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De la numérisation de l’espace de bataille à l’info-valorisation: gagner la confiance des utilisateurs tactiques

cahier de la pensée mili-Terre
Sciences & technologies
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La numérisation de l’espace de bataille (NEB), lancée dans les années 2000 dans l’armée de Terre, devait avoir atteint sa maturité dix ans plus tard, non seulement en équipant les forces, mais aussi et surtout en s’assurant de l’adhésion des utilisateurs grâce aux gains tactiques obtenus.

En 2012, alors que la réflexion sur le passage à l’étape de l’info-valorisation[1] (étape suivante de la numérisation visant à l’optimisation des informations recueillies) se profile, le niveau de confiance des utilisateurs tactiques de la NEB est faible. Cette tendance est confirmée par les analyses d’exercice de niveau 2 à 5 et par les différents audits commandés sur les résultats de la numérisation.

Après dix ans d’investissements financiers, technologiques et humains, le constat est amer et la tentation chez les utilisateurs tactiques de la NEB de la jeter aux orties et de considérer l’info-valorisation comme un ultime gadget technologique sans plus-value pour le groupement tactique interarmes (GTIA) ou le sous-groupement tactique (SGTIA) est grande.

 

[1] Info-valorisation: exploitation optimale des ressources informationnelles autorisée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.


Même si la perception actuelle repose sur une réalité crue et parfois difficile à accepter, il est nécessaire, à travers une analyse lucide des manquements actuels, de regagner la confiance des utilisateurs tactiques, et de proposer les axes d’amélioration d’une capacité cruciale sur le plan tactique.

La réussite du passage de la numérisation à l’info-valorisation ne doit pas simplement être considérée comme un phénomène technique, mais surtout comme un problème humain pour lequel une réflexion et une action qui s’apparenteraient à celles menées au sein de grandes structures institutionnelles du type «accompagnement du changement» sont nécessaires et doivent être menées sans tabou ni ménagement.

 

Après être revenu sur le bilan contrasté de la NEB et le manque de confiance induit, l’auteur propose son point de vue sur les solutions possibles pour rétablir la confiance et s’engager résolument vers un passage à l’info-valorisation.

 

La numérisation de l’espace de bataille: du démon de l’inventivité à la fragilité humaine

 

Le constat actuel sur la numérisation dans l’armée de Terre ne peut être qu’amer au regard du niveau atteint aujourd’hui et du niveau d’ambition affiché initialement. Cette situation tient à deux causes principales: la dérive technologiste et les fragilités humaines. La conséquence est la perte de confiance des utilisateurs dans les outils mis à leur disposition.

 

La situation actuelle de la numérisation et sa complexité d’utilisation reposent d’abord sur le développement d’outils répondant plus à des soucis de mise en valeur de capacités technologiques et industrielles dé-corrélées des besoins de l’armée de Terre. La dérive technologiste et le «démon de l’inventivité» ne sont jamais très loin lorsqu’on aborde le sujet de la numérisation. Ainsi, ce phénomène est parfaitement décrit par M. Henrotin dans son ouvrage «La technologie militaire en question». À partir de l’exemple américain, la question de la finalité des technologies développées pour les armées est posée. Développons-nous des outils répondant à des attentes et à des besoins tactiques ou développons-nous des produits qui ont pour vocation unique de servir de faire valoir et de vitrine technologique?

La situation de l’armée de Terre française est à ce titre assez éloquente. En effet, le manque de cohérence de l’architecture numérique de nos systèmes de commandement est un frein majeur à leur efficacité. Ainsi, si l’utilisation des outils numériques donne satisfaction quant à la conception et à la conduite de la manœuvre au niveau de la division, les difficultés restent importantes pour les subalternes et en particulier pour le groupement tactique interarmes (GTIA) et le sous-groupement tactique interarmes (SGTIA). Le niveau de cohérence et d’effort de notre système se situant autour du GTIA, cette situation ne peut rester sans conséquence lourde sur notre efficacité.

Ainsi, l’utilisation au cours des phases d’entraînement et d’exercice est effective en raison du volontarisme du commandement, mais ne convainc pas pour l’utilisation en opération en raison de problèmes d’interopérabilité avec nos alliés et de manque de flexibilité. Un bon exemple de ce manque de flexibilité est donné par les contraintes de prise en compte logistique des unités nécessitant l’entrée manuelle des données propres à chaque unité. Ces données (DQP ou données quasi permanentes) sont indispensables à l’alimentation du système, mais nécessitent une manipulation fastidieuse rendant de fait tout déploiement ou réorganisation dans l’urgence impossible.

Ces contraintes techniques accentuent les fragilités humaines qui tiennent aux difficultés à instruire puis à entretenir le niveau de formation. Ces difficultés débouchent inévitablement sur une perte de la confiance des utilisateurs alors que celle-ci devrait constituer le cœur de cible des systèmes de numérisation.

