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Essaims de drones : quels enjeux pour le combat de haute intensité ?

Sciences & technologies
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Face à la possible résurgence des conflits majeurs dans le futur, les forces armées françaises doivent réapprendre la grammaire du conflit de haute intensité. En ce sens, l’armée de Terre doit disposer d’outils lui permettant d’engager de la masse lors de ses opérations. Cette note de recherche explore l’usage prospectif tactique, aussi bien offensif que défensif, des essaims de drones et de la lutte anti-drones dans le cadre d’un conflit de haute intensité à l’horizon 2035. Cette étude repose sur un travail de veille et de lecture de documents relatifs aux évolutions technologiques en matière de drones et d’essaims de drones, ainsi que sur des entretiens effectués avec des officiers de l’armée de Terre, respectivement spécialisés dans l’emploi des drones et la lutte anti-drones. Le document présentera dans un premier temps les possibilités offertes par un usage offensif et défensif des essaims de drones, avant de s’intéresser aux moyens de lutte anti-essaim de drones. Certains aspects liés au développement de la technologie de l’essaim de drones ne seront pas traités, tels que l’économie, l’éthique, ou les problématiques industrielles ; ces derniers restent néanmoins des éléments cruciaux et indissociables de cette réflexion.


Introduction.

 

Le contexte géopolitique global est marqué par la résurgence de multiples menaces. Ces dernières se traduisent notamment par une hausse des revendications dans des zones contestées, remettant en cause les fondements du système international et faisant craindre un retour aux conflits majeurs ou guerres totales1. L’armée de Terre française se prépare ainsi à intervenir dans des conflits dits de « haute intensité ». Pour comprendre la haute intensité, il faut apprécier le conflit dans sa globalité car cette logique implique que l’on fasse la guerre dans l’ensemble du spectre, que l’on mêle différentes pratiques de la guerre (conventionnelle ou non). Ainsi, le chef d’état-major de l’armée de Terre définit la haute intensité comme « un conflit qui nous verrait confrontés à un ennemi aux capacités équivalentes aux nôtres. Il serait caractérisé par un changement d’échelle dans la confrontation : plus dur, se déroulant dans l’ensemble des champs de la conflictualité. Cet ennemi symétrique, doté des armements et des technologies les plus modernes, serait capable de se confronter à l’armée de Terre, non seulement dans le milieu aéroterrestre, mais aussi dans le cyberespace, le champ électromagnétique et surtout le champ informationnel2». La haute intensité se traduirait donc par un affrontement contre un État compétiteur de même niveau, à même de faire perdre l’initiative aux forces armées françaises.


Dans ce cadre, l’armée de Terre doit repenser son appréhension des conflits et explorer le développement de nouvelles capacités répondant à la demande de masse3, facteur de supériorité opérationnelle induit par la haute intensité. L’essaim de drones semble être une technologie particulièrement adaptée à cet enjeu. On peut concevoir le drone comme un système inhabité, c’est-à-dire un engin automatisé piloté à distance par un opérateur humain ou accomplissant en autonomie une tâche demandée, autrement dit « un système automatisé et composé de fonctions pouvant être téléopérées, supervisées, semi-autonomes ou pleinement autonomes4». Cette note de recherche emploiera le terme « drone » dans un sens générique : un drone peut aussi bien être aérien (unmanned aerial vehicle, UAV), que terrestre (unmaned ground vehicle, UGV) ou nautique (unmanned surface vehicle, USV) ; il est capable de voler et/ou de rouler et/ou de naviguer en zone aéroterrestre. Face à leur usage toujours plus important dans les récents conflits (Haut-Karabakh, Syrie et Libye notamment), il convient d’imaginer une utilisation du drone adaptée à la haute intensité, c’est-à-dire qui réponde aux besoins de masse, de résilience et de redondance. La technologie de l’essaim (swarm en anglais) apparaît en ce sens très intéressante. On peut définir un essaim de drones comme « une multitude de systèmes téléopérés déployés pour accomplir un objectif partagé, ces systèmes modifient en autonomie leur comportement en communiquant les uns avec les autres5». À la manière de l’essaim d’abeilles, on ne peut définir avec précision quelle quantité de drones doit être déployée pour obtenir la qualification « d’essaim ». L’essaim de drones se distingue d’un simple groupe de drones par l’utilisation de l’intelligence artificielle et la communication en réseau. En effet, contrairement à un groupe qui opère sans réelle communication, l’essaim développe une forme d’intelligence collective, ce qui lui donne la capacité de s’adapter, de se réadapter et de coordonner ses actions pour accomplir sa mission. Cependant l’objectif principal reste de provoquer une impression de masse contribuant à la saturation de l’espace par l’utilisation d’une multitude de drones6. La submersion des forces adverses s’obtient par une combinaison de la masse et de la manœuvre décentralisée, couplée à une force de frappe venant de plusieurs directions7. À l’heure actuelle, de nombreux pays développent la technologie de l’essaim. Parmi les pays leaders, nous retrouvons les États-Unis, Israël, la Turquie, la Russie et la Chine8. Les essaims turcs auraient déjà été déployés en Syrie, et se seraient imposés comme un véritable levier de supériorité face aux forces russes9. L’Inde a également prouvé qu’elle était capable de déployer des drones en essaim lors de récents tests10, tout comme la Chine11 ou encore les États-Unis12. Sur le sol européen, le Royaume-Uni travaille sur le développement de son programme d’essaim13. La technologie de l’essaim étant déjà maîtrisée dans le secteur civil14, il ne fait aucun doute que ces États seront capables dans un futur proche de déployer leurs essaims sur un théâtre d’opération.

