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S’inspirer du nomadisme ?

Revue militaire générale n°56
Histoire & stratégie

Un groupe de nomades Reguibat, appelés « hommes bleus » par leur port d’un chèche bleu, passé en revue avant un départ en mission dans les années 50. Lors de déplacements qui peuvent durer plus d’un mois, ces groupes ont pour mission de s’informer des passages indépendantistes à la frontière algéro-marocaine en établissant des contacts avec les autres nomades venant de Mauritanie ou du Maroc. © Gérard BEAUVAIS/ECPAD/Défense
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L’affrontement entre nomades et sédentaires apparaît comme une constante dans les conflits. Encore aujourd’hui, les adversaires (particulièrement au Sahel) auxquels se retrouve confrontée l’armée française utilisent des modes d’actions fortement inspirés par le style de vie nomade. Une réappropriation du fait nomade ne peut donc qu’être utile, à la fois pour mieux comprendre ceux que nous combattons mais aussi pour développer d’autres capacités nous permettant de mieux prendre l’ascendant. Ainsi l’étude de l’origine du combat nomade mongol, l’évocation de la nomadisation de troupes « occidentales » dans l’Histoire et ce que cette évolution leur a apporté pourraient permettre aux unités « conventionnelles » de réinvestir ce champ de la guerre.


Je vous le dis avec certitude, si vos paysans, je ne dis pas vos rois et vos seigneurs, consentaient d’aller comme les rois des Tartares et de se contenter de la même nourriture, ils pourraient s’emparer du monde entier »1. Les nomades ont de tout temps fasciné. L’empire mongol n’a-t-il pas été le plus grand empire territorial ? Ces « sauvages » venus des steppes ont réussi à s’emparer du territoire le plus vaste de l’Histoire alors que personne ne les attendait. Leur mode de vie, leur organisation, leurs ambitions doivent donc bien avoir quelques vertus pour avoir conduit à de tels succès. De plus, le conflit entre sédentaires et nomades est certainement une des raisons les plus anciennes d’affrontement. Enfin, ce mode de vie si singulier, bien que menacé, continue d’exister dans les steppes de la lointaine Asie. Cette résistance à « la dégradante obligation d’être de son temps » comme la décrivait Hannah Arendt est en soi un exploit. N’avons-nous donc pas encore aujourd’hui des leçons à apprendre de ces cavaliers-archers ? Dans un monde moderne, majoritairement sédentarisé, qui tire sa force de ses racines, le nomadisme ne semble pas être l’inspiration première y compris pour les forces armées. Il n’y a guère plus que les enceintes portables qui soient « nomades »...

Pourtant les conflits d’aujourd’hui semblent encore être un affrontement entre sédentaires, retranchés dans des camps (les FOB Forward Operating Bases) et nomades beaucoup plus mobiles. L’impact des pertes, les rapides évolutions technologiques, la difficile compréhension des enjeux de conflits lointains tout cela pousse les armées occidentales à se sédentariser davantage quand leurs adversaires eux se montrent de plus en plus mobiles. L’Histoire montre que l’avantage, malgré une supériorité technologique, n’a pas toujours été du côté des sédentaires. Il semble donc utile de se réapproprier le nomadisme à la fois pour comprendre l’adversaire mais surtout pour avoir « d’autres cordes à nos arcs » nous permettant de prendre l’ascendant.

Pour s’inspirer du nomadisme il est donc utile de rappeler l’histoire de l’empire et comment, de Temudjin à la Horde d’Or, les nomades ont conquis au XIIIe siècle un territoire s’étendant des rives orientales de la Chine et de la Russie jusqu’aux portes de Vienne. Ensuite comment par le passé, le combattant occidental a déjà réussi à adopter des modes d’action nomades. Enfin pourquoi les armées pourraient être aujourd’hui inhibées par une trop grande sédentarisation et comment elles pourraient retrouver de la capacité opérationnelle par une réappropriation de ce qui fait la force du nomadisme.

 

De Temudjin à la Horde d’Or

 

« Je veux oublier que le retour est inévitable »2.

 

« TCHOU !! », c’est par cette onomatopée prononcée tel un coup de fouet, que les descendants de Gengis Khan lancent encore leurs chevaux au galop dans la steppe. Cette vie nomade qui semble par définition vouée à passer, un royaume fait d’éphémère, est finalement d’une pérennité étonnante. Ce mode de vie demeure, probablement car c’est le seul qu’autorise ce territoire aussi rude. Face à l’immensité aride de la steppe la sobriété est de mise. Les yourtes continuent de constituer les paysages de la banlieue d’Oulan-Bator, par fierté sûrement, nostalgie, aussi, mais surtout car la yourte constitue l’essence de ce qui fait la force des nomades. La liberté qu’offrent la mobilité et le peu de propriété. Les assauts de la modernité ne sont donc pas encore venus à bout d’un mode de vie qui n’a pourtant rien de séduisant.

Pour en revenir à Gengis Khan, sa réalisation première, à l’origine de tous les succès qui suivront, est l’unification des tribus vers 1200. Ainsi unies, elles arrêteront de se faire la guerre entre elles pour la porter contre d’autres. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelles tribus. Celles-ci sont soumises à des conditions de vie qui produisent des hommes endurants et prédateurs. La résilience des hommes est donc une donnée d’entrée et la rusticité, leur mode de vie naturel. La préparation opérationnelle est permanente et s’effectue essentiellement par la pratique de la chasse. Bien plus qu’un sport il s’agit d’une nécessité de survie, la motivation et le sens sont donc évidents. Ensuite elle s’effectue à cheval. Tout le monde est donc à jour de ses qualifications de pilotage et maîtrise parfaitement son « véhicule ». Le tir est régulièrement pratiqué et la sanction n’est pas un « H+L »3 valorisant mais le repas du soir. Enfin, la chasse est un travail collectif qui exige d’atteindre un niveau optimum d’interopérabilité.

