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✅ La place centrale de l’expérimentation dans le processus d’exploration doctrinale

Revue de doctrine des forces terrestres
Tactique générale
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Le Français est volontiers cartésien et, tel saint Thomas, préfère voir avant de croire, dit-on. La transformation capacitaire Scorpion met à mal ces tendances naturelles, elle qui consiste à passer des certitudes d’une doctrine connue et relativement stable à celle du combat collaboratif infovalorisé, qui pourrait être la réponse de la force opérationnelle terrestre aux nécessités des engagements du futur proche, à l’horizon 2025-2030.


La problématique majeure est de vérifier si ce changement de modèle nous permet de mieux gagner la guerre. Mieux gagner la guerre est en effet, indiscutablement, la finalité de la transformation Scorpion. Comme dans toute autre démarche d’innovation, pour répondre à cette problématique il faut passer par l’expérimentation. Créant à cet effet le laboratoire du combat Scorpion (LCS), le centre de doctrine et d’enseignement du commandement a initié une campagne d’expérimentations doctrinales.

 

Dans le cas de Scorpion le recours à l’expérimentation est d’autant plus précieux que les inconnues sont légion dans de nombreux domaines. Une méthode d’expérimentation  a dû être créée, sans pouvoir s’appuyer sur un modèle prêt à l’emploi. La connaissance des capacités des équipements est encore imparfaite, car les spécifications de certaines sont encore à finaliser (comme le véhicule blindé d’aide à l’engagement7 ou le module d’appui au contact8) et parce que les services rendus par les différentes versions du système d’information du combat Scorpion9 restent à évaluer. Les outils de simulation ne représentent pas encore le cœur de la problématique Scorpion, qui est l’infovalorisation. La façon dont la génération à venir pensera le commandement et le fonctionnement collaboratif est encore difficile à prédire, tout comme le sont les modalités précises d’interopérabilité. Pour finir, les inconnues sont bien évidemment sans fin sur la nature et les modes d’actions de l’adversaire.

 

Comme dans tout laboratoire, l’expérimentation est une démarche qui présente un fort risque de dispersion des ressources et des efforts, si les responsables ne veillent pas au respect du sens originel de la démarche. Pour le permettre, il importe de partir d’un état des lieux définissant la situation de départ et l’ambition d’arrivée, puis bâtir une méthode d’expérimentation, consolider cette méthode au fil des expérimentations, et enfin exploiter le fruit des observations accumulées.

 

Faire un état des lieux : partir du connu et définir ce qui manque

Ce que l’on connaît de l’horizon 2025-2030, qui est celui d’un Scorpion à pleine capacité opérationnelle, est limité. Pour placer le système de systèmes Scorpion dans l’environnement d’engagement qui sera le sien, il faut cependant partir de quelques données normatives qui aident à définir le cadre des expérimentations. L’ennemi auquel est confronté le GTIA Scorpion,  élément essentiel des tests, est conforme aux scénarios qui ont permis l’élaboration d’Action Terrestre Future. Cet ennemi bénéficie des innovations que laissent prévoir les études de veille technologique réalisées au sein de l’armée de Terre.

 

Pour compléter ce cadre, il faut pouvoir évaluer les améliorations apportées par les innovations capacitaires. Cela passe essentiellement par la mise en comparaison entre les normes actuelles et celles que le modèle à venir permet d’envisager. Pour cela une base de référence est nécessaire, constituée par les schémas d’organisations, normes d’engagement, processus de planification ou modes de soutien (logistique, SIC etc.) qui sont établis dans la doctrine en cours, et enrichis par un RETEX permanent. Sans cette référence de départ, il est illusoire de chercher à démontrer des évolutions en termes de rapport de force ou de vitesse d’exécution de certaines missions.

 

Ce  cadre étant bâti sur la doctrine actuelle et les données sur l’environnement opérationnel à venir, il est complété par la doctrine exploratoire. Avec tous ces éléments, il est possible de distinguer pour chaque expérimentation ce qui est pérenne et ce qui peut être présenté comme une hypothèse doctrinale. Parmi ces hypothèses, certaines ont déjà été consolidées à force d’expérimentations, d’autres restent à confirmer par des évaluations sur le terrain. D’autres encore restent à l’état exploratoire et demanderont des travaux plus complets. La distinction entre ces différentes catégories est essentielle pour définir les attendus de chaque expérimentation.

 

Bâtir une méthode d’expérimentation

Pour comprendre le défi que représente l’élaboration d’une doctrine exploratoire en amont de la mise en service des équipements, on peut comparer cette entreprise avec la construction d’une passerelle modulaire d’un modèle nouveau, en pleine obscurité. L’équipe de construction de cette passerelle, au coucher du soleil, reçoit pour mission de faire traverser un cours d’eau au petit matin. Elle dispose des descriptions des différents modules et sait qu’elle ne récupérera les composants de la passerelle qu’en fin de nuit, et en plusieurs éléments successifs. Deux écoles s’affrontent : soit attendre l’arrivée des fardeaux pour lancer l’assemblage, grâce à une compréhension concrète, éléments en mains, soit privilégier l’anticipation et l’expérimentation, éventuellement avec des modèles de fortune, pour être à pleine efficacité à la livraison des éléments. La posture choisie par le laboratoire du combat Scorpion est la seconde, dans laquelle l’expérimentation a une place centrale et pose de nombreux défis.

