Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

« L’endurance » du couple homme-cheval négligée, « la force morale » du cavalier entamée

2/2 - BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

Le garde d’honneur est jeune, voire très jeune. Il sort souvent d’un cocon familial où la contrainte lui est inconnue. A cette époque, les domestiques sont nombreux. Si un grand nombre de gardes maîtrisent l’équitation, leur condition les a éloignés des corvées attachées à l’entretien des montures (pansage, nourriture), celles de son armement.


Du jour au lendemain, ces jeunes gens se voient contraints à se lever de très bonne heure ; ils basculent dans un monde nouveau, où l’on dort à la belle étoile, où on doit se plier à la discipline militaire alors que sa vie est en jeu. D’une manière générale, le garde d’honneur est plein d’ardeur et d’enthousiasme, montrant dans les premières marches un entrain extrême. Mais il n’a ni la résistance physique, ni la constance morale pour le soutenir longtemps. Sa bravoure n’est pas en cause, ce qui lui manque c’est l’aptitude à l’effort[13]. Or, les campagnes de 1813 et de 1814 sont une succession de marches précipitées et rapides, d’ordres et de contre-ordres, d’alertes continuelles… le temps est affreux : la pluie et la boue sont le quotidien du soldat. Pour comble de malheur, l’administration est déficiente et très peu de distributions (vivres, chaussures) ont lieu. En Saxe, en cinq mois, nos jeunes gens en bénéficient, en tout et pour tout que de trois et en 1814 aucune ! Inhabitué à la vie en campagne, le soldat souffre. Ainsi, la retraite de Leipzig ressemble à un chemin de croix. Dès le 19 octobre 1813, l’armée impériale entame une retraite dans des conditions difficiles (absence de nourriture, conditions climatiques défavorables, harcèlement par l’ennemi). Le moral est atteint. Le 20 octobre, les colonnes doivent franchir un défilé à Rippach (aux alentours de Lützen).

 

L’encombrement est à son comble. Les officiers observent les hommes de la Garde impériale et les gardes d’honneur : « il fallut marcher à un et se glisser, pour ainsi dire, pour passer cet étroit défilé ». La vieille Garde franchit « lestement » l’obstacle. En revanche, la colonne des gardes d’honneur est morcelée en plusieurs fractions : « … ils arrivèrent par deux, par quatre, par pelotons… ». Une partie des plus faibles ne parviennent pas à suivre leur régiment. Certains sont même tellement harassés à la suite de la bataille du 18 octobre 1813, qu’ils prennent asile dans les faubourgs de la ville et s’endorment dans les jardins qui l’environnent. Un grand nombre est fait prisonnier, d’autres refluent en désordre par petits groupes jusqu’au Rhin. Mais la crise morale est telle qu’ils continuent leur route pour se rendre dans leurs foyers, restant sourds aux exhortations de leurs officiers. En effet, en cette année 1813, l’absence de cohésion se fait sentir. Les rapports entre cadres et soldats sont distendus. Les hommes se plaignent de leur encadrement : « ils se groupaient autour de moi et m’assuraient qu’ils avaient bonne volonté mais que leurs officiers ne savaient rien[14]», nous apprend le général Nansouty, commandant la cavalerie de la Garde impériale. À l’inverse, il est également vrai que plusieurs chefs se méfient de leurs hommes. Ils sont si différents de ceux avec lesquels ils ont jadis sillonné l’Europe. Ils les connaissent à peine et sont peu disposés à accorder de l’affection à ces cavaliers à peine formés, qu’il faut réveiller à trois heures du matin pour être sûr de monter à cheval deux heures plus tard et qui n’ont pas eu l’occasion de prouver leur valeur.

 

S’agissant des montures, la denrée est rare[15]. Les réquisitions successives ont appauvri la ressource en France (Limousin, Normandie)[16]. En principe, l’âge du cheval doit être compris entre cinq et dix ans[17], mais la réalité est sensiblement différente. Le cheval est jeune lui aussi. Il est donc peu docile[18]. Comme son cavalier, il doit bénéficier d’un entrainement spécifique. On doit d’abord l’associer aux bruits. Le seul cliquetis de 250 sabres (un escadron) tirés de leurs fourreaux en même temps, peut provoquer la panique. On fait sonner les trompettes, aux heures de repas. Il faut les habituer aux odeurs. Par exemple, on tire des coups de pistolets à blanc, puis on fait renifler les bassinets aux bêtes. Quant à la charge proprement dite, c’est une question d’allure et il faut rester en ligne. On habitue même, en principe, les montures à piétiner des entrailles pour que dans la charge ils ne cherchent pas à éviter les cadavres, rompant ainsi la ligne et risquant de désarçonner leurs cavaliers. Le but est d’éviter la panique et la confusion. Enfin, la monture doit aussi s’habituer au poids des hommes et à celui de son paquetage. Le cheval de cavalerie légère doit être agile et endurant. On le voit bien, le couple homme-cheval ne s’improvise pas et nécessite un long apprentissage qui s’avère en partie tronqué pour les régiments qui nous intéressent.

