Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

« Pour obtenir la victoire, il faut vouloir la bataille »

Revue de tactique générale - Le feu 2/2
Tactique générale
Saut de ligne
Saut de ligne

Pour vaincre un ennemi, il faut accepter la confrontation sur tous les terrains. Les actions immatérielles affaiblissent les esprits (guerre psychique), neutralisent des systèmes de commandement (guerre dans le spectre électromagnétique) ou les aveuglent. Mais dans tous les cas, le soldat adverse doit poser les armes. Il faudra donc le contraindre physiquement ; cela reste la priorité d’une action militaire.


 

La nature du chef

 

Le chef n’est pas le meilleur boxeur sur le ring, même s’il doit être capable d’y monter pour la valeur de l’exemple. Le chef est celui qui prend à temps la bonne décision ; cela implique autant de courage que de discernement. Il est présent au bon moment et au bon endroit et avec les bonnes personnes pour le conseiller9.

Si l’on prend en compte tous les domaines modernes de la conflictualité, la guerre devient de plus en plus complexe. Davantage de facteurs interagissent du fait de la volonté adverse, se mêlant à l’incertitude classique du champ de bataille. Le mot complexe, étymologiquement « tissé ensemble », est fort de sens. Il suggère la difficulté de distinguer clairement la trame d’une action et donc d’identifier les fils qu’il faut tirer pour la faire ou la défaire. Le chef se retrouve devant un problème nouveau ; il peut procéder par analogie en s’appuyant sur son expérience, il peut se fier aux études de son état-major, mais la complexité (du fait des combinaisons possibles) rend toute chose nouvelle. Le schéma ne fonctionne pas, car il n’existe pas pour une situation donnée. De ce fait, sans préjuger du fonctionnement de l’état-major, un esprit systémique, agile pour croiser le maximum d’interactions entre elles, devient un atout pour un chef. La définition du « de quoi s’agit-il », qui va chercher l’essence du problème opérationnel à résoudre, revêt une importance accrue. Le chef doit identifier le fil qui structure la trame de fond.

 

Il n’existe pas de recette. La définition même du chef systémique est difficile à poser. Il s’agit d’une attitude intellectuelle qui consiste à accepter de prendre une situation opérationnelle comme quelque chose de totalement nouveau et inédit, de discerner quelles intelligences se cachent dans ses entrailles, sans chercher à la comparer à quelque chose de déjà connu. Il se dégagera évidemment des similitudes, surtout si la situation considérée s’inscrit dans la continuité et dans la durée. Cela revient à résister à la tentation immédiate de comparer pour privilégier l’attitude de distinguer les dynamiques propres. Le fait de travailler sur des scénarios déjà connus pour les exercices n’incline pas à cette attitude intellectuelle. Même s’ils sont modifiés d’une fois sur l’autre, la tentation est de mesurer ce qui a été modifié plutôt que de penser fondamentalement. En changer souvent, même pris dans une banque unique, permet d’éviter que la tentation ne devienne trop forte car, dans tous les cas, il reste indispensable de se réapproprier le scénario qui a été retenu.

 

Même si aucune recette n’est pertinente, l’attitude intellectuelle systémique peut être utilement contenue dans le triptyque suivant : regarder plus large, regarder plus loin, apprécier le risque pour l’atténuer10.

 

 

Le travail d’état-major

 

Un état-major est un outil redoutable et vivant. Comme tout être vivant, il a sa « vie interne » invisible d’un observateur non averti. Sa plasticité et son éventail très large de compétences sont naturellement source d’autogestion et d’auto-animation ; il perd de vue facilement la finalité collective pour en sécréter d’autres plus individuelles, celles des experts. Loin de le craindre, le groupe de commandement cherche à les canaliser.

L’état-major est en « staff learning » quasi-permanent. Les différentes cellules proposent des innovations, des adaptations de procédure, de nouveaux outils, logiciels…Un état-major apprend et s’adapte. Il faut aussi le laisser faire et ne pas vouloir l’enfermer dans un modèle prédéfini une bonne fois pour toutes.

Les organisations d’un état-major semblent toujours complexes, comparées avec un brin de mauvais esprit à une usine à gaz. Admettons que la présentation d’une architecture de 1 300 personnes, avec de nombreuses connections entre les couches, pour en commander 20 000 à 60 000 sur le terrain, interroge le bon sens et le réalisme de celui qui ne la connaît pas.

 

Comment un commandant de corps ou de division est-il certain qu’il a une influence sur l’action ? Un chef se laisse guider par son état-major ou oriente une décision en amont. Dans tous les cas il décide en dernier ressort. Le mot anglais « Endorse », qui correspond au fonctionnement de celui qui se laisse guider, illustre bien l’idée. Le chef se positionne par rapport à des éléments qui lui sont fournis par l’état-major. Il apporte ses idées personnelles mais reste tributaire de la matière qui lui est fournie. Les procédures et les méthodes d’élaboration des ordres, précises et exhaustives, garantissent l’objectivité des produits. Le chef doit juger de la pertinence et les entériner ou non : « Endorse ». Une autre option est celle de l’orientation initiale. Le chef travaille avec son petit groupe de conseillers en parallèle de l’état-major et se recale régulièrement avec lui. Lors des rencontres, il redonne une orientation de travail. Les restitutions formelles ne servent plus à le faire décider mais à permettre au plus grand nombre de s’approprier le plan ou les ordres. Ne postulons pas quelle attitude est la meilleure, les deux cohabitent et dépendent de la personnalité des chefs. Notons que la supériorité d’exécution repose sur l’une des deux postures assumées. Le chef ne doit pas agir par défaut.

