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Des zouaves pontificaux aux «volontaires de l’ouest»

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Histoire & stratégie
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Monsieur Laurent Gruaz nous décrit la transformation de ces volontaires franco-belges devenus zouaves pontificaux, en volontaires de l’Ouest, combattant en 1870 sous les armes de France. Foi en un idéal, esprit de corps, pouvoir d’entraînement des chefs sont les mots-clefs de cette véritable et originale saga.


Les soldats du pape, des États pontificaux à la guerre de 1870

     Au 31 décembre 1860, le bataillon des tirailleurs franco-belges totalise 662 inscrits à la matricule. La moitié d’entre eux environ a participé à la bataille de Castelfidardo, parmi lesquels 120 ont été tués ou blessés. Depuis la fin du mois de septembre et la reddition d’Ancône, le bataillon a donc vu l’arrivée de nouveaux volontaires plus que jamais désireux de porter secours au Saint-Siège, et il lui faut davantage d’officiers, non seulement pour remplacer ceux qui ont été tués au champ d’honneur, mais surtout pour encadrer les nouveaux enrôlés qui affluent toujours essentiellement de France et de Belgique.

     Au 1er janvier 1861, la nouvelle matricule est ouverte. Le bataillon prend désormais son appellation officielle de zouaves pontificaux, nom que «l’opinion publique et les Piémontais avaient déjà donné aux combattants de Castelfidardo»[1] en raison de leur tenue[2]. Dans les mois qui suivent, il passe de quatre à huit compagnies plus une section hors rang.

     Une semaine après sa formation, une grande cérémonie rassemble le tout nouveau bataillon à Saint-Jean-de-Latran pour la prestation du serment solennel des zouaves à Pie IX. Toutes les compagnies se présentent à la grande porte et prennent place dans la nef, formant un carré ouvert d’un côté. Un pupitre est placé au milieu avec le livre des Évangiles. L’aumônier, Mgr Daniel, se tient face à la troupe et à son commandant, et s’adresse à ses hommes:

«Jusqu’ici, vous vous êtes engagés isolément chacun en particulier; mais aujourd’hui, tous ensemble, nous voulons jurer solennellement fidélité à Dieu et à son service, à l’Église et à ses clercs, à son Chef auguste, prince temporel, chef spirituel. Nous promettons à Dieu de défendre ses droits et de plutôt mourir que de les abandonner lâchement. Pour moi, messieurs, en présence de ce bataillon que je respecte et que j’aime, en présence de Dieu et de l’Église, je jure de demeurer toujours fidèle à l’Église, à sa doctrine et à ses droits, j’ajoute le serment de la plus entière fidélité, du plus entier dévouement à votre service, messieurs, et au salut de vos âmes[3].

     Cette prestation de serment resserre indiscutablement les liens entre les zouaves. Loin d’être une simple formalité rituelle, elle donne surtout le sens véritable de leur engagement en les inscrivant dans sa dimension religieuse. Elle les soude et permet aux «anciens», comme à ceux nouvellement arrivés, de se retrouver au sein d’un groupe particulier, presque une sorte de confrérie dans laquelle n’entrent que ceux qui partagent les mêmes valeurs. Des valeurs religieuses communes qui donnent à chaque engagé un esprit de corps, renforcé encore par l’importance de la cause à défendre. Rapidement, de nouveaux cadres sont installés. Le Lieutenant-colonel de Becdelièvre, démissionnaire, est remplacé par un Suisse, le Lieutenant-colonel Eugène Allet, du 1er régiment étranger, qui reçoit comme second Athanase de Charette, nommé commandant. Le recrutement, dorénavant, se fait essentiellement à l’ancienneté: 24 des 32 officiers ont connu une première expérience militaire avec les Franco-Belges, dont 21 Français. Les autres proviennent soit d’un autre corps de l’armée pontificale, soit de l’armée française, et sont directement entrés aux zouaves pontificaux avec leur grade. Cette nouvelle organisation du bataillon compte aussi près d’un tiers de promotions de sous-officiers, ce qui reprend le principe en vigueur dans l’armée française sous Louis-Philippe.

     Les six années qui suivent la formation sont plutôt calmes. Elles sont émaillées seulement de quelques escarmouches aux frontières des États pontificaux contre l’armée du roi et les chemises rouges de Garibaldi; mais, d’une manière générale, la vie quotidienne des zouaves oscille entre la vie de garnison et l’entraînement militaire, la participation avec leur compagnie aux grands rendez-vous religieux de l’année et, sur un plan plus personnel, la découverte de la Ville éternelle et de ses environs.

