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Apprendre à penser aux jeunes officiers du XXIème siècle: que retirer des principes pédagogiques de Foch ?

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Même si la pensée, les idées et la manière dont il les professait font encore l’objet de débats[1], le Lieutenant-colonel Foch reste profondément actuel au travers de ses méthodes pédagogiques, qui dépassèrent le seul cadre de l’École de guerre de l’époque. Manifestement très inspirées de la pédagogie ignacienne, ces méthodes contribuèrent à forger un socle d’officiers d’état-major et à influencer des chefs qui surent démontrer des qualités intellectuelles et morales suffisantes pour créer les conditions de la victoire de 1918. Loin d’être obsolète, cette pédagogie, ouverte et moderne, constitue une référence et une source d’inspiration particulièrement adaptée pour les formateurs impliqués aujourd’hui dans le domaine de l’enseignement du commandement.

 

[1] Rémy Porte et François Cochet (dir.), Ferdinand Foch (1851-1929) – Apprenez à penser, Actes du colloque Foch de 2008, Éditions Soteca 14-18, 2010.


«La guerre peut-elle être enseignée? Sa nature le permet-elle? Si l’enseignement de la guerre est possible, sur quoi porte-t-il? Jusqu’où s’étend-il? Quel est le mode pour vous préparer à l’action […] et à quelles facultés de votre esprit s’adresse-t-il pour les exercer, les développer, préparer l’homme d’action, comme aussi quelles dispositions exige-t-il de votre part?»[1] C’est en ces termes que le Chef d’escadron, puis Lieutenant-colonel Foch s’adresse dès 1895 aux officiers stagiaires de l’École supérieure de guerre en ouvrant son cours d'histoire militaire, de stratégie et de tactique générale. Partant du constat que «la réalité du champ de bataille est que l'on n'y étudie pas: simplement on fait ce que l'on peut pour appliquer ce que l'on sait»[2], il démontre avec force, au cours d’une première intervention particulièrement riche et bien étayée, que seul un travail constant, portant notamment sur l’étude de l’histoire et des sciences militaires, permet d’acquérir le savoir (la théorie, la doctrine et les principes) indispensable à la réflexion.

 

Une acquisition collective de ce savoir, fondée sur l’analyse et la raison, permet en outre d’adhérer à des principes communément admis, de développer une «grammaire»[3] et un référentiel intellectuel communs. Cette communauté de méthodes et d'idées est indispensable dans un état-major où priment le travail collectif, la convergence des efforts et une compréhension commune des buts à atteindre. Cette érudition est donc indispensable, mais non suffisante, car l’application à des cas concrets doit ensuite permettre de confronter ce savoir aux cas particuliers.

 

À la guerre, il importe donc de connaître «des principes fixes, à appliquer de façon variable, suivant les circonstances, à chaque cas qui est toujours particulier et demande à être considéré en lui-même»[4]. Pour adapter ces principes aux circonstances, il est selon lui essentiel de rapporter chaque opération à «une raison d’être, c’est-à-dire un objet. Cet objet une fois déterminé fixe la nature et la valeur des moyens à mettre en œuvre, l’emploi à faire des forces. Cet objet, dans chaque cas, c’est la réponse à la fameuse question […]: de quoi s’agit-il?»[5] Cette démonstration l’amène ainsi dans un premier temps à recommander à son auditoire: «Apprenez à penser!», puis d’affirmer lors d’une conférence portant sur la discipline et la liberté d’action: «Qui dit chef dit donc homme de caractère, cela va de soi, mais aussi un homme capable de comprendre et de combiner pour obéir»[6]. L’ensemble de l’action de Foch, le pédagogue, repose donc sur cette idée-force: développer l’aptitude à la réflexion des officiers afin de leur donner la capacité de s’adapter aux contingences de la guerre.

La validité de ce questionnement, de ce raisonnement et de ces conclusions, on ne peut que le constater, est toujours aussi actuelle, alors que la France semble s’installer durablement dans un contexte stratégique instable, marqué par une accélération des bouleversements technologiques, culturels, sociétaux, et alors que la conflictualité elle-même semble changer de forme.

