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Éveiller les consciences, éduquer l’esprit, forger les âmes

Cercle de réflexion G2S - n°23
Valeurs de l’Armée de Terre
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Liban, Tchad, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Mali, Afghanistan, Ex-Yougoslavie, Somalie, Kosovo, Libye, Rwanda, République du Congo, guerres dissymétriques, asymétriques, hybrides, affrontements interethniques, conflits religieux ou claniques, guerres insurrectionnelles, djihad, terrorisme… Depuis plus de 50 ans la conflictualité moderne ne cesse de complexifier le contexte des engagements militaires et d’emploi de la force armée.


Depuis les guerres totales du XXe siècle, les conflits et les rapports entre belligérants ont non seulement changé de nature, mais ils exigent des chefs la parfaite compréhension du sens de leur action, dans un cadre médiatique et éthico-juridique qui s’inscrit généralement dans une stratégie politique et militaire globale, parfois difficile à appréhender par ceux qui peuvent se retrouver brutalement plongés au cœur de l’ultra violence sur le théâtre des opérations.

Seuls parfois, au milieu des populations souvent, les chefs doivent alors exercer leurs responsabilités et prendre leurs décisions en pleine conscience de leurs actes et sans inhibitions parasites en raison de la judiciarisation et de la pénalisation de conflits récents3, de l’omniprésence des médias, des exigences de transparence de la part des pouvoirs exécutif et législatif et des réserves souvent émises par l’opinion publique quant à la légitimité des engagements.

Dans ce contexte, la formation des cadres a pris avec la professionnalisation une place déterminante dans le succès des opérations : discerner dans la complexité, décider dans l’incertitude, agir dans l’adversité.

En toute priorité, les cadres, au cours de leur formation initiale, doivent évidemment forger leur stature de chef, leur capacité de leadership, leur sens tactique, leur maîtrise des techniques, des équipements et des systèmes d’armes. Mais cette formation ne saurait se limiter aux spécificités guerrières du métier de soldat. Elle doit aussi ancrer ses racines dans les sciences du Droit et de la Morale pour étayer l’Éthique de la responsabilité du chef au combat en bâtissant le socle de vertus, de valeurs et de repères moraux à même de nourrir sa réflexion, guider son comportement et orienter ses décisions.

En effet, investi du pouvoir d’infliger la mort, le soldat doit disposer de repères et de convictions éthiques fortes pour pouvoir, le moment venu, souvent dans l’urgence et le fracas de la bataille, décider de maîtriser sa force ou de donner la mort… en respectant les lois de la République, les règles du droit international, le droit de la guerre, le droit des conflits armés, les coutumes de la guerre, le droit humanitaire, les droits de l’Homme, les conventions internationales, la charte et les résolutions des Nations unies, le code pénal, le code de la défense, le statut général des militaires, le code du soldat et son code de conduite, le code du légionnaire s’il porte le béret vert, le règlement de discipline générale, le livre vert sur l’exercice du métier des armes dans l’armée de Terre (s’il appartient à cette armée), le livre bleu sur l’exercice du commandement dans l’armée de Terre, les règles d’emploi de la force, les règles de comportement, les règles sur l’usage des armes, les règles d’engagement, les règles d’ouverture du feu… de manière proportionnelle et réversible…

Le défi pour les formateurs est donc de taille car ils doivent agir dans deux dimensions pouvant apparaitre comme antagonistes.

Tout d’abord, développer un ethos guerrier et s’approprier les valeurs du soldat, celles qui magnifient le courage, la vertu, l’héroïsme, l’esprit de corps, la fraternité d’armes, la discipline, l’esprit de sacrifice.

Mais, simultanément, forger l’âme et la conscience, c’est à dire faire adhérer à des valeurs éthiques répondant à des « normes universelles » : l’humanité, la sollicitude, le respect de la dignité humaine, la tempérance, le sens de la justice, le sens des responsabilités, le sens du jugement.

Pour discerner, décider et assumer, tout soldat devra au préalable se forger une conscience solide et droite4. Dans le moment paroxystique de l’emploi des armes, le chef, par sa force de caractère, est celui qui doit imposer le cadre éthique à même de légitimer l’action conduite et ses effets sur l’adversaire et les populations.