 

 

La bataille des flux ?

 

Un état-major mène différentes batailles à l’intérieur de la bataille principale. Celle des flux physiques et immatériels mérite une attention soutenue, elle conditionne le succès. Les flux sont à générer, « digérer », entretenir. La gestion des flux renvoie trop souvent à l’unique idée de « big data » et donc aux besoins en renseignements. En distinguant les flux matériels des flux de données, nous identifierons mieux toutes les actions à mener. Dans le domaine du renseignement, il importe davantage de générer des flux que de les gérer.

 

Dès lors qu’une action de combat sera engagée, au sens de l’intensité des combats, les flux matériels deviendront particulièrement élevés. Les spécialistes de la logistique maîtrisent cette complexité sans toutefois y avoir été confrontés dans la réalité d’une guerre face à un ennemi majeur. Les consommations de tous types (pas uniquement les munitions), la gestion des blessés de leur évacuation à leur soin et toutes autres actions majeures mettront en tension la chaîne logistique. Sans rentrer dans la manoeuvre logistique proprement dite, retenons deux considérations de manoeuvre prenant une dimension unique : le maintien de liberté de circulation, le commandement de la zone arrière. L’une dépend du management de l’espace de bataille et des capacités de planification de l’état-major (équipe pluridisciplinaire) pour réagir à des ruptures, l’autre est une décision de commandement dès la rédaction du plan. En effet, la zone arrière ne peut pas être considérée que sous l’angle logistique. La situation tactique déterminera si elle reste sous la responsabilité des divisions de premier échelon ou si elle devient une zone de responsabilité à part entière, confiée à une division qui en assurera le contrôle.

 

La gestion des flux de données est souvent vue sous l’angle du renseignement. Il est vrai que dans la phase de planification d’une opération, les bases de données sont fournies et enrichies. Elle commence d’ailleurs par la Comprehensive Preparation of the Operational Environment (CPOE), dont le but principal est d’avoir la vision la plus précise et exhaustive possible de l’environnement opérationnel (pas uniquement sous l’angle militaire). Toutefois, le principal défi pour un corps tient dans l’enrichissement de la base. Le défi principal pour le corps n’est pas tant de gérer les bases que de générer des flux. La manoeuvre des capteurs, ainsi d’ailleurs que leur nombre et leurs performances, a autant d’importance, voire plus, que la gestion des flux d’information.

 

La haute technologie ouvre de nombreuses voies nouvelles mais ne se substituera jamais à la manoeuvre. Tous les capteurs ou effecteurs techniques répondent à des normes techniques qui sont autant de limitations d’emploi. Il est impossible, aujourd’hui, de surveiller en permanence l’intégralité d’une zone d’action, d’être absolument certain de la manoeuvre adverse. Cela serait aussi vain que de croire supprimer la contingence. Donc, les limitations techniques autant que la rareté de certains effecteurs imposent d’en planifier leur emploi et d’accepter des impasses. Tout l’art consiste à identifier les « meilleurs coups ».

 

 

Faire de l’ennemi une « négation libre » ?

 

Pour Jean Guitton l’ennemi s’assimile à la « négation libre » de la méthode dialectique. Il est l’antithèse de notre action. Il a une volonté propre, des objectifs au service desquels il met sa force et son énergie. En apparence, cette conception colle à notre analyse de l’ennemi. Dans les faits nous avons du mal à l’incarner. Nous connaissons bien notre adversaire de contre-insurrection. Il a une histoire qui nous dévoile quelques clefs pour le comprendre et éventuellement le devancer. L’ennemi générique de nos exercices ne disposent pas d’une profondeur historique. Il se réinvente et la première brique de cette démarche consiste à lister ses capacités, nous entraînant d’emblée dans une logique de moyens.

 

Nous travaillons avec des données réelles qui donnent une pertinence au raisonnement et une certaine validité aux modes d’action. Le calcul du rapport de forces est une étape incontournable du raisonnement militaire. Il s’agit de la science. L’art consiste plutôt à se glisser dans l’intelligence de l’ennemi pour en faire une vraie « négation libre ». Concrètement, aucun mode d’action ennemi, même pour un exercice et peut-être même surtout pour un exercice, ne devrait être théorique (applicable partout) comme l’incontournable attaque en force ou attaque en souplesse… Il manque le général ennemi pour concevoir la manoeuvre même si un officier du G2 occupe théoriquement cette position pendant un exercice. Il s’assure davantage de la cohérence des actions que de la poursuite d’objectifs qui correspondent à un plan que notre action contrarie.