 

Au-delà des récits hagiographiques de l’immédiat après-guerre, la réputation de Foch reste encore aujourd’hui entachée par des critiques parfois sévères de la part d’anciens élèves, d’historiens et de stratégistes tels que Raymond Aron[7] et Basil Liddell Hart[8]. Ses deux principaux ouvrages ne reflèteraient pas ses piètres qualités d’orateur et son incapacité à exprimer ses idées de façon intelligible pour ses élèves. Ces derniers n’auraient ainsi retenu de ses conférences que quelques aphorismes parcellaires, sans comprendre la globalité de son enseignement. En outre, trop influencé par Clausewitz et ayant mal analysé le paradigme de la guerre moderne, il n’aurait pas anticipé la Grande Guerre de façon appropriée. Bien que polytechnicien, il n’aurait par ailleurs pas suffisamment pris en compte les progrès technologiques et les évolutions de l'armement conduisant in fine à la paralysie de la manœuvre dès l’automne 1914. Il aurait donc pérennisé, en plein âge industriel, un art de la guerre et des tactiques remontant aux guerres napoléoniennes sans suffisamment prendre en compte les enseignements des premiers conflits modernes: la guerre de Sécession, la guerre des Boers et le conflit russo-japonais. Inexpérimenté et intellectuellement mal préparé, il aurait donc multiplié des décisions malheureuses et humainement coûteuses durant les trois premières années du conflit. Un jugement plus nuancé peut-il être avancé?

 

Professeur adjoint, puis chef de cours, Foch enseignera à l’École militaire jusqu’en 1901 et formera six promotions d'officiers, dont peu resteront indifférents à son enseignement. Il y reviendra en tant que général de brigade, directeur de l’École supérieure de guerre de 1907 à 1911. Au cours de ces deux affectations, le futur maréchal s’inscrit dans la lignée des penseurs militaires et des stratégistes tels que le Général Lewal[9] et le Colonel Derrecagaix[10], auxquels incombe la responsabilité de former non seulement des officiers de la spécialité d’état-major, mais aussi les futurs chefs de l’armée de la revanche. Avant de juger de la pertinence de l’enseignement de Foch, il importe donc de le replacer dans le contexte de refondation de la pensée militaire française après la défaite de 1870. Entamée avec Lewal, Derrecagaix et poursuivie par Bonnal[11], cette refondation s’achève avec la redéfinition des principes de la guerre par Foch, à la veille du conflit. Regroupées pour être publiées avec l’autorisation du ministère de la Guerre, les conférences de Foch lui donnent l’opportunité de livrer ses conceptions dans «Des principes de la guerre»[12] en 1903 et «De la conduite de la guerre»[13] en 1904. Ainsi qu’il le reconnaît, ces ouvrages ne constituent pourtant pas «un exposé complet, méthodique, encore moins académique de l’art de la guerre, mais simplement une discussion de quelques points principaux de la conduite des troupes et surtout l’orientation à donner à l’esprit pour qu’il conçoive toujours une manœuvre rationnelle»[14].

 

Toutefois, fort du succès de ces publications, il devient, notamment au travers de l’enseignement dispensé par ses successeurs à l’École de guerre, dont le Lieutenant-colonel Pétain[15], l'un des principaux théoriciens de l'offensive à outrance. Ses principes seront repris dès 1908 par le Lieutenant-colonel de Grandmaison, qui deviendra en 1911 chef du 3ème bureau de l’état-major de l’armée, et sera chargé de l’élaboration de sa doctrine[16]. Foch, à ce titre, ne se démarque donc pas de l’état d’esprit très offensif qui caractérisait alors non seulement le corps des officiers français[17], mais également l’ensemble des armées européennes. Au travers de sa thèse sur Clausetwitz en 2008, le Général Benoît Durieux s’efforce de réhabiliter Foch, en soulignant que ses écrits «révèlent une lecture approfondie, et qui parvient à identifier les points les plus importants, qu'il s'agisse des actions réciproques, des caractéristiques de la guerre réelle, de l'influence du hasard, des probabilités, de la guerre continuation de la politique ou de la paradoxale trinité»[18]. Ainsi, comme le démontre le Général Durieux, une pensée française approfondie et solide de la guerre existe en 1914. En dépit des premiers revers de l’été 1914, puis de l’enlisement dans les tranchées, cette pensée militaire ne s’avèrera pourtant ni plus, ni moins déficiente que celle de l’adversaire au bout du compte.

