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Contre-insurrection au Sahel, une manière française ?

1/3 - Revue militaire n°55
Histoire & stratégie
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Stagiaire de la 132e promotion de l’École de Guerre- Terre, diplômé de Sciences Po Bordeaux en 2005 et de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 2006, le CES LA COMBE a servi en régiment de chars avant de commander le 1er escadron du 1er régiment de chasseurs d’Afrique. Il a été affecté de 2015 à 2018 au quartier général de la Force de réaction rapide-France.

Confrontés à des résultats modestes dans leurs engagements asymétriques récents, les États occidentaux, dont la France, ont proposé de nombreuses réflexions sur les techniques de contre-rébellion. La richesse de l’expérience africaine française est sans conteste une mine de réflexions sur la façon d’appréhender les « petites guerres ». D’une certaine manière, on peut parler d’un style français profondément ancré dans notre culture opérationnelle. Sans opposer radicalement les techniques françaises ou étrangères, et encore moins d’avancer une quelconque supériorité, l’objectif de cet article est de proposer quelques pistes de réflexions dans le cadre des opérations actuelles à partir de la riche expérience qui existe dans l’armée de Terre.


Les traditions militaires plongent leurs racines dans l’histoire de nos armées, renvoyant à des conflits parfois oubliés du grand public, mais dans lesquels les soldats puisent encore leurs références. Par exemple, le 1er régiment de chasseurs d’Afrique a servi durant plus d’un siècle en Algérie, en Crimée, en Italie, au Mexique, en Syrie, au Tonkin, à Madagascar, sans compter les guerres européennes. Ceci témoigne de l’ancienneté d’une culture expéditionnaire française et, par conséquent, de savoir-faire particuliers acquis sur de nombreux théâtres au prix de grandes difficultés. À ce titre, les traditions sont le reflet d’une culture profonde de l’institution comprenant une cohérence intellectuelle solide, en plus de ses codes et de ses rites assurant la cohésion. Ces références communes sont développées autant par l’enseignement de l’histoire militaire que grâce aux discussions informelles entre des militaires de différentes générations, en particulier dans les unités qui ont bénéficié d’une histoire riche et ininterrompue à l’instar des troupes de marine ou de la légion étrangère.

L’intervention de la France au Sahel dans le cadre de l’opération Serval puis Barkhane, fait ressurgir des questions relatives aux modes d’action à employer dans le cadre d’opérations face à un adversaire faible qui évite la confrontation directe qui l’anéantirait, inscrit son action dans le temps long et profite généralement du soutien de la population. De ces opérations longues et compliquées, il faut pourtant sortir victorieux.

Que l’on parle de guerre asymétrique, de contre-rébellion, de contre-insurrection, de guérilla, ces formes de « petites guerres »1 sont le sujet d’une abondante littérature. Grâce à l’acquisition et la conservation d’une culture expéditionnaire ancienne, les militaires français abordent ces problématiques sous un angle propre. De 1798, avec l’expédition en Égypte, jusqu’à la fin de l’époque coloniale, les armées françaises ont participé à de nombreuses opérations, expérimentant continuellement de nouveaux modes d’action afin de conquérir, pacifier, administrer, puis conserver des territoires. Après la fin de son empire, en particulier en Afrique, la France a pu maintenir et développer les savoir-faire acquis précédemment.

Engagée dans l’opération Barkhane, la France se retrouve sur des territoires qu’elle parcourait déjà au XIXe siècle, face à des défis similaires. Les populations souffrent de l’absence de sécurité. La culture du rezzou2 persiste à travers les attaques de camps, de villages ou de commerçants. Le djihadisme sert de catalyseur à la contestation de l’ordre social traditionnel. Plus ou moins consciemment, les militaires agissent forts de leur culture opérationnelle ancienne. Il convient justement, avec toute la prudence requise, de promouvoir ouvertement un « style français », non parce qu’il serait meilleur que celui de nos alliés, mais parce que depuis plus de deux siècles, c’est la partition que nous jouons et sur laquelle nous pouvons fonder notre action.

Les « petites guerres », malgré leur diversité, ont beaucoup de points communs. L’histoire française a conduit les armées à faire face à des situations très variées, ce qui lui a conféré une grande expérience. Toutefois, aujourd’hui, il faut pouvoir redonner à l’armée de Terre les moyens de vaincre les rébellions.

 

La contre-rébellion : des continuités

L’histoire africaine de la France a été une histoire particulièrement riche en enseignements. En effet, de la conquête d’un empire à la décolonisation, les conflits ont clairement été asymétriques, marqués par la lutte contre des rébellions et par la nécessité de mettre en place ou de maintenir des structures administratives solides. L’objet de cet article n’est pas de décrire précisément tout ce qui caractérise les missions de contre-insurrection. Il est indispensable d’insister sur trois aspects majeurs de ces conflits que sont : l’intégration de l’ennemi dans la population, l’importance du politique et le rapport au temps.

Traditionnellement, il était généralement admis que la guerre ne concernait que les rapports de forces entre troupes en uniforme. Les autres conflits relevaient au mieux de la police, au pire de la guerre civile, situation anarchique résultant de la faillite d’un État. La conquête algérienne initiée en 1830, a opposé des troupes régulières à des combattants rebelles ou civils, immergés dans la population et utilisant des procédés précédemment considérés comme inadmissibles. Cet ennemi évitait le combat direct et cherchait par des moyens divers, à épuiser l’adversaire en le contraignant à étendre son dispositif, en le frappant sur ses arrières et en le décrédibilisant auprès des populations locales. Cette situation est identique aux formes actuelles de la guerre asymétrique où l’ennemi s’attachera aussi à être abrité au sein de la population dont il sait obtenir des ressources financières, logistiques et humaines. La frontière entre combattant et non-combattant est poreuse, en particulier parce que tout civil peut à un moment ou à un autre contribuer, directement ou indirectement, à l’action militaire.

