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Comment former à l’interculturalité ? 1/3

BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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«Cela faisait longtemps que je résistais à la transformation! Et dire que je voulais transformer les autres!»- Tchouang-Tseu


La question soumise ici à l’examen comporte deux présupposés. Selon le premier, la question du pourquoi a été résolue. Il est en effet impératif d’avoir déterminé l’objectif de la formation à l’interculturalité avant de s’interroger sur la manière de la déployer. Si la raison de la formation n’est pas clairement exposée et partagée, les moyens de sa mise en œuvre risquent de manquer de cohérence et de souffrir d’un manque d’engagement des participants. Voilà qui semblera une évidence à qui sait pertinemment qu’il est vain de mobiliser des forces sans une vision stratégique.

Pourtant, plus de dix ans de formations interculturelles en entreprise ont montré que l’objectif n’est souvent pas plus précis que «éviter les malentendus», «faire passer nos messages», «mieux se comprendre» ou «mieux travailler ensemble». Ces demandes concernent deux types d’organisation qui, bien que partant de positions opposées, se rejoignent sur le spectrede l’immaturité interculturelles: d’une part, celles qui découvrent l’international et qui, par manque d’expérience, n’ont pas une idée claire des enjeux interculturels auxquels elles vont être confrontées ; d’autre part, celles qui ont un grand vécu international, mais qui ont négligé pendant longtemps l’approche interculturelle par un surplomb culturel et un a priori d’excellence qui se manifestent notamment par la volonté d’imposer des pratiques qu’on estime forcément meilleures que celles des partenaires étrangers. Dans un cas, la demande de forma-tion à l’interculturalité intervient dans le flou, dans le second cas dans le «dur», autrement dit après des incompréhensions, des tensions ou des conflits.

Quand on répond à des appels d’offres de formation interculturelle, quand on défend une proposition, mais aussi quand on discute informellement avec des acteurs de l’international, on comprend que les objectifs des enjeux intercul-turels sont en fait rarement définis, ou simplement par défaut; pour rattraper une situation conflictuelle qui perdure depuis une, deux, trois années, ou même plus d’une décennie[1]. Or,l’adage populaire selon lequel mieux vaut prévenir que guérir n’a jamais été aussi vrai que dans les relations interculturelles. Quand on insiste sur la nécessité d’intégrer, en amont des projets à l’international, les rapprochements culturels (dans le rapport à la hiérarchie, la conception du travail en équipe, la prisede décision, la gestion de projet, le transfert de savoir-faire, la communication, etc.), certains responsables demandent encore, sans aller plus loin dans le questionnement: «Mais combien ça coûte?», sans se demander pour autant quel est le coût de l’incompétence interculturelle. Comme ils se focalisent sur des objectifs économiques à très court terme, en oubliant qu’ils doivent la performance aux hommes sur le terrain, ils passent à côté de la définition des objectifs interculturels.

 

La conquête de la maturité interculturelle

Savoir pourquoi former à l’interculturalité exige une maturité qui vient malheureusement souvent à la suite de difficultés oud’échecs. Quand Renault et Volvo ont eu le projet de fusionner en 1993,celui-ci n’a jamais abouti, miné par des différends politiques et financiers, mais aussi par des malentendus interculturels qui semblent rendre inconciliables les deux cultures d’entreprise. Les Suédois, qui apprécient une distance hiérarchique très modérée, sont heurtés par les réactions autocratiques de leurs collègues français. Pour eux, un bon manager est avant tout un animateur, tandis que c’est l’expertise qui est mise en avant chez Renault. De leur côté, les Français sont agacés par une prise de décision qui exige des Suédois un long processus de concertation en vue d’obtenir un consensus qui, une fois atteint, ne peut plus être remis en question. Si les Suédois ont pour point fort un puissant engagement collectif dans la décision prise par consensus, ils ont pour point faible un manque de souplesse une fois l’action lancée, ce qui fragilise leur capacité d’adaptation quand l’environnement a évolué et exigerait de réorienter la décision initiale. Les Français, eux, ont pour point faible un manque d’engagement dans des décisions «venues d’en haut», mais sont bien plus réactifs que les Suédois quand il s’agit d’ajuster à l’évolution de l’environnement complexe des opérations. Faute d’avoir effectué le travail d’explication des pratiques et d’adaptation de celles qui sont les plus divergentes, des partenaires originaires de différents pays finissent souvent par ne plus voir que des différences entre eux. Or, si l’on oublie que nous sommes plus semblables que différents, comment peut-on communiquer et travailler ensemble? Quand Renault fait alliance avec Nissan six ans après l’échec du rapprochement avec Volvo, le retour d’expérience de l’échec de 1993 va servir de leçon pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, lesquelles tenaient à l’absence d’anticipation sur les malentendus cultu-rels, à l’illusion de croire que l’appartenance à une même culture professionnelle (ingénierie automobile) suffisait à faire en sorte que les uns et les autres allaient coopérer sans difficulté, au déclenchement de la rivalité culturelle née du jugement de valeur porté par les uns sur les autres.Les déboires actuels du patron de l’alliance Renault Nissan nedoivent pas oblitérer le travail de fond qui a été effectué au tout début du rapprochement entre les deux entreprises pour préparer au mieux la coopération entre Français et Japonais. Des immersions dans leurs contextes professionnels mutuelsont été organisées de façon à découvrir les méthodes de travail respectives et à développer des liens interpersonnels entre eux. Mais il ne suffit pas de se connaître et de développer de l’empathie pour bien travailler ensemble. Des ateliers ont été mis en place pour identifier la signification et les pratiques associées aux notions mobilisées dans le contexte professionnel de chacun afin de repérer les points communs et les divergences (par exemple : comment se prend une décision ? quelles sont les qualités d’un bon manager ? comment s’expriment la satisfaction et le mécontentement ?). Là où des divergences sont apparues, Français et Japonais se sont expliqués et ont défini ensemble des pratiques communes, de telle sorteque dans cette démarche nul ne renonce à soi en devenant l’autre mais que, sur certains sujets, chacun fait un pas l’un vers l’autre.