 

1. Un usage offensif et défensif de l’essaim de drones : obtenir un avantage tactique par la masse.

 

1.1 Une compréhension tactique de l’essaim.

 

L’utilisation de l’essaim de drones permet d’envisager la mise en œuvre d’opérations offensives et défensives innovantes pour appuyer les forces au sol et faire croître le rayon d’action de nos capacités tactiques. Historiquement, les drones sont principalement utilisés en tant que capacité ISR (pour voir « au-delà de la colline »), potentiellement pour l’identification/détection d’armes chimiques, ou nucléaire.
L’emploi des essaims doit se penser avec une utilisation multiple. En effet, on peut imaginer projeter des essaims de drones hybrides combinant différentes charges utiles telles que des capteurs optiques, sonores et thermiques pour accroître les capacités ISR et de fait les capacités d’anticipation et d’action grâce à la production d’un renseignement plus précis. Les unités de drones pourraient également être munies de charges létales, comme actuellement les munitions rôdeuses16, pour augmenter la capacité de frappe.
La technologie de l’essaim correspond de plus à la logique de la guerre en réseau. En effet, l’essaim est composé d’une multitude de petites unités de basse à moyenne technologie, qui développent une forme d’intelligence collective dans laquelle chaque unité va communiquer localement pour résoudre des problèmes. L’unité n’aura pas une compréhension du problème dans sa globalité mais va, par la communication, faire émerger une solution à l’échelle du groupe. L’intelligence collective développée par la communication en réseau entre chaque drone permet d’offrir plus de résilience car ces derniers vont être capables de communiquer pour s’adapter et réaliser la mission malgré les potentielles pertes et/ou défaillances technologiques de certaines unités. Cependant, le développement des technologies totalement autonomes pose quelques questions. En effet, l’autonomie complète des robots, en plus des problématiques éthiques qu’elle suppose, ne permettrait pas de prédire leur action car leur fonctionnement ne répond alors plus à une logique « humaine ». Conformément aux orientations éthiques appliquées aux innovations de la Défense, les essaims de drones pourraient être développés selon le modèle SALIA17 (système d’armes létaux intégrant de l’autonomie), garantissant ainsi le contrôle de l’opérateur sur la machine. Les automatismes concerneraient des tâches élémentaires : gérer le vol d’un point A à un point B, suivre une cible, transmettre et traiter des données ISR, gérer le décollage et l’atterrissage dans le cas des drones volants, etc.
Certains auteurs, comme Christian Malis18, s’interrogent sur une potentielle refonte de la logique d’action terrestre, suivant laquelle le déploiement des forces armées s’effectuerait en deux temps : une première phase assurée par des essaims de drones, qui contribueraient à la sécurisation des espaces et au déni d’accès, et une seconde dans laquelle les forces armées interviendraient pour sécuriser les positions assurées par la manœuvre des drones. Les essaims permettraient ainsi d’étendre la zone d’action des forces armées. Dans cette logique, les drones utilisés dans les essaims sont plutôt de type nano, micro ou mini drones dans la majeure partie des cas et sont pleinement intégrés dans le combat aéroterrestre. En effet, il serait contre-intuitif de développer cette technologie pour des drones MALE19 ou HALE20 qui sont imposants, coûteux et par définition plus éloignés de la zone des combats.
Par ailleurs, les innovations technologiques en termes d’essaims de drones se succédant à une vitesse importante, il faudrait également être capable de former massivement le personnel en un temps limité. En effet, afin de garantir la présence d’un humain dans la boucle, chaque essaim devrait être dirigé par un ou plusieurs opérateurs. Face au potentiel game changer des essaims, il pourrait être question d’en équiper les régiments à grande échelle. Comme mentionné précédemment, le couple soldat/essaim disposera de capacités C4ISR21 accrues, essentielles pour le combat futur22. Dès lors, chaque unité pourra appréhender plus efficacement les menaces auxquelles elle sera directement confrontée grâce à une meilleure capacité d’observation et de ciblage en profondeur par les drones. Les unités utiliseront également les essaims de drones pour l’équipement de portions du terrain : capteurs de renseignement, minage, déminage, logistique de proximité, relais pour les transmissions, effecteurs de guerre électronique, action coercitive (drone suicide), etc.

