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De tout temps l’apparition d’armements nouveaux a amené le soldat à s’interroger sur la légitimité de leur emploi 1/2

Cercle de réflexion G2S - n°23
Sciences & technologies
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L’arrivée des drones sur le champ de bataille, ne transforme-t-elle pas le soldat en un opérateur éloigné partiellement déresponsabilisé ? C’est ce à quoi s’attache à répondre le GCA (2S) Henri PONCET.


Le drone, rupture et révolution dans l’art de la guerre

Le bourreau et le robot

Le modèle occidental de la guerre a été bâti depuis l’antiquité sur la recherche de la bataille décisive afin qu’il en sorte, si possible et sans discussion, un vainqueur et un vaincu. Au cours des siècles le modèle a évolué en fonction des moyens mis en œuvre, des armes disponibles et du profil des combattants.

Les hoplites de la phalange grecque portent le bouclier à gauche et sont protégés à droite par les boucliers de la colonne voisine. C’est une formation totalement monolithique.

Les Romains améliorent l’organisation avec un dispositif plus dans la profondeur. La première vague d’hastati lance le pilum et engage ensuite la ligne adverse au glaive. La deuxième vague des principes lance à son tour le pilum par-dessus les hastati et soutient ou s’engage à son tour dans les espaces laissés libres par la première. Les combattants sont rassemblés autour du chef qui est au premier rang et de leur emblème, soudés par l’esprit de corps.

Ce modèle de combat perdure au cours des siècles y compris avec l’emploi de la poudre sur le champ de bataille dont le premier usage connu en Europe est son utilisation par les Anglais à CRÉCY. Néanmoins, l’arrivée du feu sur le champ de bataille va progressivement autoriser un combat plus à distance et bouleverser la psychologie du combattant habitué jusqu’alors à affronter l’ennemi les yeux dans les yeux et au corps à corps.

Sur mer, le vaisseau et ses canons vont balayer la tactique des galères, qui emportaient la décision en éperonnant l’adversaire avant de l’engager à l’arme banche. À TRAFALGAR, les canons anglais ne laisseront aucune chance aux navires français et espagnols.

L’accroissement considérable de la puissance de feu associée à une mobilité guère différente de celle des armées napoléoniennes explique les hécatombes des premiers mois de la première guerre mondiale. Au cours de la seconde guerre mondiale, les belligérants rechercheront toujours la bataille décisive jusqu’à l’emploi de l’arme atomique.

Depuis, le modèle occidental, qui fait la part belle au guerrier, au lien et à cet esprit de corps souvent invoqué, est confronté au modèle asymétrique que sont les insurrections, les guérillas, les guerres révolutionnaires et les actions terroristes. Dans ce modèle, l’affrontement direct et décisif est évité. C’est du temps, voire de l’imbrication, qu’on recherche pour user l’adversaire et son opinion publique sur le plan psychologique (pertes, coûts, médiatisation, etc.) jusqu’à ce qu’il décide d’abandonner la partie. Chez cet ennemi, le lien se noue et se cultive autour de la cause, de l’idéologie, lien définitivement établi par la mort d’anonymes délivrée dans l’acte terroriste, mais vu comme barbare par celui qui est frappé.

Ce long préambule avait pour but de montrer que des changements radicaux touchant les structures, les modèles et les mentalités sont en marche et qu’il faut savoir répondre à l’asymétrie par l’asymétrie en usant de l’avance technologique. Dans ce domaine, l’emploi de systèmes robotisés fait partie de ces nouvelles approches, systèmes robotisés au premier rang desquels se trouvent les drones20.

L’emploi des drones comme arme de reconnaissance ou d’attaque dans la troisième dimension marque une rupture technologique, doctrinale mais aussi psychologique, voire éthique dans l’emploi de l’arme aérienne.