 

Dans un état-major, cent personnes travaillent sur notre manoeuvre et au mieux deux ou trois sur celle de l’ennemi. L’organisation de la chaîne renseignement, la manoeuvre des capteurs, l’exploitation du renseignement occupent du monde et nécessitent de l’énergie. Malgré toutes les qualités et compétences d’une division renseignement de niveau 1 ou 2, l’aspect technique et la qualité intrinsèque des produits l’emportent trop souvent sur « l’intelligence de l’ennemi ». Durant la phase de planification, le général adjoint d’un corps pourrait utilement jouer le rôle du chef adverse.

 

La qualité des demandes de renseignement dépend de la visibilité que nous avons de l’intention ennemie. Il faut la confirmer ou l’infirmer et chercher des failles dans sa manoeuvre.

 

 

Le rapport entre les actions cinétiques et non cinétiques ?

 

Aujourd’hui beaucoup d’actions agressives se déroulent dans un spectre cyber et immatériel repoussant les limites entre l’acceptable et l’inacceptable. Le domaine dit de la 5D prend de plus en plus d’importance au point de devenir un sujet à part, distinct de la guerre classique, cinétique.

 

« La technique de la guerre, qui implique une menace sur les corps par des coups mortels, compose avec une technique de révolution ou de révolte, qui implique une influence sur les esprits pour des changements de mentalités et des conversions. Ici, la crainte ayant pour objet la victoire. Là, la subversion ayant pour objet la conversion. »11

La guerre psychique sape le moral individuel, la cohésion d’une nation, la légitimité des décideurs politiques. Le corps social est affaibli et plus facile à manipuler et à impressionner. Elle inocule la peur, non surmontée, celle qui engendre des violences gratuites ou des inhibitions coupables (ne pas réagir alors qu’il le faudrait comme secourir quelqu’un). La guerre immatérielle est une guerre psychique qu’il serait coupable de négliger. Elle n’est pas un fait nouveau. Cependant, les moyens de la faire s’améliorent et se complexifient avec la caractéristique particulière de pouvoir se cacher sous un relatif anonymat, et ce dès le temps de paix. La guerre psychique ne se substitue pas à la guerre physique, l’une et l’autre se complètent sans préjuger a priori de la prééminence de l’une sur l’autre.

 

 

3.Pour résumer en quelques mots les propos précédents

 

Les états-majors de niveau 1 et 2 gagnent le duel de l’intelligence dans la mesure où ils lisent à l’intérieur du système adverse, le devancent, réduisent la contingence. Les autres niveaux gagnent le duel physique dans la mesure où ils reçoivent une mission cohérente avec ce qu’ils savent vraiment faire, et où les conditions de leur succès ont été appréhendées et façonnées par leur chef. Si nous reprenons la métaphore du boxeur : les niveau 1 et 2 organisent le combat entre deux boxeurs de la même catégorie, parfois l’évitent, influencent le jury et le public, tirent tous les bénéfices de l’événement. Les brigades fournissent les boxeurs qui montent sur le ring12.

 

Le « Command and Control » pour combattre un ennemi de même pied, dans un combat terrestre couvre les aspects suivants :

 

  • Bien comprendre les principes de subsidiarité et de suppléance qui vont de pair. Chacun à la place pour laquelle il est équipé, organisé, entraîné, le tout replacé dans le temps et dans l’espace.
  • Le niveau de synthèse, exercé ipso facto par le plus haut niveau de commandement déployé sur le terrain, assure la cohérence de toutes les actions. Il est le concepteur et les subordonnés agissent en « effecteurs ».
  • La haute technologie est un atout indéniable pour se protéger et pour optimiser les systèmes de commandement. Elle n’est pas un substitut à la planification. Il ne faut espérer résoudre par la haute technologie ce qui doit être résolu par la manoeuvre.
  • Prendre ou garder l’initiative constitue le coeur du problème tactique.
  • La bataille des flux conditionne le succès.
  • Un état-major est un être vivant, efficace lorsqu’il reste concentré sur la finalité commune.
  • Pour gagner, il faut accepter de monter sur le ring. Les champs immatériels, le Narrative Battle, sont des atouts incontournables mais jamais des pis-aller.

 

                                                          

 

9 La tradition guerrière qui veut que le chef soit systématiquement devant mérite d’être relativisée. La complexité actuelle des opérations milite pour une certaine stabilité, la capacité de prendre du recul et l’introduction de la bonne orientation opportunément. La présence physique est requise là où souffle l’esprit.

10 Cela correspond en anglais à l’acronyme AIM (le but) : Look forward/Anticipate – Look wider/Integrate – Risk assessment/Mitigate.

11 Jean Guitton, La Pensée et la Guerre, op. cit., préface.

12 Il serait intéressant d’analyser les combats de boxe pour identifier les conditions d’une victoire. Les deux boxeurs ont le même type d’entraînement, la même expérience, les mêmes techniques et le même courage. Quels sont les facteurs qui font la différence ?

Séparateur
Titre : « Pour obtenir la victoire, il faut vouloir la bataille »
Auteur(s) : Général de corps d’armée Pierre GILLET, commandant le Corps de réaction rapide-France
Séparateur


Armée