Il convient néanmoins de prendre en compte les difficultés d’intégration de l’essaim de drones dans les unités. Les défis RH se trouveront donc au niveau de la formation des pilotes d’essaims, mais également dans la formation du soldat qui devra apprendre à opérer avec l’essaim. En effet, il faut que les unités soient en mesure de manœuvrer efficacement avec cette masse et que cette dernière ne soit pas un handicap s’il on souhaite conserver son efficacité tactique23. Ce qui est vrai pour la déstabilisation ennemie face à la masse l’est également pour les unités amies : il faut que nos forces apprennent à manœuvrer de concert avec un essaim de drones imposant et que leurs actions respectives soient coordonnées. Par exemple, dans le cadre des conflits de haute intensité, les forces armées françaises seront amenées à opérer avec des forces alliées étrangères. L’interopérabilité de nos capacités en matière de drones est donc indispensable sinon, dans le cas d’un emploi généralisé de l’essaim, l’efficacité des manœuvres interalliées serait fortement réduite. En ce sens, le développement de programmes d’entrainement adaptés et conjoints semble être une piste à explorer, tout comme l’instauration d’un cadre normatif commun. Dans cette dynamique, il semble particulièrement intéressant d’envisager le développement d’un programme européen d’essaim de drones.

 

1.2 Des modes d’actions offensifs et défensifs.

 

1.2.1 La saturation des espaces aéroterrestres.

 

Tout d’abord, il peut être envisagé de déployer l’essaim en amont des troupes au sol pour pénétrer les espaces adverses avec un effet de saturation. On peut imaginer ici l’emploi de drones se déplaçant dans le milieu aéroterrestre de différentes manières afin de saturer tous les espaces : des drones se déplaçant au sol, d’autres en basse altitude (inférieure à 300 mètres) ou encore sur l’eau. Ces essaims, en plus de provoquer un effet de sidération par la masse, combiné à la discrétion et la fulgurance, pourraient également être utilisés pour prendre à revers les forces adverses. Si les drones sont équipés d’une charge létale, l’essaim, en plus de désorganiser le repli adverse, pourrait provoquer des pertes importantes.

Autre façon de saturer les espaces aéroterrestres : l’utilisation de drones agissant tels des mines24 et se positionnant comme une capacité de déni d’accès A2/AD. À la manière de l’obus, ces munitions rôdeuses, lorsqu’elles entrent en contact avec un autre système, exploseraient en projetant des débris capables d’endommager les aéronefs et les véhicules ennemis, ou encore du gel opacifiant pour recouvrir les capteurs optiques. De fait, l’adversaire pourrait hésiter à déployer ses capacités face à un ou plusieurs essaims, neutralisant ainsi une partie de ses forces25. Ces essaims de drones pourront dans l’avenir être déployés par des vecteurs « mères » (mothership UAV en anglais, parfois appelés « ruches »)26, actuellement en cours de développement dans certains États. Un vecteur mère doit être compris comme un drone, terrestre, marin ou aérien, capable de libérer d’autres drones en un point précis. A titre d’exemple, la Chine a dévoilé le drone aérien Blowfish A3 en 2019 ; ce modèle capable d’agir en essaim serait également capable de libérer des drones pouvant eux-aussi fonctionner en réseau27.