 

Des bombardements massifs à l’élimination de l’individu

Les tapis de bombes déversés sur les villes allemandes ou japonaises par l’US Air Force, les bombardements de Londres par la Luftwaffe, les V1 et V2 ont marqué la seconde guerre mondiale car, au-delà des objectifs que constituaient les gares, les ports ou les usines, il s’agissait de peser sur la capacité de résistance des populations en les terrorisant. Au cours de cette guerre, les pertes civiles ont excédé les pertes au combat.

Pour autant, se posait déjà le contexte des modalités des bombardements. L’un des aviateurs américains témoigne : « J’accomplissais ma mission près de quatre miles au-dessus du point d’impact. Dans ces circonstances, il est difficile d’avoir le moindre sentiment de porter atteinte à un ennemi21 ». En revanche, lors des raids destructeurs sur TOKYO à altitude inférieure, certains pilotes qui visualisent les effets du bombardement affichent des troubles psychologiques au retour de mission.

Cette mise à distance de l’adversaire, de la cible qui semble déresponsabiliser l’auteur du bombardement à haute altitude autorise à s’interroger sur les pilotes de drones qui traitent leurs objectifs à l’autre bout du monde depuis leur base située dans le Nevada. Dans le film Good Kill, le héros, ancien pilote de chasse, à très grande distance de son ennemi, ne prend plus aucun risque et en arrive à ne plus supporter de visualiser avec force détails les résultats précis de ses frappes, à refuser de devenir selon lui un tueur. Jesse Glenn GRAY officier américain pendant la seconde guerre mondiale et philosophe écrit dans ses carnets, peut-être d’une façon prémonitoire : « Si nos guerres devaient transformer tous les combattants en tueurs, la vie civile serait menacée pour plusieurs générations, ou bien deviendrait tout simplement impossible. »

Certes, on ne peut pas évacuer le souci de nos sociétés occidentales de faire courir le minimum de risques à leurs soldats, voire à les évacuer totalement si la technologie le permet.

On voudra bien se souvenir de ce fameux concept du « zéro mort » (dans son camp uniquement, chacun l’aura compris) qui mérite un bref développement. Concept purement occidental, américain, le  « zéro mort » est apparu au moment de la première guerre du Golfe de l’automne 1990 au 28 février 1991 avec, à l’origine, l’ambition légitime d’avoir la chaîne santé la plus performante possible pour sauver ses blessés. Mais la Somalie a ramené les Américains, avec le pragmatisme qui les caractérise, très rapidement aux réalités22.

C’est devenu par extension pernicieuse un concept de pays riche dont les fondements sont à la fois économiques, géopolitiques et surtout sociétaux selon un argumentaire qui pourrait illustrer aussi le « zéro risque ».

Les fondements économiques s’inscrivent dans une maîtrise supposée ou espérée du tout technologique, des techniques de l’information et de la communication. Il s’agit de faire la guerre à distance, d’éloigner pour soi le pire, sans réciprocité.

Et c’est dans ce contexte que depuis une dizaine d’années, on assiste à une multiplication d’interventions par des drones armés. Ce mode d’action a été initié par les Israéliens pour des frappes chirurgicales contre les chefs du Hamas dans la bande de GAZA dès 1982. Les Américains ont vu tout l’intérêt de cette nouvelle arme, de ce nouveau mode d’action, pour lutter contre les mouvements terroristes dont l’attentat est le mode d’action privilégié (voiture piégée, kamikaze etc.). Le drone armé s’est imposé dans cette guerre. En effet, il est difficile d’arrêter un terroriste. Et quand on l’arrête, il est difficile de le faire parler, même en le torturant. Et ensuite, il est difficile de l’emprisonner (GUANTANAMO) alors qu’il n’y a pas de guerre juridiquement déclarée. Il devient beaucoup plus simple de le neutraliser, c'est-à-dire de le tuer. D’autant qu’il n’y a pas de risque, qu’il n’y pas ou peu d’images et que ce n’est pas très onéreux.

