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Armée africaine made in USA dans la corne de l’Afrique: quel résultat?

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 44
Relations internationales
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En s’appuyant sur le concept américain de «leadership from behind» ou «leadership en retrait», l’auteur dresse un bilan de dix ans de présence militaire des USA dans la corne de l’Afrique. Rappelant que les actions de formation de l’armée américaine sont comparables à celles menées depuis longtemps par l’armée française. Cette formation pose la question de la nature de l’appui militaire occidental aux pays africains. Quel est le meilleur compromis entre un engagement direct et une formation efficiente?


Le concept de «leadership from behind» est un concept à la mode au niveau stratégique employé fréquemment lorsqu'il est question de l'armée américaine, en particulier de son armée de terre. Cette notion fait référence à la politique américaine qui tend depuis quelques années à laisser ses partenaires et alliés stratégiques en première ligne.

 

Mais qu’en est-il dans la corne de l’Afrique? Quel rôle l'armée américaine joue-t-elle dans la formation des troupes de l’AMISOM intervenant en Somalie?

Quel est le «retour d'expérience» actuel concernant de telles pratiques? Qu'en est-il de l'armée française agissant également dans cette partie du monde?

 

Le cas de la corne de l'Afrique est, semble-t-il, représentatif de la stratégie américaine puisqu'il s'agit bien d'entraîner les troupes de l'Union africaine en vue de leur engagement autonome en Somalie face aux Shebbabs. La France joue aussi un rôle dans l'entraînement de ces troupes et son expertise est reconnue par ses partenaires occidentaux.

 

Leadership versus «leadership from behind»

 

Pour comprendre le mode de fonctionnement des Américains dans la corne de l’Afrique, il faut avant tout revenir aux concepts qui définissent leur politique extérieure. Utilisé pour la première fois lors de l’intervention en Libye en 2011, le concept de «leadership en retrait» (leadership from behind) est venu expliciter la doctrine Obama en matière d’interventions extérieures. Le président américain souhaite limiter l’intervention de ses troupes sur des théâtres qui n’ont que peu d’intérêt pour le citoyen américain. Lorsque ses intérêts ne sont pas directement menacés, Washington choisit de privilégier les «opérations à empreinte légère» (light footprint operations)[1], en particulier pour l’Afrique. Cela permet de rendre moins visible la présence des  troupes américaines dans cette région du monde, de préserver la vie des soldats américains et de limiter les coûts financiers d’un engagement massif. L'armée américaine est prête à fournir un soutien en termes de logistique et de renseignement, mais elle ne souhaite pas mettre de soldats sur le terrain en première ligne. L'exemple le plus parlant est celui de la Libye. En 2011, les armées françaises et britanniques interviennent en Libye. Officiellement, les Américains ne sont pas présents aux côtés de leurs partenaires occidentaux. Dans les faits, ils fournissent renseignement, soutien et certainement forces spéciales. Mais ce cas n'est pas réservé aux partenaires occidentaux. On retrouve la même démarche dans d’autres parties du monde. Ainsi, en Somalie, les troupes de l'Union africaine, troupes de l'AMISOM[2], interviennent avec le soutien des Américains contre les Shebaabs.

Le second concept, indépendant du premier, est celui de «commandement, management» (leadership) dans le sens «apprentissage des techniques de commandement d’une troupe au combat». Les cadres de l’armée américaine travaillent au profit des troupes de l'Union africaine avant leur engagement en Somalie. L’objectif est de leur donner les fondamentaux qui leur permettront de mener un combat contre les Shebaabs. S’inspirant de la doctrine de l’armée de terre américaine en ce qui concerne la formation des cadres des armées africaines, les cadres engagés dans cette mission tentent de reproduire ce qu’ils ont appris dans les armées «amies». Dans ce cadre, il peut être intéressant de lire l'ADP 7-0 qui traite de «Training units and developing leaders»[3] qui explique le concept de leader avec notamment ce que l’on attend d’un chef militaire, ou comment être un chef charismatique au quartier comme en opérations. C’est bien ce que souhaitent les Américains: former des cadres africains compétents qui seront à même de mener les opérations avec succès en Somalie tout en étant également capables de former leurs subordonnés comme leurs successeurs.

 Les deux notions évoquées, «leadership from behind» et «leadership», sont donc complémentaires puisque la formation des cadres des armées africaines alliées permet aux États-Unis de rester en retrait dans cette région du monde. L’effort actuel est porté sur l’amélioration de la qualité globale des cadres africains pour leur permettre de prendre en compte «leurs problèmes» régionaux.