On peut également imaginer que cet essaim, dans un premier temps immobile, se disperse par la suite pour augmenter la confusion des adversaires. En effet, voir évoluer une telle masse d’une façon qui paraît désorganisée et imprévisible rendra plus difficile la contre-attaque et la neutralisation des drones. La dissémination de l’essaim aura également pour effet de le rendre plus résilient. S’ils sont équipés de charges létales, ces drones pourraient alors effectuer des manœuvres omnidirectionnelles et attaquer l’ennemi depuis plusieurs directions et milieux (dans le cas d’un essaim hybride) simultanément.

 

1.2.2 Traque, isolement et sécurisation.

 

Certains industriels de défense ont conduit des tests lors desquels les essaims de drones se sont avérés capables de localiser, de suivre et de verrouiller des cibles, qu’elles soient humaines ou non, tout en sécurisant un périmètre plus ou moins large. Ainsi, des essaims peuvent être employés pour confiner des adversaires dans un bâtiment28, ou pour intervenir sur des prises d’otages29. Les essaims de drones seraient également efficaces pour suivre, cibler ou isoler des cibles importantes (high value target) et ainsi limiter les potentiels dommages collatéraux lors de l’ouverture du feu ordonnée par son opérateur. Par rapport à un recueil humain, les essaims, par nature, produisent une plus grande quantité de données numériques. Combinées à une puissance de calcul, ces données, transformées en renseignement, aideront le chef tactique à prendre la meilleure décision possible dans un temps contraint. Les outils d’intelligence artificielle pourraient contribuer à la production de divers scénarios tactiques. L’essaim pourrait en ce sens limiter les dommages collatéraux lors des missions, mais aussi limiter le déploiement de soldats en première ligne.

 

1.2.3 La place de l’opérateur de drone.

 

L’intégration tactique des drones oriente la réflexion relative au positionnement de l’opérateur au plus proche, sinon intégré dans les missions tactiques. Très vulnérable, il travaillera nécessairement dans une équipe comprenant, suivant les drones et la mission, des exploitants du renseignement, des cibleurs, des transmetteurs, des logisticiens, etc. Il devrait probablement être en mesure d’opérer depuis un véhicule blindé : si les capacités de connexion sont mauvaises, cet opérateur devra alors être au plus proche de l’essaim sur les théâtres d’opération. Face à cette vulnérabilité, le véhicule blindé pourrait ainsi offrir une protection adaptée aux opérateurs d’essaims30, les rendant à la fois résilients et mobiles.

 

1.2.4 L’essaim, une capacité tactique d’interdiction de zone.

 

Déployé en avant des unités, l’essaim peut constituer une capacité d’interdiction de zone31 de courte à moyenne portée en utilisant les essaims immobiles stationnés au sol, en basse altitude, ou dans les cours d’eau, empêchant les véhicules terrestres ou aériens ennemis de progresser. Utilisés comme mines, ils pourraient exploser sous contrôle de l’opérateur, lors d’un contact avec l’adversaire. Il s’agirait d’un nouveau concept du champ de mines, statique ou mobile, activable ou désactivable à distance.

 

1.2.5 L’essaim, un nouvel outil pour le renseignement.

 

L’essaim pourrait également se révéler être un atout non négligeable dans l’acquisition de renseignement. En particulier, les nano, micro et mini drones sont difficilement repérables. Bien évidemment, dans ce cadre d’emploi, le potentiel tactique de l’essaim ne se révélera pas dans sa masse, mais dans sa discrétion. Pourquoi l’envisager dans cette optique ? Car déployer de multiples unités communiquant entre elles pourrait permettre de capter une quantité plus importante d’informations à partir de capteurs à capacités multiples (guerre électronique, optiques, sismiques, sonores, etc.). L’acquisition de toutes ces données permettrait d’améliorer la préparation opérationnelle grâce à la réalité augmentée. Ces mêmes données permettraient également de faciliter la décision sur le terrain.