 

L’érosion de « la masse » et l’absence d’« agilité »

Le chef d’escadron d’Arbaud de Jouques (4e régiment), parti de Lyon à la tête de son escadron, est contraint de renvoyer douze de ses hommes, dont les chevaux ont été blessés, dès la première étape ! Arrivé à Bourg, il en abandonne trois autres et autant à Lons-le-Saunier, puis à Besançon cinq autres, à Strasbourg sept et entre Francfort et Gotha huit ! Les montures, peu habituées à la fatigue, s’usent d’autant plus que leurs cavaliers sont inexpérimentés et eux-mêmes inaccoutumés à l’effort. On marche en effet, dès trois heures du matin, dans l’obscurité la plus complète. Les jeunes gens encore endormis roulent sur leur selle et par suite, occasionnent des blessures à leurs chevaux. En dodelinant de droite et de gauche, ils échauffent leurs montures de plus belle. Le 18 août 1813, arrivé à Leipzig, le général qui commande les gardes d’honneur indique au ministre : « j’ai beaucoup de chevaux fatigués et je crains bien d’être obligé d’en laisser ici[19]». À partir du 30 août 1813, les gardes d’honneur évoluent autour de la ville de Dresde. Ces derniers ne participent pas à d’engagements sérieux, mais marches et contremarches se succèdent dans le froid, sous la pluie, dans la boue. Cette jeunesse, qui plus est mal nourrie, souffre et ses montures sont ruinées. À la date du 15 septembre 1813, on compte avec l’Empereur 1529 gardes d’honneur. Sur le nombre, 446 sont inaptes au combat, ce qui représente 31,6 % de l’effectif. À la date du 1er octobre de la même année, sur 1524 hommes, 558 ne sont pas sous les armes. On atteint alors 42 % d’indisponibles. Le 15 octobre 1813, les indisponibles sont au nombre de 625 ; on atteint les 44 % !

 

Le 30 août 1813, le jour même de la victoire de Dresde à laquelle les gardes d’honneur ne participent pas, le souverain des Français témoigne son désir de voir manœuvrer, pour la première fois, son corps d’élite (six escadrons présents). « Lorsqu’on fit faire quelques à droite par quatre, quelques demi-tours à gauche par quatre, il n’en fallut pas davantage pour nous embrouiller[20]». Après cette sorte d’échauffement, une manœuvre très appréciée de l’Empereur est commandée : « … c’était par les pelotons des ailes en arrière du centre, passez le défilé. À un commandement aussi nouveau qu’étranger pour nous… nous nous regardâmes tous pendant un instant, et puis nous voilà partis un peloton d’un côté, l’autre d’un autre, malgré les cris de nos officiers… l’Empereur conservait un sérieux glacé[21]». Le souverain des Français prend conscience qu’il a fait preuve d’un trop grand optimisme, d’où sa sage décision concernant le « deuxième échelon » de la Garde d’honneur.

 

Le 18 octobre 1813, troisième jour de « la bataille des nations », 2600 gardes d’honneur sont en bataille avec la Garde impériale[22] (dernière ligne). Leurs chefs font part de leur inquiétude au général Nansouty, qui commande la Garde impériale. « Le peu de connaissance qu’ils ont des manœuvres et leur défaut d’ensemble peut porter le désordre dans leurs rangs et les perdre » signalent-t-ils[23]. D’ailleurs, l’Empereur, lui-même, les fait reculer à deux reprises durant la bataille. Un garde d’honneur[24] écrit dans ses souvenirs : « Napoléon en général fort habile et qui connaissait parfaitement l’art de disposer son armée avant la bataille, tira le meilleur parti possible de la Garde d’honneur. Il la fit mettre en réserve appuyée de tous côtés par la vieille Garde. Il la plaça de manière qu’elle pût être vue distinctement par l’armée ennemie... Quelques officiers supérieurs des alliés m’ont raconté à Francfort que la vue d’un corps de cavalerie qui paraissait formidable et que l’on croyait en état de faire une charge décisive causa quelque incertitude dans les mouvements de la partie des forces alliées qui leur étaient opposées ». En fin de journée, le corps accompagne la Garde impériale dans son mouvement offensif mais, de charge, il n’est pas question.

