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Se prémunir de la surprise et du contournement

L'innovation capacitaire
Sciences & technologies
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Les menaces de la surprise et du contournement nécessitent de revoir nos procédés d’innovation capacitaire
afin de redonner de le souplesse et de l’agilité à un modèle d’armée qui se veut complet et le premier d’Europe.


 

 

Introdction

 

Action terrestre a initié une réflexion multidimensionnelle sur le combat aéroterrestre de demain. L’armée de terre y tiendra une place essentielle, son équipement doit donc participer de ce débat en intégrant les inflexions soulevées.

 

Dans la doctrine française, la surprise stratégique est définie comme une situation de choc ou de sidération psychologique et organisationnelle résultant d’une action offensive adverse, révélant une impréparation relative de la victime et lui imposant d’ajuster les moyens, voire les objectifs de sa posture stratégique.

 

L’innovation, qu’elle soit tactique, organisationnelle ou purement technique, se définit quant à elle comme un moyen essentiel de déstabiliser l’adversaire par le recours à des postures et méthodes auxquelles celui-ci n’est pas préparé.

 

Ainsi, si l’ennemi symétrique doit être pris comme référence pour justifier la prochaine génération de matériel et donc l’innovation, c’est bien l’asymétrie qui caractérise la totalité des conflits actuels. De même, si l’attaque frontale reste la menace majeure, penser le risque planant sur les armées modernes occidentales en termes de stratégie latérale, c’est-à-dire fondée sur la surprise et le contournement, reste également pertinent.

 

Pourtant, la perte ou l’absence de certitudes quant à la nature de notre ennemi futur nous a maintenus dans cette logique de recherche à tout prix de la supériorité technologique. Cette dernière suffit-elle pour autant à nous prémunir de la surprise et du contournement ? Autrement dit, dans quelle mesure l’innovation capacitaire nous permettra-t-elle de faire face aux menaces contemporaines ?

 

Concrètement, une surprise stratégique peut se traduire de plusieurs façons. Elle peut intervenir sous la forme d’innovations du niveau tactique ou technique, dont les effets cumulatifs ou la révélation soudaine occasionnent une remise en cause de la stratégie d’un acteur. La surprise stratégique peut également provenir d’une perte d’autonomie que nous avons consentie dans certains domaines. Ainsi aurions-nous été capables de prendre Mossoul de façon autonome ? Pour autant, dans la majorité des cas, si l’introduction d’une innovation militaire dans le champ conflictuel contribue à créer un effet de surprise de niveau tactique ou opératif, elle ne prend que très rarement une ampleur stratégique. Ainsi, devons-nous penser l’innovation à court, moyen et long terme comme liée aux effets tactiques, opératifs ou stratégiques qu’elle nous permettra d’obtenir.

 

La mondialisation des échanges a contribué à l’apparition de nouveaux processus de diffusion des technologies sensibles, plus opaques aux contrôles étatiques, et pouvant constituer des options de choix pour des acteurs infra-étatiques désireux de compenser leur faiblesse par la violence et la soudaineté de leurs actions. La diffusion des capacités, confère ainsi un potentiel de contrainte considérable à des acteurs qui en étaient jusqu’alors dépourvus. Devons-nous continuer à produire et vendre des équipements sensibles à des Etats au risque de les retrouver dans les mains de nos adversaires ? Et inversement, l’achat sur étagère ne représente-t-il pas pour nos Forces l’opportunité de pallier les processus d’innovation souvent considérés comme trop longs et trop coûteux ?

 

Enfin, les opportunités de surprise stratégique offertes par la fluidité des mouvements dans le champ informationnel et la dépendance de plus en plus étroite des sociétés occidentales aux systèmes automatisés nous obligent à une plus grande résilience, au dédoublement des capacités et à conserver la capacité à combattre en mode dégradé.

 

 

Première partie

 

Action Terrestre Future a caractérisé la transformation de la menace à travers trois grandes tendances : le rapprochement géographique des foyers de guerre, une continuité de la menace à l’extérieur de nos frontières et sur notre territoire, l’échec des modes de régulation supranationaux qui rend possible un retour de la guerre entre Etats. Dès lors, intégrer les modes de pensée orientaux nécessite de passer le constat d’ATF au spectre des types de menaces possibles sans notion de probabilité. La documentation officielle existante est suffisamment explicite, la première partie de ce document n’apportera pas d’analyses nouvelles mais permettra de lier les constats et les recommandations.