 

La formation des cadres africains par l'armée américaine

 

La mission de formation des troupes de l'AMISOM qui interviennent en Somalie a été dévolue au CJTF-HOA[4] (voir cette organisation en annexe). Situé à Djibouti et placé directement sous les ordres d'AFRICOM[5], cet état-major américain intervient dans tous les pays prenant part à la mission AMISOM, et en particulier au Burundi, en Ouganda, à Djibouti et de manière moindre au Kenya qui est historiquement lié de par son histoire au Royaume-Uni. L'objectif à terme est de «laisser la main» aux formateurs locaux afin que les pays soient autonomes pour former les troupes qu'ils envoient en Somalie.

 

Les formations qui sont dispensées sont extrêmement diverses. Elles vont de la sensibilisation des sections à la menace d’engins explosifs improvisés à une formation aux actions civilo-militaires, en passant par la fonction retour d'expérience. Des formations encore plus spécifiques existent, comme la formation des forces spéciales et des spécialistes en déminage ou en logistique. Les formations dépendent des accords passés entre les pays membres et les États-Unis. Ainsi, au Burundi, deux à trois fois par an, l'armée américaine dispense des formations en détection d'explosifs et en actions civilo-militaires. Rayonnant à partir de Djibouti, l'armée américaine envoie des petites équipes dans ces différents pays pour former les cadres des armées AMISOM (équivalent des détachements d’instruction opérationnelle ou DIO de l’armée française).

 

Cette démarche de formation n’est pas propre à la seule armée américaine. Compte tenu de son histoire et de ses liens avec de nombreux pays africains dans cette zone du monde, la France participe également à la formation des troupes africaines de l’AMISOM.

Certes, la quantité de troupes est moindre, mais elle n’est pas négligeable. Les forces françaises au Gabon (FFG) ou les troupes françaises stationnées à Djibouti (FFDj) participent à ces actions de formation. Le plus souvent, la France prend à son compte les formations initiales (cas du Burundi, de Djibouti) mais aussi des formations plus spécifiques comme l'entraînement des postes de commandement. Du fait de la proximité linguistique, elle intervient prioritairement au profit des pays francophones comme Djibouti ou le Burundi, même s’il lui arrive de s'engager auprès d'autres contingents (cas de l'Ouganda).

 

L'échange d'expérience entre Americains et Français est fréquent, aussi bien sur le plan tactique (FFDj/CJTF-HOA) que stratégique (AFRICOM/CPCO). Ces formations sont vues comme complémentaires de la formation externalisée auprès d'un contractor americain (ACOTA training[6]).

 

Bilan après plus de dix ans d'expérience

 

Quel bilan peut-on faire après une décennie de formation des troupes africaines envoyées en Somalie par l’armée américaine? Malgré des discours officiels résolument optimistes, il apparaît que le bilan est loin d'être satisfaisant. En effet, si l'on considère les volumes de formateurs qui ont été employés pour cette mission et l’argent utilisé sur cette même période pour participer à la montée en puissance de ces armées, il semble surprenant de n’avoir pas plus de résultats probants. L’armée de terre américaine est encore bloquée au premier stade dans le processus, à savoir la formation des primo-formateurs, les formateurs locaux qui pourront à leur tour former leurs troupes. Car le problème semble bien se situer à ce niveau. Les troupes formées et envoyées en Somalie sont loin de démériter et font globalement un bon travail. Mais en dépit de l’expérience accumulée, les nouvelles troupes engagées semblent repartir «de zéro» alors qu'elles comptent dans leur rang des cadres qui sont allés plusieurs fois en Somalie. Aussi l'effort est-il fait depuis 2014 sur la fonction retour d'expérience (RETEX) pour permettre aux troupes engagées de capitaliser sur les expériences de ses cadres revenant du combat.

 

L'arrivée d'un nouveau commandant CJTF-HOA au printemps 2014, le Major général Wayne Grigsby[7], a permis la prise en compte de ce constat et la volonté d'améliorer la formation des troupes de l'AMISOM. Cherchant à insufler une nouvelle dynamique, le général a fait effort sur le développement de cadres de qualité dans les armées africaines alliées («It’s all about developping leaders»). L'état-major s'est donc réorganisé à l'hiver 2014 pour voir apparaître le concept de Hive (ruche en anglais). Spécialisée par pays, chaque cellule est organisée autour d'un officier responsable d’un pays, qui doit devenir «l’expert» de ce pays. Autour de lui se trouvent des officiers traitants, des sous-officiers ou officiers renseignement (J2) chargés du suivi du pays concerné et de sa zone d'action en Somalie. Lorsque cela s’avère possible, l'officier de liaison du pays concerné est associé à cette cellule. Parallèlement, les cellules travaillent toutes ensembles pour favoriser les interactions et les synergies entre les pays contributeurs.

