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⚡️ Utiliser la non-linéarité pour créer la surprise localement

BRENNUS 4.0
Tactique générale
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La non-linéarité des combats est un concept toujours  d’actualité  pour  deux raisons majeures : la diminution du volume des armées et la fin (provisoire ?) d’un modèle de la guerre qui voyait s’affronter des adversaires généralement symétriques partageant la même conception de la bataille décisive. Les armées occidentales sont aujourd’hui engagées sur des théâtres d’opérations soit désertiques et donc immenses où la notion de front n’a plus de sens, soit face à un ennemi asymétrique qui par nature refuse l’opposition frontale.


À la non-linéarité est aussi associé le concept d’espaces lacunaires, qui renvoie in fine à la même conception bien que des nuances pourraient y être apportées. Le terme espaces lacunaires sous-entend que des portions complètes de terrain ne sont pas contrôlées, soit volontairement  parce qu’elles ne présentent pas d’intérêt tactique évident, soit involontairement par manque de moyens. Cela étant, certaines armées conscientes du pro- blème ont résolu ce dilemme par l’usage massif de drones, qui, lorsqu’ils sont armés deviennent de fait un moyen de contrôler les espaces.

Fort de ce constat, les armées doivent utiliser le retour des espaces lacunaires comme un atout pour redevenir imprévisible, dans la  guerre conventionnelle comme insurrectionnelle.

 

Accepter la non-linéarité, accepter la surprise

Historiquement et  culturellement, le  contrôle de l’espace terrestre est la base du combat, en particulier dans les modes d’actions défensifs.

 

Accepter un trou dans le dispositif, ne pas assurer l’étanchéité, c’est se mettre en danger d’être contourné, débordé et détruit, c’est accepter d’être surpris. Le traumatisme de la 7e division fantôme de Rommel et le mythe de la percée décisive est encore prégnant à l’heure où un simple raid de bombardiers suffirait pourtant à stopper une colonne ennemie en marche. C’est le point fondamental de cette approche, comment faire pour que la surprise soit de mon côté et non de celui de l’adversaire ?

 

En premier lieu il faut considérer l’attitude de l’ennemi. Ce dernier sera en effet lui-même surpris, ou du moins il faut tout faire pour qu’il le soit, de ne rencontrer personne, et cela le fera hésiter. Les exemples d’exploitation réussie existent, mais ils sont aussi nombreux que ceux des hésitations de chefs confrontés à une avancée non planifiée : se risquer en territoire ennemi sans le rencontrer, c’est s’exposer au risque de s’isoler à son tour. Ce concept est encore d’actualité à l’heure des bulles de protection anti-aérienne et de la guerre électronique. Une unité moderne, quel que soit son volume, sera en difficulté lorsqu’elle se retrouvera isolée au milieu d’unités ennemie et coupée de tout type de communication avec ses bases. L’ennemi peut être surpris par l’acceptation de notre part du combat lacunaire.

 

En second lieu, accepter d’être surpris par une avancée ennemie ne doit pas être pris dans son premier sens, sinon c’est accepter l’échec ou la défaite. Ici, il convient bien d’accepter que les espaces non contrôlés existent. Il faut alors adopter une posture de défense active (la sûreté), ou plutôt réactive. L’ennemi peut se déplacer aisément, profiter des lacunes du dispositif pour surgir là où on l’attend le moins, mais si c’est un fait accepté par le commande- ment et la troupe, alors la surprise devient un simple fait tactique. Bien sûr cela suppose une formation spécifique et de grandes capa- cités de réaction, cela suppose aussi de réfléchir à l’acceptation des pertes.

 

Dans ce  contexte, pouvoir encaisser le  choc de la  surprise suppose avant tout un moral supérieur à celui de l’adversaire. C ’est bien cette force morale qui permet l’agressivité et la réactivité immédiate, et ce, dès le plus petit niveau tactique. L’exemple du CENTAC est extrêmement révélateur. Dans ce camp d’entraînement, la végétation et le relief provoquent très souvent l’imbrication  des adversaires : s’y déroule alors au niveau du combattant ou de l’équipage un véritable combat de rencontre où chacun est surpris. Celui qui surmonte le plus rapidement la surprise sera dans la majorité des cas vainqueur. Cette réactivité instantanée peut aussi être améliorée par la technologie, c’est tout l’intérêt du combat SCORPION.

 

Ainsi, les modes d’actions défensifs peuvent utiliser eux aussi les espaces lacunaires à leur profit. Cela suppose une adaptation des esprits et des textes, et cela suppose également de penser la défense comme mobile, ou plutôt la moins permanente possible. Toute proportion gardée, c’est ce principe qui a été adopté pour l’opération Sentinelle. S’il est certain que le rapport de force ne doit plus être le paramètre majeur décidant du mode d’action en espaces lacunaires, la question reste posée de savoir quels autres paramètres choisir. La technologie, la force morale, l’expérience ?