Confronté sans cesse à des dilemmes ou des contradictions dans l’action, voire à des cas de conscience sous la pression des évènements, le chef doit pouvoir s’appuyer sur sa conscience morale pour guider sa réflexion et ses décisions  malgré les  pensées antagonistes :  le  bien  et  le  mal,  liberté et coercition, violence et maîtrise de la violence, respect de l’adversaire et droit de tuer, ruse et honnêteté, moral ou immoral, juste ou injuste, honneur ou déshonneur, courage ou lâcheté, légitime ou illégitime, discipline et désobéissance5, ordre légal ou illégal6, dignité humaine et crime contre l’humanité7, peur, émotion et vengeance, respect des populations et dommage collatéral, vaincre ou détruire, brutalité et torture, caractère sacré de la mission et bavure…

Ces débats intérieurs du chef et du soldat ont toujours existé depuis l’antiquité et nourri la pensée et la réflexion des philosophes, des politiques et des chefs militaires en plaçant peu à peu l’humanité et le droit au point d’équilibre entre paix et guerre, violence et barbarie8. Mais les thèses sont complexes, parfois opposées, tant elles puisent dans les caractéristiques profondes de l’homme, dans ce qu’il a de bon mais aussi dans ce qu’il peut montrer de pire.

Dans la complexité et la violence de la guerre, l’instinct et la pensée s’affrontent dès que la peur, la survie, la vengeance et la haine envahissent les esprits. Il faut donc des chefs préparés, éduqués et armés pour dominer les forces antagonistes qui peuvent les assaillir et altérer ou pervertir leur sens moral et leur jugement au moment crucial de la prise de décision.

Éduquer l’esprit et la pensée demande du temps, de la méthode et un investissement personnel profond et dans la durée pour être prêt et confiant au moment tant attendu et tant redouté à la fois du baptême du feu. Ce processus complexe exige aussi d’être guidé, accompagné, tutoré car l’éthique et la déontologie du soldat touchent au cœur et à l’âme du guerrier dans  deux dimensions essentielles :  les  valeurs politiques9   et  les  valeurs éthiques10.

L’armée de Terre, dans ce domaine, a toujours cultivé la transmission des vertus et des valeurs grâce d’une part aux enseignements de son histoire militaire mais grâce aussi à la richesse de son patrimoine intellectuel et culturel. Sur ce socle, dès le début de la professionnalisation, des chefs et des experts conscients des enjeux se sont emparés de cette question sensible de l’éthique et de l’environnement juridique de l’emploi de la force en plaçant le soldat en opérations au centre de leur réflexion et en apportant, de façon concrète, des réponses juridiques, philosophiques, morales, religieuses pour ceux qui s’y réfèrent, aux questions fondamentales qui se posent au soldat à qui l’on confère, de par la loi et sur ordre, le droit de tuer11.

En quelques années, un continuum de formation solide s’est développé dans l’ensemble des écoles de formation et au sein même des régiments pour édifier les consciences, étayer les convictions, élever la réflexion, et poser les repères selon un processus pédagogique permettant :

- de comprendre le cadre global de l’action militaire et ses contraintes juridiques, médiatiques, politiques ou sociétales, grâce à l’apport du droit, des sciences politiques, de l’histoire, de la culture militaire et de la sociologie ;

-  de connaître le corpus juridique, éthique et déontologique s’appliquant aux conflits armés ;

- de réfléchir, avec humilité mais lucidité, selon des critères moraux et philosophiques universels12, aux situations d’engagements susceptibles de conduire  à  la  « contamination des  sens »  et  au « décrochage moral » par l’altération du jugement et du sens moral13 ;

- de mettre à disposition des écoles14 des cours, des dossiers et des tests concrets de mise en situation et d’évaluation comportementale des chefs (processus ÉVAL-ÉTHIQUE) ;

- d’imaginer et d’anticiper les situations futures, les évolutions techniques ou technologiques, susceptibles de déplacer les barrières morales de « l’éthiquement  acceptable » (robotisation, drones, substitution de la machine à l’homme, espace numérique, médecine, sciences cognitives, biologie, soldat « augmenté », etc.) ;

- d’organiser le partage   d’expérience   pour enrichir la réflexion individuelle et    collective en encourageant les évènements collaboratifs15 ou en faisant la promotion des publications sur des thèmes prospectifs ou testimoniaux16 ;

- de donner un crédit et une légitimité externe à la recherche éthique dans l’armée de terre par la haute expertise des enseignants et des chercheurs du centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr COËTQUIDAN et la richesse de ses partenariats17.

