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Allocution d’ouverture

Gagner au contact
Engagement opérationnel
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Le thème de ce colloque retentit comme un slogan, mais a l’intérêt de nous faire saisir rapidement les enjeux : faut-il aborder les conditions du succès en opération à travers le seul critère de la distance à l’adversaire ?

Est-il pertinent de n’envisager la possibilité d’une victoire qu’à l’occasion d’une confrontation physique, de proximité, ou à l’inverse affirmer que la guerre à distance est l’avenir de notre stratégie ? Distance et proximité sont en réalité, dans un monde interconnecté, des notions toutes relatives. De même, les armées se considèrent « au contact » de leur adversaire dans un référentiel spatial éminemment relatif à leur culture de milieu, leur stratégie et leurs armes.

 


Je ne parlerai pas ici en tant que marin mais en tant qu’homme de l’interarmées. Et l’interarmées n’est pas l’art de la synthèse par le plus petit dénominateur commun. C’est au contraire l’art de choisir le chemin le plus exigeant, celui qui intègre la complexité. Je voudrais d’abord vous inviter à ne pas vous laisser enfermer dans le combat de mêlée, ni à l’autre bout du spectre, dans le recours aux armements à longue portée, car nos succès viendront de notre aptitude à combiner les effets sur nos adversaires, à ces deux extrémités. Mon propos tentera par ailleurs d’élargir la réflexion au-delà du seul rapport à la distance, car l’extension de la conflictualité nous l’impose.

 

PROXIMITÉ VS .  DISTANCE : UN FAUX DILEMME

La tendance lourde des modèles d’armées et des stratégies occidentales consiste indéniablement à augmenter la distance à l’adversaire. Cette tendance est tirée par de puissants déterminants, à commencer par la technologie.

Le maintien de capacités du haut de spectre constitue un enjeu majeur pour l’efficacité des armées, sans parler des enjeux de politique industrielle sous- jacents. Ces compétences sont tirées par la mise en œuvre des deux composantes de la dissuasion, qui ont une portée stratégique par nature. L’ombre portée sur les forces conventionnelles a stimulé depuis cinquante ans le développement de capacités d’action à distance, concourant directement ou indirectement à la crédibilité de la dissuasion et à la manifestation de notre volonté de défendre nos intérêts, depuis le théâtre national, des sites d’appui ou de prépositionnement.

L’investissement dans les technologies de supériorité, permettant de mettre à notre portée nos adversaires ou nos compétiteurs, sans nous exposer, ne va pas s’arrêter. Les relations internationales connaissent une période dans laquelle l’affirmation de puissance et les comportements de prédation laissent peu de place à la maîtrise des armements, dont les traités arrivent d’ailleurs à échéance les uns après les autres en Europe sans que nous puissions garantir que d’autres les remplaceront.

De plus, l’action en coalition, qui devient la norme pour résoudre les conflits, pousse à privilégier des options limitant l’exposition des partenaires pour maintenir leur cohésion. Là encore, c’est la capacité à réduire la confrontation directe qui est déterminante : les dépendances mutuelles et l’interopérabilité, souvent non native des doctrines d’emploi, soulèvent des problèmes de coordination d’autant plus aigus que l’on se rapproche de l’ennemi.

Enfin, la sensibilité des sociétés démocratiques joue pour beaucoup dans le choix de stratégies de combat « à distance ». La vulnérabilité de nos sociétés occidentales à l’émotion et à l’influence extérieure constitue moins un frein à la décision politique d’intervention au contact, qu’une réelle incapacité à soutenir cette décision dans le temps long. Le développement du concept « zéro mort » en constitue l’illustration flagrante. Dès lors, l’emploi d’armes modernes précises et à longue portée est tentant, et conforte l’illusion dans l’opinion d’une possibilité de maîtrise des conflits à distance sans s’exposer physiquement.

De même, le recours aux sociétés privées actuellement en plein essor chez nos partenaires américains et britanniques élude les délicats débats nationaux sur les volumes d’engagement et l’exposition des forces. Nous sommes restés plus prudents en France, et misons sur la dynamisation des partenariats militaires opérationnels à court terme. Il n’est pas exclu que nous y ayons recours, nous aussi, plus tard.

