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(Ré)apprendre la maintenance

Revue de doctrine des forces terrestres
Sciences & technologies
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Le 22 novembre 2018, l’un des premiers messages du CEMAT, le général d’armée Jean-Pierre Bosser, sur son compte twitter ouvert le mois précédent, clôturait ainsi le colloque historique sur la logistique à Bourges: « La logistique forme l’une des parties les plus essentielles de l’art de la guerre. Elle a toujours pour finalité de fournir aux forces engagées les moyens, ressources et services indispensables à leur fonctionnement et action. »


De ce fait, dès le début de sa formation et régulièrement au cours de sa carrière, le logisticien, en plus des savoir-faire propres à sa spécialité étudie l’organisation, les capacités et les principaux modes d’action des unités interarmes et des autres fonctions opérationnelles. Ces mêmes unités interarmes méconnaissent souvent en revanche les contraintes des logisticiens qui leur apparaissent souvent uniquement comme des facteurs limitants.

 

D’où vient ce manque d’appétence pour cette fonction stratégique créant une césure dans la réflexion entre une manoeuvre dite « interarmes » et une manoeuvre logistique qui devrait logiquement ne faire qu’une avec la précédente ? Pourquoi la maintenance est-elle l’une des dix fonctions de la logistique au combat55 qui ont depuis quelques années insidieusement quitté le champ des préoccupations de la majorité des cadres de l’armée de Terre en métropole et dont ils redécouvrent les effets en opérations ? Enfin, en quoi le programme SCORPION nécessite-t-il de redécouvrir certains fondamentaux ?

 

La formation du logisticien


Raisonner « interarmes » …


En plus de la formation initiale commune et de ses périodes spécifiques de formation technique, l’officier logisticien a, à plusieurs reprises au cours de sa carrière (organisme de formation initial, cours de formation des commandants d’unité, diplôme d’état-major, etc.) l’opportunité, voire l’obligation d’étudier les armes de mêlée et d’appui. Il se forme au même raisonnement tactique, apprend les potentialités offertes tant par les diverses unités que par leurs matériels et s’il se présente au concours de l’École de Guerre sera jugé, en tactique, en priorité sur sa capacité à manier avec sagacité les unités interarmes.


…pour mieux accomplir sa mission.


Cette connaissance approfondie des autres fonctions opérationnelles offre deux opportunités principales : mieux combattre (car avant d’être un spécialiste ou un technicien, le logisticien reste avant tout un soldat) et surtout mieux remplir sa mission principale « soutenir ». Une des définitions de la logistique étant « en toutes circonstances [de] donner aux forces armées, au moment et à l’endroit voulus, en quantité et en qualité nécessaires, les moyens de vivre, de combattre et de se déplacer »56. Cette connaissance du schéma de pensée de la mêlée l’aide à anticiper les nombreux cas non-conforme qu’impose la réalité des opérations et pour lesquels l’application à la lettre de la doctrine ne permet pas de remplir correctement la mission. L’écrasement des niveaux logistiques et la redécouverte du pont aérien permanent lors de l’opération ARTEMIS en république démocratique du Congo en 2003 ou la mise en place d’un système de type « insulaire » au profit de l’opération BARKHANE sont des exemples de cette capacité d’adaptation au profit de l’efficacité.

 

Le « combattant » et la logistique

 

Représentant l’une des trois fonctions stratégiques universelles, avec le commandement et le renseignement, la logistique est cependant mal connue des armes de mêlée et d’appui, bien que faisant intrinsèquement partie de la manoeuvre interarmes.

 

L’histoire peut en partie expliquer cette méconnaissance, la logistique ayant été longtemps « dissociée » des armées qui vivaient sur les provinces traversées ou sous-traitée dans le secteur privé. Bien que l’émergence de guerres industrielles au début du XXe siècle ait nécessité la « réinternalisation » de la logistique, simultanément à sa complexification, l’aphorisme du général de Gaulle « la logistique suivra57 » semble s’être mué en axiome à partir de la fin des années 90. « La guerre froide qui prépare un engagement conventionnel de grande ampleur sur le territoire européen a d’incontestables dimensions logistiques. […] Cette organisation du temps de paix, dans une zone déterminée, marque durablement les organisations des armées et des dispositifs logistiques. Cette machine est
remise en cause à partir de la fin du système bipolaire.58 » L’éloignement et la multiplicité des théâtres expéditionnaires ainsi que les diverses formes d’engagement à partir de la fin du XXe siècle ont alors complexifié la mission des spécialistes de la logistique pendant que les zones d’actions restreintes et la nature asymétrique de l’ennemi ne nécessitait plus de réflexion particulière de « l’interarmes » quant à la planification de son soutien : en effet, quelle que soit la situation, la logistique suivait.