Après l’unification des tribus, Gengis Khan va étoffer l’organisation militaire. Elle était préexistante, mais il va la densifier et mettre en place une forte discipline. Ensuite la sélection des chefs s’effectue au mérite.

L’origine ethnique ou sociale importe peu à Gengis Khan, seule la valeur humaine compte. Ce système de promotion a plusieurs vertus. La première est que les chefs issus de la troupe sont particulièrement fidèles. Ils savent à qui ils doivent leur ascension. Ensuite la performance étant l’élément clé pour gravir les échelons, Gengis Khan est donc assuré de s’entourer des meilleurs. Enfin cela participe à casser l’organisation tribale et à créer la cohésion de l’ensemble. Cette justice dans l’organisation est renforcée par l’exemplarité des chefs. La « ration de combat » est la même pour tous, tout comme les conditions de vie. La légitimité est donc totale.

Qu’en est-il maintenant de la tactique adoptée pendant les combats ? L’image qui reste de ces hordes nomades est souvent celle de sauvages détruisant tout sur leur passage. Telles les sauterelles des dix plaies d’Égypte4, leur légende, pas toujours usurpée, figure des essaims d’hommes-chevaux, arrivant aussi vite qu’ils repartent, pour ne laisser que désolation derrière eux. La réalité est sensiblement différente. Les Mongols avaient en effet une véritable stratégie, qui se confondait chez eux avec la tactique et qui était particulièrement aboutie. L’objectif général étant le même : assurer la survie des tribus réunies en s’emparant de territoires leur permettant de vivre.

 

La préparation

 

Toute opération est préparée ; par du renseignement, des reconnaissances et une campagne d’information voire des opérations psychologiques. Tout territoire vers lequel les troupes souhaitent se porter est reconnu afin d’en identifier les voies de circulation et les possibilités de ravitaillement. Le renseignement a pour but de comprendre l’état d’esprit des peuples qu’il est prévu de soumettre ainsi que leur organisation. Enfin les campagnes d’information permettent de diffuser la terreur qui fait déjà la réputation des hordes mongoles mais pas uniquement. En fonction de l’adversaire et du but recherché il est parfois jugé plus utile au contraire de rappeler par exemple la grande tolérance religieuse du futur envahisseur. Cela témoigne déjà de l’adaptabilité de Gengis Khan qui ne se contente pas d’une tactique prédéfinie mais cherche à mener les opérations qui seront les plus efficaces au moindre coût.

 

La formation de bataille

 

Le mouvement et le feu5 sont les caractéristiques majeures du combat. Chaque combattant y contribue, la distinction se fait donc entre cavalerie lourde et cavalerie légère. La première est à l’avant du dispositif sur deux rangs avec des espaces entre chaque cavalier. Les chevaux sont caparaçonnés6, les soldats cuirassés et armés de lances (urga) avec un crochet. La seconde est à l’arrière sur trois rangs. Les soldats cette fois armés de deux arcs pour des tirs longues distances ou plus rapprochés. Le combat débute par des tirs à longues distances de la cavalerie légère pour commencer à user l’adversaire. Une fois celui-ci affaibli, la cavalerie lourde s’élance pour provoquer le choc et désarçonner. Le contact établi, la cavalerie légère s’infiltre dans les espaces laissés par la cavalerie lourde pour poursuivre l’attrition par des tirs cette fois plus rapprochés. L’objectif étant malgré tout d’éviter le contact ou au pire de le limiter7 ce qui a le don de frustrer l’adversaire sédentaire qui n’a pas l’habitude de combattre à distance et cherche au contraire le contact pour pouvoir utiliser l’épée. Enfin les ordres sont donnés par drapeaux le jour et lanternes la nuit, en silence, ce qui augmente encore la vitesse d’exécution de la manoeuvre des cavaliers-archers.

 

Les modes d’action

 

Tout d’abord les modes d’action sont liés à la culture stratégique des Mongols marquée par le fait géographique de la steppe. La dispersion et la déconstruction de l’armée adverse seront privilégiées. Ce morcellement de l’ennemi a cet avantage majeur qu’il permet de renverser un rapport de force souvent originellement défavorable. Le maître mot est l’usure. Elle est rendue possible car les nomades ne se soucient pas de temps8. Ils n’ont pas de délais à respecter. Le chamanisme imprègne leur relation au temps. Tout dans la steppe n’est qu’éternel recommencement. Ainsi en va-t-il de leurs campagnes qu’ils peuvent interrompre plusieurs mois avant de revenir à l’attaque. De plus, les familles suivent. Ils ne sont donc jamais déracinés et partout chez eux. Armés pour user. Cette tactique est d’autant plus efficace que l’ennemi, lui, n’a pas cette souplesse. Pour atteindre cet objectif ils mènent des attaques successives foudroyantes entrecoupées de retraits en ciblant les parties adverses identifiées comme les plus faibles. Ils vont ensuite feindre la retraite pour attirer l’ennemi dans des embuscades ou réellement retraiter pour se réorganiser et contraindre l’adversaire à une poursuite susceptible de le couper de ses ravitaillements. Enfin, l’ennemi acculé, ils ménagent une échappatoire pour mieux le massacrer pendant sa fuite. Ils surprennent toujours l’ennemi car ils s’adaptent aux circonstances et n’ont pas le même rapport au temps et à la logistique.

 

Le retour d’expérience

 

Bien que réputés pour, au mieux, asservir ou, au pire, détruire les vaincus, les Mongols se sont montrés plus fins que cela. Cette subtilité vient du fait que, après l’unification des tribus, tout était à reconstruire. Gengis Khan a donc fait preuve d’une ouverture totale. L’absence de préjugés lui a permis de s’approprier les techniques de ses adversaires. Les peuples conquis n’étaient pas déconsidérés et leurs qualités ou capacités étaient reconnues avec lucidité. L’apprentissage des compétences des peuples conquis a permis aux hordes de développer leur art de la guerre. L’exemple le plus évident est l’intégration des ingénieurs chinois et plus particulièrement de leurs connaissances en matière de poliorcétique9, domaine totalement inconnu des nomades. Les Mongols, aussi inattendu que cela puisse paraître, ont fini non seulement par maîtriser l’art du siège mais également par le perfectionner. Ils l’ont notamment mis en oeuvre avec succès lors de la campagne du Khorezm10. Ils utilisent également les troupes étrangères comme supplétifs en confiant l’infanterie aux Chinois et la garde de garnisons aux Perses.