Ne passons pas sous silence la difficulté à remettre en cause les pensées stratégiques dominantes, inspirées en premier lieu par une culture militaire américaine, a xée sur les nouvelles technologies, le recours aux drones aujourd’hui, à la robotique ou à l’intelligence artificielle demain.

Tous ces déterminants  de la guerre à distance ou via des proxies n’ont pas occulté la confrontation physique de proximité, véritable invariant de la guerre. Notre culture stratégique nationale en est très marquée. Azincourt, Verdun, Monte Cassino, Adrar des Ifoghas : on ne peut pas dire que l’inhibition pour le combat de contact fasse partie de l’ADN des armées françaises. Peu de nations soutiennent aujourd’hui le principe d’une armée d’emploi, avec ce que cela implique de volontarisme politique – assumer le prix du sang – et d’exigence de préparation opérationnelle. Ce courage nous est précieux, il suscite respect, crédibilité et confiance, et agrège autour de nous les partenariats de « ceux qui peuvent et ceux qui veulent ».

Par ailleurs, face à la complexité de nos théâtres d’opérations, disposer d’une capacité d’appréciation de la situation in situ est indispensable. Le théâtre du Levant est illustratif à cet égard : mutation de Daech, inf luence iranienne, intervention russe, opportunisme turc, lutte des Kurdes, présence de combattants djihadistes français, prise de distance américaine... difficile de comprendre l’Orient compliqué sans y être présent physiquement.

Cela mobilise de facto toutes nos composantes (forces spéciales, artillerie, armée de l’air, frégates dans le canal de Syrie, moyens de renseignement, C2, etc.). Le principal enjeu des conflits restant le plus souvent la population, nos armées disposent de l’atout de leur ouverture culturelle et de leur capacité d’adaptation face à cette complexité. Ces deux qualités de proximité ont souvent permis de prévenir les tensions.

Rappelons enfin que la notion de guerre au contact ne s’appréhende pas partout de la même façon. Cette appréhension, pour un sous-marinier ou un pilote de combat, diverge naturellement de celle du fantassin. Pourtant, l’issue est tout aussi radicale. C’est surtout le fait d’être là, le fait que l’adversaire se cache, et le fait que celui-ci soit persuadé du danger d’une entrée en confrontation qui est le plus important. En cela, « gagner au contact » signifie souvent paradoxalement « tenir à distance ».

La configuration dans laquelle nous sommes engagés (sur le territoire national, en bande sahélo-saharienne, au Liban, au Levant) illustre bien cette dualité assumée. Nous devons rester en situation de frapper à distance au Levant, dans un environnement complexe et contesté, où l’attrition reste faible mais les risques stratégiques majeurs.

Nous menons parallèlement des opérations « au contact » en Afrique, avec des risques stratégiques mesurés mais une attribution avérée et assumée. Dans les deux cas, les victoires tactiques régulent le rapport de forces mais ne résolvent pas le conflit.

N’oublions pas que c’est l’adversaire qui décide le plus souvent du tempo et des conditions d’arrêt d’un conflit. Dans le monde interconnecté actuel, une victoire tactique ne nous prémunit pas nécessairement d’un revers stratégique. Au Levant, les répercussions possibles de la mutation de Daech, ou le sort incertain des Kurdes, en fournissent l’illustration. La victoire ne saurait être garantie uniquement par un combat face-à-face, pas plus que par une campagne à distance.

 

D’AUTRES PARAMÈTRES ÉGALEMENT IMPORTANTS

Le temps long de la régulation des crises, à distance ou au contact, pose par ailleurs la question de la volonté et celle du coût. Mener une guerre à distance dans le temps long sera-t-il à notre portée demain  ? Comment éviter qu’un engagement durable ne nous rende vulnérable et prédictif ? Si le coût de la guerre (humain, matériel et financier) est rarement un frein rédhibitoire à la décision d’engagement, c’est souvent celui qui finit par en précipiter la fin. Ces questions doivent donc être posées en amont.