Cet état de fait a naturellement infusé dans la formation tactique des cadres. Les paragraphes « logistique » des ordres d’opération des exercices en école, des divisions d’application à l’école d’état-major, se sont peu à peu réduits à la mention « pour mémoire59 »ou, lors de certains exercices, à sa version plus polie « l’unité disposera de 30 jours de combat », permettant d’évacuer la problématique et donc la réflexion.


« Amateurs study strategy, professionals study logistics »60


Certes, à partir d’un certain niveau de responsabilité, l’état-major du chef interarmes redécouvre la nécessité d’intégrer la logistique, souvent centre de gravité potentiel du niveau opératif, au plus tôt dans le processus de planification. La plupart des COMANFOR des opérations actuelles de l’armée de Terre n’hésitent pas à reconnaître que « les logisticienssont des magiciens61 », de nombreux commandants de GTIA ainsi que leurs commandants d’unité voient, eux, souvent dans la logistique un facteur limitant, faute d’avoir assimilé antérieurement qu’à l’instar du génie, la « LOG » nécessite du temps et de l’anticipation. Ainsi ce manque d’appropriation du domaine aux échelons inférieurs transforme régulièrement la logistique en une contrainte caractérisant un mode d’action alors qu’elle devrait au contraire discriminer dès leur conception ceux qui sont réalistes.


Le cas de la maintenance


La conception de la formation des cadres n’est pas la seule donnée du problème.


L’impact de la PEGP62


Si l’on s’intéresse plus particulièrement au domaine du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T), les effets d’une faible connaissance théorique se sont combinés à une mise en pratique de plus en plus rare. Jusqu’à la fin de la conscription et au début de la professionnalisation, la préservation des équipements faisait partie du quotidien du soldat quelle que soit son arme d’appartenance. Un commandant d’unité disposait de l’intégralité des matériels qui apparaissaient sur son tableau d’effectifs et dotations (TED) et en était responsable. Cela pouvait représenter jusqu’à une trentaine de véhicules (dont 11 VAB) pour une CEA63 de régiment d’infanterie. L’entretien de ces matériels (véhicules mais aussi armement, transmissions, etc.) était un acte de combat comme les autres, maîtrisé et mis en pratique par l’ensemble des personnels. Les interactions entre les unités de combat et les différents échelons de maintenance (les plus bas étant même intégrés directement dans les compagnies, organisation des 2a/2b des années 80) étaient nombreuses tant au quartier qu’en exercice ou en opération. La maintenance préventive était consentie et parfaitement intégrée car en partie garante de la capacité opérationnelle de l’unité.

 

La lente érosion des crédits et des effectifs au début des années 2000 a imposé la mise en oeuvre de la PEGP, taillant au plus juste les parcs en service permanent (PSP) des régiments, imposant la mise en place d’un système de parc (pooling) et privant les unités de la possession et de la jouissance permanente de leurs matériels majeurs. Les savoir-faire en termes de connaissance et d’entretien des matériels auront été les premières victimes de ce système. Le déclenchement de l’opération SENTINELLE et la diminution drastique du temps consacré à la préparation opérationnelle ont ensuite réduit la capacité même à servir correctement les matériels faute d’emploi régulier. En dépit de la mise en place d’une politique de préservation du capital en équipements au sein des corps de troupe, le lien s’est peu à peu distendu entre la masse des unités et les ateliers (du corps ou de l’organisme de soutien direct).


L’évolution de la PEGP en PPAC64 permet désormais d’expérimenter et de généraliser la mise en place de PSP renforcé, synonyme de réaffectation de matériels au sein des unités élémentaires et d’un nécessaire retour aux savoir-faire de base en termes d’utilisation et d’entretien des matériels. Cette réappropriation d’une partie du MCO par les utilisateurs s’accompagnera nécessairement de la prise de conscience de l’importance de la maintenance préventive pour se prémunir des contraintes de la maintenance curative.


Apprendre à perdre du temps pour en gagner

 

Au sein de l’opération BARKHANE, au moins jusqu’en 2017, le rythme des opérations planifiées et des convois logistiques rendait difficile voire impossible une remise en condition correcte des matériels. C’est à dire, prenant en compte à la fois une maintenance curative complète (et pas uniquement du curatif d’urgence n’ayant pour objectif que de garantir les fonctionnalités de base du véhicule : rouler, pouvoir s’arrêter, tirer et communiquer) et une maintenance préventive, qui seule peut prémunir la disponibilité des matériels d’une érosion lente mais inéluctable.