 

La réalité des «cours lumineux», «modèles de clarté»[19] qu’il dispensait fut, semble-t-il, plus contrastée. «Ses phrases sont hachées, incomplètes, dédaigneuses de la correction grammaticale. Il procède par à-coups, néglige les transitions, désigne par «il» la personne à laquelle il songe, sans l'avoir nommée. Sa conversation est donc une série de devinettes. Elle est pleine de trous. C'est alors que la pantomime vient à son secours»[20]. S’il est avéré que Foch ne brilla jamais par la clarté de son discours au quotidien, le reproche d’incompréhension complète de ses propos lors de ses interventions, qui étaient préparées et donc rédigées, semble à la fois sévère et injustifié. En 1908, revenant sur les causes de la défaite de 1870, Jean Jaurès soulignait qu’au sein de l’armée française, «les généraux avaient du courage, quelques-uns même de la culture et de l’esprit, mais ils n’avaient aucune doctrine commune sur la guerre; ils semblaient ignorer les méthodes les plus essentielles. (…). Un système d’idée commune sur la conduite des grandes opérations aurait pu corriger un peu cette dispersion des consciences. Mais ce système leur faisait défaut. En fait, paralysés par le désordre de leur armée, par leur ignorance de la grande guerre, ils n’eurent même pas ces qualités d’initiative, d’audace et d’élan qui semblaient jusque-là les caractéristiques de la race française»[21]. Il est donc inexact de rapporter que quarante ans après le désastre de 1870, Foch, au travers de son enseignement, n’avait pas largement contribué à apporter au corps des officiers cette unicité de références et cette méthode qui faisaient tant défaut à la génération précédente.

 

Après le conflit, reprenant un aspect essentiel de l’enseignement qu’il avait dispensé, le Maréchal Foch déclarait: «La guerre m’a appris la nécessité, pour réussir, d’avoir un but, un plan, une méthode. Pour avoir un but, il faut savoir ce que l’on veut, pour faire un plan, il faut savoir ce que l’on peut. […] Avoir un but est de règle générale, élémentaire dans la vie journalière, pour arriver à un résultat quelconque. Choisissez-vous en un. Faites-vous un plan. Etablissez votre programme. Et avec cela, ayez de la suite dans les idées, concentrez vos efforts, ne dispersez pas votre attention»[22]. Sous cet aspect également, on ne peut nier que son enseignement contribua de façon essentielle à la performance des états-majors français durant le conflit. Ainsi, la meilleure façon d’évaluer l’apport de Foch à la formation des officiers se retrouve sans doute dans les propos tenus par le Maréchal Joffre en 1918: «Au cours des premières semaines de la guerre, nous n’aurions pu faire ce que nous avons fait si les grands états-majors n’étaient demeurés comme des rocs au milieu de la tempête, répandant autour d’eux la clarté et le sang-froid. Ils gardaient dans le labeur le plus épuisant, au cours d’une épreuve morale terrible, une lucidité de jugement, une facilité d’adaptation, une habileté d’exécution d’où devait sortir la victoire»[23].

 

Enfin, dans le domaine de l’édification morale des futurs chefs prônée par Foch dès ses premières conférences, il est indéniable que le pédagogue sut admirablement éclairer dans son enseignement le lien entre la force de caractère, la capacité de travail, l’aptitude à la réflexion et l’aptitude à l’action. «Ce qui revient à dire que la stratégie n’est qu’une affaire de caractère et de bon sens, que pour arriver sur le terrain avec cette double capacité il faut l’avoir développée par l’exercice, il fautavoir fait ses humanités militaires, étudié et résolu des cas concrets»[24]. Exemplaire dans ce domaine, il fit preuve durant tout le conflit d’une énergie et d’un inébranlable volontarisme, comme le relate le président du Conseil Georges Clemenceau en justifiant son choix de désigner Foch comme généralissime en 1917: «Je me suis dit: essayons Foch! Au moins, nous mourrons le fusil à la main! J'ai laissé cet homme sensé, plein de raison qu'était Pétain; j'ai adopté ce fou qu'était Foch. C'est le fou qui nous a tirés de là!»[25].