 

  • Aguerrissement en montagne

     Loin des tensions politiques et diplomatiques qui se jouent en coulisses entre la France, l’Italie et le Saint-Siège, une activité particulière permet, à partir de l’année 1865, d’apporter aux zouaves une diversion de choix à la vie de garnison: la guerre au brigandage. Il s’agit principalement de capturer ou de tuer les bandits de grands chemins qui sévissent dans les montagnes autour de Rome, détroussent, enlèvent et rançonnent passants et riches villageois. Ces traques n’aboutissent pas à de simples accrochages entre deux bandes rivales au cœur des forêts et villages de montagnes qui dominent le Latium: il s’agit de rudes combats menés dans un environnement difficile et escarpé qui offre de multiples refuges inaccessibles à un ennemi le plus souvent invisible. Tous les chefs de compagnie et de section participent, à un moment ou à un autre, à ces courses éprouvantes dans les montagnes. Pour eux, cette guerre présente certains avantages dont le principal est d’exercer les hommes et de les aguerrir. Mais elle permet aussi à des détachements qui auraient été longtemps sans se rencontrer, de se trouver à certains moments réunis dans un même camp et aux hommes de se retrouver. Afin de stimuler l’ardeur de la troupe, le gouvernement avait attaché des primes pour chaque brigand pris ou tué: quiconque exécutait l’arrestation de l’un d’eux se voyait accorder une somme de 500 écus, et «si c’est un chef de bande, la prime sera de mille écus»[4]. «Il y avait également une décoration pour l’homme qui capturait ou tuait un bandit. L’officier recevait une croix, le soldat ou caporal une médaille militaire»[5]. Ce genre d’action pouvait valoir aux officiers la croix de l’Ordre équestre pontifical de Saint-Sylvestre au même titre qu’une blessure ou tout acte de bravoure en temps de guerre.           

     Le 15 septembre 1864, la France et l’Italie signent une convention – sans le pape – selon laquelle le royaume de Sardaigne se doit d’être le garant de l’intégrité de ce qui restait du territoire pontifical. En échange, les troupes françaises s’engagent à quitter Rome dans les deux ans. Autrement dit, les États pontificaux bénéficient d’un court répit avant d’être à nouveau l’objet des convoitises de Victor-Emmanuel. À partir de 1866, le drapeau français ne flotte donc plus sur Rome. La ville n’est plus défendue que par les zouaves qui, désormais sans soutien extérieur, s’attendent à une attaque imminente. En retirant ses soldats, Napoléon III fait là le jeu du roi d’Italie. C’est à ce moment-là, pourtant, qu’il envoie une nouvelle troupe française à Rome, elle aussi levée sur la base du volontariat, baptisée «légion romaine», mais qui reste plus connue sous le nom de légion d’Antibes en raison de son lieu de formation. L’Empereur a été contraint d’intervenir pour défendre ce qui restait de l’État pontifical sous la pression d’une opinion catholique électoralement indispensable. Comme en 1860, un appel est lancé par les comités de Saint-Pierre. Très rapidement, l’effectif du bataillon, devenu régiment à deux bataillons au 1er janvier 1867, se met à progresser à tel point qu’à la fin de l’année il a atteint 4.200 hommes répartis pour la première fois en trois bataillons[6].

     Dès le mois de septembre, les chemises rouges de Garibaldi franchissent les frontières du Latium et s’établissent près de Viterbe. Le Général Kanzler répartit son armée en deux brigades: l’une en ville, l’autre en campagne, divisée en quatre zones militaires:

  • 1- Viterbe, commandée par le Colonel d’infanterie Azzanesi;
  • 2- Cività Vecchia, par le Lieutenant-colonel de gendarmerie Serra;
  • 3- Tivoli, par le Lieutenant-colonel des zouaves Charette;
  • 4- Velletri-Frosinone, par le Lieutenant-colonel des chasseurs Giorgi.

Charette peut compter sur quatre compagnies de zouaves; deux autres se trouvent dans la zone de Viterbe et le reste du régiment est à Rome avec le Colonel Allet. Le total de la colonne pontificale de campagne s’élève à près de 3.000 hommes à laquelle s’ajoutent environ 2.200 soldats français en soutien commandés par le Général de brigade de Polhès, soit plus de 5.000 hommes. Les zouaves, comme à leur habitude, forment l’avant-garde de ce déploiement avec trois compagnies emmenées par le Commandant Charles de Lambilly.