 

Faute de maintenance préventive suffisante et planifiée, les matériels sont parfois utilisés sans être pleinement opérationnels et subissent plus souvent des pannes ou casses lourdes, les rendant indisponibles pour de longues durées ou nécessitant leur renvoi en métropole. En effet, àla différence des aéronefs quels qu’ils soient, pour lesquels personne n’ose remettre en cause la nécessité de les interdire d’emploi dès qu’ils atteignent une échéance de visite, des matériels terrestres dépassant toutes les tolérances réglementaires en terme de retard de visites étaient fréquemment réengagés avec l’argument que la mission primait et qu’au pire ils cesseraient simplement de rouler. Ainsi, fin 2015 dans la bande sahélo-saharienne, une dizaine de VAB (presque 10 % du parc) avaient dépassé de plus de 300 heures leur visite systématique des 400 heures.

 

Prévenir c’est ne pas avoir à guérir


Ce sacrifice de la maintenance préventive « pour ne pas perdre de temps » produit en fait l’effet inverse. La différence peut être illustrée par le bilan des opérations VIGNEMALE et GOUGOUA menées par le Groupement Tactique Désert-Est (GTD-E) avec moins de deux mois d’écart, au troisième quadrimestre 2015, sur des terrains sensiblement similaires. Au cours de l’opération VIGNEMALE, menée sans préparation technique particulière, faute de temps accordé, en seulement deux semaines d’opérations 73 % des véhicules du GTD-E engagés ont dû faire l’objet d’opérations curatives sur le terrain. A contrario, afin de préparer l’opération GOUGOUA, le GTD-E a consenti à annuler quelques actions mineures afin de consacrer un temps suffisant aux opérations de maintenance préventive. Le résultat fut un taux global d’opérations curatives de 20 % et surtout circonscrit à 21 % des matériels engagés.


Ce taux de 20 % de curatif, est d’ailleurs la norme maximale visée dans l’industrie privée, pour une maintenance préventive représentant au minimum 80 % des opérations. En effet, l’avantage de la maintenance préventive est qu’elle est consentie et maîtrisée et non subie. Mieux vaut anticiper une panne en choisissant, en coordination avec la production, des créneaux de maintenance préventive pour mener des opérations normées dans le temps et pour lesquels les pièces de rechanges ont été commandées et livrées, plutôt que de subir une casse, forcément au mauvais moment, sur une pièce qui n’est pas en stock et pour laquelle le temps de remise en service sera aléatoire.


La révolution SCORPION


SCORPION, prévenir mieux et guérir plus vite


L’objectif n’est pas d’appliquer dogmatiquement des normes de l’industrie civile à des matériels opérationnels mais de limiter au maximum le tempsde privation de jouissance de l’utilisateur, en optimisant d’une part le ratio préventif/curatif et en transformant au maximum la maintenance préventive systématique à temps en une maintenance prédictive programmée par une évaluation du besoin. Pour ce faire les véhicules du programme SCORPION pourront s’appuyer, grâce à des capteurs intégrés et communicants, sur la technologie HUMS65 permettant de rationaliser cette maintenance préventive. Cependant le premier maillon de la chaîne qui garantit une disponibilité optimale des matériels reste l’utilisateur. L’un des objectifs du MCO-T 2025 est donc «d’investir ensemble avec les forces qui sont les premiers acteurs de la préservation de leur propre capacité de combat et du maintien en condition opérationnelle de leurs matériels»66.


Dans le même temps, les matériels SCORPION ont été conçus pour que les opérations de maintenance curative, conduites par les spécialistes du MCO-T, soient les plus courtes possibles (80% des réparations initiales pourraient être effectuées par les mécaniciens des corps de troupe dans un délai maximum de quatre heures).


Continuer à s’adapter


Au-delà de la conception des engins du programme, la doctrine exploratoire SCORPION étudie une nouvelle conception des GTIA en trois échelons (découverte, assaut et logistique) qui pourrait révolutionner notre conception actuelle du combat afin d’exploiter les opportunités offertes par les matériels tant dans le domaine de la mobilité et de l’agression que dans celui de l’appui au commandement. De ce fait l’échelon logistique sera clairement intégré dans la manoeuvre du GTIA. Quant à l’échelon de découverte, d’après les premiers exercices de simulation, il pourrait théoriquement manoeuvrer et engager le combat jusqu’à quatre-vingt kilomètres en avant du reste du GTIA. Cela nécessite de définir un concept de soutien innovant permettant de garantir son engagement dans la durée, l’extraction de ses matériels neutralisés et leur remplacement afin de ne pas nuire au rythme de sa manoeuvre, de prendre en compte le principe de coalescence ou l’insécurité liée à l’engagement dans des espaces lacunaires. La maintenance opérationnelle et plus largement la logistiquesont d’ailleurs clairement désignées pour contribuer au facteur de supériorité opérationnelle « endurance » : « Les fondements et principes de l’endurance seront […] un allègement de l’empreinte logistique (diminution des stocks et production de pièce in situ) et une réactivité accrue des structures de soutien ; […] la recherche du juste compromis entre plusieurs impératifs : - le souci constant de la mobilité […] – la robustesse reposant notamment sur des choix technologiques maîtrisés ainsi que la simplicité de mise en oeuvre et d’entretien, permettant une régénération rapide des parcs (recomplètement et réparation au plus près du contact dans des conditions techniques dégradées)67. »


