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«Puisse le roi disposer de ma tête après la bataille», ou «de la prépondérance de l’esprit sur la lettre»

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Histoire & stratégie
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«Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui»[1]. Par ces mots et soulignant auparavant la tempête mécanique terrestre et aérienne allemande qui a plongé la France dans les affres de la défaite, le Général de Gaulle semble minimiser le facteur clef qui a permis cette victoire éclatante des armées allemandes en juin 1940. En effet, plus que les chars, les avions, l’artillerie ou les troupes motorisées, ce sont les doctrines et la formation des officiers d’état-major allemand qui ont eu raison de nos armées, et surtout leur esprit d’initiative développé depuis les plus bas échelons jusqu’aux plus hauts.

 

[1] Appel du 18 juin 1940, Général de Gaulle.


L’esprit d’initiative, vertu cardinale de l’officier allemand dans l’entre-deux-guerres

 

L’officier allemand a souvent été tourné en ridicule, étant décrit comme quelqu’un de borné, incapable de toute remise en cause et obéissant, tel une machine, à des ordres supérieurs qu’il est incapable de comprendre[1]. Il s’agit là d’une représentation ancienne qui était à l’époque déjà erronée[2]. Or, cette image fausse s’est elle-même insinuée très rapidement dans l’imaginaire des officiers français auréolés de leur gloire induite par la victoire de la Première Guerre mondiale. Ces derniers, peut-être un peu trop arrogants, ont négligé l’étude de l’utilisation de nouvelles technologies et refusé la remise en cause de certaines leçons issues de la Grande Guerre[3]. Au contraire, l’armée allemande, bien que réduite à sa plus simple expression par sa défaite de 1918, n’a pas manqué de continuer à travailler à l’évolution de sa doctrine.

Ainsi, le Général von Seeckt, alors chef des armées, n’a de cesse entre 1920 et 1926, d’entraîner son armée aux nouvelles formes de combat en sauvegardant l’esprit militaire allemand malgré les privations matérielles et humaines dans le domaine militaire qu’impose le traité de Versailles. Pour lui, la volonté mariée à l’intelligence permet de diriger l’action en trois phases successives: la décision, le commandement et l’exécution. Mais la volonté primera toujours sur l’intelligence sans pour autant l’effacer[4]. Le traité de Versailles atteint au cœur le corps physique de l’armée allemande mais, par diverses directives et règlements encadrant le commandement, la conduite des troupes au combat et les formations des officiers d’état-major, le Général von Seeckt et ses successeurs empêchent l’effondrement total de leur armée et préparent sa relève à partir de 1933[5]. Aussi, dès 1921, il publie un nouveau règlement au profit de l’ensemble de l’armée allemande que tous ses officiers se doivent de connaître et d’appliquer.

Dans son introduction, il annonce que ce document traite d’une armée moderne, équipée des dernières technologies de l’époque et apte à imposer la volonté de ses chefs[6]. Un thème tactique qui paraît dans le Militär-Wochenblatt en 1933 comporte ainsi une étude sur l’utilisation de chars et de grandes unités blindées et motorisées alors que l’Allemagne n’en possède pas encore officiellement[7]. Il s’agit de mener un combat mobile et agressif en utilisant la puissance de feu sous blindage de ce type de matériel ainsi qu’en exploitant par sa rapidité de concentration l’effet de surprise créé en un lieu et en un moment donné, si possible après débordement des flancs ou sur les arrières de l’ennemi.