 

La logistique

 

Enfin il est bien évidemment impossible de faire l’impasse sur la logistique nomade. Leurs besoins limités pourraient amener à penser qu’elle est négligeable. En réalité, si leur empreinte logistique est faible, l’organisation est, elle, bien existante quoique peu visible car particulièrement efficace. Ils peuvent déjà se projeter loin et longtemps en pouvant effectuer plus de 100 kilomètres par jour. Cela est possible car chaque combattant dispose de trois à cinq chevaux de remonte. Il peut ainsi changer de monture soit qu’elle ait besoin de repos soit qu’elle soit blessée. Pour le ravitaillement, ils utilisent ce qu’ils trouvent sur le chemin. Malgré tout, « des siècles avant que l’Amérique n’invente son légendaire Pony Express, Gengis a conçu un vaste système de relais à cheval »11. D’un point de vue culinaire, là encore, la frugalité est de mise. Cet échange entre le gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin et un capitaine de Croates en est une parfaite illustration : « Mein Gott, me disait, en 1815, un capitaine de Croates à qui je donnais à dîner, il ne faut pas tant d’apprêts pour faire bonne chère. Quand nous sommes en campagne et que nous avons faim, nous abattons la première bête qui nous tombe sous la main ; nous en coupons un morceau bien charnu, nous le saupoudrons de sel, […] nous le mettons sous la selle, […] nous donnons un temps de galop, et […] nous nous régalons »12. Enfin le moral de la troupe est assuré par la présence permanente des familles qui suivent les combattants et les rattrapent pour s’installer avec eux à chaque temps de pause. Ils ne sont donc jamais totalement dépaysés et cette force morale est capitale pour le combat.

Qu’en est-t-il des nomades mongols aujourd’hui ? Le maintien du nomadisme comme mode de vie relève d’un équilibre précaire13. La modernité a vite fait de sédentariser. Pourtant, attachés à leurs traditions et vivant dans un milieu peu propice à un urbanisme « débridé », les Mongols ont jusqu’à présent réussi à tirer le meilleur parti des avancées technologiques pour maintenir leur culture et surtout donner envie aux jeunes générations de la perpétuer. Ainsi, si les troupeaux de chevaux galopent toujours dans la steppe, leurs gardiens alternent la monte à cheval avec celle de leurs motos chinoises (motos sur lesquelles on retrouve nos adversaires au Sahel). Des panneaux solaires et des éoliennes individuelles alimentent les yourtes. Ainsi le nomadisme se perpétue sans s’isoler mais le faire perdurer reste un défi quotidien.

Pour résumer « tous les maîtres mots attribués généralement à la Grande Armée, qui incarne aujourd’hui la quintessence de la révolution militaire, sont déjà présents dans l’armée gengiskhanide : mobilité, flexibilité, articulation, capacité de déplacement, adaptabilité, rôle central du feu, masse, qualité des voies de communication, de la préparation, du renseignement et de l’espionnage »14. Huit siècles après ces conquêtes fulgurantes on peut dire que l’esprit guerrier chez les Mongols a été préservé de la façon la plus traditionnelle qu’il soit. Le témoignage le plus évident : les trois sports nationaux en Mongolie qui demeurent la lutte, le tir à l’arc et la course à cheval. Trois disciplines emblématiques du combat nomade.

 

« Les hommes sont surtout fascinés par ce qui est le plus éloigné d’eux »15

 

« S’il faut lutter contre des nomades, alors utilisons les moyens des nomades et les nomades eux-mêmes »16.

On a pu observer chez certains Occidentaux ce que l’on pourrait décrire comme une « orientalisation » des combattants. Ces hommes sont « tombés amoureux » de la terre sur laquelle ils combattent mais aussi de la culture des hommes qui l’habitent. Pourtant ce processus est postérieur à un autre qui est la recherche d’efficacité. Leur intelligence de situation ou leur bon sens leur a permis de comprendre que la victoire ne serait possible qu’en s’appropriant les techniques des adversaires, souvent nomades. Ainsi des modes d’actions nomades ont déjà été adoptés par des Occidentaux que ce soit pour s’adapter au terrain, à l’adversaire ou au deux.

Tout d’abord, en France, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle le « Groupe alpin », « GTIA nomade » avant l’heure, est mis sur pied. L’objectif est de protéger la frontière avec l’Italie face à une montée en gamme des « Alpini » transalpins. Il ne s’agissait donc pas de conquérir un territoire ni de soumettre un adversaire, mais bien de défendre et d’adopter le dispositif le plus cohérent dans un terrain naturellement cloisonnant et donc nécessitant une grande autonomie. Un bataillon de chasseurs alpins avec sa batterie d’artillerie de montagne, sa section de sapeurs, ses signaleurs, un fort échelon muletier et son escouade franche d’éclaireurs à pied partait en autonomie pour surveiller un secteur de la frontière franco-italienne ou cartographier des zones encore peu connues. Les hommes allaient donc nomadiser loin de leur caserne, de mai à septembre, dormant alternativement dehors ou chez l’habitant et utilisant les populations comme guides. Cette formation a été largement inspirée par l’expérience acquise par le 12e bataillon de chasseurs à pied en Algérie. Ce bataillon y effectuera deux campagnes majeures entre 1864-1868 et 1875-1879. C’est notamment à compter du 1er janvier 1866, quand le bataillon rejoindra la colonne du colonel de Sonis, qu’il va développer ses « savoir-faire nomades »17. Ayant déjà une bonne connaissance de l’Algérie, le bataillon va pourtant vivre son expédition la plus pénible mais également la plus riche d’enseignements à compter du 15 avril 186618. En effet, le colonel de Sonis (fin connaisseur du terrain et des populations, amies comme ennemies) avait pour objectif de s’emparer de Si-Laâla. Pour cela il va lancer un « raid » qui va durer 45 jours avec une organisation inédite. Il va scinder sa colonne en deux, une légère à dominante cavalerie, avec des chameaux comme monture. Une seconde, « d’allègement », à dominante infanterie dans laquelle les bêtes portent les charges plutôt que les hommes. Cette adaptation permettra à la colonne légère d’atteindre son objectif en moitié moins de temps que prévu et ainsi surprendre son adversaire. L’utilisation de bêtes adaptées au terrain, l’adoption d’une organisation ad hoc permettant de mieux de remplir la mission, autant d’enseignements que le 12e bataillon ramènera dans les Alpes. Cette structure pragmatique fera également merveille au Maroc où Lyautey avait demandé des groupes alpins en renfort, groupes dont le style opérationnel inspirera son texte sur l’esprit chasseur19.