 

«Le point de départ? Ce fut le collège. Ce furent les principes que nous y avons reçus. Nous sommes tous partis avec le même bagage pour marcher dans la vie: ce bagage, ce sont nos principes […] mais ces principes, quelle en fut la source? Ce furent nos maîtres. Ils nous ont enseigné, non seulement par les préceptes, mais aussi par l’exemple»[26]. Elevé «chez les bons pères» de 1866 jusqu’à son intégration à l’École polytechnique en 1871, on retrouve sans difficulté dans le style pédagogique de Foch les grands principes de l’enseignement des Jésuites. Cela lui fut d’ailleurs reproché durant la période difficile, marquée par l’anticléricalisme, de la fin du siècle, de même que l’appartenance de son frère Germain Foch à la Compagnie de Jésus. Il est vraisemblable que son avancement eut à en pâtir.

 

Revenons tout d’abord aux définitions. La pédagogie (du grec παιδαγωγία, direction ou éducation des enfants) désigne l'art de l'éducation. Le terme rassemble les méthodes et pratiques d'enseignement requises pour transmettre des compétences, c'est-à-dire un savoir (connaissances), un savoir-faire (capacités) ou un savoir-être (attitudes)[27]. Pour les Jésuites, la pédagogie ne peut pas être simplement réduite à une méthode, «elle doit comprendre une vue du monde et une vision de l'être humain idéal à former. Sur cela reposeront le but et la fin vers lesquels sont orientés tous les aspects d'une tradition éducative. De là aussi viendront les critères pour le choix des moyens à employer dans le processus de l'éducation»[28]. Compris à la lumière des Exercices spirituels de saint Ignace, «le modèle pédagogique des Jésuites décrit à la fois l’interrelation constante entre expérience, réflexion et action dans les rapports entre enseignant et enseigné, mais aussi le portrait idéal de la relation dynamique entre enseignant et enseigné dans le chemin parcouru par ce dernier pour acquérir toujours davantage connaissance et liberté»[29]. La pédagogie ignacienne repose ainsi sur cinq principes fondamentaux:

  • le contexte, c'est-à-dire une attention portée à chaque élève, dans son environnement, pour l'amener à s’élever au maximum de son potentiel;
  • l'expérience: l’élève est un tout dont le corps, l’esprit et le cœur méritent d’être éduqués, et tout savoir doit être expérimenté pour devenir un savoir-faire, puis un savoir-être;
  • la réflexion: la connaissance de l’élève sur lui-même lui permet de rechercher le sens de son action et d’en déduire des choix appropriés;
  • l'action, consubstantielle au désir de s’engager pour la collectivité;
  • et enfin l'accompagnement par l'enseignant de l'évolution de ses élèves au travers de l’évaluation afin de leur permettre de progresser.

 

Sans surprise, on retrouve donc au travers du style, des méthodes pédagogiques et des écrits de Foch l’ensemble des principes ignaciens.

La contextualisation tout d’abord. Foch s’attache en dehors de ses cours magistraux à apporter aux officiers stagiaires un accompagnement permanent et individualisé, notamment au cours de travaux dirigés en groupes réduits[30]. Directeur de l’École supérieure de guerre, il se fait accompagner chaque jour par deux élèves différents lors de ses sorties équestres sur le Champs-de-Mars. L’occasion lui est ainsi donnée de partager et de débattre quotidiennement avec des officiers plus jeunes, de ses vues, de ses principes, de sa conception du commandement, de la prise de décision et surtout de la force de caractère exigée pour exercer un commandement[31]. Dans ce dernier domaine, Foch fut vraisemblablement influencé par l’un de ses anciens professeurs, le Général Cardot[32], pour lequel l'issue d’un engagement ne dépendait pas du rapport de forces physiques, mais du rapport de forces morales. Reprenant Joseph de Maistre, pour lequel «une bataille perdue est une bataille qu'on croit avoir perdue»[33], Foch avait déjà affirmé dans ses conférences qu’«une bataille gagnée, c'est une bataille dans laquelle on ne veut pas s'avouer vaincu». C’est donc cette individualisation des enseignements, qu’il soit professeur ou directeur de l’École de guerre, qui permet également au futur maréchal d’imprimer durablement ses principes et de participer directement à l’édification morale des élèves dont il a la charge. «Pour Foch, les principes – c’est-à-dire en fait le niveau moral érigé en règle de vie – semblent l’emporter sur la seule connaissance. Les principes s’acquièrent davantage par l’exemple donné que par l’apprentissage dogmatique»[34].