     Face à eux, les troupes de Garibaldi ne sont pas très bien équipées, mais leur nombre est supérieur et elles sont plus tenaces que les bandes de brigands. Au terme de nombreux accrochages, l’armée pontificale, avec le soutien de la légion romaine et un détachement de l’armée française, défait les troupes de Garibaldi à Mentana le 3 novembre, remportant ainsi sa première grande victoire militaire face au royaume d’Italie. Ce fait d’armes vient couronner plus d’un mois de guérillas dans la campagne romaine au cours duquel les zouaves ont été particulièrement sollicités. Il vient aussi démontrer que ce corps de volontaires est désormais bien établi, loin de l’image de la troupe presque d’amateurs qui s’élançait à l’assaut de Castelfidardo sept ans auparavant. Les zouaves pontificaux ont su garder l’élan et le courage de leurs aînés, les tirailleurs franco-belges, mais ils sont entre-temps devenus une véritable troupe, prête au combat tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Cela se vérifie entre autres avec l’utilisation des fusils Chassepot et Remington, des armes innovantes et redoutables pour l’époque qui n’ont plus rien à voir avec la carabine Minié en usage lors de la bataille de Castelfidardo[7]. Le répit est cependant de courte durée.

     Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Le pape Pie IX propose une médiation au roi de Prusse Guillaume Ier pour empêcher le conflit[8], mais la requête n’aboutit pas. Dans les États pontificaux, tous les permissionnaires sont rappelés et les permissions refusées. Les officiers français des zouaves et leurs hommes sont partagés: faut-il rester à Rome pour défendre la cause du pape ou faut-il retourner en France combattre aux côtés des compatriotes et défendre la patrie en danger? À cette date, cela ne représente pas un dilemme, mais plutôt une question de principe. Cela d’autant plus que les troupes françaises stationnées à Rome doivent être rapatriées, ce qui potentiellement laisse le champ libre à l’Italie pour envahir le territoire pontifical, bien que Victor-Emmanuel s’en défende. La question devient plus problématique à partir du 1er septembre, avec la défaite française à Sedan et l’empereur prisonnier des Prussiens. Le moral des troupes du pape s’en trouve fortement affecté. Le gouvernement impérial avait laissé le choix aux zouaves français de rester ou de rentrer, sans doute pour compenser les effets négatifs du retrait de ses troupes de Rome. Les États allemands aussi avaient autorisé leurs nationaux à poursuivre leur engagement au service du pape s’ils le souhaitaient, à l’exception de la Bavière qui les avait rappelés[9]. Cela posait la question des relations entre zouaves français et allemands qui vivaient depuis Rome l’affrontement de leurs patries respectives. Celles-ci auraient pu faire l’objet de rivalités, les victoires des uns faisant les défaites des autres, mais il n’en fut rien:

«Pas une fois, ceux de nos camarades qui avaient sujet de se réjouir et de triompher ne nous ont attristés de leur joie ou meurtris de leur triomphe. […] Quand le licenciement nous eut rendus les uns et les autres à nos devoirs envers nos patries respectives, j’en ai vu s’embrasser qui devaient se rencontrer bientôt sur la Loire»[10].

     Le 20 septembre, l’offensive italienne sur Rome est lancée. Les premiers coups de canon sont tirés à 5 heures du matin. Vers 9h30, une brèche est ouverte à la Porta Pia sur une trentaine de mètres. À 10h10, le Major de France fait sonner le cessez-le-feu. Rome vient de tomber, et avec cette chute prend fin le pouvoir temporel du pape. Le régiment des zouaves pontificaux sera licencié le lendemain.

 