 

Diversité des objectifs, diversité des formations

Mais les pratiques managériales n’épuisent pas la raison des formations à l’interculturalité. Le pourquoi se décline en une grande diversité d’objectifs qui entraînent des comment spéci-fiques. Ainsi, lorsqu’une administration française s’étonne d’échouer à faire valoir, au sein de la Commission européenne, ses normes en matière de sécurité dans un type particulier detransport alors même qu’elle a, dit-elle, le «meilleur dossier», elle décide de revoir son approche en rééquilibrant les comtences techniques de ses fonctionnaires par le développement de compétences non techniques: linguistiques, relationnelles et interculturelles. Elle se pose enfin la question de son objectif d’influence et de la complexité de le réaliser dans un environ-nement multiculturel. Ainsi, la formation à l’interculturalité va s’articuler autour de l’objectif, et non l’inverse.

D’autres exemples montrent combien la diversité des objectifs dépend de la diversité des situations interculturelles. Une entreprise souhaite appliquer la même politique en faveur de la diversité dans tous les pays européens où elle est implantée. Cette approche identique se heurte à de nombreuses résistances. Elle définit alors un besoin de formation interculturelle pour mieux comprendre la parité hommes/femmes, la promotion des juniors, la valorisation de la séniorité, la place du handicap dans les pays cibles pour mieux comprendre les raisons culturelles des proximités et des écarts avec sa politique européenne et identifier ce qui doit être ajusté et ce qui doit cons-tituer le socle commun. Un grand groupe de télécoms propose aux collaborateurs de donner des cours de langue française à leurs collègues étrangers. Afin de les accompagner, elle définit un besoin spécifique de formation concernant la prise en compte des facteurs culturels dans l’enseignement du français. Une autre entreprise s’internationalise et intègre depuis peu des expatriés au siège français. Mais face à la multiplication des arrêts maladie et à la suite de la démission de plusieurs collaborateurs étrangers, elle s’interroge sur le lien entre les risques psychosociaux et les tensions qui peuvent surgir du fait de certains malentendus culturels. Elle organise ainsi des ateliers envue de libérer la parole et de repérer les défis interculturels en cause dans le malaise ressenti par les collaborateurs étrangers. Elle découvre ainsi avec étonnement que les Britanniques et les Américains mettent plus d’une année pour s’intégrer dans l’en-treprise française, contre six à huit mois pour les Chinois et les Indiens. C’est la première étape vers une exploration des rai-sons culturelles à prendre en compte pour mieux accompagner ces impatriés, et donc à mieux gérer certains risques psychosociaux.

Ce dernier exemple doit nous alerter sur le fait que la formation à l’interculturalité n’est pas un délassement intellectuel qui vise à satisfaire notre curiosité pour les autres cultures. Elle doit bien plutôt être conçue comme une forme de gestion des risques, dénominateur commun sous lequel se rejoignent ses différents objectifs. C’est d’autant plus flagrant lorsque l’inter-culturalité concerne des enjeux de sécurité. Qu’en est-il en effet de la prise en compte des facteurs culturels quand il s’agit de former des collaborateurs dans des domaines où une haute fiabilité est exigée, comme par exemple dans le nucléaire ou l’aéronautique? Prenons le cas d’instructeurs français de l’ENAC en charge de former des pilotes de ligne pendant troisans. Depuis quelques années, certaines promotions sont essentiellement constituées de Chinois, étant donné l’explosion du transport aérien dans leur pays[2]. Mais comment former ce public aux compétences de pilotage et à la sécurité aéronautique lorsqu’il exprime une très grande déférence pour l’instructeur, évite de signaler les erreurs, privilégie l’harmonie de la relation à l’expression d’un point de vue divergent, montredes difficultés à adapter les connaissances apprises à la diversité des situations vécues? Les instructeurs ont réalisé qu’il fallait en moyenne une année pour développer chez ces apprentis chinois un style de communication explicite, un rapport à la hiérarchie modéré, une relation à l’erreur décomplexée ou une capacité à contextualiser l’information mémorisée. Pour y parvenir, ils ont dû comprendre leurs points forts et les points faibles en situation d’apprentissage, saisir l’influence qu’a pu avoir le système éducatif chinois sur leur mode de raisonnement, comprendre les leviers relationnels et le rapport à l’autorité afin d’ajuster en conséquence leurs programmes d’instruction.

 

 

[1] Alors qu’Air France et KLM célèbrent les quinze ans de leur fusion en avril 2019, les tensions interculturelles entre Français et Néerlandais n’ont jamais été aussi exacerbées (divergences concernant le rapport à la hiérarchie, le style de communication, le déroulement des réunions, les compétences managé-riales, les entretiens d’évaluation, etc.) selon un rapport in-terne confidentiel, rendu public le 18 juillet 2017 par le site internet de la chaîne télévisée néerlandaise Een Vandaag.

[2] Selon les prévisions de Boeing annoncées dans un commu-niqué de presse du 27 août 2018, la Chine va devoir recruter pour les vingt prochaines années plus de 128 000 pilotes de ligne.

 

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Titre : Comment former à l’interculturalité ? 1/3
Auteur(s) : Monsieur Benjamin Pelletier, formateur en management interculturel
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