Le travail, la réflexion en vue de l’action et l’acquisition de l’expérience. Ces trois notions sont pour Foch indissociables. Le premier chapitre des «Principes de la guerre» porte en premier lieu sur la formation à donner aux chefs de guerre. Selon lui, l'enseignement militaire d’avant 1870 était profondément marqué par une démarche scientiste. «Ces théories, que l'on avait cru faire exactes en les basant uniquement sur des données certaines et mathématiques, avaient le malheur d'être radicalement fausses, parce qu'elles avaient laissé de côté la donnée la plus importante du problème, l'homme, parce qu'elles tendaient à faire de la guerre une science exacte»[35]. Le développement de l’art militaire en était exclu puisque selon la doxa de l’époque, seule la confrontation au combat permettait au chef d’y révéler son talent et d’y développer son expérience. Cette absence d’enseignement d’une doctrine et de principes communément compris mena donc à la capitulation de Sedan. Tout l’objet de la refonte de la pensée militaire initiée en 1876 par Lewal repose donc sur l’éveil et le développement chez les officiers français d’une véritable culture de l’art de la guerre. Foch s’inscrit donc encore intégralement dans cette démarche vingt ans plus tard. Il y souscrira encore après le conflit mondial. «Il faut travailler, toujours travailler pour nous tenir au courant, car les moyens évoluent, les solutions sont chaque jour différentes. Faire la guerre prochaine avec les procédés de la dernière, quelle utopie! Il faudra que le chef d’alors improvise des solutions nouvelles.

 

Travaillez… les improvisations géniales sur le champ de bataille ne sont que le résultat des méditations antérieures»[36]. Ces méditations doivent bien entendu être fondées sur un socle plus solide que de seules connaissances théoriques. Foch entend donc permettre aux officiers stagiaires de développer leur expérience au travers de travaux pratiques qu’il conduit, des voyages d’étude où il excelle aux corrections de devoirs écrits qu’il dirige avec passion[37]. À la suite de Bonnal auquel il succède, Foch perfectionne le recours systématique à l’histoire militaire, à l’instar des Prussiens et auparavant de Napoléon lui-même. La pédagogie de Foch n’a ainsi pas pour objectif de faire de l'officier un érudit, mais de lui permettre de se créer des références qu’il saura rapporter à une situation particulière, une fois qu’il y sera confronté. Seule la méditation et la réflexion sont donc selon lui susceptibles de créer la capacité à l’adaptation. Cette réflexion ne peut être pertinente que si elle est fondée sur une compréhension des principes de la guerre et non sur un apprentissage dogmatique de connaissances. «Il s’agit d’abord de comprendre des vérités, donc liberté d’esprit, pas de préjugés, de prévention, d’idée arrêtée, d’opinion admise sans discussion, par le seul motif qu’on l’a toujours entendu dire ou vu faire. Un seul critérium, la raison»[38]. Cette pédagogie est donc fondée sur une démarche volontariste de la part de l’élève. Nul n’apprend à penser s’il y est forcé. La méthode demande bien entendu du temps. C’est la raison pour laquelle il demande et obtient l'autorisation du ministre de la Guerre en 1909 d’allonger, «à titre d'essai», l’enseignement de l'École de guerre d'une année supplémentaire, le portant ainsi à trois ans, comme en Allemagne. Ce complément, réservé aux quinze premiers diplômés au classement de sortie, deviendra en 1910 le Centre des hautes études militaires.

 

«[…] Il est un Foch toujours très actuel, c'est le Foch pédagogue et philosophe qui, par-delà les transformations des techniques militaires, ouvre l'intelligence à la signification profonde des principes éternels»[39].