 

Ce travail d’anticipation repose sur un choix entre plusieurs d’hypothèses, procédé que l’on peut comparer à la confrontation des modes d’action – ou wargaming – pendant une séquence de planification. Une des hypothèses (H1) reposerait sur ce qui est souhaitable, et est défini par la doctrine exploratoire Scorpion. Ce qui est possible (H2) serait la somme des spécifications des capacités qui seront mises en service dans le cadre de l’opération d’ensemble Scorpion. Une autre hypothèse, (H3) aborderait ce qui est envisageable en termes d’organisation de la force et de mode de commandement. La solution retenue, mâtinant comme bien souvent les hypothèses de départ, sera le fruit des expérimentations doctrinales, technico-opérationnelles, et tactiques qui ont commencé en 2014 et se poursuivront jusqu’à la mise en service des derniers objets intégrés à Scorpion, comme la robotique terrestre et aérienne. Cette solution sera décrite dans les manuels de doctrine des unités Scorpion, qui définiront la bonne façon de répondre aux menaces à venir, même en environnement dégradé, en exploitant toutes les capacités offertes par le système de systèmes mis à notre disposition.

N’ayant pas de modèle préalable pour mener ses expérimentations doctrinales, le LCS s’est appuyé en premier lieu sur une compétence reconnue dans l’armée de Terre : l’évaluation opérationnelle réalisée dans les centres d’entraînement spécialisés (centre d’entraînement au combat10, centre d’entraînement aux actions en zone urbaine11). Il a complété son approche méthodologique avec l’approche développée par les spécialistes de l’analyse et de la recherche opérationnelles de l’état-major de l’armée de Terre.  Enfin,  là où la simulation ne permet pas l’analyse dans de bonnes conditions, il emploie parfois les supports moins techniques et plus flexibles qu’offre le monde du jeu de guerre, ou wargame, de type professionnel voire commercial. Au final, l’expérimentation ne saurait se limiter à des échanges verbaux entre experts, mais elle repose systématiquement sur la confrontation du modèle Scorpion à tous types de menace, dans un environnement futur. Cette confrontation n’a d’intérêt que si elle est observée par l’ensemble des directions études et prospectives des armes, et fait l’objet d’analyses après action critiques.

Par où aborder la question ? Les approches  « top-down » ou « bottom-up » ont chacune leurs avantages et répondent à des nécessités différentes. Dans le cas de Scorpion le point de départ a été de manière naturelle le niveau du groupement tactique interarmes, qui dès la genèse du programme a été choisi comme référence du nouveau modèle opérationnel. À partir de ce niveau intermédiaire, toutes les études sont possibles vers le bas, pour la rédaction des premiers manuels d’emploi provisoires de la section sur GRIFFON par exemple, ou vers le haut, pour l’étude de l’adaptation du système de commandement de la brigade interarmes en mode Scorpion. En revanche, le point clé de toutes les expérimentations doctrinales sur Scorpion est une approche englobante de l’ensemble des fonctions opérationnelles dans le combat, en bannissant toute vision en silo.

Chaque expérimentation contribue à l’amélioration de la méthode, et les analyses après actions étudient de manière systématique et la doctrine, et la méthode. Cette approche a été définie dès les premières évaluations, qui représentaient un défi comparable à un saut dans l’inconnu.

 

Accepter de se lancer dans l’inconnu

Avant de parvenir au modèle d’expérimentations en cours, les premières sessions de tests ont permis de poser, de manière très innovante, les fondements de la méthode  : prise en compte de l’infovalorisation, mise en difficulté de la force Scorpion, droit à l’erreur et au rejeu, comparaison entre différents modèles. Quatre ans plus tard, le système s’est consolidé, avec une clarification des attendus, la définition d’un schéma directeur des expérimentations et des publications doctrinales, et une connaissance plus aboutie des possibilités et des limites des systèmes de simulation. Deux types d’expérimentations permettent une vision globale ou ciblée sur différents aspects de la doctrine, satisfaisant autant à la poursuite des études exploratoires qu’au besoin d’élaboration des manuels de doctrine employables dès la mise en service des premières capacités. La série des « Scorpion romain12» traite, à raison d’une session de quinze jours par an, du fonctionnement général du GTIA Scorpion  dans son environnement, avec en moyenne 150 participants. Une dominante (soutien, commandement, aérocombat par exemple) est définie à chaque expérimentation pour orienter les travaux de perfectionnement de la doctrine, sans dispersion. Les « Scorpion 100 », mobilisant des effectifs plus restreints au cours de sessions de quelques jours, permettent d’étudier des aspects plus ciblés, comme le combat collaboratif ou la coordination entre deux unités en environnement Scorpion.

