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En tout temps et en tout lieu ?

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Qu’il s’agisse de l’Afghanistan, du Mali ou de la République de Centrafrique, les interventions récentes ont démontré que l’armée de Terre a su acquérir, afin de défendre la France et ses intérêts, une compétence reconnue dans la projection de troupes sur court préavis et en n’importe quel point du monde. Elle participe ainsi pour près des deux tiers au déploiement de nos militaires hors de métropole et sur le territoire national. Pourtant, et alors que le sens même du métier des armes exige de chaque militaire d’être prêt immédiatement, serions-nous capables de projeter une force sans préavis si les circonstances l’exigeaient?


«Au service de la France, le soldat lui est entièrement dévoué, en tout temps et en tout lieu»[1]. Qu’il s’agisse de l’Afghanistan, du Mali ou de la République de Centrafrique, les interventions récentes ont démontré que l’armée de Terre a su acquérir, afin de défendre la France et ses intérêts, une compétence reconnue dans la projection de troupes sur court préavis et en n’importe quel point du monde. Elle participe ainsi pour près des deux tiers au déploiement de nos militaires hors de métropole et sur le territoire national.  Pourtant, et alors que le sens même du métier des armes exige de chaque militaire d’être prêt immédiatement, serions-nous capables de projeter une force sans préavis si les circonstances l’exigeaient?

La guerre froide et la nécessité de défendre le pays face à l’Est n’avaient pas permis à toutes les unités de l’armée de Terre d’acquérir une culture de la projection. Depuis la guerre du Golfe en 1991, l’ensemble de l’armée de Terre a assimilé une expérience riche et variée en termes d’opérations extérieures. D’un système de détachements ad hoc projetés au cas par cas, l’armée de Terre a su penser et mettre en place un cycle opérationnel (cf. encadré page suivante) qui permet à chaque unité projetée de monter en puissance et de se préparer spécifiquement au théâtre d’opérations sur lequel elle va se déployer. L’engagement des forces constitue en effet la finalité de l’armée de Terre et ce cycle opérationnel permet de l’assurer tout en tenant compte des contraintes liées à la disponibilité des matériels, de la nécessité d’alterner projection, repos, instruction, etc. Conçu en 2001, ce système a été modifié plusieurs fois pour s’adapter aux exigences des nouveaux théâtres d’opérations, notamment afghan. Il est désormais constitué de cinq phases (ou temps) qui permettent une graduation de la préparation à l’engagement et en assurent la cohérence.

Le livre blanc sur la défense nationale fixe le contrat opérationnel des armées, et donc de l’armée de Terre, en termes d’hommes à projeter en un temps donné, relevables ou non, à l’étranger comme sur le territoire national. Ce contrat opérationnel répond à une ambition en fonction d’impératifs (de puissance, de rayonnement, etc.) et de contraintes (budgétaires, matérielles, etc.). Or, l’armée de Terre ne doit pas uniquement se préparer à satisfaire une ambition, qui est par définition choisie, mais à répondre à une menace qui, elle, ne l’est pas. Parce qu’elle est garante de la survie de la nation, l’armée de Terre doit se préparer au scénario du pire, celui qui nécessitera de conduire un combat dont dépendra cette survie. C’est ce qu’elle fait d’ailleurs à travers la préparation à la guerre générique, mais elle se doit en plus de concevoir le risque de surprise stratégique car il exige de pouvoir répondre immédiatement et avec l’ensemble de ses moyens. Si ce risque est somme toute improbable, il ne peut par principe, parce que les enjeux sont trop importants, être exclu.

 

La crise ukrainienne qui s’est déclenchée en 2014 nous rappelle, une fois de plus et s’il fallait encore s’en convaincre, que l’état de paix dans lequel nous vivons en Europe est exceptionnel mais ne saurait constituer un acquis pour les générations présentes et futures. Les motifs d’inquiétude sont en effet nombreux: droit international régulièrement bafoué (la Crimée a été annexée par un pays qui était l’un des garants de l’intégrité territoriale de l’Ukraine), montée des régionalismes et de l’euroscepticisme, bases sociales sapées sur fond de crise économique, risque d’anomie. Tout cela semble lointain, improbable… Personne ne saurait d’ailleurs imaginer un seul instant que l’Europe puisse être impliquée dans un conflit de moyenne ou haute intensité ou qu’elle puisse elle-même vaciller et se déchirer. Mais le centenaire de la Première Guerre mondiale, que nous célébrons cette année, ne devrait-il pas nous amener à rester sur nos gardes? Ne nous rappelle-t-il pas que «14-18» devait être la «Der des Der»?