Autre continent et, cette fois, objectif de domination. Le général George Crook, artisan de la conquête de l’Ouest américain face aux Indiens a rapidement saisi l’intérêt de comprendre son adversaire, d’adopter une partie de ses modes d’action et d’intégrer certains de ses membres à ses unités via la création de sections mixtes. Il n’a pu vaincre les Apaches en 1871 que par la connaissance intime qu’il avait d’eux et par l’intégration d’Apaches dans ses unités de reconnaissance. Ce procédé s’apparente à l’utilisation faite par les Mongols des combattants chinois et perses dans l’objectif permanent d’utiliser les savoir-faire des adversaires pour combler ses propres lacunes. Le général William Sherman dira d’ailleurs du général Crook que c’était le meilleur de tous les combattants indiens. Comme les nomades mongols, sa logistique était supérieure à celle des autres unités bien qu’utilisant les mêmes moyens. Il était notamment très attentif aux soins portés aux mules dont il chargeait ses meilleurs hommes. Ensuite elles n’étaient équipées qu’avec le matériel le plus performant. Enfin, il s’investissait directement dans le plan de chargement de façon scientifique. Tout cela lui permettait de faire porter aux bêtes le double de poids de ce qui était habituellement prescrit. Finalement, là où ses prédécesseurs avaient échoué, il a réussi à pacifier l’Arizona et à faire rentrer les Apaches dans les réserves.

Pour les Français, celui qui a certainement le plus exploité la « nomadisation » est le commandant, futur général, Laperrine dans le Sahara. En 1891, il demande à rejoindre l’Afrique du Nord alors qu’il est capitaine de cavalerie au 2e régiment de dragons. Après quelques années sur place et par souci d’efficacité, il demandera à créer les compagnies méharistes sahariennes en 1897. Il s’agissait d’un outil qui était, d’après lui, le plus adapté pour remplir la mission. Cette création ne s’est pas faite sans résistance de l’administration et des autorités militaires qui voyaient d’un mauvais oeil cette sortie de la norme. Il a pourtant réussi et a recruté des nomades avec leur monture qu’il a placés sous les ordres de Français. Ces unités étaient caractérisées par leur légèreté, leur souplesse et leur peu de besoins. Les hommes étaient accoutumés aux rudesses du pays et en connaissaient les embûches. Enfin ils étaient toujours prêts et pouvaient se déplacer sans convoi. La première et plus déterminante preuve de leur efficacité fût le combat de Tit du 7 mai 1902 durant lequel le goum du lieutenant Cottenest mit en déroute un « rezzou » de 300 Touaregs. Bien que préexistantes, les cinq premières compagnies sahariennes sont officiellement créées le 30 mars 1902. Elles sont autonomes, composées d’environ 70 méharis et d’un encadrement mixte (Français et locaux). Bien qu’évoluant, le recours à ces unités nomades durera une soixantaine d’années. D’autres compagnies seront créées plus tard pour devenir les Compagnies Sahariennes Portées de la Légion étrangère (CSPL). Le général Laperrine sera rappelé au Sahara en 1917 par le général Lyautey afin de rétablir une situation qui ne cesse de se dégrader. Il sera à ce titre nommé commandant supérieur temporaire des Territoires Sahariens. Il réorganise donc de nouveau les unités et leur redonne confiance. Les nomades des compagnies sahariennes, qui avaient fini par se sédentariser20, s’étaient repliés derrière les murs des bordjs21 où ils attendaient les attaques des bandes rebelles. Ils quittent donc leurs abris et reprennent leur nomadisation sans pour autant s’affranchir des capacités que leur offrent les nouvelles technologies comme la radio pour les liaisons ou l’aviation pour éclairer et appuyer les troupes au sol. En six mois la sécurité est rétablie et les postes perdus ont tous été repris. Cet enseignement sera perpétué avec la création des groupements nomades autonomes à Djibouti, mis en oeuvre à compter de 1967 et officiellement reconnus en 1970.

En réalité la capacité à s’adapter au terrain et à l’adversaire va au-delà de la nomadisation. Ce qui ressort de l’histoire est qu’il est important de comprendre son ennemi et de lui opposer des modes d’action capables de briser son élan. Cela passe souvent par une appropriation des techniques de notre adversaire. C’est ce qu’a réussi à faire celui que le général de Lattre de Tassigny décrivait comme : « Le meilleur soldat d’Indochine », l’adjudant-chef Roger Vandenberghe, à l’origine de la création de commandos avec des soldats Viet-minh retournés en adoptant tous leurs codes, de la tenue aux modes d’action. Chef du commando 24 aussi connu sous le nom du commando des Tigres noirs, il avait confié à un de ses adjoints, le sergent Tran Dinh Vy, la rédaction d’un document reprenant les principes qu’ils appliquaient pendant les combats. Cette description correspond, pour beaucoup de ses points, à la tactique des nomades. Ainsi, dans le paragraphe méthode, il est écrit qu’il faut « manoeuvrer l’ennemi par des faux mouvements […]. Simuler des replis fictifs suivis de contre-attaques foudroyantes. Si l’ennemi est trop nombreux, ne pas l’attaquer inutilement ; se dissimuler ou se replier en se gardant »22. Il est également précisé qu’il convient d’utiliser les « méthodes habituelles de l’ennemi en y ajoutant le fruit de l’expérience acquise »23.