 

Avec le temps il est apparu clairement que l’emploi d’outils de simulation classiques offrait une bonne représentation des aspects courants du combat (déplacements, échanges de feux, consommations etc.), mais que d’autres domaines devaient être abordés avec des approches spécifiques. Par exemple, des expérimentations récentes sur la protection active ou sur l’organisation du commandement ont nécessité une méthode et des outils d’analyse  adaptés. Le LCS se montre donc curieux de toute méthode lui permettant de creuser ces aspects.

 

Depuis 2016, le recours systématique à des unités pour « jouer » le rôle du GTIA Scorpion permet d’orienter de manière systématique les expérimentations vers ce qui a un intérêt immédiat pour les futurs utilisateurs. Le LCS approfondit donc bien ce qui permet à la force de l’emporter plus efficacement, et rejette l’accessoire. La finalité des expérimentations est assez proche de la devise « la sueur épargne le sang » adoptée par de nombreuses unités de l’armée de Terre : il s’agit de tirer tout le profit possible de chaque expérimentation pour délivrer aux unités des fondements doctrinaux qui leur donneront une réelle supériorité en opérations. Le champ d’exploration est encore immense ; il demande ressources et discernement pour ne négliger aucune piste, sans pour autant se disperser.

 

 

Exploiter l’expérimentation

Dès les premières sessions d’essais sur simulation il est apparu que le fait de faire vivre le modèle Scorpion, en le confrontant à un ennemi manœuvrier et parfois symétrique, dépassait le cadre de l’étude doctrinale. La représentation de la manœuvre d’un GTIA Scorpion, symbolisé par quelques pions sur une carte, offre en effet un support de réflexion utile aux autres piliers DORESE13, plaçant les travaux doctrinaux en appui de l’ensemble de la démarche capacitaire. En employant par exemple le système d’information du combat Scorpion14 très en amont de sa date de mise en service, les expérimentations doctrinales ont pu compléter la campagne usuelle de qualification des équipements  : elles apportent un regard pratique sur les fonctionnalités considérées comme les plus sensibles par les utilisateurs futurs, comme celles liées à la coordination dans la troisième dimension ou la possibilité d’élaboration collaborative des ordres.

 

De plus, si l’objet des expérimentations est le GTIA à venir, les sessions de test ont pour particularité de réunir l’ensemble des directions études et prospective pour réfléchir, de manière collective, à des situations tactiques. Il en résulte des possibilités d’échanges complets et concrets sur la doctrine vue de manière générale, qui permettent une réflexion critique saine sur le corpus doctrinal actuel, qui n’aurait pu se faire au gré de la comitologie usuelle entre les participants à la communauté doctrinale. L’expression «d’incubateur doctrinal » décrit très bien les expérimentations Scorpion.

En corollaire des travaux d’élaboration de la doctrine, la question de l’appropriation de Scorpion par les générations à venir est cruciale. Cela a été dit, avant l’arrivée du système des « centres d’entraînement représentatifs des espaces de bataille et de restitution des engagements15  » nos outils de simulation ne permettent pas de différencier dans les systèmes d’arbitrages une unité numérisée d’une unité info- valorisée. Cet aspect , critique  pour  la  bonne compréhension des apports de l’info-valorisation, est un des points saillants issus des expérimentations doctrinales. Il est développé dans un document de réflexion sur l’emploi de la simulation pour la préparation de l’avenir16, et offre un bon exemple des répercussions que peuvent avoir des expérimentations visant essentiellement à l’élaboration de la doctrine.

 

CONCLUSION

Au cœur du processus d’innovation doctrinale, les expérimentations menées  depuis 2014 ont permis de discerner certains critères sur lesquels repose l’essentiel de la transformation Scorpion, dépassant parfois la vision portée à l’origine par les porteurs du programme. Parmi ces critères on retiendra l’importance de la capacité de réorganisation en cours d’action pour garantir la liberté d’action du chef tactique. On note aussi le besoin accru de discernement dans le tri de l’information, mais surtout la nécessité d’apprendre à lire les écrans. Et la corrélation entre la capacité à commander des effecteurs et la capacité à disposer d’effets apporte une vision renouvelée des chaînes de commandement.

 

Tous ces sujets, qui peuvent contribuer à une transformation de fond de notre art de la guerre, ne peuvent être découvertes sous le feu, parce que l’on n’aurait su ou voulu en mener l’étude en acceptant d’y associer de l’imagination, des ressources et du temps. Pour mener à bien les expérimentations il faut cependant se résoudre à ne pas disposer de toutes les données et à les compléter par des hypothèses. En quelque sorte, accepter comme recevables des points que l’on n’a pu encore contrôler sur le terrain, c’est n’être qu’en partie saint Thomas.

 

7 VBAE.

8 MAC.

9 SICS.

10 CENTAC - 1er bataillon de chasseurs.

11 CENZUB – 94e régiment d’infanterie.

12 Numérotées à ce jour de Scorpion I à Scorpion IX.

13 Doctrine, Organisation, Ressources humaines et formation, Entraînement, Soutien et Équipement.

14 SICS.

15 CERBERE

16 RFT 7.7.2, avril 2018.

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Titre : ✅ La place centrale de l’expérimentation dans le processus d’exploration doctrinale
Auteur(s) : Le Colonel Sébastien de Peyret
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