La vertu cardinale demandée à tout officier, celui d’état-major en particulier, est son esprit d’initiative lié au sens des responsabilités. Ainsi, la responsabilité pleine et entière de l’officier est toujours mise en avant, non pas pour le brider mais au contraire afin de lui assurer un maximum de liberté d’action en ne le contraignant pas à devoir attendre des ordres de l’échelon supérieur qui ne viendront que trop tard ou ne seront pas adaptés à la situation qui aura fatalement évolué[8]. Il peut et doit, si cela le nécessite, désobéir à la lettre afin de conserver l’esprit de la mission et ainsi assurer le succès de la grande unité à laquelle il appartient. Afin de sélectionner les officiers d’état-major et pallier la disparition temporaire de l’académie de guerre, le Général von Seeckt institue un examen annuel obligatoire: le Wehrkreisprüfung. Les thèmes tactiques comportent souvent des choix audacieux à prendre par l’officier-candidat. L’officier doit en permanence être conscient de ses responsabilités au sein de la manœuvre globale et au besoin agir de son propre-chef et sans ordre direct s’il estime que la situation l’exige. Cette mise en avant de l’esprit d’initiative perdure jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale comme en témoigne un des thèmes tactiques proposé au concours d’entrée à l’académie de guerre (réinstituée entre temps malgré l’interdiction du traité de Versailles) en 1938: «Le commandant d’un régiment d’infanterie placé en réserve de corps d’armée, qui se déplace dans la zone d’effort principal et, par suite de l’absence de l’ordre, conduit à envisager une intervention sur sa propre initiative (…)». «La solution proposée montre que l’appréciation exacte de la situation, grâce à laquelle une rupture de front a pu être révélée et la conception d’une manœuvre dans le cadre de l’intention exprimée par le commandement supérieur, complétées par la fermeté du caractère qui sait résister aux appels à l’aide et par la pleine conscience de la responsabilité assumée volontairement sont les conditions indispensables pour prendre une décision dans le sens désiré par le corps d’armée»[9].  L’esprit de discipline, bien que central dans toute armée, n’exclut pas l’esprit d’initiative, qui est recherché et encouragé au sein de l’armée allemande, en particulier chez ses officiers.

 

Une imprégnation totale de la doctrine et une vie intellectuelle militaire foisonnante: le droit à la controverse

 

Cet état d’esprit singulier dans une armée occidentale est en outre particulièrement bien véhiculé en dehors des écoles de formation d’officiers par l’édition et la diffusion de nombreux précis de tactique et de doctrine. En particulier, le Militär-Wochenblatt (édité de 1816 à 1942) concentre de nombreuses réflexions sur la conduite des opérations à tous niveaux ainsi que des propositions d’utilisation des nouvelles technologies militaires, sans a priori ou peur de sanctions de la part de la hiérarchie. Des études de cas concrets, éditées dans un petit format facilement transportable et issues de la première guerre mondiale[10], complètent la formation permanente des officiers de la Reichswehr de 1918 à 1935, puis de la Wehrmacht à compter de 1935. Elles peuvent aborder des opérations tactiques ou stratégiques, en fournissant de nombreux exemples concrets et autres recommandations. Il s’agit de montrer aux officiers l’ambiance dans laquelle ils devront exploiter leurs connaissances et appliquer l’autorité[11]. Dans cette période de l’entre-deux-guerres, de nombreuses publications militaires encouragent donc les officiers à penser leur métier et mettent en avant les idées les plus hardies.

Ainsi, des propositions de nouvelles doctrines voient le jour et sont ensuite intégrées dans les règlements d’emploi des armes. Le Général d’artillerie von Eimannsberger a ainsi pu théoriser et éprouver la mise en application lors de la Deuxième Guerre mondiale de l’emploi sous un commandement autonome des chars de combat. Il ne craint pas dans ses écrits de s’en prendre aux dogmes alors en place et d’affronter les pontes d’armes considérées comme les plus prestigieuses et fournissant alors la plupart des grands chefs de l’époque. Il développe à l’envie une distinction entre l’ancien et le moderne en opposant les armes «anciennes» que sont l’infanterie et la cavalerie aux armes nouvelles qu’il identifie comme étant l’arme blindée et l’aviation. Il note l’importance d’une nécessaire coopération, mais défend un usage autonome de ces nouvelles armes affranchies de la tutelle des armes dites «anciennes»[12]. Mais le combattant reste au cœur de sa pensée: «À la guerre, c’est l’homme qui décide et non la machine. Mais on oublie toujours d’ajouter qu’aujourd’hui le meilleur soldat ne peut pas combattre, et mieux encore vaincre, sans machine»[13]. Un de ses élèves, le Général Guderian, publie un livre en 1936[14] dans lequel il développe ses conceptions qu’il appliquera avec succès lors de la campagne de France.

