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Faut-il oublier la guerre du Rif ?

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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La guerre du Rif est aujourd’hui une guerre oubliée. À l’heure où l’intérêt de l’histoire militaire est réaffirmé dans la formation des officiers et où les enseignements de la guerre d’Indochine et plus encore de la guerre d’Algérie pour la contre-insurrection sont redécouverts, la guerre du Rif n’a-t-elle rien à nous apprendre ou réapprendre ?

Une rapide relecture de cette guerre montre pourtant que son RETEX est d’une actualité troublante, au moment où par exemple notre engagement se veut plus marqué en Afghanistan. Le propos de cet article est d’inciter à un réexamen de la guerre du Rif qui mérite bien davantage qu’un oubli, au travers de trois exemples tactiques liés au terrain, à la constitution des forces et enfin à la population.


Rappelons cependant tout d’abord le cadre général de cette guerre : le Rif, massif montagneux aride et tourmenté au Nord du Maroc, fut le théâtre d’une guerre d’insurrection et de contre insurrection de 1921 à 1926, où un jeune chef berbère, Abdelkrim, défia les grandes puissances européennes qui occupaient son pays, l’Espagne et la France. Après avoir écrasé l’armée d’Alphonse XIII, massacré des milliers de ses soldats et provoqué la chute de la monarchie parlementaire espagnole, Abdelkrim va s’attaquer à la présence française et menacer gravement la pérennité de celle-ci au Maroc.

Une des expériences les plus marquantes, puisqu’elle donna à la France et à l’Espagne des heures tragiques, est celle de l’implantation catastrophique des postes militaires en limite de la zone contrôlée. L’Espagne, puis la France de façon difficilement compréhensible après la tragédie espagnole de la retraite d’Anoual (10 à 14.000 morts), choisirent d’édifier des chapelets de postes sur les pitons de ce massif aride et montagneux. Reliés entre eux par des pistes muletières, interdépendants pour le ravitaillement comme les maillons d’une chaîne, ces postes devinrent vite un cauchemar tactique face à la manœuvre d’Abdelkrim : un premier détachement assiège le poste et lui interdit toute sortie, tandis qu’un deuxième va tendre des embuscades aux troupes de ravitaillement ou envoyées en renfort. Les postes vont donc  tomber un à un, pris par l’ennemi ou évacués au prix de lourdes pertes car subissant un harcèlement incessant sur les pistes de la retraite. Face à cette alternative, le Sous-lieutenant Pol Lapeyre choisi, lui, de se faire sauter avec son poste. Les Rifains bénéficient de surcroît de l’effet boule de neige par la rupture de la chaîne de ravitaillement reliant les postes qui les affaiblit mécaniquement avant même leur attaque. Le Général de Boisboissel résuma a posteriori l’équation : « l’on s’évade difficilement de ce dilemme : ou tenir son eau en acceptant d’être dominé, ou avoir des vues et des champs de tir, mais se condamner à des corvées de ravitaillement et d’abreuvoir pénibles, meurtrières, et de surcroît toujours insuffisantes». En fait le poste n’est rien sans une force mobile, et doit donc être envisagé non pas comme un barrage, mais comme le point d’appui d’une force mobile. La couverture d’une zone doit donc être constituée de postes en nombre réduit, espacés, mais dont les forces mobiles rayonnent en conjuguant leurs actions.

La constitution et la mobilité des troupes finalement engagées pour mettre fin à l’insurrection à partir de 1925 et sauver les postes restant est également digne d’intérêt car novatrice pour l’époque et toujours au goût du jour. Les succès tactiques coïncident avec la création des groupements mobiles qui sont alors dit mixtes, en fait interarmes et interarmées selon les définitions contemporaines. Ils sont généralement constitués de cinq bataillons d’infanterie, d’une compagnie de chars, d’un escadron monté, d’une escadrille et possèdent des moyens d’artillerie organique. L’aviation est omniprésente et en soutien direct et permanent de l’infanterie : elle renseigne les troupes en première ligne et au contact, et les appuie directement en jouant le rôle d’une artillerie « de montagne » qui s’affranchit des difficultés du relief et pallie la faible mobilité des pièces d’artillerie. Plus novateur encore, l’interallié et l’interarmées sont également utilisés lors du débarquement espagnol à Al-Hoceima, avec une participation française : c’est une première mondiale réussie après l’échec du débarquement de Gallipoli en 1915. 21.000 hommes sont ainsi débarqués et bénéficient d’un appui coordonné grâce à un plan de tir commun.