Face aux situations chaotiques et hostiles des engagements actuels, ainsi qu’aux modes d’action déshumanisés de nouveaux adversaires, souvent fanatisés et faisant peu de cas de leurs populations, les risques de pertes de repères sont omniprésents pour les unités plongées dans l’imprévisibilité des zones de confrontation.

Pour le jeune soldat, citoyen en phase avec les codes de sa génération et l’environnement social qui a façonné sa personnalité et son échelle de valeurs, la conscience morale, individuelle et collective, l’esprit de corps, l’éthique et la déontologie de la responsabilité ne sont ni innés ni intuitifs.

Forgés dans le creuset des écoles mais aussi des régiments, ces repères essentiels sont le fruit d’un long et lent processus d’apprentissage, de maturation, de réflexion, d’acceptation, d’expériences, de partage, de transmission, de dialogue et d’écoute. Mais la conflictualité contemporaine et ses évolutions constantes portent toujours en elles le risque de perturber la « boussole » des combattants, d’amplifier leurs émotions voire d’ébranler leurs repères moraux.

Face à ces dangers, la formation à l’éthique du soldat apparait comme un rempart ultime contre la faiblesse des hommes et leurs excès. La formation à l’éthique de la décision pour sa part érige la nécessaire muraille contre les cas de conscience et les conflits de devoir des chefs.

Avant de connaître le fracas de la bataille et avant d’avoir vécu l’épreuve du feu avec courage, vaillance et humilité le jeune soldat et le jeune chef savent ainsi que la victoire ne vaudra que dans l’Honneur18 et la dignité.

 

 

  1. Rwanda, ex-Yougoslavie, RCI.
  1. Livre vert édition 2018 L’exercice du métier des armes dans l’armée de terre « L’alliance du sens et de la force ».
  2. Introduction en 2005 de la notion complexe de « devoir de désobéissance » dans le Statut général des militaires.
  3. Mis en lumière par les verdicts rendus par le Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie
  4. Dont la question de poursuites pour complicité comme mis en évidence par le TPI pour le Rwanda à ARUSHA.
  5. Platon, Aristote, MACHIAVEL, KANT, NIETZSCHE, MONTESQUIEU, TOCQUEVILLE, ALAIN, HOBBES…
  6. Citoyenneté, État, République, Démocratie, Patrie, Nation.
  7. Amitié, liberté, justice, dignité humaine, courage.
  8. Création au sein de la Direction de l’enseignement et de la recherche des écoles de Saint-Cyr COËTQUIDAN d’un département de droit et d’une chaire de recherche autour d’un pôle éthique et environnement juridique.
  9. Cours « l’éthique et la déontologie des officiers » aux écoles de Saint-Cyr COËTQUIDAN.
  10. Général Benoît ROYAL : L’éthique du soldat français – ECONOMICA 2008.
  11. Cours commun d’éthique du métier des armes (Éthique de la décision).
     
  12. Colloques, séminaires, débats organisés en particulier sous l’égide du pôle Éthique et environnement juridique des Écoles de Saint-Cyr COËTQUIDAN.
  13. Pour une éthique du métier des armes – vaincre la violence (Général Jean-René BACHELET, VUIBERT 2006) ; Toi ce futur officier (général Éric BONNEMAISON, ECONOMICA 2012) ; L’éthique du soldat français (général Benoît ROYAL, ECONOMICA) ; L’éthique des décideurs (professeur Henri HUDE).
  14. SNCF, HEC, ESSEC, Thales, Banque française mutualiste, Société internationale d’éthique militaire en Europe(EURO-ISME)
  15. Il n’y a pas de victoire pour celui qui a perdu son âme, tout chef reste investi d’une responsabilité de commandement « pour le bien du service, l’exécution des règlements militaires, l’observation des lois et le succès des armes de la France ». Puisse ce document contribuer à favoriser chez tous les soldats et les chefs de l’armée de Terre la capacité de penser, afin de préserver notre commune humanité… Général d’armée Jean- Pierre BOSSER, chef d’état-major de l’armée de terre. L’alliance du sens et de la force – l’exercice du métier des armes dans l’armée de Terre.


     



 

 

 

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Titre : Éveiller les consciences, éduquer l’esprit, forger les âmes
Auteur(s) : le GCA (2S) Philippe RENARD
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