Pour commencer, il ne faut pas perdre de vue que ces outils sont d’abord destinés à être utilisés par de jeunes soldats qui constituent le premier chaînon nécessaire à l’alimentation de la chaîne de commandement numérique. Et, contrairement à ce que laisse présupposer l’appartenance de nos jeunes militaires du rang, sous-officiers et officiers, à la fameuse génération Y, ceux-ci ne sont pas «numérico-compatibles» d’emblée avec les systèmes en dotation dans l’armée de Terre. Loin de là, ils y sont même plutôt allergiques en raison de leur familiarité avec des systèmes civils très ergonomiques de type application Androïd ou Appstore. Les applications du système d’information régimentaire (SIR) et du système d’information et de commandement des forces (SICF) étant, il faut bien le reconnaître, assez éloignées de ce monde, le sentiment de rejet et d’incompréhension ne doit pas être sous-estimé.

À cette première fragilité quasi anthropologique, il faut ajouter l’instabilité liée à la formation et aux mutations. Ainsi, dans nombre d’états-majors ou de régiments, la compétence numérique repose toujours sur un nombre limité de personnes. Les maîtres de NEB (sous-officiers supérieurs qualifiés, chargés de suivre les systèmes de numérisation ainsi que leur mise en œuvre opérationnelle dans les régiments des forces) restent les chevilles ouvrières de la numérisation dans les unités. Le maître de NEB est bien souvent l’homme sur les épaules duquel la numérisation d’une unité repose, mettant ainsi les formations à la merci d’un plan de mutation peu favorable. La réorganisation territoriale récente nous rappelle cette fragilité. Ainsi, des changements de localisations géographiques d’états-majors de brigade ou de régiments des forces ont pu provoquer un turnover allant jusqu’à 60% de leur effectif, impliquant une remise en cause de leurs aptitudes numériques pendant plus d’un an et nécessitant un fort investissement de formation interne pendant des cycles de projection particulièrement denses (crise ivoirienne / HARMATTAN / Afghanistan).

 

La banalisation de la numérisation est donc encore bien fragile, au regard des contraintes techniques perçues par les utilisateurs de base attendant un outil avant tout pratique, aussi bien que de par les fragilités humaines liées à la formation et à l’entretien des connaissances techniques

La numérisation ne constituant que la première étape menant à l’info-valorisation, il est donc nécessaire de voir la vérité en face, mais surtout de prendre le problème sous le bon angle afin d’y apporter une solution adaptée.

 

Regagner la confiance des utilisateurs tactiques

 

L’auteur de ces lignes, au vu de son expérience en régiment et en état-major de brigade, considère que l’aspect humain est primordial pour réussir le passage à l’info-valorisation. Bien entendu, les améliorations techniques sont indispensables, mais le déficit de confiance, voire la défiance des utilisateurs de base, doivent impérativement être surmontés par une prise en compte humaine du problème. Il ne s’agit pas seulement d’un aspect technique, mais bien d’un souci de commandement qui ne doit pas échapper des mains du chef.

Ainsi, de nombreuses études menées sur la mise en place de systèmes informatiques complexes concluent sur le fait que l’échec de l’appropriation de ces systèmes repose au moins autant sur des facteurs techniques que sur des facteurs humains. La numérisation est avant tout un changement culturel qu’il faut accompagner par un plan d’ensemble ne se contentant pas d’introduire un nouvel outil. Ce plan d’ensemble ne peut que reposer sur la prise en compte du facteur humain se résumant à trois mots: simplification, concentration et communication.

 

Tout d’abord, la simplification. Le soldat, tout comme son chef, est un utilisateur de base pour qui la rapidité d’accès à une fonction et son utilité tactique sont primordiales. Une amélioration dans ce domaine est la première façon de regagner sa confiance.

L’automatisation des tâches chronophages et ne nécessitant pas l’appréciation d’un être humain doit être développée. C’est le cas avec le projet SCORPION[1], qui intègre la vétronique[2] dès la conception des plates-formes. Cette évolution majeure permettra ainsi de suivre la situation logistique, partagée automatiquement avec les unités de soutien dédiées. L’intégration initiale des capteurs mécaniques et logistiques permettrait donc de s’affranchir de la fastidieuse entrée des données quasi permanentes (les fameuses DQP évoquées précédemment), qui affecte grandement l’utilisation logistique actuelle de notre numérisation et qui, surtout, la prive de réactivité lors d’un déploiement d’urgence de type GUÉPARD.

 

Le deuxième axe d’effort à développer pour regagner la confiance des utilisateurs est la concentration des futurs outils numériques sur les trois seules fonctions essentielles que sont la cartographie, la géolocalisation et le travail collaboratif pour les états-majors. La concentration sur ces fonctions principales a pour corollaire un besoin relativement modeste en terme de débit et donc le maintien d’une capacité de transmission en phonie en parallèle de la transmission de données non prioritaires (le problème s’est posé en Afghanistan avec la projection de bataillons FÉLIN). Ce choix serait donc cohérent avec les supports physiques et les capacités de débit en notre possession. Il pourrait être une solution à l’écrasement des niveaux de commandement et à l’entrisme des niveaux opératifs vers les niveaux tactiques, favorisé inévitablement par la transmission de données.