La guerre du Rif est enfin particulièrement intéressante au regard de la nature des opérations qui y ont été conduites successivement par deux de nos grands chefs militaires : Lyautey puis Pétain. Elle nous montre déjà l’interpénétration des phases d’intervention et de stabilisation, et la nécessité des savoir-faire de coercition comme de stabilisation. Le Rif fut un champ d’application de la fameuse pénétration pacifique de Lyautey, qui ne croyait qu’aux « coups frappés en sourdine et au terrain gagné en tapinois », mais il fut également celui de la doctrine matérialiste de la guerre professée par Pétain qui rassembla à partir de la fin 1925 une concentration de plus de 50.000 hommes servant des matériels renouvelés et en nombre important. Si Lyautey vit avec la guerre du Rif le crépuscule de sa carrière, et fut remplacé par Pétain qui apparut ensuite comme le grand vainqueur d’Abdelkrim, il ne faut pas pour autant en conclure qu’une doctrine a primé sur l’autre. Il faut plutôt comprendre que la pénétration pacifique et le fait de montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir correspond à une phase des opérations que l’on peut qualifier de stabilisation. Cette phase doit parfois céder rapidement la place à la coercition forte et massive, en particulier lorsque l’insurrection se généralise. Pour autant, la connaissance des populations et de leurs mœurs ainsi que leur respect reste indispensable et demeure une des clés de la réussite sur le long terme, en particulier en territoire musulman où selon un proverbe berbère « le jour, on se bat, la nuit, on cause ». La description des moudjahidines rifains par le Général de Boisboissel ne lasse pas de faire penser aux insurgés afghans : « berbères au sentiment identitaire très fort, quasi insulaire », « paysans guerriers par essence jaloux d’indépendance et de liberté, tout de suite en défense contre l’étranger, le voisin même, insoumis de naissance à toute autorité quelle qu’elle soit, sauf à l’impitoyable servitude imposée à sa rude existence par une nature farouche qui défend autant qu’elle opprime ». Il s’agit de défaire militairement les combattants, afin de rallier les tribus qui naturellement se rangent du coté des plus forts, mais de ne jamais humilier celles-ci en se commettant par des actes qui, prenant valeur de symboles, resteront des fractures irréparables. La réussite française, même dans l’offensive de Pétain, doit ainsi beaucoup aux principes de respect des populations de Lyautey dont l’application contrastera beaucoup avec celle des alliés espagnols. Abdelkrim choisi ainsi de se rendre aux troupes françaises plutôt qu’espagnoles, et reçu l’ «Aman »[1] selon la coutume de la guerre au Maroc : haie d’honneur des troupes françaises, puis exil plutôt que procès pour crimes de guerre.

Ces trois courts RETEX terrain, constitution de forces, et population et tactique générale, dépassant les analogies faciles du théâtre montagneux, des populations musulmanes et guerriers paysans, de la contre insurrection et de la multinationalité avec les théâtres d’aujourd’hui, justifient ainsi un réexamen approfondi de ce conflit oublié par la richesse de ses RETEX tactiques.

Ce n’est probablement pas par hasard si cette guerre révéla ou acheva de former nombre de nos grands chefs et théoriciens militaires en les marquant profondément : Juin, Leclerc, Catroux, de Lattre ou encore Beaufre.

Enfin, l’exemple méconnu du grand Lyautey, qui réclama avec force l’envoi de munitions à l’ypérite pour contrer la sauvagerie des rifains qui menaçaient de prendre le dessus et qui mutilaient et tuaient atrocement leurs prisonniers, montre s’il en est encore besoin que nul, pas même les chefs prestigieux, les grandes puissances et les forces dites civilisées, n’est à l’abri de commettre aussi des atrocités en réaction.

 

 

[1] Garantie de vie sauve accordée par le vainqueur au vaincu qui se soumet.

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Titre : Faut-il oublier la guerre du Rif ?
Auteur(s) : le chef de bataillon Vincent TISSIER
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