Finalement la synthèse idéale consiste à réussir à utiliser les avantages apportés par la technologie sans se reposer entièrement sur eux et surtout sans perdre sa mobilité et donc sa liberté d’action. Cela est possible et a déjà été fait : Turenne en 1675 lors de la bataille de Turckheim, von Manstein en 1943 lors de la troisième bataille de Kharkov. L’incarnation parfaite de cette synthèse étant probablement la Grande Armée de Napoléon. Ils disposaient de moyens que seuls les sédentaires peuvent s’offrir et ils ont su les utiliser sans se laisser fixer par le poids que ces nouvelles technologies pouvaient représenter.

La nomadisation de troupes occidentales n’est donc pas une donnée nouvelle et surtout, elle a fait ses preuves. Le plus étonnant est que les forces armées semblent osciller perpétuellement entre nomadisation et sédentarisation avec un tempo accusant un léger retard par rapport aux types de conflits auxquels elles font face. Le retranchement des troupes dans des camps au détriment de la patrouille longue durée a déjà montré ses écueils. Quant au nomadisme, tout ceux qui s’en sont inspirés ont connu des succès.

 

« Escadron blanc, déjà largué comme un vaisseau… »24

 

« Les deux guerriers les plus puissants sont la patience et le temps. N’oublie pas que les grandes réalisations prennent du temps et qu’il n’y a pas de succès du jour au lendemain »25.

Les armées occidentales et leurs alliés sahéliens font aujourd’hui face à un combat qui s’apparente, de nouveau, à un combat de sédentaires contre nomades. Nous pourrions penser le contraire dans la mesure où les forces se déploient loin de leur pays, sur le territoire de leur adversaire. Pourtant, une fois sur place, les troupes ont tendance à s’enfermer dans des camps. Cette tendance est évidemment justifiée par un besoin de protection, de soutien logistique et de remise en condition des hommes. Elle peut toutefois avoir des effets pervers et fixer les forces. Comment donc aujourd’hui se réapproprier le nomadisme pour redonner de la liberté d’action et de l’efficacité.

Au Sahel, les troupes gouvernementales, plutôt sédentaires par nature, sont traditionnellement opposées aux communautés nomades (Touaregs, Toubous, Goranes, etc.) et font en effet face à un adversaire nomade. La meilleure option reste encore d’en rallier une partie en jouant sur les oppositions internes des groupes mais ce ralliement n’est pas toujours possible. Les forces de l’opération Barkhane, du G5 Sahel et de la MINUSMA doivent donc aussi parfois affronter des pasteurs, les Peuls. La situation de ces éleveurs nomades s’est considérablement dégradée du fait de l’augmentation des sécheresses et de politiques économiques défavorables. Pour faire entendre leurs revendications ils ont donc commencé à pratiquer la « transhumance armée »26. Majoritairement musulmans, ils forment un terreau de recrutement pour les mouvements djihadistes de la région (principalement la katiba Macina ; hier le Mujao27). Le vieil affrontement entre nomades et sédentaires n’a donc jamais disparu. Quel est donc l’ennemi auquel nous faisons face et quels sont ses modes d’action ? Il est extrêmement mobile, projetant ses pick-up et ses motos comme une « cosaquerie motorisée »28. Il est autonome, se ravitaillant auprès de véhicules nourrices. Il cherche l’usure de l’adversaire et n’hésite pas à retraiter si le rapport de force lui est trop défavorable pour attaquer de nouveau à un autre moment ou un autre lieu qui lui sera plus favorable. Et surtout, il a le temps devant lui. Le cheval du nomade s’est donc motorisé : « la moto chinoise, reine des batailles ». Les combattants développent des savoir-faire de cascadeurs et cette cosaquerie est la plus simple possible combinant l’essentiel : la moto chinoise, la kalachnikov et le téléphone portable. « Les stratégies guerrières s’inventent aujourd’hui dans le Sahel. Toute la logistique de Boko Haram repose sur des pelotons de motos. Ces deux roues sont au service de “coups de main”, mais permettent aussi de concentrer rapidement des centaines de combattants, de pratiquer l’encerclement de village et de favoriser une rapide dispersion »29. Notre ennemi d’aujourd’hui combat donc d’une façon extrêmement proche de celle des nomades mongols. Face à cela, les forces armées locales réinvestissent aussi le nomadisme en recréant des unités méharistes. Ainsi, la garde nationale mauritanienne patrouille à dos de chameaux30. Sa filiation est ancienne puisqu’elle est née en 1911. Elle revient donc aux origines de sa création. D’ailleurs, elle recrute principalement parmi les nomades de l’est du pays et l’aristocratie guerrière du Hodh Ech Chargi. Cette unité n’a rien de folklorique et l’Union européenne a investi 300 000 euros pour financer l’achat de chameaux et de leurs équipements. L’ennemi comme les troupes gouvernementales reviennent donc aux bases du nomadisme car c’est la manière d’opérer la plus efficace dans un milieu semi-désertique ou désertique.