Ces fonctions répondent à la satisfaction du juste besoin et correspondent à des ambitions réalistes au regard des contraintes budgétaires de plus en plus lourdes imposées au développement des nouveaux programmes militaires. La concentration sur ces fonctions serait de nature à accroître la crédibilité autant en interne qu’en externe en replaçant nos ambitions dans un cadre réaliste.

 

Mais l’axe le plus important et surtout le plus efficace pour regagner la confiance des utilisateurs est la communication sans fard sur la perception réelle de la numérisation et sur les choix effectués pour l’avenir. En effet, la conduite du changement, puisque c’est bien à cela que correspond la numérisation de l’armée de Terre, ne peut être effective sans ce volet communication. Celui-ci est d’autant plus important que le capital confiance est entamé.

Communiquer, cela veut dire exposer clairement le choix qui a été fait de rompre avec les NEB du présent et du passé pour s’assurer une info-valorisation ciblée et exploitable pour l’avenir. Une démarche pédagogique et volontariste doit être menée vers les échelons subalternes afin de dire clairement que la NEB développée jusqu’à présent était une première étape imparfaite avec laquelle l’armée de Terre a décidé de rompre.

Seule une clarification de cette nature permettra de rétablir le lien de confiance avec les utilisateurs tactiques. Aujourd’hui, assez peu d’utilisateurs de cette numérisation imparfaite savent quels sont les grands choix de l’armée de Terre dans le domaine de l’info-valorisation. Comment le sauraient-ils si une communication institutionnelle n’est pas développée? La vérité est quelque fois difficile à dire lorsque les résultats d’ambitions déçues doivent être étalés au grand jour.

Cela reste néanmoins capital pour trouver une adhésion déterminante dans un projet d’avenir conditionné par la réussite d’actions de formation lourdes et par la volonté des individus d’entretenir des savoir-faire au quotidien.

 

Pour conclure…

 

Comme le disait le Général Poirier: «l’arme n’est qu’une prothèse de l’homme». Ainsi, la numérisation, et encore plus l’info-valorisation, ne se feront pas sans une adhésion des soldats. Les actions de formation et l’entretien de ces formations ne seront efficaces dans la durée qu’à la condition que les usagers y trouvent un intérêt. On peut le déplorer, mais cela reste un fait.

 

La situation imparfaite de la NEB du présent est connue et prise en compte sur le plan technique. C’est essentiel, mais pas suffisant pour garantir l’avenir. La bataille de la confiance est le véritable enjeu de l’info-valorisation. Il serait illusoire de croire qu’une crise de confiance ne se résout qu’avec une amélioration de la situation matérielle ou technique. Tout changement culturel dans un milieu professionnel doit être soutenu ou, au minimum, accompagné par un plan d’ensemble reposant sur une communication efficace jusqu’au plus bas échelon (l’utilisateur de base).

 

Reste la question de savoir jusqu’où la numérisation est utilisable pour assurer une évolution efficiente de la tactique. Oserait-on imaginer à l’avenir un nouveau système tactique reposant sur une architecture technique minimaliste, dans un pays avec de larges ambitions, de puissants intérêts industriels, mais aussi avec des moyens consentis de plus en plus modestes conjugués à des choix de partenaires européens singulièrement différents sur ces questions de numérisation du champ de bataille?

 

 

[1] SCORPION: synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’info-valorisation.

[2] Vétronique: «néologisme qui désigne l’architecture électronique des véhicules militaires modernes, que ce soit pour les véhicules neufs ou les rétrofits: interface homme-machine multimédia, distribution de l’information, contrôle réparti, architecture des fonctions mobilité et de communication, entraînement intégré…» TTU n°540 du 18 mai 2005

 

Le Capitaine Cyril BEDEZ est fantassin. Après avoir servi comme officier de réserve en situation d’activité (ORSA) de 1997 à 2000 au 16ème bataillon de chasseurs, il intègre l’École militaire interarmes en 2000. Il rejoint ensuite le 152ème régiment d’infanterie où il sert successivement comme chef de section, officier adjoint puis commandant d’unité; puis il est affecté en 2008 à l’état-major de la 2ème brigade blindée comme officier traitant au bureau emploi. Projeté en opérations à plusieurs reprises au Tchad, au Kosovo, au Liban et en Guyane, le Capitaine BEDEZ a été témoin et acteur de la mise en place de la numérisation de l’espace de bataille au sein des forces. Il est actuellement stagiaire au CSEM

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Titre : De la numérisation de l’espace de bataille à l’info-valorisation: gagner la confiance des utilisateurs tactiques
Auteur(s) : le Capitaine Cyril BEDEZ
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