Une seconde caractéristique majeure de la « petite guerre » est sa dimension éminemment politique. Les colonisateurs se voulaient aussi administrateurs de territoires avec une ambition civilisatrice. Malgré des excès et des erreurs, la dimension politique avait été très bien appréhendée par les armées françaises durant la période de décolonisation3. Le général Beaufre jugeait que les guerres coloniales étaient particulièrement riches en enseignements généraux : « La guerre coloniale est une guerre totale où se trouvent posés en vraie grandeur tous les problèmes de la décision politique qui est, en fait, le but de la guerre. C’est là qu’on s’aperçoit très vite que la victoire militaire peut ne rien décider si l’adversaire ne s’avoue pas vaincu. À l’opposition militaire inégale fait place très rapidement une guerre populaire très difficile à résoudre si l’on ne dispose pas de procédés très assurés »4. Face à l’impossibilité d’anéantir son ennemi, l’enjeu pour une force sera de promouvoir un discours politique crédible, cohérent et acceptable par la population. Pour cela, il faut conjuguer une connaissance fine des zones d’intervention et le rejet des préjugés relevant de l’idéologie, en particulier celle qui relève inconsciemment de nos valeurs occidentales5.

Enfin, les « petites guerres » ont pour caractéristique commune d’être longues. Les théoriciens de la guerre révolutionnaire ont parfaitement décrit ces processus6. De fait, les militaires français n’ont pas vraiment l’expérience des guerres courtes. On peut souligner que la conquête de l’Afrique du Nord qui avait commencé en 1830 ne s’est réellement terminée qu’un siècle plus tard après la guerre du Rif (1921-1926). Plus récemment, les interventions françaises ont généralement duré une vingtaine d’années chacune. Il est évident que l’opération Barkhane sera longue. Les concepts de guerres « zéro mort » s’articulant autour de frappes chirurgicales pour remporter la décision, sont inopérants face à des ennemis déterminés qui inscrivent leur action dans le temps long et cherchent à préserver leur potentiel humain, quitte à ce que la guerre dure sur plus d’une génération. On retrouve donc les caractéristiques de ces conflits asymétriques avec des adversaires insaisissables, des enjeux politiques complexes et une durée qui dépasse les militaires engagés.

Face à ces enjeux, les travaux portant sur les méthodes de lutte contre l’insurrection insistent généralement sur trois principes communs qui sont : la légitimation de l’action, l’adaptation au contexte local et la marginalisation de l’ennemi, sur le territoire autant qu’à l’extérieur7. La connaissance de ces principes ne garantit aucunement le succès, ce qui a généré un certain nombre de critiques à leur encontre. Leurs détracteurs insistent sur divers aspects liés, soit à leur philosophie généralement coercitive8, soit sur les techniques employées. La recherche excessive d’une domination technologique pose aussi une question de rationalité entre le coût de certaines armes et les effets obtenus. Enfin, les comportements militaires eux-mêmes sont parfois absolument contre-productifs en raison des actions (allant des simples erreurs d’appréciation aux exactions), voire tout simplement de l’image renvoyée. En particulier, il est paradoxal de faire de la population l’enjeu principal quand, abrités dans des bases très protégées, les contacts se limitent à des patrouilles blindées ou à de rares rencontres avec des militaires masquant leurs visages et conservant des gants pour serrer les mains9.

                                               

1 Charles E. Callwell : « Petites guerres », 1998, Economica.

2 Bastin Vandendyck : « Le rezzou dans la région de Tombouctou entre 1890 et 1920 », Pôle étude et prospective, Centre de doctrine et d’enseignement du commandement, Janvier 2018.

3 Pierre Cyril Pahlavi : « La guerre révolutionnaire de l’armée française en Algérie, 1954-1961, Entre esprit de conquête et conquête des esprits », L’Harmattan, 2004.

4 Général Beaufre : « La guerre révolutionnaire. Les nouvelles formes de la guerre ». Fayard, 1972.

5 Douglas Porch : « The dangerous myths and dubious promise of COIN », Atlantisch Perspectief, Vol. 37, 2010.

6 Mao Zedong : « De la guerre prolongée », 1938.

7 Hervé de Courrèges, Emmanuel Germain, Nicolas Le Nen : « Principes de contre-insurrection », 2010, Economica ou Charles E. Callwell, op. cit.

8 Edward Nicolae Luttwak, Thomas Richard : « Les impasses de la contre-insurrection », Politique étrangère 2006/4 (Hiver), p. 849-861. Christophe Wasinski : « La volonté de réprimer », Cultures & Conflits, 79-80 | Automne/Hiver, 2010, Christian Olsson : « De la pacification coloniale aux opérations extérieures Retour sur la généalogie “ des coeurs et des esprits ” dans la pensée militaire contemporaine » Questions de recherche/Research in question – n° 39 – Avril 2012.

9 Arnaud de La Grange, Jean-Marc Balencie : « Les guerres bâtardes, Comment l’Occident perd les batailles du XXIe siècle », Perrin, Tempus, 2008.

 

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Titre : Contre-insurrection au Sahel, une manière française ?
Auteur(s) : le chef d’escadrons Paul LA COMBE
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