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Les enjeux de l’infovalorisation: Quels systèmes d’information pour demain?

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 49
Sciences & technologies
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Dans une dynamique d’infovalorisation générale de notre société et de nos armées, le chef de bataillon Franck Duchemin, le commandant Jérôme Cheyppe et le capitaine Jean-François Caverne montrent quelles place et dimensions accorder aux systèmes d’information actuels et à venir dans notre structure militaire avec ses spécificités propres, en prenant garde qu’ils restent un avantage et non une contrainte pour l’efficacité opérationnelle de nos forces terrestres ?


Dans son ouvrage «Achtung Panzer», le Général Heinz Guderian associe les possibilités des transmissions aux missions d'une cavalerie débarrassée de ses chevaux. L’emploi de la radio, présente dans l’ensemble des véhicules des Panzerdivisions, combiné au commandement par objectif, sera un facteur de succès déterminant lors de la bataille de France. Cette innovation permet en effet l'apparition de postes de commandement mobiles avancés accélérant la diffusion des ordres et des comptes rendus, et assurant in fine une réactivité supérieure à celle des Alliés qui en sont encore aux téléphones filaires et aux ordres écrits sur papier. Aujourd’hui, les innovations technologiques dans le domaine des systèmes d’information sont fulgurantes par les perspectives qu’elles offrent et par le tempo de l’évolution technologique qu’elles imposent.

Dans une dynamique d’infovalorisation générale de notre société et de nos armées, quelles place et dimension accorder aux systèmes d’information actuels et à venir dans notre structure militaire avec ses spécificités propres, en prenant garde qu’ils restent un avantage et non une contrainte pour l’efficacité opérationnelle de nos forces terrestres 

Un système d’information sera entendu ici comme un système organisé de ressources (matériels, logiciels, personnels, données et procédures) permettant de collecter, stocker et diffuser de l’information[1]. Quant à l’infovalorisation, il s’agit de l’exploitation optimale des ressources informationnelles autorisée par les nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité opérationnelle. La démarche de ce mémoire est d’imaginer le système d’information post-SCORPION[2].

Facteur déterminant du succès, le choix du système d’information impose avant tout de réaliser un travail prospectif et conceptuel afin de mettre en cohérence la structure de la force, la doctrine et les possibilités offertes par la technologie, permettant ainsi d’emporter la décision par une meilleure liberté d’action, une plus grande souplesse et un combat plus agile.

En partant du constat pragmatique de l’invariance du besoin d’information dans la bataille, il convient de discerner aujourd’hui l’importance prise par les systèmes d’information au sein des théâtres d’opérations. Ensuite, il s’agit de comprendre les enjeux de l’infovalorisation, étape clé de la transformation numérique des forces terrestres. Enfin, il convient de se projeter et de saisir dans quelle mesure cette technologie émergente pourra être, une fois mature, le facteur déterminant et incontournable de l’efficacité opérationnelle.

 Lever le brouillard de la guerre: un besoin d'information immuable

 

Au milieu des années 90, la numérisation a désigné les procédés de conversion des contenus sur supports analogiques en données numériques exploitables par les technologies de l’information et de la communication. Cette dématérialisation a touché toutes les sphères de notre société dont le monde militaire pour lequel ces technologies ont provoqué un véritable tsunami informationnel. De manière croissante et irréversible, ces outils se sont imposés dans l’espace de bataille, et ont permis la naissance des SIOC[3]. Ces derniers ont rendu possible la numérisation des opérations en cherchant à démultiplier l’efficacité dans la préparation des décisions et la coordination des actions.

 

  • Une plus-value certaine

Les conflits récents sont riches d’enseignements concernant la numérisation des opérations, en particulier lors de la guerre du Golfe avec l’expérience américaine du FBCB2[4]. Sous l’impulsion de la RMA[5], les États-Unis ont prouvé (Kosovo en 1999, Irak en 2003) que cet instrument, toujours utilisé, a influencé de façon irréversible et parfois imprévisible l’art du commandement et l’emploi des forces. Dans les forces occidentales, cette numérisation a permis l’émergence et le développement d’une action collective grâce à une référence globale numérique permettant la cohérence d’actions opérationnelles individuelles. Cette numérisation a bouleversé les modes d’entraînement et de formation, ainsi que la culture du commandement.

Sans être une fin en soi, la NEB est un outil d’aide à la décision pour connaître, comprendre et agir plus rapidement et efficacement que l’adversaire[6]. La NEB s'articule en plusieurs SI en fonction du niveau d'emploi: SIT au niveau section; SIR au niveau régimentaire; SICF au niveau état-major[7].