 

La guerre à distance a un coût qui va augmenter :

  • nouvelles conflictualités dans l’espace, dans le monde cyber ;
  • prolifération des capacités de contestation des espaces (A2AD), qui accélèrent le développement des capacités de pénétration et renché- rissent la protection ;
  • développement des drones et des satellites ;
  • montée en gamme capacitaire des compétiteurs régionaux et des grandes puissances
  • dissémination des capacités nivelantes ;
  • logique de stocks logistiques, opposée à une logique de flux tendus.

 

De la même manière, le coût de la guerre au contact va croissant :

  • attrition liée à la multiplication et au perfectionnement des armements (IED, missiles)
  • renchérissement des moyens de la mobilité tactique (hélicoptères, véhicules du programme Scorpion) ;
  • coût des munitions de précision ;
  • problématique de la maîtrise de l’énergie ;
  • développement de la robotique de combat.

 

Soutenabilité dans le temps long, coût et volonté politique seront donc les arbitres de ce débat d’équilibre entre les effets portés à distance et à proximité.

Au plan capacitaire, au moment où nous entamons la préparation de la clause de revoyure de la loi de programmation militaire, cet équilibre entre rusticité, quantité et qualité est très concrètement questionné.

La distance à l’ennemi n’est pas que la distance physique mais aussi la distance perçue. La manœuvre de déception prend une place croissante dans les approches hybrides auxquelles nous sommes confrontés. Elle peut rendre l’adversaire plus proche et menaçant qu’il ne l’est réellement. La désinformation  est également nativement intégrée dans les stratégies des puissances autoritaires. À l’inverse, la transparence parfois « tyrannique », voire la défiance envers l’État pratiquée dans nos démocraties, démultiplie la perception des menaces et génère une distance à la réalité favorable à nos adversaires. Jouer sur le flou s’aff irme comme une nouvelle gamme que nous devrons aussi décliner dans nos travaux de réflexion stratégique.

Mais c’est surtout notre capacité à traiter et distribuer l’information utile au bon niveau qui permettra de rétablir la compréhension de la situation et le choix de la distance et du champ dans lesquels nous devons opérer.

La stratégie demeure donc, au-delà de la technologie, ce qui permettra de rétablir des rapports de force à l’équilibre et de ramener nos adversaires à notre portée. Notre capacité à combiner, dans nos lignes d’opération traditionnelles, la guerre cyber-électronique, informationnelle, spatiale, et la déception, permettra d’élargir le front des menaces pesant sur nos adversaires. Qu’ils soient proches ou éloignés, c’est l’agilité de cette stratégie qui fera la différence.

En amont, de nouvelles disciplines devront aussi nous aider à mieux comprendre et percer les intentions de nos adversaires. Le développement  des études sur l’homme augmenté, dans le volet des neurosciences en particulier, y contribuera.

Il s’agit aussi de revoir très concrètement la manière dont la subsidiarité du commandement peut permettre de faire face aux systèmes qui nous sont opposés, souvent dépourvus d’organisation figée : ces systèmes sont capables de s’adapter et d’agir par inspiration, sans direction centralisée. La frontière entre les niveaux stratégique et tactique se réduisant, les grands principes de la guerre doivent être déclinés à l’initiative d’échelons de terrain soigneusement renseignés.

 

CONCLUSION

L’engagement au contact reste l’expression du courage ultime de notre nation. Il est essentiel pour emporter la décision et dominer l’adversaire. Il l’est aussi pour cimenter une société autour des valeurs qu’elle est prête à défendre jusqu’au bout. Le combat à distance n’est plus simplement une question de portée des armements, il requiert une conjugaison renouvelée, inspirée par les nouveaux champs de la conflictualité.  Le risque de déshumanisation de la guerre n’est pas nouveau, mais se trouve renforcé par le flou qui entoure les responsabilités.

Plus que jamais, l’intelligence d’une stratégie d’action qui aborde la complexité de la guerre dans toutes ses dimensions est requise. Mettre de la distance ou de la proximité face à nos adversaires requiert aujourd’hui une panoplie technologique, des compétences, de la ruse, et sans doute de nouvelles formes de subsidiarité dans le commandement. Finalement, comme le suggère le document prospectif Action terrestre future, la supériorité opérationnelle imposera de combiner humanité et technologie, foudroyance et patience, intelligence et puissance.

 

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Titre : Allocution d’ouverture
Auteur(s) : amiral Jean CASABIANCA
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