Mais, tout cela doit rester très secret. Aussi, chez les Américains, ce mode d’action est essentiellement du ressort de la CIA qui tient à jour la Kill List. Certains observateurs estiment actuellement que les victimes des drones américains sont de l’ordre de 6 000, dont nombre de dégâts collatéraux sur les accompagnateurs des cibles identifiées.

 

De l’éthique dans l’emploi des drones

Cette arme de rétorsion ou de répression pose-t-elle un problème d’éthique et ne dépossède-t-elle pas le soldat de ce qui lui avait jusqu’alors donné une place particulière dans l’histoire des sociétés et des civilisations de l’humanité en ce sens qu’il n’y a plus réciprocité du risque ? Tout comme souvent dans l’acte terroriste.

L’éthique. Voilà un mot qui fait recette. Mais est ce que l’éthique existe en tant que telle ? En fait, pour en faire un résumé succinct, il y a deux modèles d’éthique :

-     L’éthique déontologique. Cette forme d’éthique se conçoit indépendamment de toute conséquence qui pourrait résulter de nos actions. Pour le philosophe allemand Emmanuel KANT, on ne doit pas mentir pour éviter un mal car l’obligation de dire la vérité est absolue.

-     L’éthique téléologique. Elle met l’accent sur les finalités, sur les effets d’une action qui ne peut être jugée bonne ou mauvaise qu’en fonction des conséquences. Et c’est au résultat, après, que l’on peut juger du bien-fondé  de  la  décision.  D’ailleurs  le  philosophe  français  Alain BADIOU va jusqu’à dire que l’éthique n’existe pas, il n’y a que l’éthique des vérités (de la politique, de l’amour, de la science, de l’art) autrement dit l’éthique de situation.

Et pour ajouter à la complexité du sujet, l’économiste et sociologue allemand Max WEBER écrit dans son ouvrage Le savant et le diplomate : « Nous en arrivons ainsi au problème décisif. Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité [Verantwortungsethisch] ou selon l’éthique de la conviction [Gesinnungsethisch]. Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de responsabilité à l’absence de conviction ».

 

Comparons par exemple les 6 000 victimes des drones américains aux 60 000 victimes civiles des bombardements alliés en France pour préparer et accompagner le débarquement de Normandie. Autres temps, autres mœurs ou à chaque situation la décision la plus pertinente ?

Winston CHURCHILL auquel ses amiraux expliquaient que l’on allait perdre la moitié des navires et les troupes transportées par milliers en traversant la méditerranée pour renforcer l’armée britannique en Égypte avait répondu :

« Je sais, mais il en passera quand même. Voulez-vous que nous perdions la guerre ? ». Le même questionnement s’est sans doute posé au président américain Harry S. TRUMAN avant les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki.  En  cela,  ils  rejoignaient  SAINT-JUST  qui  disait  que  « la  seule justification de la guerre, c’est la victoire ».

Aujourd’hui, le risque peut rentrer dans une évaluation calculée. Mais pas l’incertitude qui est perçue comme une menace inacceptable et intolérable. Autour de ce qui apparaît comme une exacerbation du principe de précaution se manifeste le refus de cette incertitude et l’attribution du pouvoir aux théoriciens, aux experts, mais pas aux pragmatiques.


 

  1. En anglais un drone est un faux bourdon et ce terme désignait une cible volante dans les années 1930.
  2. Philip ARDERY, Bomber Pilot: A Memoir of World War II, LEXINGTON: University Press of Kentucky, 1978.
  3. Le 3 octobre 1993, durant l’opération de maintien de la paix RESTORE HOPE destinée à rétablir l’ordre en Somalie, l’armée américaine perd 18 hommes à MOGADISCIO. Cette défaite qui provoque le retrait rapide des troupes sera portée à l’écran, avec beaucoup de réalisme, par Ridley SCOTT dans La chute du faucon noir.

 

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Titre : De tout temps l’apparition d’armements nouveaux a amené le soldat à s’interroger sur la légitimité de leur emploi 1/2
Auteur(s) : le GCA (2S) Henri PONCET
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