 

La distinction entre un ennemi symétrique, dissymétrique et asymétrique reste pertinente car il ne s’agit pas d’une grille figée. En effet, la situation géopolitique mouvante et de nouveaux modes d’actions - qui font agir des bandes organisées comme des Etats et certains Etats comme des bandes organisées - militent pour considérer la menace sous le plus large spectre possible afin de penser le contournement et se prémunir contre la surprise stratégique. La forte probabilité de tous les types de combat en zone urbaine est une évidence.

 

 

La résurgence des menaces de type symétrique

 

Tout d’abord la résurgence d’une menace de type symétrique ne peut être ignorée. Le réarmement et l’augmentation des budgets militaires de certains pays illustrent leur volonté de prendre ou reprendre une place de choix sur l’échiquier mondial. Ce positionnement s’accompagne d’un affranchissement de certaines barrières éthiques qui font peser des doutes sur une utilisation raisonnée de l’intelligence artificielle et des systèmes autonomes. L’excellence technologique française nous permet de faire face à cette course technologique, d’être interopérable avec nos alliés et demeurer crédibles dans la dissuasion. Néanmoins, si le déclassement technologique est une hypothèse à exclure, il s’agit de ne pas s’exténuer dans le bond technologique et ce pour deux raisons :

 

-les pays qui pourraient être nos adversaires symétriques ont une stabilité de leur effort de défense qui ne varie pas avec les pouvoirs en place car

 

– par définition - ils ne changent pas. Ils sont donc plus à même de planifier des programmes cohérents et longs sans la tyrannie du court terme. Ils ont très peu de limitations. Le temps joue pour eux ;

 

-la dissuasion qui joue encore pleinement son rôle poursuit sa paralysie de l’affrontement armé. Mais des phénomènes nouveaux de contournement sont apparus avec l’arme cyber ou l’hybridité du conflit en Ukraine pour un coût technologique très faible.

 

Face à un ennemi qui pourrait être d’un niveau technologique légèrement plus faible mais qui compenserait par une masse de saturation, il est nécessaire de se poser la question du tout technologique qui ne peut couvrir qu’une petite partie du spectre. La question de l’innovation frugale ou d’un parc plus nombreux avec l’ensemble des capacités nécessaires et une technologie juste suffisante refait surface. Elle présenterait l’avantage de répondre tout à la fois à la dilution, la concentration et rendrait la force moins vulnérable à la menace cyber. Certaines capacités sont à renouveler pour éviter une surprise stratégique liée à la perte de savoir-faire du type NRBC ou défense sol-air (cas de la stratégie du déni d’accès).

 

La question pour un ennemi symétrique est donc la crédibilité de notre force face à celle de nos adversaires potentiels et ce dans tous les domaines. Pourra-t-on soutenir la course technologique imposée en conservant notre indépendance dans les programmes d’armements critiques ?

 

 

Les conflits de type asymétrique : une constante

 

Actuellement, les conflits asymétriques mobilisent l’Armée de Terre depuis plus de 20 ans. Elle fait face à des groupes terroristes de type mafieux qui usent efficacement de la quasi libre circulation des biens, des personnes et de l’information. C’est un ennemi qui n’a rien à perdre et qui conscient de sa faiblesse œuvre dans une stratégie de contournement permanent, cherchant à créer des surprises stratégiques à travers la sidération de notre opinion publique. Il possède une capacité de régénération quasi permanente tant qu’il n’est pas détruit. Il bénéficie de la liberté des flux financiers et donc peut plus facilement acquérir des technologies plus avancées à moindre coût. Ce nivellement technologique pourrait leur permettre de nourrir une stratégie de déni d’accès et nous contester la supériorité aérienne sur un théâtre. Il tire également parti de la liberté de mouvements des personnes qui gomme les lignes de front et instaure une continuité tout azimut et une permanence du combat.

 

Cela impose donc de reconsidérer trois impératifs :

-inverser le principe de l’incertitude.

-donner à notre outil le don d’ubiquité avec une armée agile, imprévisible et rapide.

-avoir une capacité de foudroyance.