 

2. La lutte anti-essaim de drones : un besoin de première importance pour contrer les menaces futures.

 

2.1 Une perspective tactique de la lutte anti-essaim de drones.

 

Face à l’emploi croissant des munitions rôdeuses et aux avancées technologiques concernant le développement des essaims dans les secteurs civils et militaires, il est nécessaire de penser aux moyens de se prémunir contre cette menace future. Au fur et à mesure que l’emploi des drones se développe, on assiste à un accroissement de leur vitesse de pointe, de leur autonomie, au développement de nouveaux capteurs, de leur disponibilité et également de leur légèreté. Les capacités de lutte anti-essaim de drones doivent ainsi être capables de neutraliser simultanément de nombreux appareils, d’opérer suivant une cadence importante et, tout comme les drones, d’avoir une certaine autonomie énergétique garantissant le bon fonctionnement lors des missions ; le tout, en disposant de radars efficaces capables de détecter des signaux énergétiques même faibles. En effet, les principales difficultés du développement de la lutte anti-drones sont la détection, l’identification, le ciblage et le suivi. De plus, pour se conformer aux Conventions de Genève, les systèmes de lutte anti-essaims de drones doivent être des technologies discriminantes, c’est-à-dire que l’on doit être capable de choisir précisément quels systèmes il va falloir neutraliser, et à quel moment. Face à la masse, il semble intéressant d’envisager la lutte anti-essaim de drones comme une défense en profondeur32.

 

2.2 Réflexion autour de moyens de lutte anti-essaims de drones.

 

2.2.1 Essaim de drones contre essaim de drones.

 

On peut également imaginer se servir des essaims en tant que système de lutte anti-essaim de drones (swarm-on-swarm warfare)33. Ainsi, onpeut imaginer déployer une défense prenant la forme d’un dôme de protection, se matérialisant sous la forme d’une coupole, et se déplaçant au-dessus d’une unité pour la protéger contre des essaims kamikazes qui pourraient gêner son avancée. Le dôme agirait ainsi comme un bouclier neutralisant les drones ennemis par collision ou en agissant comme des mines anti-aériennes et/ou terrestres34 en couplant des drones volants et des drones roulants. Dans une logique de déni d’accès, on peut aussi imaginer se servir d’un essaim comme un abri fixe au-dessus de sites sensibles, qui pourrait constituer la première barrière d’un système de défense échelonné combinant plusieurs systèmes et technologies.

 

2.2.2 Les systèmes à énergie dirigée.

 

Actuellement, les systèmes de défense anti-essaims de drones les plus développés prennent principalement la forme d’armes à énergie dirigée (laser) ou de systèmes à impulsion électromagnétique (ondes à hyperfréquence)35. Ces deux types d’armes permettent de court-circuiter les composants électroniques des drones adverses et peuvent toucher plusieurs unités d’un coup en fonction du diamètre du vecteur. De plus, ces deux capacités peuvent être montées sur différents systèmes pour répondre au mieux à l’effet recherché36. Par exemple, l’armée russe a développé en 2020 un système de brouillage électromagnétique pouvant être intégré dans un gilet pare-éclats. Cet émetteur est capable de brouiller les différents systèmes de localisation satellite (GPS, GLONASS, GALILEO) utilisés par les drones, et ce dans un rayon de 2 km. Ce système, en plus d’être relativement léger (800 grammes), résisterait à des températures variant de -40° à +50°37. La société Lockheed Martin a récemment présenté un drone capable de neutraliser instantanément les drones adverses grâce à l’émission d’ondes électromagnétiques à haute fréquence38. Les forces armées américaines développent actuellement des robots automatisés équipés de ces technologies pour accompagner leurs troupes en mission.
Dans le cadre du développement d’un système de défense par brouillage, il conviendrait de s’intéresser aux effets induits par celui-ci. Alors que certains systèmes permettent de faire tomber les drones ou de les immobiliser, il semblerait plus intéressant d’être capable de détourner les essaims de drones de leur trajectoire avant de les immobiliser ou de les pousser à la chute. Afin d’éviter de causer des pertes dans nos propres forces, il faudrait que le détournement de ces essaims se passe en deux temps : une première phase lors de laquelle une impulsion électromagnétique ou une attaque cyber se chargerait de faire dévier la trajectoire de l’essaim, puis d’une seconde phase d’immobilisation. On peut également imaginer les retourner contre leurs propriétaires grâce à des systèmes de guerre électronique.

