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Comment former à l’interculturalité ? 2/3

BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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Forger le sens de l’observation

Le deuxième présupposé de la question Comment former à l’interculturalité ? renvoie à une compréhension claire de ce que signifie «interculturalité». Par intuition, chacun peut saisir que ce terme sert à désigner ce qu’implique, aussi bien en complémentarité qu’en conflictualité, la rencontre entre deux cultures.


Pourtant, rien n’est moins évident: seuls les individus se rencontrent, pas les cultures. Alors, un individu incarne-t-il une culture? Dans ce cas, il y a risque de réduire une individua-lité à une généralité, comme lorsque Martin Dufour, expatrié en Allemagne, ou Ernst Schmidt, en France, sont désignés par leurs collègues comme étant «le Français» ou «l’Allemand». En allant un cran au-dessus sur le plan de la généralisation, «le Français» ou «l’Allemand» seront parfois interpelés comme s’ils étaient les représentants et les porte-paroles de leur culture d’origine, du type: «Mais vous, les Français, pourquoi passez-vous autant de temps à table?» ou: «Comment se fait-il qu’en Allemagne vous respectiez aussi strictement les règles et les procédures?». Chacun se voit ainsi sommé de rendre raison de singularités prises pour l’expression d’une vérité nérale, parfois pas directement vécues mais simplement rapportées par d’autres («on m’a dit que...»), voire déduites de stéréotypes («Il est bien connu que les Russes sont froids et impassibles»), d’une méconnaissance («L’individu n’existe pas au Japon») ou tout simplement d’une erreur qui biaise la perception («Il est arabe, donc musulman»).

Pourtant, qui a fait l’expérience de l’immersion dans un autre pays a pu constater des différences dans la distance interpersonnelle et le contact corporel (pourquoi ce Saoudien ne me lâche pas la main tout en parlant?), le rapport au temps (souvenir d’Allemands arrivés à une formation à Francfort deux minutes après l’heure prévue pour son démarrage et de leursplates excuses pour ce terrible retard) ou la façon d’argumenter et de convaincre («Fais un atelier autour des proverbes français pour que les participants en tirent eux-mêmes des ensei-gnements par contraste avec la pensée proverbiale locale», me conseillait un ami ivoirien à qui je demandais comment commencer une formation interculturelle à Abidjan), autant de particularités incarnées par des individus. Faut-il pour autant tout miser sur la singularité de la personne en faisant abstraction de ces observations qui montrent l’influence du contexte sociétal sur un individu pour expliquer en partie ses comportements, modes d’action, manières de communiqueret d’interagir avec nous?

C’est qu’il va falloir trouver un juste milieu entre la position de déni («les cultures n’ont aucune influence») et le point de vue culturaliste («tout s’explique par la culture»), deux travers qui, l’un, empêche de poser les bonnes questions pour enrichir la compréhension des partenaires étrangers et, l’autre, réduitcette compréhension à la seule dimension culturelle. Entre l’indifférence universalisante et l’essentialisation relativisante, il convient de positionner la formation à l’interculturalité sans sombrer dans ces extrêmes. Ainsi, l’observateur avisé, conscient des stéréotypes qu’il porte en lui et de ceux auxquels il renvoie aux yeux de la population locale, se méfiant donc de ses propres biais de perception et capable de repérer les biais des autres à son sujet, aura noté de nombreuses exceptions, comme l’athéisme revendiqué en privé par un Saoudien rencontré à Djeddah, ou la tolérance pour le retard manifestée par un Allemand soucieux de tisser des liens interpersonnels avant d’aborder les sujets formels. Il en tire deux enseignements majeurs: d’une part, il n’y a pas de vérité dans le champ interculturel, mais seulement des tendances ou des fréquences de certains phénomènes; d’autre part, la rencontre interculturelle impose de partir des observations tirées des individus et des situations singulières, pour en tirer d’éventuels enseignements sur le contexte sociétal, et non pas de déduire les comportements et attitudes à partir de vérités générales sur une culture. Autrement dit, plus on croit connaître une culture étrangère, plus on doit se méfier de cette connaissance. Priorité doit toujours être donnée à la singularité de l’expérience, quitte à ceque celle-ci démente ce qu’on croit savoir d’une culture[3].

Ainsi, au fondement de la formation à l’interculturalité se trouve le développement du sens de l’observation – pour être plus précis: de l’observation sans jugement, et pour ajouter une dimension complémentaire : de l’observation des autres mais aussi de soi. Observer dans le contexte interculturel, cela signifie d’abord, lors de la réception d’un email, face au langage corporel de son interlocuteur, en étant attentif à sa manière d’argumenter et de raisonner, déterminer ce qui peut releverde la personnalité de celui ou celle avec qui on interagit, ou de sa culture professionnelle (un informaticien ou un juriste n’auront pas le même jargon, la même grille de lecture des problèmes, la même démarche intellectuelle) ou encore de sa culture au sens sociétal (cette forte présence des émotions positives chez mon partenaire brésilien relève-t-elle de l’influence d’un environnement où les compliments et le sourire sont des vecteurs majeurs de la relation interpersonnelle ?).

