malheureusement toute son acuité: «Nous n’avons pas, il faut en convenir, la moindre idée de ce genre de guerre».

«C’est ce à quoi l’ennemi s’attend le moins qui réussira le mieux», disait Frédéric II au XVIIIème siècle. La ruse, qui englobe un large panel de procédés comme la dissimulation ou la déception, est une notion qui a connu récemment un regain d’intérêt en raison notamment du développement de conflits asymétriques, le faible utilisant des subterfuges en vue d’annihiler la supériorité numérique ou technologique de son adversaire. Même si, dans un conflit conventionnel de haute intensité, la ruse ne peut suffire dans la durée si elle n’est pas complétée par la force, elle n’en demeure pas moins actuellement un facteur de réussite dans la conduite des opérations que nous connaissons tant en Afrique subsaharienne qu’en Asie centrale.

 

Devant faire face à de nouvelles menaces dont les contours sont particulièrement mouvants, notre manière de planifier, concevoir et conduire les opérations doit s’émanciper des cadres préétablis en vue de surprendre l’ennemi.

Demain, nous vaincrons si nous faisons preuve de ruse, d’audace, de réactivité et de perspicacité. Charge à nous de changer les mentalités et d’instruire les nouvelles générations afin de les préparer au mieux aux engagements auxquels elles seront confrontées.

 

 

[1] Définition issue et traduite de «Primer on deception» (cf bibliographie).

[2] OKW: L’Oberkommando der Wehrmacht était le commandement suprême des forces armées allemandes de 1938 à 1945.

[3] Carl Von Clausewitz (1780-1831) est un officier et théoricien militaire prussien. Il est l’auteur d’un traité majeur de stratégie militaire: «De la guerre».

[4] Antoine de Jomini (1779-1869) est un banquier, militaire, historien et théoricien de la stratégie militaire, ayant fait partie de l’état-major de Napoléon puis de celui du tsar Alexandre 1er.

 

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Titre : Renard ou lion? Sommes-nous les dignes descendants du Maréchal de Villars ?
Auteur(s) : le Chef d’escadrons Sylvain BENARD
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