Il est intéressant de constater que la Russie, qui couve le feu de la crise ukrainienne (et prépare potentiellement son cinquième conflit gelé en Europe ou à ses frontières[2]), a fait de l’amélioration de la capacité opérationnelle de ses forces l’une de ses priorités. Depuis 2011, les forces armées russes ont ainsi développé la notion de «disponibilité opérationnelle permanente», signifiant que l’ensemble des divisions, brigades et bataillons des forces terrestres et troupes parachutistes[3] sont projetables sans préavis à n’importe quelle extrémité du pays (soit à plusieurs milliers de kilomètres). Les contrôles surprises[4] dont font désormais régulièrement l’objet les unités russes montrent qu’il ne s’agit pas d’un concept théorique mais bien d’une réalité appelée à devenir la norme de leur préparation opérationnelle.

Certes, la situation des unités terrestres russes est bien différente de la nôtre, qu’il s’agisse de leurs contraintes opérationnelles (absence de projection sur des théâtres d’opérations extérieures), de leur disponibilité (recrutement mixte, semaines travaillées de six jours) ou des menaces potentielles auxquelles elles doivent faire face (instabilité possible de l’Asie centrale après le retrait d’Afghanistan de l’ISAF, voisinage de la Chine). Pour autant, on ne peut s’empêcher de se demander si nous serions également capables de projeter sans préavis et en à peine quelques heures une unité avec tous ses moyens organiques à l’autre bout du pays. En France, l’élément de réaction d’urgence est constitué par les détachements dits d’alerte Guépard[5]. Rénové à l’été 2012 et devenu le Guépard nouvelle génération (Guépard NG), ce dispositif d’alerte prévoit que 5.500 hommes tenus en alerte, par période de six mois, puissent être mobilisés et déployés, par échelons successifs, dans un délai de 12 heures à neuf jours. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 nous donne d’autres éléments de réponse. Il précise en effet que «pour garantir sa capacité de réaction autonome aux crises, la France disposera en permanence d’un échelon national d’urgence de 5.000 hommes en alerte, permettant de constituer une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2.300 hommes, projetable à 3.000 km de l’hexagone,[6] dans un délai de sept jours». Cette FIRI est constituée entre autres de forces spéciales et d’un groupement terrestre interarmes de 1.500 hommes.

Nos soldats sont disponibles et réactifs, ainsi que le prouve quotidiennement la manière dont ils servent en France et à l’étranger. Pourtant, force est de constater que nous serions bien en peine de reproduire l’exemple des unités russes. En effet, le cycle opérationnel à cinq temps donne la fausse impression que l’engagement est nécessairement planifié, préparé. Les corps de troupes connaissent ainsi la trame globale de leur emploi du temps des mois à l’avance, s’y préparent, mais peuvent concevoir aussi, légitimement d’une certaine manière, que les phases passées en métropole sont préparatrices d’engagement, ou consécutives à celui-ci, mais ne peuvent constituer la période d’engagement en soi.

Plus que les contraintes humaines, ce sont cependant les contraintes budgétaires et géographiques qui pèsent sur la disponibilité permanente des unités de l’armée de Terre. L’aptitude d’une unité à se projeter et à manœuvrer immédiatement dépend de sa capacité à se mobiliser rapidement, mais également de la disponibilité de ses matériels et de son entraînement au combat interarmes. Or, s’il est possible que nous arrivions à regrouper l’ensemble du personnel d’un régiment, il est peu probable que celui-ci dispose de suffisamment de matériels en état de fonctionner pour être projeté sans préavis. Décidée dans un contexte budgétaire contraint, la politique de gestion et d’emploi des parcs (PEGP), qui prévoit l’instauration d’un parc commun de matériel pour les opérations et un parc commun de matériels pour l’entraînement, a cette grande qualité d’avoir donné aux groupements tactiques interarmes (GTIA) les moyens de conduire leurs missions sur les différents théâtres d’opérations. Elle a cependant l’inconvénient, tout aussi grand, d’avoir mis à nu, ou presque, les unités de métropole. En outre, la qualité d’une force terrestre ne se reconnaît plus à la manière dont elle manœuvre des sections ou des compagnies d’infanterie, mais bien à sa capacité à conduire un combat interarmes, voire interarmées. Celui-ci suppose, pour être efficace d’emblée, une habitude à travailler ensemble dès le temps de paix et une maîtrise commune des procédures.