 

Ceci étant, douze jours plus tard, à Hanau (30 octobre), la jeune phalange se comporte admirablement en supportant une charge des bavarois qui vient de repousser celle des grenadiers à cheval de la Garde impériale. Plus tard, pendant la campagne de France, nos jeunes gens se couvrent de gloire à Vaucouleurs (18 janvier), à Wassy (29 janvier), à la Rothière (1er février), à Montmirail (11 février), à Château-Thierry (12 février), à Meaux (27-28 février), à Reims (13 mars), à Arcis-sur-Aube (20 mars), à Saint-Dizier (22 mars) et à Paris (30 mars). Mais ces régiments n’adoptent aucune formation réglementaire : ni celle des formations en colonne par quatre (quatre cavaliers de front), en colonne par pelotons ou encore en colonnes par compagnies, ni aucune formation en ligne (l’escadron est sur deux rangs). Ils ne connaissent que l’ordre lâche, c’est-à-dire en fourrageurs ou en tirailleurs (formation adaptée pour les missions de reconnaissance, pour harceler l’ennemi), et l’ordre… irrégulier, incapables d’adopter une formation quelconque. L’aspect qu’ils offrent est celui d’une nuée de cavaliers, en pagaille.

C’est le principe de la charge massive, serrée dont on attend l’effet du choc. Mais les conséquences en sont aussi les pertes sévères. La charge est importante, mais le repli également. Il doit se faire en bon ordre et prestement effectué au milieu des fantassins ennemis. C’est aussi un mouvement qui se travaille. Nos régiments l’ignorent évidemment. Ainsi, à Reims, après une charge victorieuse, à un contre huit, le 3e régiment de gardes d’honneur, acculé sous les murs de la ville, est incapable de se replier en bon ordre et se fait fusiller des remparts tenus par l’ennemi. Il connaît une hécatombe.

 

Conclusion

En 1813, Napoléon ne dispose plus d’une véritable liberté d’action. Nos jeunes gens, qui ont quitté leurs dépôts, montant des chevaux qu’ils méconnaissent et qu’ils craignent même parfois, sont expédiés aux escadrons de guerre, tout juste après avoir pris connaissance de l’élémentaire de leur nouveau métier. Ils n’ont pas le temps de se livrer à un entraînement méthodique. Ils côtoient bientôt leurs camarades artilleurs qui servent des pièces dont ils ignorent l’exacte manœuvre et pour lesquels ils n’ont pas d’affection et ils sont au contact de fantassins qui portent des fusils, mais qui les utilisent peu et auxquels ils ne vouent aucun respect.

 

Dans la narration qui précède, le défaut d’entraînement a une influence sur plusieurs facteurs de supériorité opérationnelle, perturbant leur efficience dans le rôle qu’ils sont censés jouer dans la conquête et la conservation de l’ascendant sur l’adversaire. Le problème est que les facteurs de supériorité opérationnelle étant plus ou moins moteurs les uns par rapport aux autres, leur interaction provoque une diminution mutuelle de leur efficacité. À y regarder de près, c’est sans doute le cas de « la masse », qui s’érode au fil du temps, qui est le plus préoccupant. Or, à cette époque déjà, c’est elle qui permet d’obtenir la rupture…et on sait comment finit l’histoire. En affectant « la puissance » des forces amies, le manque d’entraînement diminue l’effet de « la destruction de l’ennemi », ce qui complique la domination que l’on veut exercer sur l’adversaire. La démonstration est faite : « Entraînement difficile, guerre perdue ».

                                                

 

[13] On ne peut s’empêcher de noter, à deux siècles près, les similitudes entre ces soldats et ceux d’aujourd’hui.

[14] Archives de Vincennes XAB 47. Nansouty à Clarke, le 7 décembre 1813.

[15] Au mois de janvier 1813, 15 000 chevaux ont déjà été réquisitionnés.

[16] On va les chercher en Bavière, en Suisse, dans la Frise ou dans le Grand-duché de Wurtzbourg.

[17] « … sous quelque prétexte que ce soit, je ne veux pas de chevaux qui n'auraient pas cinq ans accomplis… » ordonne l’Empereur. « Préceptes et jugements de Napoléon », Paris, Nancy, Berger-Levrault, 1913.

[18] On compte au moins une dizaine de gardes, tués ou estropiés à vie, à la suite d'un mauvais coup de pied de cheval.

[19] Archives de Vincennes C2 154.

[20] Depréaux (A.), « Itinéraire d'un brigadier du 2e régiment de gardes d'honneur pendant la campagne de Saxe », carnet de la sabretache, 1924.

[21] Depréaux (A.), « Itinéraire d'un brigadier du 2e régiment de gardes d'honneur pendant la campagne de Saxe », carnet de la sabretache, op. cit.

[22] L'augmentation de l'effectif est due à l'arrivée en Saxe d'escadrons venus de France.

[23] Archives de Vincennes 1 M 2331.

[24] Boymans (J.A.), « Le garde d'honneur ou épisode du règne de Napoléon Buonaparte », Bruxelles, Weisenbruck, 1822.

 

Séparateur
Titre : « L’endurance » du couple homme-cheval négligée, « la force morale » du cavalier entamée
Auteur(s) : lieutenant-colonel Georges Housset, du pôle études et prospective du CDEC
Séparateur


Armée