 

Face à un ennemi qui se dé-silhouette et qui utilise toutes les facilités de la mondialisation. Il s’agit de rechercher un plus faible coût de l’arme utilisé – donc peu de technologie - pour détruire. En effet, il faudra en produire à l’infini tout en conservant la rusticité permise par la qualité de production. Dans ce type de conflits, la connaissance sera un facteur de succès. Une certaine marge de manœuvre à faibles coûts semble mobilisable. La question de l’autonomie complète des équipages, très loin (et pour longtemps) du point central de la force se pose y compris d’un point de vue énergie, maintenance et ravitaillement.

 

Le niveau de décision sera plus proche de l’action, il faudra pour cela allier simplicité de l’utilisation et capacité de discrimination.

 

Comment être partout, tout le temps, afin de saisir toute opportunité qui entraverait la liberté d’action de l’ennemi asymétrique ? La masse numérique et le faible coût apparaissent comme les principales pistes de réflexion.

 

 

La complexité du conflit dissymétrique

 

L’instabilité géopolitique accrédite la possibilité d’un conflit dissymétrique avec l’utilisation d’armement conventionnel en dehors de tout cadre comme l’a montré le conflit en Ukraine en 2014. C’est le plus complexe car il s’agit de couvrir tout le spectre des options capacitaires en ajoutant une dimension doctrinale issue d’une réflexion stratégique conduite en liaison avec le politique. La capacité renseignement est donc fondamental et couplé à une versatilité de nos forces.

 

Face à un ennemi dont la nature et les modes d’action seraient en mutation permanente, il ne faut en aucun cas limiter le champ des possibles et donc l’exploration doctrinale. La recherche et le développement doivent être intensifiés sans liaison obligatoire avec la technologie embarquée ou débarquée mais en matière de biologie, de génétique, de cyber... Le développement capacitaire du soldat augmenté à travers par exemple un exosquelette ou la prise de stupéfiants est à étudier.

 

Il apparaît urgent de reconsidérer un certain nombre de nos pratiques afin de nous prémunir de la surprise et du contournement.

 

 Ceci passe par :

-une adaptation du développement capacitaire à l’inflexion qui se dessine ;

-le maintien du tout technologique et la recherche de l’excellence pour une certaine partie du développement capacitaire ;

-une course à la technologie limitée à la juste suffisance de nos besoins et engagements internationaux pour ne pas prendre le risque d’être étouffé par nos adversaires ;

-l’adoption de l’innovation frugale pour certaines de nos capacités afin de répondre aux impératifs imposés par les longs combats asymétriques ;

-des innovations dans le champ doctrinal.

 

 

Deuxième partie

 

Parmi les facteurs accroissant le risque de surprise stratégique et de contournement, certains pourraient provenir de nos propres choix capacitaires et de leur confrontation à l’évolution de la scène internationale.

 

Le contexte qui a vu l’émergence du projet SCORPION, abordé dans Action Terrestre Future et repris dans la doctrine exploratoire SCORPION, explique les présupposés retenus pour le développement capacitaire de l’armée de Terre :

 

-la prolifération des technologies d’armement provoque un nivellement technologique ;

-les NTIC doivent permettre une accélération de la boucle décisionnelle ;

-les opérations de combat ne sont plus étanches à la guerre de l’information ;

-enfin les groupes armés que nous affrontons ont prouvé leur capacité à adopter des stratégies de contournement de la puissance.

 

Il convient donc de passer au crible les choix capacitaires de l’armée de Terre pour essayer d’envisager, ce que pourraient être nos vulnérabilités vis-à-vis de la surprise stratégique et du contournement.

 

 

Maintien de notre autonomie stratégique

 

Certaines technologies, dont les capacités de production nationale ont disparu, ne pourront pas être produites à nouveau avant plusieurs années. Durant cette période, nous allons, de fait, dépendre de nos alliés pour certaines capacités comme les drones, les ravitailleurs, les hélicoptères de manœuvre et d’autres encore. Si les Etats-Unis étaient engagés dans une confrontation multiple, serions-nous sûrs de pouvoir disposer de leur appui pour ces capacités critiques ? Dans un domaine connexe, les engagements récents ont montré la nécessité de disposer de « stocks stratégiques » de munitions : ceux-ci sont-ils suffisamment importants et variés ? L’insuffisance des stocks stratégiques avaient déjà été un enseignement de la guerre du Golfe de 1991. Le maintien de notre autonomie stratégique, pourrait donc passer par le renforcement de nos partenariats et par des achats sur étagère pour limiter à court terme les dépendances à nos alliés. A moyen terme, le réinvestissement dans les capacités de production nationale qui ont disparu est souhaitable, quitte à s’appuyer sur des accords bi ou multi nationaux, voire sur l’UE pour capter des ressources tout en restant leader sur le développement. Un audit des stocks stratégiques pourrait être envisagé sans attendre.