 

Repenser lautonomie du commandement et des unités

À peu près au moment où l’Armée de Terre française choisissait de recréer le niveau divisionnaire, l’armée iranienne faisait le choix inverse. Cela pourrait paraître anodin voire dénué d’intérêt, et pourtant l’image d’un régime dictatorial refusant le changement ne s’applique pas à son armée. Les militaires iraniens ont en effet une doctrine qu’ils remettent à jour régulièrement car ils cherchent à s’adapter rapidement aux nouvelles menaces à leurs frontières. Et force est de constater qu’ils sont plutôt servis de ce point de vue. Ainsi en observant le combat hybride employé par Daech, ils en sont venus à la conclusion que cet ennemi particulièrement  souple et puissant, manœuvrant en espaces lacunaires, nécessitait en réponse de développer l’autonomie de leurs unités. Les états-majors de division ont alors été vus comme un facteur bridant l’initiative locale, qui a été laissée au niveau brigade et surtout bataillonnaire (le régiment n’existe pas).

 

En France l’accent est plutôt mis sur la  subsidiarité du commandement, qui si elle est bien réelle, n’exclue pas les longs processus de conception des ordres à tous les niveaux de la hiérarchie1. Cette subsidiarité est bien une des clés du combat lacunaire, car  l’autonomie décisionnelle permet de  créer  et d’exploiter localement la surprise. Pour cela il faudrait pouvoir doter les unités de niveau 3 à 5 d’une véritable autonomie logistique, la plus légère possible, c’est encore aujourd’hui un véritable défi technologique.  Sur ce point, il est intéressant de regarder les réflexions sur le combat en haute mer, qui se rapproche par bien des aspects du sujet. Le concept notamment du sea-basing2, base temporaire ou semi-permanente au large est une solution possible. Mais comme en combat terrestre, une base doit être défendue a minima, sa sécurité ne peut reposer sur la seule mobilité.

 

Cela ne suffit sans doute pas, un chef disposant d’une autonomie de commandement pour exploiter la surprise à son niveau doit aussi être coordonné. En effet, utiliser la non-linéarité pour créer la sur- prise n’est pas aussi simple. Cela fonctionnera de manière optimale uniquement si la déception est pensée au niveau supérieur, en coordonnant les actions de chaque unité autonome subordonnée. Mais à quel niveau commence l’unité autonome ? Compagnie, régiment ? Cela dépend avant tout du théâtre et de l’ennemi.

 

Les combats de la libération de Strasbourg en 1944 illustrent plusieurs de ces concepts. La division Leclerc, par l’emploi de grou- pements autonomes, a submergé les Allemands en acceptant les failles dans le dispositif. Les consignes étaient d’ailleurs très claires :

« contourner les résistances et éventuellement ne pas hésiter à modifier les axes prescrits», avec un objectif unique, le pont de Kehl. Dans ces combats, il s’agit de bousculer l’adversaire, le surprendre par la rapidité et le lieu de l’attaque, certains groupements prenant les défenses allemandes à revers. Et chaque unité avait une auto- nomie presque totale, en étant à peine coordonné. Le résultat est connu, la manière reste aujourd’hui encore impressionnante.

 

Le dernier point sur l’autonomie du commandement concerne le renseignement. Intimement lié à la surprise, ce domaine est pourtant un des plus mal exploité pour cela. La capacité d’un chef à créer la surprise passe évidemment par ses moyens d’obtenir à temps les bonnes informations, ceci est crucial en combat lacu- naire. À cette fin, les capteurs doivent pouvoir être employés par chaque échelon tactique jusqu’au niveau groupe voire même équipe. Les nano-drones sont une première solution, l’info- valorisation une autre, il faut continuer à progresser dans ce domaine, et peut-être revoir la conception et la place accordée au secret.

 

La prégnance du tout-technologique a construit le fantasme de la prédétermination de la manœuvre et du contrôle de la surprise. Mais force est de constater qu’il n’en sera jamais rien car on ne connaîtra jamais l’intention de l’adversaire : c’est le principe du jeu d’échecs ou la surprise existe alors même que l’emplacement des pions et leurs capacités sont connus.

 

La surprise sera toujours présente dans la guerre. En acceptant la non-linéarité, c’est-à-dire en s’y préparant doctrinalement et structurellement, l’Armée de Terre redonnera de fait une place primordiale à la surprise.

 

 

1   L’ordre d’opération de la reprise de Paris par la 2e DB est cité en exemple mais il a bel et bien été remplacé par des ordres au gabarit imposant. Ainsi l’ordre d’opération proposé pour l’épreuve de tactique du concours de l’École de guerre en 2016 atteint 20 pages, et c’est également un ordre de niveau divisionnaire.

2   Bruno PAULMIER, « La manœuvre navale », in Guerre et Manœuvre, Paris, Economica 2009.


 

 

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Titre : ⚡️ Utiliser la non-linéarité pour créer la surprise localement
Auteur(s) : le chef de bataillon Sébastien Lemee
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Armée