 

Il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette nouvelle organisation. Cependant, même si les formations s'avèrent plus pertinentes, elles ne peuvent pas se substituer à l'implication et au professionnalisme des troupes concernées.

 

Une solution réaliste: «un moindre mal»?

 

Il est certain que la solution retenue, à savoir le «leadership from behind», ou l'engagement des troupes de l'Union africaine en Somalie, n'est pas entièrement satisfaisante. D'un point de vue «affichage», cela permet aux Américains de ne pas être en première ligne, et donc de ne pas être une cible supplémentaire dans cette région du monde. Par ailleurs, cela amène une réponse régionale plutôt qu’étrangère, ce qui évite les critiques sur un interventionisme américain outrancier. Mais un règlement définitif du conflit se fait attendre après plus de dix ans d’engagement américain dans la région. Il s'agit donc pour les Américains «d'un moindre mal» ou d’une solution imparfaite mais globalement satisfaisante. Cela permet d'éviter la perte de troupes américaines dans un pays lointain et de fixer l'ennemi dans cette région du monde. Il s’agit bien là de pragmatisme. Les Américains souhaitent, sans revenir à une situation de total isolationisme, limiter leurs engagements extérieurs aux seules opérations qui engagent leur sécurité. Le président Obama a été en partie élu sur l’idée que les «boys» étaient «morts pour rien» dans des pays lointains comme l’Afghanistan ou l’Irak. Il convient donc de ne pas s’engager dans un nouveau «bourbier» et de laisser les Africains régler les problèmes de l’Afrique. Étant conscient que cela semble à l’heure actuelle peu réalisable, les Américains fournissent l’aide technique et logistique nécessaire; cela est toujours moins coûteux financièrement et humainement que d’y aller soi-même…

 

La France est-elle prête, quant à elle, à s'investir davantage dans cette action de formation où elle semble donner toute satisfaction? La réduction de troupes outre-mer rend la participation à cette mission de plus en plus délicate. Dans une période de recentrage sur le cœur de métier, la question est posée.

 

Saint-cyrienne de la promotion «Général Vanbremmersch» (2001-04), officier de l’arme du train, le Chef d’escadron VATINEL a été affectée successivement au 515ème régiment du train et à l’IHEDN avant de rejoindre la direction de l’enseignement militaire supérieur (DEMS). Elle a été projetée à de multiples reprises en opération ou en mission extérieure: Kosovo, Sénégal, Afghanistan, Cap-Vert, Liban et Djibouti. Lors de cette dernière mission, elle était officier insérée dans l’état-major américain en charge de la formation des troupes de l’AMISOM (CJTF-HOA).

[1] Maya Kandel, Questions internationales, article «États-Unis: les nouvelles modalités d’engagement militaires – Light footprint et leading from behind».

[2] AMISOM: African Union Mission In Somalia. Mission régionale de maintien de la paix en Somalie menée par l’Union africaine avec l’aval des Nations-unies

[3] ADP 7-0, Training units and developing leaders – manuel de l’armée de terre américaine mis à jour en 2011 qui traite de l’entraînement des unités et de la formation des chefs en particulier pour les unités devant être engagées

[4] CJTF-HOA: Combined Joint Task Force, Horn of Africa. Créé en 2002 à Djibouti. État-major américain sous les ordres d’AFRICOM. Cet organisme, dont la mission est de créer des capacités militaires et civiles dans le cadre d’opérations militaires au profit d’alliés africains, a été développé en réponse aux attentats du 11 septembre 2001

[5] AFRICOM: United States Africa Command. Créé en 2007. Commandement américain en charge de la zone Afrique, situé à Stuttgart en Allemagne

[6] ACOTA training: African Contingency operations training and assistance. Programme du département d’État américain (ministère des affaires étrangères américain) depuis 2004 dont l’objectif est d’entraîner les chefs militaires africains et d’équiper les forces militaires africaines afin de leur permettre de participer à des opérations de soutien de la paix ou à dimension humanitaire

[7] Major general (deux étoiles) Wayne W. Grigsby Jr, commandant le CJTF-HOA de juin 2014 à avril 2015. Discours lors d’une conférence auprès de l’Africa Center for strategic studies de janvier 2015 (disponible sur Youtube «Overcoming Leadership challenges»).

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Titre : Armée africaine made in USA dans la corne de l’Afrique: quel résultat?
Auteur(s) : le Chef d’escadron VATINEL
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