  • Le corps se reforme pour la campagne de France

     Le débarquement, une semaine après, à Toulon, d’une troupe jugée réactionnaire, gêne quelque peu la délégation de gouvernement de Tours, embarrassée par la présence sur le sol français des encombrants zouaves pontificaux, car si l’on ne peut négliger une troupe aguerrie, on ne sait pas trop comment les intégrer à l’armée[11]. Charette plaide sa cause auprès du secrétaire général du ministère, le Général Lefort, qui se rend aux arguments du lieutenant-colonel et, le 6 octobre, sans décret[12], autorise ce dernier à former un corps-franc et à recruter parmi les volontaires en dehors des hommes soumis à la conscription dans l’armée ou dans la garde nationale, c’est-à-dire parmi les exemptés pour leur statut comme les séminaristes, pour leur situation de famille comme les pères, pour leur âge comme les moins de vingt et un ans, et les réformés pour quelque raison physique. Les autorités y trouvent leur compte puisque cette troupe permet de mobiliser des hommes qui légalement ne peuvent pas l’être, sans grande dépense puisque, hormis la solde et l’armement[13], les frais d’équipement, de casernement et de nourriture restent à la charge du corps et de ses mécènes, comités catholiques constitués ou à constituer. Le nom de l’unité cependant pose problème car, pour un gouvernement républicain dont les membres les plus en vue ne cachent ni leurs convictions laïques ni leur sympathie pour Garibaldi qui vient de proposer ses services, il est inimaginable d’enrôler un régiment de zouaves pontificaux. Sous la suggestion de Crémieux, à moins que ce ne soit du Général Lefort, on retient le nom de volontaires de l'Ouest par référence à l’origine de leur recrutement dans l’esprit des ministres, par référence au lieu de constitution dans l’esprit de Charette, mais, pour tous, ils vont rester les zouaves pontificaux[14]. Pour la troupe, la filiation entre les deux corps est assurée humainement par environ un quart d’anciens d’Italie et, au niveau des officiers, la quasi-totalité des cadres sont là.

     L’arrivée des zouaves à Tours le 8 octobre est appréciée. Leur réputation les a précédés, ce qui leur attire les sympathies de nombreux chefs militaires qui aimeraient les intégrer à leurs troupes[15]. Ils sont placés sous l’autorité du Général de Sonis, commandant le 17ème corps d'armée de l'armée de la Loire. Le recrutement ne pose pas de problèmes grâce à un vaste réseau de relations dans les milieux catholiques, mais Charette reste vigilant sur la qualité morale des recrues. Ce n’est pas la guerre en tant que telle qui attire les nouveaux, mais bien la légion de Charette et son esprit de corps; ce sont avant tout les convictions religieuses, et dans une certaine mesure celles, royalistes, de ses officiers et de certains sous-officiers et soldats, qui rallient ces hommes du même bord. Et les effectifs continuent de croître rapidement: dès le début du mois de novembre, deux bataillons de 500 volontaires chacun répartis en six compagnies sont formés. Un troisième bataillon est en cours de création.

     Le 1er décembre 1870, sur les injonctions de Gambetta, le Général d’Aurelle de Paladines, à la tête de l’armée de la Loire, entreprend de marcher, à partir d’Orléans, sur Paris pour forcer les Prussiens à lever le siège. Il est prévu que les troupes parisiennes du Général Ducrot effectuent conjointement une percée en direction de Fontainebleau, point de convergence des forces françaises. L’armée de la Loire rassemble 170.000 hommes d’origines hétéroclites, mal formés, mal encadrés, mal armés et mal équipés, étalés sur une ligne de 80 kilomètres au nord d’Orléans, face à 140.000 Allemands, militairement supérieurs à tous points de vue, occupant la Beauce à une trentaine de kilomètres plus au nord. Les troupes marchent droit devant en trois colonnes principales pour converger sur Pithiviers en bousculant de part et d’autre les divers corps ennemis. À gauche, la manœuvre, après un vif succès, piétine au château de Toury et, le 2 décembre, la contre-attaque allemande enferme le 37ème régiment de marche dans le village de Loigny. L’offensive française est verrouillée. Pour faire sauter le verrou et sauver les malheureux assiégés, le Général de Sonis, sur ordre du Général Chanzy, déclenche une attaque de secours et, en raison de la défection de troupes inexpérimentées et mal commandées, prend lui-même la tête d’une maigre colonne d’assaut improvisée où figurent en bonne place les zouaves pontificaux/volontaires de l'Ouest.

