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Combat collaboratif : rupture ou illusion ? 1/2

Revue de doctrine des forces terrestres
Sciences & technologies
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«Nos soldats sont incapables de se résigner à ignorer. Lorsqu’on leur donne un ordre que rien n’explique à leur jugement, ils obéissent, mais en grognant.8 » Par cette affirmation, Maurice Genevoix mettait des mots sur une réalité séculaire de la guerre : au combat, le soldat est généralement plongé dans l’incertitude, dans l’ignorance de la manoeuvre générale. Les progrès des moyens de communication pourraient lever une partie de ce brouillard et changer radicalement la physionomie du combat terrestre futur.


Le programme SCORPION, reposant en grande partie sur les progrès de l’info-valorisation, promet l’émergence du combat collaboratif. Communément défini comme le résultat attendu d’un partage poussé de l’information au sein de communautés d’intérêts se reconfigurant au gré des situations tactiques, le combat collaboratif doit garantir une plus grande agilité de la manoeuvre terrestre. Est-ce un effet de mode partagé par de nombreuses armées occidentales ? Est-ce une promesse de l’industrie de défense ? Au regard des enjeux liés au développement de ces capacités pour l’armée de Terre, il convient de s’interroger sur la pertinence du concept de combat collaboratif.


Ni illusion techno-futuriste, ni remise en cause totale du combat terrestre, le combat collaboratif constitue une réponse à un double impératif : la nécessité de se prémunir d’un risque de déclassement technologique d’une part, et l’impératif de garantir l’efficacité opérationnelle des forces terrestres en développant des modes d’action permettant de dépasser les blocages tactiques contemporains.

 

En premier lieu, il est nécessaire de mieux cerner la finalité tactique auquel le combat collaboratif répond puis d’en déterminer les bénéfices tactiques attendus. En contrepoint, il s’agira d’identifier les défis et les risques associés à cette évolution.

 

Un impératif de renouveau tactique


Le concept de combat collaboratif est porté par un contexte marqué par un environnement opérationnel en mutation et des opportunités technologiques inédites. Le croisement de ces deux dynamiques a ouvert la voie à une phase d’évolution de la tactique terrestre pour de nombreuses armées occidentales9 dont les conséquences devraient être perceptibles dans les décennies à venir.


Complexité et imprédictibilité : s’adapter à un environnement opérationnel en mutation


L’environnement dans lequel évolueront les forces terrestres dans les prochaines décennies siégera dans un monde plus interconnecté, plus rapide et moins prédictif. Comme le prophétisait le général Mac Crystal10, l’environnement futur « complexe » succédera au monde « compliqué » d’aujourd’hui. Les conflits futurs seront plus complexes, moins prédictibles, plus variés. Les récents conflits ont ainsi mis en lumière la diversité croissante des ennemis et des formes de conflictualité auxquels les armées pourraient être confrontées. L’ennemi et les types de conflits s’hybrident, ouvrant la voie à un spectre de la conflictualité toujours plus large11.

 

L’espace terrestre n’échappe pas à cette dynamique : les outils de combats actuels sont d’ores et déjà confrontés à certaines de leurs limites, remettant en cause leur capacité à surmonter les défis opérationnels de demain. Les organisations hiérarchisées et pyramidales structurant les forces terrestres modernes peinent ainsi à exprimer leur potentiel face à des ennemis organisés en réseaux et à l’architecture mouvante12. Le retour, sinon probable, du moins possible, de la guerre de haute intensité impose le recours à une masse de force qui n’est plus en adéquation avec le modèle de forces restreintes et sophistiquées prévalant aujourd’hui. L’hybridation de l’ennemi requiert une souplesse et une capacité d’adaptation dont les forces armées occidentales n’ont pas encore fait la preuve.


Ce constat pose un dilemme difficilement soluble pour les forces terrestres, mêlant des impératifs en apparence contradictoires : comment conduire un combat alliant masse, souplesse et agilité ? Quel modèle de force sera capable de s’imposer à la fois dans la contre-insurrection, des conflits symétriques de haute intensité et des conflictualités hybrides ? Comment conserver l’avantage militaire dans un environnement où la supériorité dans de nombreux domaines, notamment informationnel13 et aérien, sera probablement remise en cause ? La réponse à ces défis passe avant tout par une évolution profonde des modes d’actions.


Agir malgré la transparence du champ de bataille


Au niveau tactique, l’essor des capacités de détection et d’observation14 et la dissémination des capacités de tir à distance, rendent la dissimulation très improbable et la concentration de forces dangereuses15. Assurément, cette réalité ne constitue pas une nouveauté. L’évolution réside cependant dans la dissémination de ces capacités au profit de puissances régionales voire d’organisations non-étatiques. Comme le démontre les enseignements du récent conflit ukrainien : toute concentration de force pourra dorénavant être détectée et frappée dans un délai réduit. Cette tendance appelle une évolution profonde du combat terrestre. La dissimulation étant impossible, il convient d’élaborer un style de combat apte à préserver la sûreté des dispositifs et à surprendre l’ennemi. Pour cela, la manoeuvre devra privilégier la dispersion des moyens, la dissimulation des intentions et la concentration des effets.