La NEB permet d’avoir immédiatement, soit sur simple demande, soit par synchronisation automatique, une cartographie commune et actualisée de l’espace de bataille.

 

  • Un processus inachevé

La France, comme ses alliés, a accru son efficacité opérationnelle en cartographiant, géo- référençant, géo-localisant les objets mobiles[8]. Les années 2000 ont vu naître de gigantesques bases de données et des besoins en bande passante que les technologies actuelles ont du mal à gérer. La faible interopérabilité, les faibles débits[9] et la forte expertise requise pour administrer ont laissé s’installer un chaos informationnel, constituant ainsi de véritables défauts de jeunesse de la NEB.

 

  • L'heure du changement: l’émergence de l'infovalorisation

Issue des travaux menés dans le cadre du programme BOA[10] 2005-2012, l’infovalorisation est une des ambitions pour les forces terrestres futures[11]. Elle y est définie comme «l’exploitation optimale des ressources informationnelles autorisées par les nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité des forces aéroterrestres dans les engagements». Elle vise à compléter le «faire mieux» de la NEB avec le «faire différemment» grâce aux innovations technologiques.

L’infovalorisation portée par le programme SCORPION vise une supériorité opérationnelle grâce à l’intégration jusqu’au niveau du régiment du SICS[12]. Cette uniformisation se veut intuitive et réactive afin d’optimiser les capacités de contact et gagner l’adhésion du militaire et, surtout, d’améliorer la synergie entre les différentes fonctions opérationnelles. Reliée au SICS, la vétronique captera toutes les informations (alerte, ciblage, navigation…) pour les partager dans une matrice opérationnelle désignant des objectifs par n'importe quelle plateforme du réseau tout en optimisant la réactivité des appuis interarmes voire interarmées. De plus, l’intégration de la simulation dans le système autorisera un entraînement des plateformes dans un contexte réaliste.

 

Les enjeux de l'infovalorisation

 

Dépassant le simple renouvellement des capacités de numérisation actuelles, l’infovalorisation et le choix des systèmes d’information de demain sont porteurs d’enjeux majeurs pour l’armée de Terre dans le cadre de ses engagements opérationnels. La sécurité et la résilience des systèmes d’information est un préalable fondamental au développement des bénéfices tirés de l’infovalorisation. Une excellente maîtrise de la gestion de l’information permettrait d’obtenir une plus grande liberté d’action tactique, voire opérative, et de fournir à l’armée de Terre l’opportunité d’envisager une nouvelle organisation opérationnelle des forces terrestres. Mais chaque évolution comporte ses risques. Une adoption non réfléchie des SI de demain pourrait aller à l’encontre des gains évoqués ci-dessus et apporter une moins-value par rapport à la situation actuelle.

 

  • La résilience

L’avance technologique des armées occidentales leur a conféré de nouvelles faiblesses. Les SI, comme les autres «techno-systèmes», seront donc condamnés à être attaqués ou contournés. L’infovalorisation reposant sur ceux-ci, la résilience est un enjeu à relever[13]. Celle-ci désigne la capacité à absorber les perturbations ou destructions partielles sans que le fonctionnement global ne soit altéré.

Remporter ce défi implique de concevoir un SI avec un niveau acceptable de failles pouvant être corrigées au fur et à mesure de sa vie, mais aussi avec une certaine rusticité pour faire face à l’hostilité et l’abrasivité du milieu. Cette résilience est obtenue par la cohérence et la robustesse de toute la plateforme informatique ? véhicules, postes de commandement, équipements débarqués, etc. ? avec tout l’environnement nécessaire au fonctionnement de l’informatique. Cette plateforme possède des besoins «vitaux» comme, par exemple, la permanence d’une source d’énergie, la climatisation, la sécurisation des vulnérabilités logicielles, la limitation des interventions humaines, etc. Les SI de demain sont donc ceux qui auront été développés pour répondre aux besoins opérationnels et qui prendront en considération les facteurs de résilience, permettant ainsi d’assurer la continuité du commandement. Néanmoins, il sera important que les SI permettent de fonctionner en mode dégradé après un cyber-incident et de lutter contre l’évaporation des savoir-faire fondamentaux ne nécessitant pas l’utilisation des outils numériques.

 

  • La liberté d’action

Le deuxième enjeu de l’infovalorisation et des SI de demain concerne la liberté d’action de la force. Celle-ci pourrait être renforcée grâce à la géolocalisation qui contribuerait à dissiper le «brouillard de la guerre» et à accélérer le rythme des opérations. En revanche, des risques majeurs liés à la capacité de traiter l’information pourraient annihiler ces bénéfices, voire même prendre le pas sur eux.