Que faut-il donc retenir de Foch et de la lecture de ses principes? Adepte de Clausewitz, sa conception de la guerre et de la manœuvre fut infirmée dès les premiers jours de la Grande Guerre. Il fut toutefois l’un des artisans essentiels du renouveau de la pensée militaire française de l’avant-guerre et contribua à ce titre avec Lewal, Derrecagaix, Pétain, Lanrezac et Mordacq[40], à développer dans le corps des officiers une véritable aptitude à appliquer des méthodes de réflexion opérationnelle, particulièrement cruciales au plus fort du conflit et des premiers revers subis par l’armée française. Cette pensée militaire constitue aujourd’hui encore l’un des fondements du raisonnement stratégique et tactique en France.

 

Mais c’est surtout sa détermination, sa force de caractère et l’exemple qu’il sut donner à la fois en tant que pédagogue, mais aussi en tant que chef de guerre, qui constituent une référence dans le domaine de l’enseignement du commandement aujourd’hui. Cette obstination à ne pas se reconnaître vaincu, son indéniable don pour coordonner et fédérer les alliés en 1918, reposant sur un corps d’officiers d’état-major et de chefs qu’il avait directement contribué à former et aguerrir, ont indiscutablement permis d’aboutir à la victoire. C’est donc sur ces aspects primordiaux de la sélection et de la formation des futurs décideurs militaires qu’il semble opportun de se pencher aujourd’hui. Comment continuer de permettre aux officiers du XXIème siècle d’adopter cette tournure d’esprit à la fois pugnace et ouverte aux évolutions rapides caractérisant notre époque, tout en appliquant des méthodes rationnelles de prise de décision? Il ne fait aucun doute que ces méthodes de formation doivent continuer de reposer sur l’individualisation de l’acquisition des connaissances, sur une réflexion guidée et non bridée par un encadrement expérimenté et rompu aux méthodes de décision opérationnelle, de travail collectif et collaboratif. Mais surtout, cette formation doit pouvoir continuer de participer au renforcement du caractère, de l’intelligence de situation et de l’imagination des futurs décideurs militaires.

 

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[1] Ferdinand Foch, «Des principes de la guerre.Conférences faites à l'École supérieure de guerre», Berger-Levrault, 1903, rééd. Économica, 2007.

[2] Ferdinand Foch, Op. cit.

[3] Ferdinand Foch, Op. cit.

[4] Ferdinand Foch, Op. cit.

[5] Locution empruntée au Général prussien Julius von Verdy du Vernois durant la guerre austro-prussienne à la bataille de Gitschin en 1866.

[6] Ferdinand Foch, Op. cit.

[7] Raymond Aron, «Penser la guerre», Gallimard, 1976, rééd. 1999.

[8] Basil Liddel Hart, «Stratégie», 1954, rééd. Perrin, 2007.

[9] Jules Lewal présida à la création et dirigea la nouvelle École militaire supérieure (École supérieure de guerre) de 1877 à 1880.

[10] Victor Derrecagaix fut commandant en second et directeur des études de l’École supérieure de guerre de 1883 à 1885. Auteur prolixe, il se fit notamment connaître en publiant «La Guerre moderne», Paris, Baudoin, 1885.

[11] Henri Bonnal fut le prédécesseur de Foch en tant que chef du cours d'histoire militaire, de stratégie et de tactique générale de 1892 à 1896. C’est lui qui introduisit la méthode pédagogique des cas concrets à partir de l'étude d'exemples historiques.

[12] Ferdinand Foch, Op. cit.

[13] Ferdinand Foch, «De la conduite de la guerre», Berger-Levrault, 1904, rééd. Economica, 2000.

[14] Ferdinand Foch, Op. cit.

[15] Philippe Pétain est professeur adjoint à l’École supérieure de guerre de 1904 à 1907; puis, de 1908 à 1911, il est titulaire de la chaire de tactique de l’infanterie. Plus modéré sur le principe de l’offensive à outrance, il réfute néanmoins le dogme de la défensive prescrit par l’instruction de 1867, «l’offensive seule pouvant conduire à la victoire».

[16] Louis de Grandmaison, «Dressage de l’infanterie en vue du combat offensif», Berger-Levrault, 1908.