Le pilote d’engin SCORPION devra sûrement demain, en plus des savoir-faire de base concernant l’entretien et l’emploi, être en mesure d’effectuer (en étant guidé par la machine) le diagnostic de son système d’armes défaillant ou de participer à l’extraction au contact d’un engin ami endommagé68 (de la même manière que chaque soldat est formé comme secouriste au combat, chaque pilote ne devra-t-il pas savoir être un mécanicien au combat ?). L’équipe de maintenance avancée du corps de troupe, désormais au plus près du contact, discriminera l’engin réparable sur place de celui à remplacer et évacuer. Ces informations relayées en temps réel au sein de la bulle SCORPION permettront à l’échelon logistique arrière de mettre en oeuvre, sans délais, le mode d’action ad hoc (acheminement d’un engin de la réserve de théâtre ou envoi d’une équipe de réparation renforcée disposant déjà des rechanges nécessaires, qui s’intégreront automatiquement au réseau et à la manoeuvre grâce à SICS) afin de restaurer au plus tôt le potentiel de combat de l’unité au contact.


Ainsi, avec le combat SCORPION, le logisticien devra encore plus qu’avant connaître les fondamentaux structurant le combat interarmes afin de remplir avec efficacité et efficience ses missions de soutien au profit des armes de mêlée et d’appui et d’être en mesure de s’intégrer plus rapidement à la manoeuvre en cours. De leur côté, ces mêmes armes gagneront à mieux prendre en compte les principes et savoir-faire de base guidant la logistique et à les intégrer comme faisant partie des données d’entrée de leur réflexion tactique et non plus comme filtre à posteriori dans le but d’élaborer une manoeuvre unique et cohérente.

 

55 Soutien santé, soutien de l’homme, condition du personnel en opération, soutien munitions, maintien en condition opérationnelle, soutien pétrolier, acheminements, soutien au stationnement, hygiène et sécurité en opérations et protection de l’environnement.

56 Doctrine du soutien interarmées des opérations, PIA 04.201 du 8 février 2008.

57 Citation exacte : « l’intendance suivra ».
58 Olivier KEMPF, « Introduction générale », in La logistique, une fonction opérationnelle oubliée, L’Harmattan, 2012, p. 13.
59 À l’exclusion du fameux TD LOG consistant à calculer des taux de pertes en hommes et en matériels ainsi que des volumes de rations à commander en appliquant de simples formules mathématiques ; exercice déjà peu attrayant pour les logisticiens et d’autant moins racoleur pour le néophyte.
60 General Omar BRADLEY, in T.PIERCE, Proceedings of the US Naval Institute, vol. 122, N° 9, p. 74.

61 GDI GUIBERT, ancien COMANFOR BARKHANE, conférence à l’École de Guerre-Terre, novembre 2018.
62 Politique d’emploi et de gestion des parcs.
63 Compagnie d’éclairage et d’appuis.

64 Politique des parcs « Au Contact ».

65 HUMS : Health and usage monitoring systems. Terme générique donné aux activités qui utilisent la collecte de données et des techniques d’analyse pour aider au renforcement de la disponibilité, de la fiabilité et de la sécurité des matériels. Exemple : système de contrôle dynamique de la qualité de l’huile moteur permettant d’effectuer une vidange lorsque cela est devenu nécessaire et non plus systématiquement après un nombre défini de kilomètres.
66 « Ancrer le MCO terrestre dans la modernité », plan stratégique 2017-2020.

67 « Action terrestre future », 2016, p. 44.
68 Utilisation de kits, prémontés sur les véhicules de combat, permettant le remorquage dans l’urgence d’un véhicule de même tonnage. Système de type « RUF », rescue under fire.

 

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Titre : (Ré)apprendre la maintenance
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Jean-Hugues FRIEDERICH, École de Guerre-Terre, stagiaire de la 132e promotion
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