 

À l’affût des nouvelles idées chez l’ennemi

 

Enfin, l’étude de la doctrine ennemie perdure et est même intensifiée. De nombreux articles portant sur les méthodes de combat de l’armée française ainsi que sur le travail de ses états-majors et la formation de ses officiers sont produits. Ils n’hésitent pas à suivre et étudier les différents exercices et publications françaises et savent mettre en lumière les différences fondamentales et exploiter les faiblesses repérées en prévision d’opérations futures. Ainsi, ils notent les évolutions des doctrines de combat et n’hésitent pas à en tirer toutes les conséquences. La doctrine allemande est radicalement gouvernée par un esprit offensif qui transparaît dans les règlements divers sur l’emploi des armes. La liberté d’action du chef y est en permanence soulignée et valorisée, et ceci à tous les niveaux de commandement. Le but ultime réside dans la saisie d’opportunités qui lui permettront de prendre l’ascendant sur son ennemi au travers d’actions audacieuses mais réfléchies. Les dangers liés à cette doctrine offensive ne sont pourtant pas écartés ni relégués au second rang. À aucun moment la liberté d’action de l’officier ne doit être bridée, il doit juger en son âme et conscience puis ordonner en conséquence afin d’assurer le succès de la manœuvre en cours et, si besoin, en utilisant des moyens non conventionnels ou non prévus initialement à cet effet. Au contraire, les rapports allemands sur la doctrine française notent une approche totalement opposée dans la conduite des troupes. L’esprit défensif y est recherché et valorisé. La prise d’initiative est découragée en mettant en avant tous les dangers de s’exposer au brouillard de guerre et au hasard de la bataille. Il faut avant tout prévoir, tout calculer et s’en tenir au plan énoncé sans déroger ni faillir à son exécution. La surprise stratégique ou tactique doit être évacuée à l’aide d’une multitude de plans et de variantes prêts à l’emploi. L’officier est donc infaillible dans ses ordres s’il s’en tient au plan et à ses dérivés. Or, les officiers allemands soulignent le danger le plus immédiat induit par ce type de pensée militaire: l’immobilisme ou l’absence de réactivité face à un événement imprévu. L’impossibilité d’exploiter une situation avantageuse lorsqu’elle se présente et qu’elle n’a pas été au préalable envisagée[15]. Les officiers allemands sont donc avertis des forces et faiblesses du commandement français bien avant le début de la campagne de 1940. Des études similaires concernant l’emploi des chars et des avions ainsi que sur l’utilisation des troupes motorisées sont conduites dans le même but afin là aussi de déceler toute force ou faiblesse dans la mise en œuvre de ces moyens nouveaux par l’armée française.

 

Ainsi, c’est bien au travers de la formation de ses officiers, de la sélection des plus à même de servir en état-major, que l’armée allemande a pu entretenir un esprit forgé pour le combat et capable d’initiatives et de prises de décision. En outre, par une constante réflexion, par l’existence de lieux d’expression de nouvelles idées tel le Militär-Wochenblatt, mais aussi par la capacité à se remettre en question afin d’intégrer ces idées nouvelles à sa doctrine, cette armée a réussi à faire sienne et à faire évoluer les nouvelles technologies en armement alors à disposition pour développer de nouvelles formes de combat encore inédites. Enfin, une veille permanente des doctrines et de la formation des officiers et états-majors français ainsi que la critique quasi systématique de la production doctrinale française ont permis aux officiers allemands de déceler les forces et faiblesses de l’armée française afin de les exploiter lors de l’offensive de 1940. Tout ceci n’a été possible que grâce à ce fameux esprit d’initiative qui fixe comme impératif d’agir dans l’esprit de son chef, sans forcément respecter la lettre si les circonstances l’exigent, et ceci tant sur les champs de bataille que lors des entraînements. «Dites au roi qu’il pourra faire de ma tête ce qu’il voudra après la bataille, mais qu’il veuille bien, pour le moment, m’autoriser à l’utiliser pour son service»[16].

 

 

[1] À ce sujet, se reporter aux nombreuses caricatures du célèbre peintre-dessinateur Jean-Jacques Waltz dit «Hansi».

[2] «Pour ma part je n’ai jamais eu l’occasion de voir ou d’entendre un officier allemand, qui émit devant moi une idée originale», P. de Pardiellan, «L’armée allemande telle qu’elle est», p.106.

[3] Le peu d’investissement dans l’aviation militaire et la doctrine de la guerre de position matérialisée par la ligne Maginot en sont des exemples.