Ces observations de l’autre sont directement dépendantes des observations de soi. Mes motifs d’étonnements sont directement déterminés par ma personnalité, ma culture professionnelle ou ma culture au sens sociétal. Ainsi, la forte présence des émotions positives chez ce partenaire brésilien peut être remarquable pour moi car j’ai une personnalité réservée, ou bien parce que j’appartiens à un corps de métier où la réserve et l’apparence de sérieux sont des normes professionnelles, ou bien encore parce que je proviens d’un contexte sociétal où l’on a tendance à intérioriser le positif en public et à se méfier des compliments comme d’un simple véhicule pour la critique négative – ou pour les trois raisons à la fois. Les questionnements au sujet de l’autre ne naissent en moi que parce qu’ils reflètent ce que je suis en fonction des différentes dimensions culturelles qui m’influencent. Pour le dire plus directement: si j’observe une différence chez l’autre, elle est d’abord en moi. Elle m’en apprend autant sur l’autre que sur moi-même.

 

Intégrer son propre contexte dans la formation

Former à l’interculturalité, ce n’est donc pas seulement former à la compréhension d’une autre culture, mais aussi de son propre environnement culturel. C’est la connaissance de ce dernier, et dans quelle mesure il agit sur soi, qui va déterminer le besoin et le contenu de la formation. Par suite, former des Français aux relations, par exemple, avec les Américains, ce n’est pas tout à fait le même enjeu que de former des Chinois en contact avec ces mêmes Américains: les étonnements, observations, questionnements, défis et obstacles ne seront pas les mêmes. Restons avec les Français: l’expérience de notre contexte sociétal varie selon l’origine de nos partenaires. Ainsi, parmi ceux qui travaillent dans les entreprises françaises, les Américains nous trouvent très explicites et hiérarchisés, tandis que les Chinois estiment que nous sommes plutôt implicites et marqués par une hiérarchie modérée. Serait-ce alors qu’il n’y a d’expérience que relative et que, tout compte fait, on ne pourrait dégager ces tendances et fréquences culturelles qui, substituées aux vérités figées dans des généralisations réductrices, constituent la matière vivante des formations interculturelles?

Pour aller au-delà de cette question, il est nécessaire de distinguer deux niveaux de la culture: le visible et l’invisible, le manifeste et le caché, le conscient et l’inconscient[4]. Classiquement, les études interculturelles les représentent par un ice-berg: la partie émergée comprend les éléments les plus évidents et les plus manifestes d’un contexte culturel, à propos desquels chacun peut développer une expertise (en apprenantla langue, l’histoire, la gastronomie, la politesse, etc., de telle culture), tandis que la partie immergée renvoie aux éléments invisibles, difficiles d’accès, dissimulés au premier regard, opaques jusqu’à devenir inconscients (le rapport au temps et àl’espace, le mode de raisonnement, les valeurs, etc.). Deux individus de cultures différentes sont comme deux icebergs quientrent en contact: certains éléments vont se compléter, d’autres se heurter, l’intensité positive ou négative de ce contact dépendant de la profondeur de l’iceberg qui est affectée. Par exemple, une grimace de ma part lorsqu’on me présente un plat à l’odeur étrange risque d’entraîner un malaise chez mon hôte, mais le malaise gagnera en intensité si je réagis brutalement quand celui-ci me demande quelle est ma religion ou combien je gagne. Il faut encore une fois rappeler ici que la configuration de ce contact où se mêlent complémentarité et conflictualité est aussi variable que les individus. Il est vain, et même dangereux, de penser les relations interculturelles selon des lois scientifiques. Il n’existe pas de cinétique culturelle qui permettrait de savoir à l’avance quelle énergie va se dégager de telle ou telle interaction – et tant mieux pour les imprévus qui nourrissent nos expériences respectives.

 

[3] Qui rencontrerait pour la première fois Tidjane Thiam en sachant seulement qu’il est franco-ivoirien se préparerait à rencontrer «un Franco-Ivoirien», avec les stéréotypes qui lui sont associés, et non un brillant polytechnicien, major de sa promo aux Mines, titulaire d’un MBA à l’Insead, aujourd’hui à la tête de Credit Suisse. En 2009, il avait expliqué dans un très beau texte publié par l’Institut Montaigne ce qu’il devait à la France et pourquoi il l’avait quittée, lassé des plafonds de verreprofessionnels auxquels il se heurtait. Il venait alors de prendre la tête du groupe Prudential à Londres. Voir «La France est une idée, être français une émotion», par Tidjane Thiam:https://www.institutmontaigne.org/blog/2009/10/09/366-la-france-est-une-idee-etre-francais-une-emotion-par-tidjane-thiam

[4] Pour reprendre les notions de l’anthropologue Edward T. Hall dans Au-delà de la culture, Points Essais

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Titre : Comment former à l’interculturalité ? 2/3
Auteur(s) : Monsieur Benjamin Pelletier, formateur en management interculturel
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