La remontée automatisée des positions de l’ensemble des unités amies et neutres et des positions estimées ennemies permettent au chef militaire d’avoir une vision précise de la situation tactique. Celle-ci serait alors partagée par l’ensemble des forces amies, ce qui réduirait la friction et augmenterait considérablement la coordination interarmes et interarmées. Cette meilleure conscience de l’environnement autoriserait plus facilement l’audace, l’initiative et l’ajustement rapide des moyens en fonction de l’évolution de la situation donc, in fine, renforcerait la liberté d’action. La localisation instantanée de chaque unité permettrait ainsi de lever partiellement le brouillard de la guerre», mais sa levée complète ne demeurerait qu’une utopie.

La liberté d’action pourrait être également renforcée par une accélération du rythme des opérations obtenue lors de la conception et la conduite des opérations. En effet, des outils numériques sophistiqués, comme par exemple des simulateurs permettant des jeux de guerre (wargame), des cartes 3D ou des éditeurs tactiques graphiques intuitifs intégrés dans les SI, fourniraient une aide précieuse pour optimiser le travail collaboratif au sein des PC lors des phases de conception, même si la vitesse de la prise de décision ne serait pas radicalement changée.

La connaissance précise et instantanée de la situation rendrait possible l’anticipation des travaux de conception, permettant ainsi de mieux s’adapter aux changements de contingence. Les informations ne se limiteraient pas à la localisation, mais bien à l’ensemble des paramètres (logistique, SIC, renseignement, etc.) qui caractérisent les unités engagées dans une opération aéroterrestre. Cette omniscience de l’échelon supérieur contribuera à lui apporter les éléments nécessaires à une conduite efficace des opérations, à une prise de décision dans le bon tempo, ce qui permettra de devancer l’adversaire.

Néanmoins, cette nouvelle production d’information comporte des risques importants de réduction de la liberté d’action des forces aéroterrestres. En effet, une quantité d’information mal diffusée et mal stockée rend très difficile l’accès aux données. Or, celles-ci doivent être juste suffisantes pour un fonctionnement optimum d’un poste de commandement et a fortiori pour une prise de décision efficace d’un chef militaire. Une surabondance informationnelle pourrait ainsi ralentir, voire fausser la décision. Le chef aurait de plus en plus de difficultés à s’extraire de toutes les données qui lui seraient transmises pour prendre la hauteur de vue qui s’impose. La pression cognitive qui pourrait s’exercer sur les chefs de chaque niveau hiérarchique risquerait de provoquer une paralysie qui irait à l’encontre de l’accélération escomptée.

 

  • La plasticité organisationnelle

Réfléchir aux systèmes d’information de demain revient à s’interroger sur l’organisation opérationnelle des forces terrestres en général et du commandement en particulier. Par conséquence, le troisième enjeu, peut-être le plus décisif pour l’avenir, est la plasticité organisationnelle des forces terrestres engagées en opérations, c’est-à-dire la capacité qu’ont les structures de commandement à adapter leurs liens de subordination en fonction des circonstances. Il convient d’analyser brièvement l’organisation actuelle pour déterminer l’opportunité tactique que peuvent apporter les nouveaux SI tout en évaluant les risques liés à un choix non suffisamment réfléchi.

L’armée de Terre française, à l’image des autres armées occidentales, a toujours été organisée de manière pyramidale. Cette structure était notamment la conséquence des possibilités offertes par les moyens de transmissions. Elle est particulièrement «cloisonnée verticalement par les sacro-saintes limites et horizontalement par les échelons hiérarchiques successifs»[14]. L’information est ainsi canalisée à chaque niveau. Or, depuis l’avènement des réseaux informatiques, les structures en maillage sont techniquement réalisables, ce qui procure l’énorme avantage de ne pas canaliser l’information. Néanmoins, la NEB actuelle n’a pas permis de mettre en adéquation l’architecture permise par les protocoles réseaux et l’organisation opérationnelle des forces terrestres.

Le système de commandement actuel demeure donc rigide malgré les outils numériques de communication. De plus, l’expérience actuelle de la NEB, dont un des principaux atouts est la géolocalisation, a engendré progressivement un écrasement des niveaux et un glissement d’un commandement par objectif à un quasi-commandement par ordre. Les échelons supérieurs ayant de nombreuses informations sur les niveaux subordonnés ont ainsi la tentation d’exécuter les missions de ces derniers alors qu’ils ne devraient que les conduire.

Les SI ont donc un impact direct sur la culture du commandement d’une armée, ce qui incite d’autant plus à réfléchir sur le style de commandement que l’armée de Terre souhaite adopter afin de choisir les SI idoines.