S’adapter à cette façon de combattre, pour des Occidentaux, ne semble pas impossible. En 2006, en Irak, le colonel Gronski, au moment de quitter Ramadi, établissait le constat qu’il faudrait au moins trois brigades pour contrôler la ville31. Or il n’était pas question de les y déployer. La solution est venue de l’intégration de soldats locaux. Le mouvement du réveil (Sahwa) composé de membres de tribus sunnites est venu « gonfler les effectifs ». Cette présence massive a permis aux Américains de quitter les bases à l’extérieur de la ville dans lesquelles ils s’étaient installés pour créer des postes de combat mixtes et réinvestir le centre-ville. Il n’aura fallu que huit mois après le départ du colonel Gronski et en appliquant cette tactique pour reprendre entièrement le contrôle de la ville. Conscient de l’efficacité de l’implication des locaux, le général Petraeus a étendu ce mode d’action à l’ensemble du théâtre d’opération. Les vertus sont nombreuses et avaient déjà été identifiées par les nomades : utilisation des connaissances terrain des populations locales ; recruter localement permet éventuellement d’avoir des ennemis en moins ; enfin cela permet de quitter les bases et donc un fonctionnement sédentaire pour retrouver de la mobilité32.

D’autres exemples, cette fois français, montrent qu’il existe une curiosité voire un intérêt pour le nomadisme dans les forces armées même si le procédé n’est pas totalement exploité. En 2014 en République centrafricaine, le groupement tactique interarmes Scorpion (5e RIAOM33) a mené des patrouilles nomades. Il s’agissait de patrouiller plusieurs jours, sur une longue distance en autonomie (vivres, eau, munitions, carburants). Avec pour objectif de mailler le territoire pour garantir la libre circulation des personnes, recueillir du renseignement et rassurer la population. Cette nomadisation a également permis de rencontrer de nombreux responsables locaux ce qui a contribué sans aucun doute à une meilleure compréhension de l’environnement et à renforcer la légitimité de la force. Plus récemment, en février 2020, c’est le groupement tactique désert (GTD) Altor, armé majoritairement par des légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes qui a nomadisé pendant un mois dans le Liptako, en autonomie, au côté des forces armées nigériennes. Afin d’être le plus agile possible, les ravitaillements se sont effectués par livraisons par air (LPA) à partir d’un A400M. Cette opération a permis d’inverser le paradigme entre nomades et sédentaires car, un groupement composé de forces sédentaires mais ayant adopté des modes d’action nomades a réussi à démanteler des plots logistiques fixes de forces, elles, nomades.

De façon plus précise que pourrions-nous aujourd’hui gagner à davantage nous « nomadiser » ? :

 

Unités mixtes

 

À l’image des compagnies méharistes, la création d’unités mixtes est une bonne solution pour redonner de la souplesse aux forces et les aider à s’adapter plus facilement à l’environnement dans lequel elles évoluent. Tout d’abord cela permet de préserver des effectifs en recourant aux forces locales. Ces forces permettent également de s’adapter plus rapidement. En effet elles connaissent le milieu, les populations, la géographie, etc. Le temps que les troupes occidentales passent à essayer de comprendre l’environnement dans lequel elles évoluent (sans jamais totalement y parvenir) est ainsi économisé et donne une plus grande réactivité. Aujourd’hui, cette structure permet également de redonner confiance aux troupes locales qui, si elles connaissent très bien le terrain, souffrent des mêmes maux que les armées occidentales car elles se sont sédentarisées.

 

S’affranchir du temps

 

Ensuite, les nomades n’étaient pas contraints par le temps. Les troupes occidentales le sont beaucoup plus. Tout d’abord car il existe une réelle pression du politique qui attend des résultats rapides. Aujourd’hui, pourtant, les opérations se mènent sur des années, temps nécessaire pour user un adversaire qui se reconstruira s’il n’est pas progressivement détruit. Il n’est en effet pas possible de détruire massivement un adversaire nomade, l’attrition ne peut être que progressive par du harcèlement. L’action militaire n’est d’ailleurs qu’un préalable à une action plus globale dont seul le politique détient la clé. La durée des mandats contraint également l’action. La plupart des unités se déploient pendant quatre mois. Ce tempo garantit une présence suffisamment longue en métropole pour des formations, une préparation opérationnelle de qualité et pour remplir des missions sur le territoire national. Toutefois, quand on compare avec le temps passé dans le désert par les unités au début du XXe siècle, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité produite par des mandats si brefs.

 

Alléger la logistique

 

Enfin, d’un point de vue logistique, toutes les unités rêveraient de l’autonomie dont disposaient les nomades. Sans en arriver à une telle légèreté, rendue aujourd’hui impossible par le poids technologique du matériel utilisé, il doit être possible de réduire l’empreinte logistique. Certaines pistes sont déjà explorées et semblent être prometteuses comme l’utilisation d’impression en 3D de pièces détachées. Mais c’est surtout le poids de la logistique qu’il convient d’essayer d’alléger pour ne pas qu’elle devienne un facteur limitant la mobilité des forces. Une des solutions, probablement la plus radicale, consiste à supprimer le ravitaillement par la route en utilisant à la place la LPA. Il s’agit de la solution mise en oeuvre pour le GTD Altor. Cette option supprime les contraintes de protection des convois logistiques (particulièrement vulnérables) et permet de s’affranchir des délais imposés par le terrain.

Toutefois, ce système présente quelques inconvénients, le principal étant que le volume d’une LPA par A400M est important et donc alourdi et fixe ponctuellement la force (le GTD Altor a reçu 40 tonnes de vivres, eau, carburants et munitions en deux largages).

L’idée serait donc de conserver l’absence d’empreinte au sol sans s’alourdir ponctuellement. Et c’est là qu’intervient l’hélicoptère de transport lourd. Si la France n’en dispose pas, les Britanniques déploient des CH47 Chinook dans le cadre de l’opération Barkhane et une coopération avec l’Allemagne, qui dispose de CH53 Stallion, est envisagée par l’armée de l’Air. L’intérêt de l’hélicoptère est qu’il peut suivre le rythme de la manœuvre en livrant la logistique juste nécessaire au moment où la troupe engagée en a besoin et ce, autant de fois que nécessaire. Le concept pourrait être celui de « l’oasis volante ». En effet, la steppe, le désert, ont ceci de commun que les hommes qui y évoluent sont condamnés à chercher perpétuellement des puits pour leur survie. Puits, camps, plots logistiques fixes, autant de points de passage obligés où les troupes sont vulnérables car un adversaire peut les y attendre. La livraison par hélicoptère permet donc de conserver l’effet de surprise.

