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Vers une typologie plus nuancée

2/2 - BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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Chercher à définir le « conflit de haute intensité » ne peut donc pas se limiter à la simple évaluation du degré de limitation ou de « totalité » des ressources engagées par les belligérants, ni au seul niveau de violence des affrontements.


En effet, cette quantification, si tant est qu’elle soit possible, ne constitue pas un paramètre suffisant pour permettre au décideur politique ou militaire de se préparer à un engagement armé majeur. Une prise en compte de la nature, du niveau et de la simultanéité des interactions violentes entre tous les types de belligérants et dans tous les champs, doit donc compléter une grille d’analyse définissant, non pas un niveau d’intensité, mais davantage une typologie des affrontements futurs. Les définitions suivantes peuvent donc être proposées.

 

Un « conflit de basse intensité » s’applique à un affrontement politico-militaire visant à atteindre des objectifs politiques, sociaux, économiques, militaires ou psychologiques limités. Il est souvent prolongé et recouvre un spectre allant des pressions diplomatiques, économiques et psychosociales, au terrorisme et à l'insurrection. Ces conflits sont confinés à une zone géographique pouvant être étendue (bande sahélo-saharienne par exemple) et ne sont pas limités aux guerres interétatiques. Ils impliquent généralement des factions ou des pays à faible niveau de développement, souvent confrontés à des contraintes en matière d'équipements, des insuffisances dans le domaine des capacités tactiques et un environnement sécuritaire et de gouvernance générale dégradé. Les objectifs opérationnels dans le cadre de telles interventions, dites de stabilisation, se ramènent généralement au contrôle d’un territoire et de sa population, en détruisant des groupes armés factieux, pour éviter de perdre ce contrôle. Les opérations menées par la coalition en Afghanistan de 2001 à 2012, ou dans la BSS depuis 2013, en constituent une bonne illustration.

 

Un « conflit de haute intensité » correspond à un état de violence armée, avec ou sans déclaration de guerre, entre deux ou plusieurs nations et leurs éventuels alliés respectifs. Les belligérants utilisent l’intégralité de leurs capacités et de leur puissance de feu, y compris les armes de destruction massive. La notion de « haute intensité » implique qu’aucune limite n’est fixée à l’usage de la force et que l’engagement des ressources est total pour une nation menacée dans ses intérêts vitaux. Ce paradigme prévaut de 1947 à 1989 et structure pour la France, la doctrine d’emploi du couple 1re Armée-Force aérienne tactique face à une menace mortelle, qu’on imagine pouvoir se dévoiler dans la trouée de Fulda, « à deux étapes du Tour de France », selon le mot du général de Gaulle. Cette définition se rapproche du concept clausewitzien de guerre totale.

 

Cette typologie duale « haute/basse intensité » ne répond toutefois qu’imparfaitement à l’intégralité des menaces auxquelles la France peut potentiellement être confrontée dans les vingt années à venir. Les équipements utilisés lors de conflits récents en Syrie, Irak, Yémen ou en Ukraine montrent ainsi que nous pouvons potentiellement être opposé à un ennemi disposant de moyens blindés, d’une artillerie sol-sol et sol-air, de drones, de moyens cyber, etc. Nos adversaires potentiels sont également à même de mettre en œuvre des capacités dites « nivelantes » et des tactiques innovantes permettant de contourner notre supériorité technologique, tout en portant l’affrontement à un « haut niveau d’intensité ». Enfin, nos alliances, notamment au sein de l'OTAN, nous amènent par ailleurs à nous équiper et nous entraîner pour nous engager en coalition face à des armées modernes.

 

Plutôt que la notion d’intensité, il peut donc s’avérer plus pertinent de nuancer cette typologie et de simplement retenir le concept d’intervention majeure, plus approprié aux réflexions nécessaires à la préparation de l’avenir. Ce concept est en outre cohérent avec l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) de la doctrine interarmées, déclinée de la loi de programmation militaire 2019-25 et confirmant l’aptitude de la France à mener une opération de coercition majeure en coalition. Un conflit majeur peut ainsi être défini comme un affrontement entre deux ou plusieurs adversaires, étatiques ou non, et leurs alliés respectifs. Ce type d’affrontement implique l’engagement par les belligérants de corps de bataille constitués, qu’ils soient proportionnés ou non, et l’utilisation des technologies les plus modernes, ainsi que de toutes leurs ressources disponibles en matière de renseignement, de projection, de puissance de feu (à l'exclusion des armes nucléaires), et de commandement. Cette classification plus large permet ainsi tout autant de recouvrir la guerre d’Indochine (11 morts par jour pendant huit années), que les guerres du Golfe de 1990-91 et 2003. Ce type d’engagement correspond à des objectifs limités dans le cadre de directives politiques clairement définies, quant à l'usage de la force et à l'étendue de la zone géographique pouvant être impliquée. Il peut donc s’agir pour la France d’opérations militaires visant à dissuader et à vaincre l'agression à grande échelle, d'un État ou d'une coalition menaçant un allié ou la stabilité d'une région. Ces opérations impliquent la projection, le soutien et la régénération éventuelle d'importantes forces de combat interarmées dans un environnement non-permissif.