Forts de ces constats et analyses, les TIC offrent donc l’opportunité de réaliser une véritable révolution pour l’armée de Terre en faisant voler en éclat la structure pyramidale traditionnelle. En effet, les SI de demain pourraient permettre d’adapter en permanence l’organisation de la force à l’évolution de la situation tactique en autorisant les changements fréquents de subordination et la dilution des moyens en petits éléments. Ceci répondrait en partie aux caractéristiques de la manœuvre de demain telle que la prédit le Général Hubin. Le spectre des risques et opportunités est donc large, puisqu’il va du renforcement du système pyramidal cloisonné et rigide actuel avec une « verticalisation » croissante du commandement à une structure souple, malléable et modifiable qui permettrait de développer à l’extrême un commandement par objectif, voire collaboratif. Néanmoins, si cet enjeu n’est pas bien perçu, la révolution escomptée ne pourrait être qu’une simple évolution de matériels.

 

 

Limiter la friction[15]: le défi des SI du XXIème siècle

 

  • Une information accessible par tous: le cloud de combat

Afin de pouvoir partager et exploiter au mieux un volume d’informations toujours plus grand, les forces armées doivent s’équiper d’un réseau dimensionné et capable de supporter leurs échanges. La maîtrise de la bande passante et la puissance de traitement des flux sont primordiales face au nombre croissant des capteurs et aux fichiers de plus en plus volumineux. Au-delà, ce réseau doit pouvoir fonctionner dans un environnement austère où les infrastructures et l’accès à l’énergie ne peuvent être garantis, et où l’encombrement et la complexité sont peu compatibles avec les modes opératoires modernes où l’objectif est à l’allègement.

L’une des solutions technologiques pouvant répondre à ce défi est le «cloud de combat». Il s’agit d’un service d’accès à la demande, offrant aux utilisateurs un accès aux ressources de manière automatique en limitant l’intervention d’experts. Cet accès réseau doit être capable avec une réactivité immédiate d’utiliser des bandes passantes larges, pouvant supporter des plateformes hétérogènes (PC, tablettes tactiles, smartphones) et interopérables dans le cadre de missions en multinational. Plusieurs armées travaillent déjà sur ces systèmes, en particulier l’armée américaine et plus particulièrement le corps des Marines[16].

Un «cloud de combat» sur le territoire national est aisé à mettre en place car il reposera sur une infrastructure technique et un environnement maîtrisés. Ce n’est évidemment pas le cas dans le cadre d’un déploiement sur un théâtre extérieur où, très souvent, les infrastructures sont inexistantes ou insuffisantes. Une solution serait l’emploi de ballons haute altitude stationnaires permettant une couverture large de l’ensemble de la zone d’action. Ce serait une solution complémentaire et économique aux capacités offertes par les satellites. Sur les théâtres plus urbains, la réutilisation des infrastructures existantes ou bien le déploiement de relais militaires lourds ou portatifs assureraient l’accès au «cloud de combat».

Ce cloud ne doit pas pour autant alourdir les troupes en équipements supplémentaires ou générer des besoins énergétiques et donc constituer une nouvelle contrainte pour la chaîne logistique. Pour cela, il faut mutualiser cette ressource virtuelle avec une ressource physique existant sur le champ de bataille. Cela pourrait être implémenté sur une plateforme existante d’un véhicule ou d’un poste de commandement suffisamment dimensionné d’un point de vue SIC.

Aujourd’hui, le stockage de l’information est sur une logique distribuée. Or le «cloud de combat» est fondé sur une logique centralisée. La solution pour les forces armées est de mettre en place  un système hybride assurant ainsi une meilleure résilience tout en préservant l’efficience du système. En effet, pour se prémunir de la perte totale de l’avantage tactique qu’offre le «cloud de combat» en cas de non disponibilité du réseau, il est aussi nécessaire que les unités déployées possèdent des moyens de stockage suffisamment dimensionnés pour garantir aux troupes d’opérer avec la dernière vision tactique en mémoire tampon. Lors de la reconnexion avec le réseau, une méthode de resynchronisation dynamique devra garantir la mise à jour du système.

La chaîne de commandement sera aussi concernée par l’installation d’un «cloud de combat» qui regroupe en un point unique toutes les informations et leur traitement. Du fait de la capacité de diffuser les informations autant verticalement qu’horizontalement dans toute la chaîne de commandement, il faudra impérativement limiter le «double blocage décisionnel», c’est-à-dire ne pas voir «un commandement ne prenant des décisions qu’après avoir [eu] un maximum d’information, et […] des subordonnés trop occupés à rendre compte pour mener une action tactique efficace»[17].