 

 

Renforcement de la protection de nos vulnérabilités critiques

 

Le contexte économique limite de fait les ambitions françaises en matière de défense, nous contraignant à trouver un équilibre entre quantité (pour atteindre le facteur de supériorité opérationnel Masse) et qualité (pour maintenir un avantage technologique sur notre ennemi présent et à venir). Le programme SCORPION prévoit ainsi d’ici 2025 l’arrivée de matériels majeurs, avec par exemple 936 GRIFFON, 150 SERVAL, 489 JAGUAR et 122 LECLERC rénovés (STD1). Ces chiffres doivent permettre de répondre aux besoins de la force SCORPION, néanmoins ils représentent un volume de VHL inférieur à ceux qu’ils remplacent (P4, VAB, VBL, etc.).

 

L’info valorisation doit permettre de créer plus d’effets avec moins de VHL. Celle-ci repose néanmoins sur un système d’information - et sur des postes radio- qui doit permettre de créer la « bulle SCORPION » - qui démultipliera les effets des acteurs amis. Notre capacité à produire cette bulle informationnelle et à la maintenir face à des attaques est donc un enjeu de première importance car le programme SCORPION a été conçu autour de cette capacité de communication et d’intégration.

 

Sans elle, le nombre réduit de VHL, de blindés, de chars, pourrait ne pas être suffisant pour faire basculer le rapport de force en notre faveur. Dans ce contexte, notre capacité à générer et à maintenir la bulle de communication essentielle à la force SCORPION constitue une vulnérabilité critique. Or le contexte de fort développement des capacités de guerre électronique et de cyberguerre pourrait rendre cette vulnérabilité critique plus facile à atteindre que prévu. Le 10 avril 2014, un destroyer américain, l’USS Donald Cook, aurait été rendu sourd et aveugle (son système AEGIS rendu inopérant) par un SU-24 russe équipé d’une nacelle de guerre électronique dénommé Jibiny1.

 

 

Des périodes de fragilité opérationnelle

 

L’annexe 1 présente l’agenda de l’arrivée des matériels de nouvelle génération, qui vient prendre le relais de la génération précédente, surutilisée et dont la disponibilité technique opérationnelle chute de façon brutale. La période de transition entre matériels anciens et nouveaux fait apparaitre des « trous capacitaires » momentanés, les nouveaux matériels arrivant parfois après la fin de vie des anciens. L’ennemi pourrait exploiter ces périodes de relative fragilité opérationnelle. Si le budget de défense devait jouer le rôle de variable d’ajustement, comme il l’a fait par le passé, quelle solution pour compenser le trou capacitaire provoqué par l’arrivée tardive d’un matériel majeur, dans un contexte possible d’engagement de haute intensité.

 

 

La résilience de notre BITD est un enjeu

 

La volonté de rapprochement du monde industriel - dans une réciprocité vertueuse entre le patriotisme économique et l’économie patriote - traduit la volonté de développer notre appareil de production capacitaire. L’efficacité du partenariat entre forces armées et industriels de défense, en un mot l’efficacité de notre BITD, est donc un enjeu majeur. En témoigne la réforme de la DGA dont les objectifs (1/ Travailler en équipe 2/Travailler plus vite 3/Equilibrer les relations entre le ministère et les industriels) sont éloquents. Au-delà du contrôle de l’efficacité de notre BITD, sa résilience en cas d’engagement majeur est un enjeu au moins aussi dimensionnant. Dispose-t-on aujourd’hui d’indicateurs pour mesurer cette capacité de résilience, de scenarii d’attaque et de procédures correspondantes drillées ? L’effort porté sur l’innovation (Forum innovation défense, DGA Lab, Battle L ab d’armées, crédits dédiés (RAPID), etc.) peut permettre de gagner en résilience dans ce domaine, en raccourcissant les cycles d’acquisition et en diversifiant les acteurs. La protection de ces nouveaux acteurs, plus nombreux et moins anciens, doit néanmoins faire l’objet d’une attention particulière.