Enfin, la doctrine logistique française prévoit la mise en place de plots logistiques ou de groupements de soutien divisionnaire temporaires. La mission de ces deux structures consiste à fournir, ponctuellement, et dans le cadre d’une mission spécifique, des ressources dont l’approvisionnement via les groupements existants ne permet pas à la mission en cours de s’exécuter dans de bonnes conditions (souvent à cause d’élongations trop importantes). Mais cela reste des organisations avec une empreinte au sol lourde et qui sont prévues pour soutenir de grosses unités. Il faudrait donc réussir à retrouver un peu « d’esprit VLRA » (véhicule léger de reconnaissance et d’appui). Bête de somme mécanique, de conception simple, il était facilement réparable. Il disposait d’une autonomie d’environ 1 200 kilomètres, d’un réservoir d’eau de 200 litres et pouvait transporter entre 1 500 et 2 500 kilogrammes de charge utile. « L’esprit VLRA » c’est un soutien léger et adapté aux exigences d’une manoeuvre très mobile. Dans le même esprit l’armée sud-africaine, à la fin des années soixante, a cherché à se doter d’un véhicule logistique répondant à leur concept tactique d’attaques dans la profondeur dans le cadre du conflit avec l’Angola. Une version logistique du véhicule d’infanterie Ratel fut donc développée. Ce véhicule, protégé, disposait d’un bras de manipulation pour manœuvrer six conteneurs (de munitions, de vivres frais, etc.). Il avait également un groupe électrogène, trois roues de rechanges, 2 000 litres de carburant soit pour s’auto-ravitailler soit pour ravitailler jusqu’à deux véhicules simultanément, un réfrigérateur, un congélateur avec 500 litres d’eau fraîche et la possibilité de mettre en œuvre une douche chaude. Enfin, il pouvait parcourir jusqu’à 700 kilomètres sur route ou rouler jusqu’à 14 heures en terrain accidenté. Trop onéreux, seuls deux prototypes furent développés34. Pour autant, l’idée reste intéressante car elle combine la rusticité et la polyvalence du VLRA tout en étant protégé. Il s’agit souvent du dilemme qu’il est difficile de trancher, légèreté ou protection.

Aujourd’hui les forces armées occidentales recommencent à peine à nomadiser et n’ont pas encore totalement réinvesti le sujet. Pourtant, les premiers exemples (patrouilles nomades en RCA, GTD Altor au Niger) sont particulièrement efficaces. Ces succès initiaux devraient donc naturellement nous inciter à nous « renomadiser ».

Les campagnes des nomades mongols ont été particulièrement impressionnantes et riches d’enseignements. Évidemment tout n’est pas à imiter et ne s’applique pas nécessairement aux besoins et aux possibilités des forces aujourd’hui. En revanche, il s’agit bien d’une source d’inspiration. Des initiatives comme le partenariat militaire opérationnel, montrent bien que le nomadisme est un savoir-faire à réapprendre et à mettre en oeuvre. Aujourd’hui ce sont essentiellement des unités particulières qui utilisent des modes d’action nomades. Or il est important que les troupes classiques réinvestissent ce champ du combat. Finalement le nomadisme fait la synthèse des huit facteurs de supériorité opérationnelle décrits dans le document de prospective Action Terrestre Future. On retrouve en effet dans les procédés nomades la masse, l’agilité, l’endurance, la force morale, la performance du commandement, la compréhension, la coopération et l’influence.

Au-delà, inspirer signifie initialement animer d’un souffle divin. Il est important de le rappeler car il est impossible de parler de nomadisme sans évoquer la dimension philosophique constitutive de ce mode de vie. Il s’agit, plus que de simples procédés, d’une mystique, d’une conception de la vie. Rien de romantique à cela quand on sait les rigueurs imposées par cette vie. Cela n’est pas un hasard si beaucoup de chefs à avoir mis en oeuvre des procédés nomades (l’adjudant-chef Vandenberghe, le général Laperrine, le général Crook, Lawrence d’Arabie, le maréchal Lyautey, etc.) ont aussi été fascinés par la terre, les hommes et la culture.

Il y aura toujours quelque chose qui nous échappera chez ces hommes et qui nous attirera. Pourtant notre société s’en est fortement éloignée. « Le nomadisme est une vigueur qui produit une force combattante et impulsive à même de faire naître l’État. Mais lorsque commence, dans le groupe initialement nomade, l’emprise de la jouissance provoquée par l’urbanité et l’usage de la luxure, cet État, et par la suite toute la nation, perd ses moyens de défense »35. La question n’est-elle finalement peut-être pas : doit-on s’inspirer du nomadisme mais le peut-on ? Existe-t-il encore dans nos rangs des « capitaine Laperrine » ?

« L’appel du désert, pour les penseurs de la ville, a toujours été irrésistible : je ne crois pas qu’ils y trouvent Dieu, mais qu’ils entendent plus distinctement dans la solitude le verbe vivant qu’ils y apportent avec eux »36.

 

 

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1 Guillaume de Ruysbroeck, franciscain envoyé du roi Louis IX auprès des Mongols, XIIIe siècle.

2 « Je veux oublier que le retour est inévitable. Je suis même sans désir de retour. Je souhaiterais que le voyage pût se prolonger toute la vie ; rien ne m’attire en Occident où je sais bien que je me sentirai seule parmi mes contemporains, dont les préoccupations me sont devenues étrangères ». Ella MAILLART : Oasis interdites, Payot, p. 100.