Un «cloud de combat» bien maîtrisé offre un avantage majeur aux forces, mais il peut rapidement devenir un objectif prioritaire de l’ennemi. Que ce soit par des moyens d’attaque cyber ou plus simplement un brouillage efficace, l’ennemi aura pour priorité de perturber l’utilisation du cloud. Face à ces menaces, le système doit être élaboré avec une capacité de résilience à laquelle on peut adjoindre des «boucliers» techniques et des experts. Des systèmes cloisonnés verticalement, c’est-à-dire pas trop interdépendants, pourraient permettre d’atténuer les risques liés à des cyber- attaques. Ces infrastructures en opérations sont aussi menacées par des attaques cinétiques et demandent, outre une protection dédiée, la mise en place d’une redondance et de moyens de réplication en temps réel afin d’éviter son écroulement et la perte de son avantage tactique.

 

  • Convergence de l’organisation, de la doctrine et des SI: pour un combat agile

Le combat de demain sera un combat où la dissimulation sera difficile et la concentration des forces dangereuse ou inefficace. Ainsi, la réalisation de la surprise tactique, impérative pour toute victoire, viendra de celui qui aura la meilleure vision de la situation et qui saura en coordonner l’action alors même que son adversaire est encore dans le doute. Ainsi, la surprise ne reposera plus sur la dissimulation physique, qui est de moins en moins facile à obtenir, mais consistera à jouer sur le facteur temps et sur les intentions. C’est l’essence même du combat agile, soit, en d’autres termes, un combat souple, alerte, et vif dans sa manœuvre et dans la compréhension de la situation.

À cet effet, une convergence de l’organisation de la structure des forces, de leur doctrine et des propriétés du SI retenu est impérieuse pour obtenir la quintessence des possibilités offertes par la technologie. Car, comme l’écrit le Général Desportes, «insérées dans de vieilles organisations, utilisées selon des concepts qui s’en trouvent dépassés, les nouvelles techniques ne rendent assez souvent que des services marginaux»[18]

Afin de mettre en cohérence l’organisation, la doctrine et les SI, il serait nécessaire de distinguer trois niveaux: exécution, conduite et conception. Les besoins en SI n’étant pas les mêmes en fonction du niveau considéré, il s’agit donc de bien les analyser et les identifier.

 

  • Le niveau exécution: le combat collaboratif

Ce niveau exécution correspond à la section ou au peloton. Constitué de trois à quatre pions de manœuvre, il est placé sous les ordres d’un chef qui saura manœuvrer en utilisant de façon optimale le terrain et ses armes pour détruire son adversaire. L’apport des systèmes d’information à ce niveau est de permettre au combat d’être plus collaboratif.

Le combat collaboratif sera ici entendu comme le partage de l’information avec la «communauté d’intérêts», c’est-à-dire les éléments amis dans le voisinage proche assurant une réactivité immédiate face à une menace. La finalité est de valoriser l’information pour alléger le poids cognitif du soldat. C’est une aide à l’action, mais pas à la décision. Dans le cadre de SCORPION, la vétronique des véhicules de combat combinée avec les détecteurs acoustiques, laser ou de départ missile assurent réaction et coordination[19]. Il ne s’agit que d’assistance car il faut préserver le partage d’autorité: les décisions d’action devront rester humaines.

Le soldat connecté doit connaître en permanence sa position et celles de ses voisins immédiats sans notion de limite de fuseau et d’appartenance à une unité. Ainsi, le système d’information doit être construit en structure de réseau maillé avec un socle technique commun d’échange qui permet, par une simple demande d’invitation à un voisin, une fois acceptée, d’accéder à ses informations (logique de «plug and play»). Ce principe devrait limiter les tirs fratricides et offrira l’avantage de bénéficier d’une vue d’ensemble de la zone d’action en partageant les observations. Comme l’histoire militaire l’a trop souvent démontré, c’est toujours à la jonction entre deux unités que l’adversaire lance son offensive[20].

Le soldat débarqué de demain devra alors bénéficier d’une interface homme-machine légère, minimale et efficace. Les informations devront se limiter aux positions amies et ennemies, et pourront éventuellement avoir comme supports des lunettes à réalité augmentée ou des montres de type connectées. En effet, le chef tactique devra se concentrer plus sur le terrain que sur son écran. Le système d’information devra s’adapter au besoin de chacun avec un logiciel socle et des applications additionnelles à la carte. Le système AUXYLIUM est le premier pas vers cet allégement physique et cognitif du combattant débarqué en l’armant d’un smartphone sécurisé par un boîtier de chiffrement. Il ouvre ainsi le champ de l’hybridité des systèmes d’information et de communication. En effet, il sera possible au combattant de bénéficier soit du réseau 4G civil lorsque celui-ci fonctionne ou n’est pas saturé[21], soit d’un réseau purement militaire. Cet objet connecté, en plus de servir de radio tactique, ouvre aux militaires, en un seul appareil, tout ce que permet aujourd’hui la technologie des smartphones via des applications spécifiques: GPS, transfert d’images et vidéos, échange de messages, visioconférence, pilotage d’un mini-drone tactique.