 

Un cadre conceptuel plus structurant, mais encore insuffisant

Le contrat opérationnel décline parmi trois hypothèses d’emploi des forces armées, celle d’un engagement majeur en intervention (HE-INTER), tout en réalisant des missions liées à un engagement en urgence dans le domaine de la protection. Cette HE-INTER prévoit un engagement en coalition (MJO ou SJO), dans un délai de six mois et pour un engagement intensif de six mois, pour un volume de forces de deux brigades, ainsi que des moyens de commandement et de soutien associés (jusqu’à 21 000 hommes), afin d’honorer l’exigence d’être « nation-cadre ». Cette hypothèse d’engagement, par nature aéroterrestre, suppose dans son acception la plus contraignante :

 

  • une manoeuvre conduite selon un tempo élevé, pouvant connaître des ruptures de rythme brutales ;
  •  des engagements cinétiques violents, rapprochés et fréquents ;
  •  des pauses opérationnelles rares et de faible durée ;
  •  une complexité de la coordination induite par l’emploi massif d’effecteurs Interarmées et inter alliés ;
  •  la simultanéité d’agressions dans les champs immatériels, aussi bien sur le théâtre d’opérations que sur le territoire national ;
  •  une logistique ad hoc ;
  •  potentiellement des pertes humaines et matérielles très élevées.

 

Un engagement majeur en intervention peut donc se traduire en termes de politique de préparation opérationnelle, comme un cadre englobant des opérations de coercition dans la durée, face à un ennemi conventionnel symétrique et dans un environnement contesté. Ce type d’affrontement est caractérisé par son hybridité et par des affrontements dans tous les espaces et domaines de la conflictualité, sans garantie de supériorité technique, tactique et informationnelle et sans certitude d'une zone arrière permettant une forme de confort stratégique. Enfin, ce type d’engagement implique un niveau de violence ou de létalité auxquels il faut se préparer. Si la France doit participer à un conflit majeur, demain ou au cours des dix prochaines années, le niveau et la portée de son engagement seront très vraisemblablement contraints par une capacité limitée à régénérer rapidement ses forces en cas de pertes massives ; par une BITD et des stocks insuffisamment robustes pour soutenir un effort de longue durée. Ce type d’engagement ne peut donc pas, à l’heure actuelle, être conçu en dehors d’une alliance ou d’une coalition forte et fiable.

 

La préparation à un conflit majeur appelle donc aujourd’hui un questionnement multiple, dont les réponses permettront d’orienter très directement les efforts et les priorités dans le domaine de la préparation opérationnelle :

 

  •  face à quel(s) adversaire(s) ?
  •  au sein de quel type d’alliance ?
  •  à quelle amplitude géographique (zone d’engagement et distance de la métropole) doit-on se préparer ?
  •  pour quelle durée ?
  •  avec quels objectifs (terrain, ennemi, population) ?
  •  selon quel continuum « protection du territoire/actions de coercition » sur le théâtre d’intervention ?
  •  selon quel continuum « conventionnel/nucléaire » ?
  •  quelles capacités essentielles doivent être détenues avant, pendant et après le conflit ?
  •  quelles vulnérabilités critiques peut/doit-on protéger ou viser chez l’adversaire ?
  •  quelle doctrine d’emploi des forces doit-on développer (offensive, défensive) ?
  •  quels types d’engagements ou modes d’action privilégier et dans quels champs ?
  •  comment se préparer aux pertes massives ?
  •  comment se préparer au combat en environnement technologique dégradé ?

 

En conclusion, il semble pertinent de rappeler que la France est une puissance globale dont les enjeux de sécurité ne se cantonnent pas qu’à une menace majeure en Europe. Son territoire s’étend aussi sur tous les océans et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité l’oblige à une vision de sécurité plus large. L’instabilité et la démographie des régions périphériques au sud de l’Europe restent pour elle des questions clés qui dimensionnent aussi son outil militaire. Notre planification de défense s’appuie ainsi sur des scenarii génériques et pas sur une seule menace identifiée, pour laquelle il n’est pas envisageable de se focaliser à l’excès. En raison des réalités économiques, il n’est en effet pas concevable de conserver des capacités spécifiques et uniquement dédiées à l’Est de l’Europe. Toutefois, s’interroger sur « la haute intensité », c’est raisonner sur l’affrontement le plus dangereux et le plus dimensionnant, celui qui nécessite le plus haut degré de mobilisation politique, industrielle et humaine. C’est un scénario dont personne aujourd’hui ne se risque plus à dire qu’il est improbable, et il est donc essentiel de s’y préparer.

 

L'armée de Terre n'a jamais abandonné la préparation au combat « haute intensité » qui a toujours constitué le haut du spectre de son engagement potentiel et de sa préparation opérationnelle. C'est cette hypothèse d’engagement majeur qui structure notre modèle d'armée de Terre avec une force opérationnelle terrestre (FOT) organisée en deux divisions se partageant deux brigades blindées, deux brigades dites médianes ou légère blindées et deux brigades d'urgence. L'ensemble de ces forces est susceptible d'être engagé et de se relever dans un combat de « haute intensité » au sein d’une coalition. Avec la mise en place du programme Scorpion ces prochaines années, l’armée de Terre disposera de suffisamment d'équipements pour permettre un engagement en coalition jusqu'à la hauteur d'une division. Les brigades blindées resteront évidemment les brigades de décision dans le cadre d'un engagement majeur. Mais elles ne seront pas seules à y être engagées, les deux brigades médianes et les deux brigades légères (également équipées Scorpion) resteront également des entités complémentaires et indispensables dans un tel cadre.

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Titre : Vers une typologie plus nuancée
Auteur(s) : le colonel Clée, chef du pôle études et prospective du CDEC
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Armée