[17] Quelques officiers restèrent cependant plus mesurés quant à cette doctrine, dont Charles Lanrezac. Professeur, puis directeur des études et commandant en second de l'École de Guerre de 1898 à 1901, Lanrezac s’opposa au recours systématique et préconçu de l'offensive à outrance. Il préconisa un recours plus subtil et réfléchi au mode offensif: «Si chaque commandant de corps subordonné a le droit de bourrer, tête baissée, sur le premier adversaire à sa portée, le commandant en chef est impuissant à exercer la moindre action directrice». Il lui est également attribué une célèbre formule adressée à Nivelle en 1917: «Attaquons, attaquons... comme la lune!»

[18] Benoît Durieux, Rapport de soutenance de la thèse pour le doctorat en histoire de Benoît Durieux«Clausewitz et la réflexion sur la guerre en France, 1807-2007», Revue stratégique, n°97-98, 2009.

[19] Jacques Mortane, «Vie et mort de Foch», Edition des Portiques, 1929, cité dans Jean-Christophe Notin, «Foch», Perrin, 2008.

[20] Emile Mayer, «Nos chefs de 1914», Stock, 1930.

[21] Jean Jaurès, «Le vice politique et moral du régime», cité dans Emile Zola, «La Débâcle», Pocket, 1993.

[22] Charles Bugnet, «En écoutant le Maréchal Foch», Grasset, rééd. 2017.

[23] Cité dans Jacques Deschamps, «La guerre moderne (1885). Une contribution à la culture stratégique des états-majors français de la Première Guerre mondiale», Revue stratégique, n°99, 2010.

[24] Ferdinand Foch, Op. cit.

[25] Jean Martet, «Le Tigre», Albin Michel, 1930, cité dans Bénédicte Vergez-Chaignon, «Pétain», Perrin, 2014.

[26] Cité dans François Gaquère, «Vie populaire du Maréchal Foch», Maison de la Bonne Presse, 1929.

[27] Encyclopédie Larousse.

[28] Guillemette de la Borie, «Y a-t-il une pédagogie jésuite?», La Croix, 28/04/2009.

[29] Karl Rahner, «L'Esprit ignacien: écrits sur les Exercices et sur la spiritualité du fondateur de l'Ordre», Cerf, 2016.

[30] Jean Christophe Notin, «Foch», Perrin, 2008.

[31] Charles Bugnet, Op. cit.

[32] Lucien Cardot, professeur en 1885, fut le premier à introduire Clausewitz à l’École supérieure de guerre, l’année où Foch intégra en tant que stagiaire. Cité dans Raymond Aron, «Penser la guerre, Clausewitz, t. II, L’âge planétaire», Gallimard, 1976.

[33] Joseph Marie de Maistre, «Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence», 1821, Édimaf, rééd. 2017.

Par comte Joseph Marie de Maistre

[34] François Cochet, «Foch: de l’hagiographie à l’histoire, introduction de Rémy Porte et François Cochet (dir.), Ferdinand Foch (1851-1929) – Apprenez à penser, Actes du colloque Foch de 2008», Éditions Soteca 14-18, 2010.

[35] Ferdinand Foch, Op. cit.

[36] Ferdinand Foch, Conférence à l'École navale, 1920.

[37] Jean Christophe Notin, Op. cit.

[38] Ferdinand Foch, Op. cit.

[39] Martin Motte, «Ferdinand Foch (1851-1929»), Les cahiers du CESAT, n° 26, décembre 2011.

[40] Henri Mordacq, fut professeur à l’École de guerre, puis au CHEM de 1909 à 1911. Comme Pétain, il remet en cause le dogme de l’offensive à outrance et anticipe avant le début de la guerre sa longue durée et ses implications économiques.

 

À l’issue de l’École militaire interarmes, promotion «Combats de Tu-Lê» (1992-1994), le Colonel Fabrice CLÉE choisit l’arme du Génie, dans laquelle il effectue sa première partie de carrière. Il a commandé le groupement interarmées des actions civilo-militaires. Il a été associé à l’enseignement des méthodes de raisonnement tactique et de la planification au profit de l’enseignement militaire supérieur (École d’état-major, Cours supérieur d’état-major, Cours supérieur interarmes et groupement «Terre» de l’École de guerre). Il est actuellement adjoint à la division doctrine du CDEC

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Titre : Apprendre à penser aux jeunes officiers du XXIème siècle: que retirer des principes pédagogiques de Foch ?
Auteur(s) : le Colonel Fabrice CLÉE
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