 

  • Le niveau conduite: organiser le travail collaboratif

Au niveau de la conduite, il s’agit de coordonner l’action des différents pions du niveau exécution et de combiner les effets de chacun dans le but d’atteindre l’objectif fixé par le niveau conception. Attaché au terrain et recevant l’information nécessaire et suffisante, ce niveau a une vue globale de la situation tactique, et organise sa manœuvre en coordonnant les appuis feux et les obstacles et en assurant «les rendez-vous logistiques sur lesquels reposera largement le maintien du rythme de la manœuvre, élément fondamental de la surprise»[22]. Pour cela, le chef conduite devra avoir accès à l’ensemble des informations de ses subordonnés (positions, observations, logistique afin d’appréhender la situation tactique et, grâce au commandement par objectif, saisir les opportunités pour remporter la décision.

Le combat en sera beaucoup plus agile: grâce à la perception des contours de l’ennemi et à une connaissance en temps réel du dispositif ami, il sera possible d’abandonner les limites de coordination et d’accepter l’imbrication avec l’adversaire.

L’ubiquité du chef tactique permettra de concevoir un combat non-linéaire et d’appliquer le procédé du swarming, c’est-à-dire du «regroupement rapide d’unités de taille et de nature différentes sur un objectif, qui pénètrent dans les trois dimensions et par des voies d’accès divergentes, avant de se disperser tout aussi rapidement une fois leur mission effectuée»[23]. Dans un avenir plus lointain, le chef pourra bénéficier, en complément, d’une intelligence artificielle pour compléter son analyse de la situation et ainsi être efficace dans sa décision.

En liaison permanente avec l’échelon de conception et avec les différents échelons de conduite, un véritable travail collaboratif distribué se mettra en place grâce au partage d’information et au système de visioconférence permettant, à distance, de pourvoir participer à la méthode d’élaboration de la décision tactique.

 

  • Le niveau conception: lever le brouillard de la guerre

Premier niveau de conception tactique et structuré autour d’un véritable poste de commandement, le niveau conception est le seul niveau à avoir les moyens d’analyse de l’information et une capacité d’anticipation sur la manœuvre future.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de jouer à la «bataille navale», mais à une véritable «partie d’échecs». Pour cela, il faut à la fois prévoir des coups d’avance et comprendre les objectifs et la manœuvre de l’adversaire. L’objectif sera bien de rentrer dans le cycle décisionnel adverse, l’empêchant ainsi de retrouver son équilibre en reprenant une certaine liberté d’action. C’est l’idée de «combat syncopé» du Général Yakovleff[24], qui consiste à prendre le contre-pied temporel de l’adversaire.

«Cela peut passer par un rythme d’exécution irrégulier et, plus concrètement, par un phasage inégal de la manœuvre, alternance de temps d’attente et de fulgurances»[25]. Il faut pour cela avoir la capacité de traiter l’information venant non seulement des subordonnés (conduite et exécution), mais aussi des niveaux supérieurs. Plus l’information est complète, plus la décision est fiable. Pour autant, lorsque le chef a plus d’informations qu’il ne peut en traiter à la fois, sa prise de décision en est ralentie, provoquant même une hésitation voire de l’attentisme. À ce niveau, la maîtrise de l’information et la gestion des big data deviennent un véritable défi. Pour y remédier en partie, il est possible de suppléer la prise de décision par une intelligence artificielle pour traiter, structurer et livrer à temps les informations fiables et au juste besoin en complément de l’analyse humaine.

Au niveau logistique, la connaissance parfaite de l’état des forces amies peut faire évoluer le concept de ligne d’opération. En rupture avec les schémas logistiques existants, les technologies d’impression tridimensionnelle pourraient devenir une solution complémentaire à l’optimisation du maintien en condition opérationnelle (MCO). «L’arrière ravitaillera toujours l’avant, mais à la noria se substituera la pulsation, aux flux le pré-positionnement et aux réponses l’anticipation»[26].

Ainsi, il est nécessaire pour l’armée de Terre de ne pas transférer la technologie civile au monde militaire sans au préalable avoir cerné ses réels besoins tactiques et techniques. «Le véritable tournant dans le processus d’émergence d’une technologie n’est pas le jour de sa naissance ou la date de son introduction sur le champ de bataille, mais bien le moment où la pensée militaire change afin de prendre en compte et d'optimiser son emploi»[27]. Les SI offrent une réelle opportunité de renouveler la tactique trop axiale et la structure organisationnelle de nos unités trop pyramidale.