Cependant, le laser est une technologie extrêmement énergivore, en particulier pour les systèmes lasers mobiles. De plus, face à un essaim, il faut que les différents lasers soient assez puissants pour maintenir une cadence de visée et de frappe soutenue sans que les soldats aient à redouter une panne qui permettrait aux drones adverses de les submerger.  Par ailleurs, aussi bien dans le cadre des brouilleurs que des lasers, il faut s’assurer que nos moyens de défense ne se retournent pas contre nos propres capacités. En effet, un système non discriminant serait un véritable frein pour nos propres opérations dans le sens où cela impliquerait que l’on ne déploie pas nos propres drones, ou que l’on accepte de les court-circuiter. Certaines firmes développent des brouilleurs capables de n’impacter qu’une catégorie de drones. En effet, tous les drones n’utilisent pas les mêmes fréquences radio et les mêmes données radar. Ainsi, grâce à un travail de renseignement, on peut imaginer créer une base de données des différentes fréquences utilisées par les différents types de drones. Cela nous permettrait de développer des technologies n’impactant que les fréquences radio adverses, et ainsi d’épargner nos capacités. Des systèmes de ce type sont d’ores et déjà à l’étude en France, notamment par la société grenobloise KEAS39. La lutte anti-essaim de drones relèverait donc aussi de la guerre électromagnétique. De la même manière que pour la lutte contre les engins explosifs improvisés, la lutte contre les essaims par le biais d’ondes électromagnétiques devrait principalement reposer sur le couple détection/brouillage et non sur un brouillage permanent.


Enfin, de nombreuses études ont montré que les ondes électromagnétiques, même celles de faible intensité produites par les téléphones portables, peuvent avoir des conséquences sanitaires. Ainsi, il convient de prendre en compte le potentiel impact physiologique que l’émission de telles ondes à haute fréquence pourrait avoir sur nos soldats pour mieux les en protéger. L’option d’un brouillage par salves et non d’un brouillage permanent pourrait être un élément de réponse.

 

2.2.3 Essaim de drones et déception.

 

Les essaims de drones fonctionnant en réseau et utilisant des fréquences de communication, ils s’insèrent de fait dans le spectre de la guerre cyber et électronique. Il semble donc intéressant de développer un système de défense basé sur la déception des drones adverses. On peut imaginer s’introduire dans le réseau de communication utilisé par les drones adverses de façon à prendre le contrôle du ou des essaims déployés par une attaque de combat numérique. Dans cette logique, les forces armées pourraient également développer des opérations de déception qui contribueraient à induire l’adversaire en erreur en lui fournissant de fausses informations qui l’orienteraient sur des positions plus avantageuses pour nos forces ou les forces amies, et leur commander de se poser, voire les retourner contre leurs propriétaires. La faisabilité de telles opérations repose sur une manœuvrabilité efficace dans le spectre électromagnétique, ce qui empêcherait également à nos propres forces d’être pénétrées40.

 

Conclusion.

L’essaim de drone semble être un élément de réponse particulièrement adapté aux exigences du combat futur, répondant notamment au besoin de masse dans le combat de haute intensité. Il accroit en outre la résilience, la célérité donc le potentiel tactique des troupes au sol. À terme, il est fort probable que les essaims intègrent une combinaison d’effecteurs (renseignement, transmissions, munitions rôdeuses, etc.). Le couple tactique soldat/drone sera de fait au cœur du combat futur. L’armée de Terre doit donc l’intégrer dans sa doctrine à venir, sans négliger les moyens à même de nous prémunir contre cette future menace. Comme il a été démontré au fil de cette note, l’essaim de drone s’inscrit également dans les différents champs de la conflictualité dans lesquels il nous faudra opérer dans le cas d’une guerre de haute intensité. Toutefois, il convient de souligner qu’en cas de conflit de haute intensité, le risque d’attrition des drones nécessite de disposer d’une base industrielle drones solide. En effet, il faudra être capable d’assurer le MCO et la régénération de nos essaims engagés sur les théâtres d’opération.

 

 

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Titre : Essaims de drones : quels enjeux pour le combat de haute intensité ?
Auteur(s) : Sarah Guendouz
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