     La médiocre vexation du changement de nom imposé au régiment a permis, par un hasard providentiel, qu’arrive entre les mains de Charette une bannière timbrée du Sacré-Cœur portant l’inscription «Cœur de Jésus, sauvez la France»: la veille de la bataille, à 23 heures passées, le Sergent Henri de Verthamon est convoqué auprès de Charette et du Général de Sonis qui lui font délivrer une lance et le chargent de la bannière[16]; une récompense pour l’ancien combattant de Castelfidardo qui, le jour-même, pendant la marche, avait demandé à son colonel de consacrer publiquement la légion des volontaires de l'Ouest au cœur de Jésus[17]. Il passe ensuite la nuit en prières dans la tente du Capitaine Henri Wyart, qui étudie avec son adjoint la topographie de la bataille à venir. À 3 heures du matin, il fait partie des dix-huit hommes qui assistent à la messe du Père Doussot; c’est le premier vendredi du mois, consacré au Sacré-Cœur, et il communie. Quand, vers 15 heures 30, le Général de Sonis entraîne les volontaires de l'Ouest à la charge, Henri de Verthamon, à pied, entre les deux vagues de tirailleurs, au milieu des officiers à cheval, lève haut la bannière: pour la première fois, l’armée française arbore le Divin Cœur sur un champ de bataille. Pour lui, l’instant est solennel: «C’était sublime, l’air était embaumé de vaillance, nous ne marchions pas, nous volions! Nous savions tous que nous allions à la mort… Pour moi, il me semblait monter au ciel…»[18]:

«Sa course s’arrête avant le petit bois, une balle lui déchire la vessie, il titube, se redresse pour quelques mètres, un second projectile lui brise la colonne vertébrale, la bannière est déjà relevée par les Bouillé […]. À l’avant du bois Bourgeon, Fernand de Bouillé, le père, est atteint au pouce puis à la poitrine […], la bannière tangue, s’abaisse, se redresse, tombe encore, et réapparaît. Traversay a voulu s’en saisir mais a été frappé, Cazenove a reçu un projectile dans le bras, Jacques de Bouillé, le fils, relève le drapeau en poussant un formidable «hourrah!»[19]. Le bois est emporté à la baïonnette, la course effrénée vers Loigny reprend, les premières maisons sont atteintes, Jacques brandit la bannière dans la rue principale envahie de flammes et de fumée. Mais la position est rapidement intenable, il faut décrocher. Alors que les zouaves reculent méthodiquement, pied à pied, Jacques est frappé d’une balle à l’épaule, il tombe, des camarades courent vers lui, il se relève, retombe, mortellement atteint. Tant bien que mal, rampant entre les blessés et les morts, Le Parmentier récupère la précieuse étoffe[20]».

     Les circonstances sont ici analogues à celles de Castelfidardo: la panique du 51ème régiment de marche répond à la fuite éperdue des troupes pontificales, les 800 hommes du Général de Sonis affrontent encore un ennemi dix fois supérieur. Parmi les 300 volontaires de l'Ouest qui participent à l’attaque, bon nombre sont des combattants de Castelfidardo. Pourtant, la majorité se compose d’engagés de fraîche date aussi peu exercés qu’en leur temps les tirailleurs franco-belges. À deux reprises, à dix ans d’intervalle, dans deux armées distinctes, pour deux causes bien différentes et sous deux régimes diamétralement opposés – la monarchie du pape-roi et la république athée –, les zouaves pontificaux, partant de presque rien, se sont pourtant rapidement constitués en unité d’élite afin de se battre pour les deux seules choses qui les animaient: la religion catholique et leur patrie. Bien que royalistes, les officiers et leurs soldats n’ont fait aucune difficulté pour porter secours à la France républicaine en danger. Ce qui fait la supériorité même de Loigny par rapport aux autres batailles des zouaves, c’est qu’à Loigny ils ont déployé la bannière. Curieusement, cet accomplissement a été le mieux exprimé, sans doute à son corps défendant, par Clemenceau dans son discours du 11 novembre 1918: «La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal!»[21]. Leur engagement a donc été sans faille.

     Le 13 août 1871, les anciens zouaves sont démobilisés et le régiment licencié. Celui-ci aurait pu continuer son existence: il avait été maintenu alors que s’annonçaient les premiers frémissements de la Commune, début avril, et que le gouvernement se tournait vers les volontaires de l’Ouest dans l’intention de les agréger à l’armée et de former un quatrième régiment de zouaves[22]. Mais Charette, bien que promu général par Gambetta après la défaite du Mans, louvoie habilement pour ne pas engager son unité dans la répression et refuse l’intégration à l’armée française. Le soldat du pape et ses officiers restent fidèles à leurs principes et, si la patrie a capitulé face aux Allemands, le Souverain Pontife, lui, se considère toujours prisonnier dans ses États. Aussi, c’est vers ce dernier qu’ils se tournent, mettant leur épée à son service s’ils devaient être rappelés à Rome.

 

 

 

[1] Louis-Alphonse de Becdelièvre, Souvenirs, op. cit., p. 106.