 

Le renouveau doctrinal et l’arrivée de SCORPION Le CEMAT a défini pour l’armée de Terre trois dimensions majeures : organiser (avec le modèle Au contact), outiller (avec la transition capacitaire dont Scorpion est l’aspect le plus emblématique) et orienter (avec Action Terrestre Future). Le développement du système de systèmes SCORPION, a produit incidemment une prise de conscience de la nécessité de commencer le développement d’une capacité par sa doctrine. Jusque-là, les capacités étaient souvent produites dans une logique de renouvellement et d’amélioration de capacités existantes. Dans ce cadre, le nouveau matériel produit, une doctrine - conçue comme la définition du domaine d’utilisation maximisant l’efficacité de ce matériel - était produite a posteriori. Ce travers a été décrit par deux colonels de l'armée chinoise, Qiao LIANG et Wang XIANGSUI dans La guerre hors limites, qui le qualifient de mode d’action occidental : l’Occident ferait « la guerre de ses armes », quand il serait plus efficace selon eux de fabriquer les armes qui correspondent à notre conception de la guerre. Le concept de doctrine exploratoire, né du projet SCORPION, prend tout son sens de ce point de vue. Dans cette doctrine exploratoire, l’effort est porté sur la maîtrise de la connaissance, comme facteur fondamental pour atteindre la supériorité tactique. Le mode d’action envisagé est l’accélération de la boucle décisionnelle, qui doit permettre de prendre, ou de reprendre l’ascendant en imposant notre rythme à l’ennemi. Les matériels majeurs du projet SCORPION ont donc été conçus en fonction de cette doctrine, et s’interconnectent dans une bulle informationnelle qui permet de démultiplier leurs effets, et qui autorise en particulier un niveau d’intégration des effets particulièrement abouti. L’info valorisation n’est pas le seul « game changer » technologique, et l’introduction des armes cyber, des systèmes autonomes y compris terrestres, et de l’intelligence artificielle doit se poursuivre, car ils sont de nature à permettre la surprise stratégique ou le contournement.

 

« Surprendre un adversaire implique également la transgression de certaines normes morales ou politico-juridiques, notamment lorsqu’une guerre est déclenchée par surprise ou qu’une attaque vise des populations civiles jusqu’alors épargnées – circonstances dans lesquelles l’effet stratégique est assuré. Cela implique-t-il de revoir l’éventail des modes d’action en y introduisant l’acceptation d’une transgression de ces mêmes règles et ainsi innover dans le champ de notre doctrine ? Nous écartons délibérément de notre champ de réflexion ce domaine qui apparaît pour nous comme au-delà d’une ligne civilisationnelle».

 

 

Le projet SCORPION représente un progrès majeur. Le passage d’une logique de remplacement des capacités, famille de matériel par famille de matériel, à un programme intégré et unique a déjà porté ses fruits. Une doctrine élaborée en amont de l’arrivée des matériels de combat majeurs, et simultanément au développement des programmes d’armement présente une plus-value beaucoup plus importante qu’une doctrine conçue après coup comme la définition du domaine de meilleure efficacité des matériels en dotation

 

 

Troisième Partie

 

Propositions communes

 

Partant de l’appréciation de la menace et de l’analyse des vulnérabilités de notre système effectuées précédemment, cette partie a pour objet de faire un certain nombre de propositions concrètes pour se prémunir de la surprise stratégique et du contournement. Ces propositions intègrent les différentes contraintes de la démarche capacitaire, financières notamment, et ont pour objet l’ensemble du spectre DORESE (pas seulement les équipements).

 

Face à un ennemi qui opérera en zone urbaine, terrain nivelant par excellence, se constituer une véritable expertise en zone urbaine au sein des unités des FT, au même titre que les autres expertises milieu (forêt, montagne, amphibie, aéroportée) :

 

-en premier lieu, constituer des kits ZUB pour les combattants débarqués, à l’image des kits checkpoint de jadis. Le plus souvent en effet, et cela a aussi été le cas à Falloujah pour les Américains, les troupes se procurent les « petits matériels » indispensables (échelles, béliers, bombes de peinture, perches-miroirs, etc.) via un « système D »/bricolage. Cela n’est pas satisfaisant à plusieurs titres : d’une part ces matériels ne représenteraient qu’un faible investissement mais sont souvent les grands oubliés des démarches capacitaires d’autre part ils peuvent avoir un effet particulièrement sensible sur l’efficacité opérationnelle. L’ensemble des retours d’expérience des opérations et des rotations au CENZUB en attestent. Même en quantité limitée, ces matériels pourraient, le cas échéant, être stockés dans un « parc guerre » et utilisés si besoin (sur le TN également en cas de crise majeure) ;

-au niveau de l’entraînement, cela implique un effort plus prononcé sur ce milieu dans la préparation opérationnelle, voire la spécialisation d’unités élémentaires.