3 Il s’agit d’une expression commune utilisée dans le monde militaire pour caractériser la précision d’un tir. En effet pour être efficace un tir doit être groupé et donc avoir une hauteur et une largeur (H+L) sur cible la plus faible possible.

4 Ancien Testament Exode10.1-20 « Si tu refuses de laisser partir mon peuple, je ferai venir demain des sauterelles sur tout ton territoire. Elles recouvriront la surface du sol si bien que l’on ne pourra plus le voir. Elles dévoreront tout ce qui n’a pas encore été touché, ce que la grêle vous a laissé ; elles dévoreront tous les arbres qui poussent dans vos campagnes ».

5 L’expression « feu » est ici utilisée en référence aux armes de jet ou armes indirectes en opposition au choc.

6 Les chevaux, comme les hommes, sont protégés par du cuir et de la soie. Le cuir permettant de limiter la pénétration des armes et la soie servant, elle, en cas de pénétration à pouvoir retirer la flèche en limitant le risque d’infection.

7 « Mais il faut savoir que, s’ils peuvent l’éviter, les Tatars n’aiment pas combattre au corps à corps et préfèrent blesser ou tuer les chevaux et les hommes avec leurs flèches ; ils n’en viennent au combat rapproché qu’après avoir affaibli les hommes et les chevaux avec des flèches ». Jean du Plan Carpin, moine franciscain italien envoyé comme ambassadeur extraordinaire par le pape Innocent IV et qui séjourna à Karakoroum, la capitale de l’empire, en 1246. InGérard CHALIAND : Les Empires nomades de la Mongolie au Danube, Perrin, pp. 132-133.

8 Au moins au niveau stratégique.

9 Art de conduire un siège.

10 « Mobilité, surprise, capacité de concentration au terme d’une manoeuvre sur longue distance, la campagne du Khorezm est un modèle du genre ». Gérard CHALIAND : Les Empires nomades de la Mongolie au Danube, Perrin, p. 126. Cette campagne a eu lieu entre 1219 et 1221 et marque le début de l’invasion des pays musulmans par les Mongols. Le point de départ étant le Khorezm, territoire situé au sud de la mer d’Aral.

11 Arnaud BLIN : Les Grands capitaines d’Alexandre le Grand à Giàp, Perrin, p. 164.

12 BRILLAT-SAVARIN : La physiologie du goût, Flammarion, « Champs ».

13 « L’argent avait été bien plus efficace que soixante-dix années de communisme pour détruire leurs traditions. Les interdire les avait au moins poussés à les cacher, les protéger, les préserver. La possibilité de les vendre les avait conduits à les trahir ». Corine SOMBRUN : Les esprits de la steppe, Pocket, p. 332.

14 Arnaud BLIN, op.cit., p. 164.

15 Stefan ZWEIG, Clarissa.

16 Marie Joseph François Henri LAPERINNE-d’HAUTPOUL.

17 Charles LAVAUZELLE et Cie, Historique du 12e Bataillon de Chasseurs, Éditeurs militaires, p. 13 à 18.

18 « Dures nécessités de la guerre dans les mers de sable encore inconnues, à la poursuite d’un ennemi qui trouve le salut dans la fuite éperdue à travers une région entièrement déshéritée et que seul il connaît ». Charles Lavauzelle et Cie, op. cit., p. 31.

19 « L’esprit chasseur ? […] C’est la rapidité dans l’exécution de gens qui pigent et qui galopent ». Maréchal LYAUTEY, Lettre du 3 mai 1931, Château de Thorey.

20 Le contexte n’est pas étranger à cette sédentarisation. En effet, en pleine Première Guerre mondiale, les effectifs se réduisent et les soldats les plus expérimentés sont envoyés combattre sur le continent européen.

21 Citadelle militaire ottomane.

22 Charles-Henry de PIREY : Vandenberghe le commando des tigres noirs, Indo Éditions, p. 67.

23 Ibid.

24 « …aucune voix n’en parvenait plus à la terre ». Joseph PEYRÉ : L’escadron blanc, Grasset.

25 Léon TOLSTOÏ, Guerre et paix.

26 En Centrafrique, les pasteurs peuls ont mis sur pied des unités d’archers pour se protéger des voleurs. Ils ont également des AK47.

27 Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest. Groupe armé terroriste actif de 2011 à 2013, majoritairement composé d’Arabes maliens mais intégrant des Peuls.

28 Christian SEIGNOBOS : Boko Haram : innovations guerrières depuis les monts Mandara. Cosaquerie motorisée et islamisation forcée, Afrique contemporaine, 2014/4, n° 252, pp. 149 à 169.

29 Christian SEIGNOBOS, op.cit.

30 Philippe CHAPLEAU : En Mauritanie, l’armée patrouille à dos de chameaux, Ouest France, 30 novembre 2018.

31 « But the devil was in the numbers, and Gronski never had enough troops to tame the ennemy. He was streched far too thin and couldn’t possibly fully cover and hold his battle space […]. “We were only a brigade combat team operating in an area large enough for a division”, he explains ». William DOYLE : A Soldier’s Dream : Captain Travis Patriquin and the Awakening of Irak.

32 https://lavoiedelepee.blogspot.com/2018/05/apaches-sahwa-sections-mixtes-et-fusion.html.

33 5e Régiment Interarmes d’Outre-Mer, tenant garnison à Djibouti, terre traditionnel de nomadisme.

34 Steve CAMP and Helmoed-Römer HEITMAN : Surviving the ride : A Pictorial History of South African-Manufactured, 30° south Publishers, Durban, p. 175.

35 Ibn KHALDUN, L’Histoire des Berbères.

36 LAWRENCE d’Arabie, Les sept piliers de la sagesse.

 

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Titre : S’inspirer du nomadisme ?
Auteur(s) : Commandant Fiona BURLOT
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Contrôle de suspects « motorisés » lors de l’opération Barkhane. La moto chinoise : le cheval moderne des coups de main. © Jérôme SALLES/armée de Terre/Défense
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