[2] Leur tenue rappelait celle des zouaves d'Afrique: képi gris bleu à bandeau rouge, veste courte de même nuance avec soutaches et passementerie rouges, large culotte grise, ceinture rouge, guêtres et molletières jaunes.

[3] Journal de Mgr Daniel, op. cit., p. 26.

[4] Édit du Pape Pie IX, op. cit., article 8.

[5] René d’Argence, «Six mois aux zouaves, ou les derniers jours des États pontificaux», Bâle, Société suisse des traditions populaires, 2000, p. 45-46.

[6] État numératif de la force du régiment des zouaves pontificaux au 31 décembre 1867.

[7] Le Chassepot est la première arme réglementaire de l'armée française à utiliser le chargement par la culasse et non plus par la bouche. Elle permet donc le tir et surtout le rechargement couché ainsi qu'une cadence de tir accrue (douze coups à la minute). En 1866, la portée avec la hausse de combat permettait de tirer à 150 m et la portée maximale avec la hausse longue distance atteignait environ 1.200 m.

[8] ASV, Archivio particolare di Pio IX. Sovrani e particolari, op. cit., Indice n°949, 22 juillet 1870.

[9] En tant que Badois, le ministre des Armes, le Général Kanzler, a pu sans difficulté rester au service du pape dont il représentait la plus haute autorité militaire. Depuis le 8 août, il avait autorisé tous ceux qui le voulaient à rejoindre leur pays.

[10] «L’Avant-Garde» n°281, 1er septembre 1902. Chronique du capitaine Henri Derély.

[11] Leur cas était différent de celui de la légion romaine, purement et simplement réintégrée dans l’armée après sa mise à disposition.

[12] «Historique du Régiment», p.1. Une telle lacune dans les formalités réglementaires était préjudiciable au bon fonctionnement administratif du corps et montre bien une certaine duplicité des autorités.

[13] Les textes prévoyaient que l’armement était à la charge des francs-tireurs, mais dans la pratique il a été fourni par l’administration militaire aux unités régulièrement constituées. Il en a été de même pour certains éléments d’équipement.

[14] La double appellation figure sur nombre de documents comme les titres de permission ou les certificats de libération.

[15] Olivier Tisserand, «Les derniers croisés. Histoire des zouaves pontificaux (1860-1870)», manuscrit, La Salle, 1990, p. 253: «Le commandant Clésinger les réclamait à Besançon pour les envoyer dans les défilés des Vosges; les habitants de Chartres les réclamaient pour garder leur ville et le maire de Fontainebleau avait envoyé une députation au gouvernement pour qu’ils viennent dans sa ville».

[16] Pierre-André-Louis Baunard (Mgr), «Le général de Sonis», Paris, Poussièlgue, 1910, p. 321.

[17] M.S.A., «Le drapeau du Sacré-Cœur et les zouaves», Saint-Amand, 1889, p. 29.

Anonyme (Général de Charette), «Noces d’argent du régiment des zouaves pontificaux», Rennes, Oberthur, 1885, p. 27.

[18] Eugène de Walincourt, «Les zouaves pontificaux, Mentana, Rome, campagne de l’Ouest», Paris et Lille, Lefort, 1873, op. cit., p. 266, propos rapportés par sœur Saint-Henri.

[19] Mme Jacques de Bouillé, «Biographie de Jacques de Bouillé», témoignage de Maurice de La Valette (manuscrit inédit).

[20] Patrick Nouaille-Degorce, «Les volontaires de l'Ouest: histoire et souvenir, de la guerre de 1870-1871 à nos jour», Université de Nantes, 2005, p. 150-154.

[21] Intervention de Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre, annonçant à la Chambre des députés les termes de la convention d'armistice signée le matin même à Rethondes (article 34).

[22] Alain Pichon, «Les zouaves pontificaux», dans Le Colback n°12, p. II, 89-90.

 

 

Monsieur Laurent GRUAZ est l’attaché parlementaire du député de Savoie Dominique Dord. Titulaire d’un doctorat en histoire, ainsi que de la qualification de maître de conférences, il est également chercheur associé au laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA). Sur le plan militaire, il a occupé le poste d’officier communication à l’École des pupilles de l’Air dans la réserve opérationnelle, avant de rejoindre la réserve citoyenne au 13ème bataillon de chasseurs alpins.

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Titre : Des zouaves pontificaux aux «volontaires de l’ouest»
Auteur(s) : Laurent GRUAZ
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