 

  • Penser autrement les programmes industriels militaires dans le domaine des SI

Le tempo imposé par les évolutions technologiques dans le domaine des SI est tellement rapide qu’il est aujourd’hui incompatible avec le rythme des programmes d’armement dans ce domaine. La loi de Moore démontre que la puissance de calcul augmente exponentiellement. Dans le même temps, les innovations voire les révolutions technologiques civiles ne cessent de se multiplier. Le SICS est conçu selon la méthode agile[28], mais lorsqu’il sera en dotation dans les unités, il sera déjà dépassé par rapport aux capacités technologiques civiles. Il est donc nécessaire de changer de paradigme dans les procédures et les méthodes de conception industrielle militaire pour faire évoluer les SI en continu.

Étant donné que les budgets d’investissement ne permettent pas la mise à jour de ces équipements à la même vitesse que leur évolution, il serait judicieux de demander aux industriels de fournir sous forme de service une infrastructure, son exploitation et en priorité son maintien en condition opérationnel plutôt que d’investir dans un programme complet. L’ISAF[29] a notamment externalisé à une société privée la fourniture des réseaux d’information et de communication, leur exploitation et leur maintenance sur plus de 64 sites en Afghanistan.

C’est à l’armée de Terre d’orienter les industriels sur ses besoins en SI. Comme le souligne le Général Beaufre, «c’est la stratégie qui doit orienter les inventeurs ou tout au moins choisir parmi les inventions celles qui satisfont le mieux aux besoins de la stratégie»[30].

 

 

Les systèmes d’information nous offrent un potentiel sans limites dans leurs applications au profit de la défense. Les premiers pas de la numérisation à la fin du XXème siècle ont permis de tirer des leçons offrant en ce début de XXIème siècle l’entrée dans une deuxième ère. L’armée qui sera capable de valoriser l’information aura sans aucun doute de l’avance sur ses adversaires car elle sera plus agile, capable d’agir plus rapidement malgré les frictions de la guerre. À cet effet, elle devra adapter ses structures de commandement, sa doctrine, et changer le paradigme des programmes industriels militaires pour optimiser les possibilités offertes par les SI.

Pour autant, les systèmes d’information connaissent des facteurs limitants. Tout d’abord, ils sont dépendants de la géolocalisation. Ensuite, ils sont limités par la qualité des systèmes de communication, notamment en termes de débit et de portée. Enfin, la pression cognitive exercée sur l’homme par une surcharge informationnelle et la non-adhésion à l’utilisation d’un SI trop complexe pourraient empêcher de récolter les dividendes escomptés. Ces trois facteurs sont autant d’axes de recherche pour exploiter la totalité des capacités des SI.

 

 

Le Commandant Jean-François CAVERNE, officier de l’arme des Transmissions, est diplômé de Telecom Lille avec une spécialisation dans les systèmes d’information et réseaux de transmission de données. Il s’oriente vers le mastère en cybersécurité de Supelec-Telecom Bretagne à la sortie de l’École de Guerre (25ième promotion).

 

 

[1] DIA 3-20 sur la cyberdéfense

[2] Synergie du contact renforcée par la polyvalence de l’infovalorisation

[3] Systèmes d'information opérationnels et de  communication

[4] Force XXI Battle Command Brigade and Below

[5] Revolution in Military Affairs

[6] «La numérisation de l’espace de bataille (NEB)», Doctrine, Tactique, Revue d’information et de réflexion numéro 27, 2013

[7] Système d'information terminal, système d'information régimentaire et système d'information pour le commandement des forces

[8] États-Unis : FBCB2 ; Royaume-Uni : Bowman, ComBAT ; Allemagne : FüinfoSys H…

[9] Ratio d’un pour vingt mégabits entre le PR4G et la box Internet domestique

[10] Bulle opérationnelle  aéroterrestre

[11] Force terrestre future 2025, EMAT, 2005

[12] Système d’information et de communication   Scorpion

[13] Symposium des SIC de l’armée de Terre, 2015

 

[14] G. Hubin, «Perspectives tactiques», Économica, 2000. (NDLR: Il faut considérer ici que verticalement, le cloisonnement existe entre deux chaînes hiérarchiques distinctes, et que horizontalement, la communication est souvent difficile ou interdite entre deux niveaux identiques)

 

[15] Selon Carl von Clausewitz dans De la Guerre, «La friction, ou du moins ce que nous appelons ainsi, est ce qui rend difficile ce qui semblait facile»