[4] «La chose essentielle est l’action. Elle a trois moments: la décision née de la pensée, la préparation de l’exécution ou le commandement, l’exécution elle-même. Dans les trois stades de l’action, c’est la volonté qui dirige. La volonté émane du caractère; le caractère est plus important pour l’homme d’action que l’intelligence. L’intelligence sans volonté n’a pas de valeur; la volonté sans intelligence est dangereuse», Général von Seeckt, «Pensées d’un soldat», p.169.

[5] «Il s’agissait de mettre sur pied une organisation qui donnât satisfaction pour le présent et permît et amorçât les transformations, réorganisations, développements et agrandissements pour l’avenir » Général von Seeckt, «Die Reichswehr».

[6]Ce traité «fait état de l’effectif, de l’armement et de l’équipement de l’armée moderne d’une grande puissance, et non de ceux de l’armée allemande de 100.000 hommes créée en exécution du traité de paix». Général von Seeckt, «Conduite et combat des armes opérant en liaison», p.3.

[7] Colonel Eugène Carrias, «La pensée militaire allemande», p.358.

[8]«Le sens des responsabilités est la principale qualité du chef. Tous les chefs doivent toujours demeurer convaincus et rappeler sans cesse à leurs subordonnés que les omissions, les pertes de temps, sont de plus grosses fautes qu’un mauvais choix dans l’emploi des moyens» Ibid, p.7.

[9] Militär-Wochenblatt n°28 du 6 janvier 1939.

[10] Par exemple: Histoire militaire de la troupe-12 exemples issus de la Guerre mondiale 1914-1918. Lieutenant Greiner et Commandant Ebeling.

[11] Colonel Eugène Carrias, «La pensée militaire allemande», p.358.

[12] «L’évolution normale de l’arme blindée nécessite l’air et la lumière. Il n’y a rien à espérer si, comme Cendrillon, elle doit rester auprès de sa marâtre l’infanterie et même la cavalerie pour les servir; car ces marâtres veilleront jalousement à ce que leur belle-fille reste petite et menue et ne puisse être employée qu’à des besognes secondaires… On ne peut envisager sûrement une décision rapide avec les moyens de combat connus. Il faut avoir recours à de nouvelles armes. Celles-ci ne peuvent-être que l’arme blindée et l’aviation employées en coopération avec les anciennes armes». Article du Général d’artillerie von Eimannsberger, Panzertaktik, Militär-Wochenblatt n°27 du 15 janvier 1937.

[13] Article du Général d’artillerie von Eimannsberger, Panzertaktik, Militär-Wochenblatt n°27 du 15 janvier 1937.

[14] Général Guderian, Achtung-Panzer !.

[15] «On trouve comme principe fondamental dans le règlement allemand la volonté de détruire l’ennemi, qui domine l’esprit offensif. Le règlement français, par sa recherche de la sûreté, est dominé par l’esprit défensif». «Notre conception de la conduite du combat de rencontre laisse au chef, même de la petite unité, une grande liberté d’action. Il a ainsi la possibilité d’exploiter toute situation favorable et de remporter des succès par lui-même. Elle peut naturellement conduire à des mécomptes. Les règlements français, par crainte de ces derniers, lient leurs chefs subalternes et leur laissent peu d’initiative. Les Français veulent en toute circonstance agir avec sûreté; ils s’exposent à faire détruire leur plan de bataille, avant qu’il n’ait pu être mis à exécution, par un adversaire énergique et entreprenant, et à être ainsi à la remorque des événements dès le début de l’action». «Différences fondamentales dans le combat de rencontre selon les règlements français et allemands», Militär-Wochenblatt n°36 du 25 mars 1936.

[16] Général von Seydlitz lors de la bataille de Zorndorf en 1756.

 

Officier de l’arme du train, le Chef d’escadron Stéphane TRUNKWALD a commandé le 1er escadron de livraison par air du 1er régiment du train parachutiste. Il a effectué plusieurs opérations extérieures notamment au Tchad, en République de Côte d’ Ivoire et au Liban. Il sert actuellement en tant qu’officier de liaison au commandement de défense aérienne et des opérations aériennes et s’apprête à effectuer un détachement de six mois au SHAPE à Mons.

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Titre : «Puisse le roi disposer de ma tête après la bataille», ou «de la prépondérance de l’esprit sur la lettre»
Auteur(s) : le Chef d’escadron Stéphane TRUNKWALD
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