Or, certaines de nos brigades sont éclatées sur le territoire national et les unités ne se retrouvent ensemble bien souvent que dans le cadre des mises en condition opérationnelle alors que l’entraînement interarmes devrait être systématique. La répartition géographique des régiments de mêlée composant certaines brigades doit en effet plus à l’histoire qu’à la cohérence opérationnelle (voir carte). Outre que cela permettrait de faire des économies de soutien et de fonctionnement, objectif à la mode en ces temps de disette budgétaire, concentrer les brigades en un espace géographique restreint (sans pour autant les cantonner à des cités militaires comme on peut le voir aux États-Unis ou en Russie) faciliterait l’entraînement interarmes tout en permettant la mise en commun des matériels majeurs des brigades. Une telle décision crisperait certainement bon nombre d’élus dont les préoccupations socio-économiques, pour légitimes et justifiées qu’elles soient, n’ont que peu de rapport avec la préparation opérationnelle et la disponibilité des forces.

Pourtant, la notion de surprise stratégique porte en elle-même la nécessité d’être prêt à faire face à n’importe quelle menace en tout temps et en tout lieu, y compris en dehors des heures de service ou des périodes d’engagement. Sans évoquer le risque d’une invasion (dont on peut imaginer qu’il serait malgré tout perçu bien en amont, du moins suffisamment pour mettre en alerte l’ensemble des forces), il faut bien comprendre que la capacité de l’armée russe, voire d’autres armées, à déployer aussi rapidement un volume important de troupes nous impose d’être capables d’en faire autant. En effet, tout retard pris dans l’envoi d’un corps expéditionnaire se matérialise inévitablement pour l’adversaire en prise d’ascendant, qu’il s’agisse de gain territorial ou d’effet de communication. Les travaux de l’OTAN devant conduire à l’instauration d’une brigade projetable en trois jours[7] montrent la prise de conscience que la réactivité de l’Alliance doit être améliorée. Pour autant, dans la mesure où cette décision est une conséquence de la crise ukrainienne, elle montre également ses limites puisque les armées russes peuvent encore mettre l’OTAN devant le fait accompli.

 

L’armée de Terre a le devoir de se préparer au scénario du pire, celui qui met en jeu la survie de la nation et qui nécessite un engagement sans préavis de ses forces. N’en doutons pas, le soldat français est dévoué à la France, en tout temps et en tout lieu. Mais les carences capacitaires en matériels, liées notamment aux coupes budgétaires successives, et une répartition territoriale rendue incohérente par les mesures et contre-mesures des réformes hypothèquent notre capacité à déployer immédiatement, sans préavis, un groupement de force important. Or, quel que soit le courant ou le système politique, l’usage de la force légitime pour protéger la société de toute agression extérieure (voire intérieure) est l’un des premiers devoirs régaliens. Faire de la brigade le pion organique de base de l’armée de Terre (en rassemblant géographiquement ses moyens et ses unités, en lui attribuant un espace d’entraînement dédié qui permettrait la formation au combat interarmes) imposerait de revoir de fond en comble notre empreinte sur le territoire national ainsi que l’organisation de l’armée de Terre, mais permettrait in fine d’améliorer notre capacité de réaction immédiate et, probablement, d’optimiser les dépenses de fonctionnement.

 

[1] Article premier du code du soldat

[2] Haut-Karabakh, Transdnistrie, Ossétie du Sud, Abkhazie et Donbass

[3] En Russie, forces terrestres et troupes parachutistes sont deux armées distinctes. Si les premières doivent contenir toute agression aux frontières de la Fédération, les secondes constituent la réserve stratégique du Président et le corps de réaction rapide du ministère de la défense

[4] Initiés en février 2013, les contrôles opérationnels surprise prévoient la mise en alerte d’une unité dans la nuit et son déploiement le lendemain matin sur un camp d’entraînement. La phase de projection peut comprendre un acheminement aérien et un déplacement tactique de l’unité avec ses moyens organiques.

[5] Rapport d’information de la commission de défense nationale et des forces armées. 18 juillet 2013.

[6] Soit jusqu’aux frontières orientales de l’Union européenne, voire au-delà…

[7] Very High Readiness Joint-Task Force

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Titre : En tout temps et en tout lieu ?
Auteur(s) : le Chef d’escadron Thibault FALLAS
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