[16] Cloud computing solutions for the marine corps: an architecture to support expeditionary logistics by Charles R. Ibatuan II September 2013 – Army network campaign plan 2020 & Beyond – February 2015

[17] R. Hemez, «L’avenir de la surprise tactique à l’heure de la numérisation», Focus stratégique n°69, juillet 2016, p27

[18] V. Desportes, «La guerre probable», Économica, 2007

 

[19] Ralliement de la tourelle sur l’objectif, ou proposition de lancer les fumigènes

[20] La percée de SEDAN en 1940

[21] Dans la cadre de l’opération Sentinelle, un attentat provoque inévitablement la saturation de la 4G civile. Un réseau militaro-centré assure la poursuite de la coordination et de l’échange de l’information dans de telles situations. De la même manière, dans le cas de combat en zone urbaine en opération extérieure où les systèmes radio sont entravés par les bâtiments, le système 4G peut être un réseau de substitution qui peut être renforcé par des antennes sur les  véhicules

[22] G. Hubin, «Perspectives tactiques», Économica, 2000

[23] J. Henrotin, «Essaim (tactique de l’)», dans D. Danet, R. Doaré et C. Malis (dir.), «L’action militaire de A à Z», Paris, Économica, 2015, p147-154

[24] M. Yakovleff, «Tactique théorique», p174-176

[25] R. Hemez, «L’avenir de la surprise tactique à l’heure de la numérisation», Focus stratégique n°69, juillet 2016, p39

[26] G. Hubin, «Perspectives tactiques», Économica, 2000

[27] R. Hemez, «L’avenir de la surprise tactique à l’heure de la numérisation», Focus stratégique n°69, juillet 2016, p29

[28] La méthode agile est un processus d’itération entre le client et l’industriel. En d’autres termes, c’est une construction à petit pas

[29] International security assistance force

[30] A. Beaufre, «Introduction à la stratégie», Économica, 1963, p 135

 

Bibliographie:

  • Beaufre, «Introduction à la stratégie», Économica, 1963, p 135
  • Hubin, «Perspectives tactiques», Économica, 2000
    • Yakovleff, «Tactique théorique», p174-176
    • Desportes, «La guerre probable», Économica, 2007
    • Henrotin, «Essaim (tactique de l’)», dans D. Danet, R. Doaré et C. Malis (dir.), «L’action militaire de A à Z», Paris, Économica, 2015, p147-154
    • Hemez, «L’avenir de la surprise tactique à l’heure de la numérisation», Focus stratégique n°69, juillet 2016, p27
    • «La numérisation de l’espace de bataille (NEB), Doctrine, Tactique», Revue d’information et de réflexion numéro 27, 2013
    • Force terrestre future 2025, EMAT, 2005
    • DIA 3-20 sur la cyberdéfense
    • White paper: Juniper Network - Tactical Cloud-Based Mission Services in a Military Environment - 2000562-001-EN Sept 2015
    • US ARMY - Army Cloud Computing Strategy - Enterprise Architecture Division Army Architecture Integration Center HQDA CIO/G-6 - Version 0 – March 2015
    • Marine Corps - Private Cloud Computing Environment Strategy - Command, Control, Communications, and Computers Department (C4) - 15 May 2012
    • Naval PostGraduate School, MONTEREY, CALIFORNIA – THESIS: CLOUD COMPUTING SOLUTIONS FOR THE MARINE CORPS: AN ARCHITECTURE TO SUPPORT EXPEDI- TIONARY LOGISTICS by Charles R. Ibatuan II - September 2013

 

Conférences:

  • Conférence «Les SIC», Colonel Follet, École d’état-major, 2014;
  • Symposium des SIC de l’armée de Terre 2015;
  • Conférence «Cyberespace: l’armée de Terre en ligne», Général Maurice, 2015 ;
  • Conférence «De la numérisation de l’espace de bataille vers l’infovalorisation», STAT/SCMI, 2016

 

Entretiens:

  • Jeudi 29 septembre 2016: entretien avec des officiers de la STAT: Lieutenant-colonel Nicolas Chaligne (officier programme SICS); Chef de bataillon Guillaume DUFAY (officier contactisation)
  • Jeudi 11 novembre 2016: entretien avec des membres de THALES: Général Gérard Lapprend (commerce France); Monsieur Éric DURIEZ (Responsable Marketing & Vente Défense et Gouvernement); Monsieur Didier Bonnerot (Directeur Système d'Informations de Défense SID)

 

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Titre : Les enjeux de l’infovalorisation: Quels systèmes d’information pour demain?
Auteur(s) : le Chef de bataillon Franck DUCHEMIN, le Commandant Jérôme CHEYPPE, le Commandant Jean-François CAVERNE et Monsieur Olivier MON
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