 

Saisir des opportunités technologiques


L’essor des technologies liées à la numérisation génère des opportunités qu’il convient de saisir sous peine de s’exposer à un risque de déclassement. Certes les « nouvelles » technologies de l’information et des communications sont une réalité désormais ancienne pour l’armée de Terre, datant des années 1990, mais force est de constater que leur potentiel n’a pas encore été pleinement exploité. Le développement des capacités liées à la mise en réseau, à l’internet des objets, à l’intelligence artificielle et aux technologies du big data offrent des perspectives révolutionnaires dont les effets devraient s’exprimer dans un premier temps au niveau tactique. Les domaines liés à la coordination des forces, au partage de l’information, à la prise de décision et au combat seront notamment affectés.


Le but du combat collaboratif est clair : garantir la supériorité tactique sur le champ de bataille du futur contre un ennemi de haut du spectre, dans un environnement stratégique complexe, en tirant le meilleur parti des outils technologiques d’aujourd’hui. La finalité étant posée, il convient de s’interroger sur ses caractéristiques concrètes.

 

Une évolution majeure du combat terrestre


Le combat collaboratif est avant tout une ambition portant en elle les germes d’une évolution potentiellement majeure de la tactique. Il s’agit d’une « ambition » car il serait hasardeux d’imaginer de manière exhaustive ce qu’autoriseront les technologies liées à ce type de combat dans un environnement réel et surtout impossible d’anticiper les stratégies de contournement que ne manqueront pas d’adopter les ennemis de demain.


Quelles réalités ?


En première approche, la notion de collaboration dans le combat ne semble pas nouvelle, voire entourée d’un certain flou sémantique. On pourra en effet arguer que le combat a toujours été collectif et que la numérisation de l’espace de bataille est une réalité depuis près de vingt ans. Qu’aura donc de novateur cette forme de combat ?


Principalement envisagé au niveau tactique, le combat collaboratif repose sur la mise en oeuvre de deux principes directeurs : la « connaissance collaborative » et « l’action collaborative ».

 

Tout d’abord la génération d’une connaissance partagée de la situation tactique, en quasi temps réel et jusqu’aux plus bas échelons, constituera le coeur du combat collaboratif. Elle naîtra d’un partage horizontal et vertical de l’information, obtenu par la mise en réseau des capacités de détection et de suivi de situation. Celle-ci aboutira à la création d’une « bulle numérique » à l’intérieur de laquelle les informations de combat et le renseignement16 seront distribués en temps réel à l’ensemble des acteurs du champ de bataille.


Parallèlement, cette connaissance commune sera associée à une mutualisation des capacités d’agression, optimisée par la mise en oeuvre de systèmes d’aide à la décision. Cette aptitude au combat en réseau permettra d’approfondir le degré de collaboration des différentes fonctions opérationnelles. Le chef tactique, confronté à une situation donnée, disposera ainsi d’un panel d’options proposées par des systèmes d’aide à la décision, lui permettant de demander à son profit l’ensemble des effets des unités voisines. Une première expression de ce combat en réseau sera probablement la capacité de tir au-delà des vues directes17. À plus long terme, les dispositifs tactiques seront aptes à mettre en oeuvre une forme de « protection collaborative ». Celle-ci se traduira par la transformation d’actes tactiques nécessitant jusqu’à présent une intervention du chef (coordination, ordre..) en actes réflexes grâce aux technologies du numérique (vétronique, intelligence artificielle)18.

 

8 Ceux de 14, Maurice Genevoix, Flammarion, 1949.

9 Action terrestre future pour l’armée de Terre française, Operational environment and the changing character of future war pour l’US Army notamment.
10 General Stanley Mc Chrystal, Team of Teams, New rules of engagement for a complex world, Portfolio Penguin, 2015, p. 74: “Complexity produces a fundamentally different situation from the complicated challenges of the past; complicated problems required great effort, but ultimately yielded to prediction. Complexity means that, in spite of our increased ability to track and measure, the world has become, in many ways, less predictable.”
11 Pour illustrer cette diversité et ne citer que le cas de l’engagement des armées françaises, l’armée de Terre est ainsi engagée simultanément en 2018 dans un conflit au Sahel que l’on peut assimiler à de la contre-insurrection, en Irak et en Syrie dans une guerre en coalition contre un ennemi hybride, en Europe de l’Est dans un contexte de menace symétrique et sur le territoire national.

12 À l’instar des difficultés de l’armée américaine en Irak à partir de 2003.
13 Vincent Desportes, Décider dans l’incertitude, Économica, 2004, p. 253 : « Les éléments d’informations recueillis ne servent que s’ils sont correctement triés et analysés pour se transformer, étape par étape, en connaissance utile à la prise de décision».
14 Radar, satellites, détection ROEM, cyber renseignement…
15 Guy Hubin aborde ce constat sous le concept de « lisibilité du champ de bataille ». Guy Hubin, Perspectives tactiques, 3e édition, Économica, 2009.

16 Positions des forces amies et de l’ennemi, situation logistique, diffusion des ordres, …
17 Capacité de tir sur une cible non observée en direct par le tireur. À titre d’exemple : tir d’un missile par un hélicoptère d’attaque sur une cible désignée par une unité au contact.
18 À titre d’exemple : orientation automatisée des tourelles d’un peloton de char vers l’origine d’une désignation laser puis proposition d’une solution de tir aux chefs d’engin, réalisation d’un écran de fumée.

 

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Titre : Combat collaboratif : rupture ou illusion ? 1/2
Auteur(s) : Chef de bataillon Julien ARNAUD École de Guerre-Terre, stagiaire de la 132e promotion
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