 

Face à la menace IED/Mines, qui sera une donnée permanente des futurs conflits, notamment en ZUB :

 

-au niveau de la mobilité terrestre, renforcer nos moyens d’ouverture d’itinéraire et développer des drones de transport terrestre (pour limiter l’exposition de nos convois notamment) ;

-retrouver une vraie capacité de bréchage (a priori chenillée donc), à l’instar de toutes les grandes puissances militaires.

 

Face à la transparence accrue du champ de bataille, développer l’usage de la déception dans toutes ses composantes :

 

-réinvestir les savoir-faire en matière de camouflage traditionnel et développer les moyens de déception offerts par les nouvelles technologies ; 13

-prendre davantage en compte la déception dans notre enseignement militaire supérieur, notre planification et nos modes d’action ;

-dans le même registre mais pour mieux lutter contre la déception ennemie, accélérer la mise en service des micro- et nano-drones, afin de ne plus avoir à exposer des soldats/véhicules pour aller voir « de l’autre côté de la colline ».

 

Face à la manipulation des populations, en Afrique notamment, améliorer et coordonner nos modes d’action en matière d’influence (très liée à la compréhension) :

 

-dans le cadre de la montée en puissance du PMO, faire de ce dispositif un levier d’influence accru en développant une véritable filière PMO-COOP au niveau RH ;

-créer un diplôme technique dans les principales langues africaines (dans cet ordre de priorité : bambara, swahili et wolof). Les ressources à y consacrer devront être trouvées en rationalisant au niveau interarmées les mises en formation dans les langues « phare » (russe, chinois, arabe), où l’on observe des redondances ;

-toujours dans le domaine linguistique et dans le cadre particulier des ouvertures de théâtre, s’appuyer sur le partenariat entre le CDEC et l’INALCO pour accélérer et assouplir les mises en formation dans des langues ou dialectes rares (kurde par exemple). En effet, les formations linguistiques ne sont souvent envisagées que dans le cadre d’un cursus et pas forcément au besoin. Or cela participerait à notre agilité et renforcerait notre compréhension ainsi que, dans une certaine mesure, notre influence ;

-toujours dans le volet connaissance, compléter le « pack doctrine » par un « pack environnement » et l’utilisation pour la MCF de mentors ayant une connaissance récente du théâtre (à l’image de ce qui se faisait au DAO de Canjuers).

 

Face à un ennemi asymétrique

 

Face à un ennemi qui cherchera à nous entraîner loin de nos bases, dans des sanctuaires difficiles d’accès, retrouver une vraie mobilité opérative :

 

-drones bi- voire tri-charge (ROEM, ROIM et armement) ;

-hélicoptères de manœuvre lourds, qui d’une part garantiront notre autonomie stratégique et d’autre part réduiront l’exposition de nos convois aux IED ;

-remonter en puissance en termes de franchissement et de transbordement maritime, capacités spécifiques très insuffisantes aujourd’hui.

Ces trous capacitaires, actuellement palliés en partie (pour les HM lourds ou les drones) par l’utilisation de moyens alliés, justifieraient un achat sur étagère compte tenu de leurs conséquences tactiques d’une part, mais d’autre part, parce qu’ils conditionnent une véritable autonomie stratégique, la réinternalisation de la filière devrait être considérée.

 

Face à un ennemi symétrique

 

Face à la menace CYBER qui est, pour un certain nombre d’acteurs, un moyen de retrouver de la liberté d’action dans un cadre général de dissuasion nucléaire :

-au niveau des matériels, poursuivre le durcissement de nos SIC. En complément de cette réponse technique, intégrer systématiquement une menace CYBER dans les exercices afin que des CONPLANS et procédures dégradées soient travaillés régulièrement. Cela n’est pas le cas actuellement ;

-intégrer à la conception des nouveaux véhicules des capacités de combat dégradées y compris de nuit (viseurs optiques par exemple) pour faire face à une coupure réseau ou une IEM par exemple.

 

Face à une masse ennemie :

 

-réinvestir les savoir-faire de haute intensité (effort doctrine et C2) en s’appuyant sur les grands exercices. La conduite de ces grands exercices doit également être repensée pour ne pas en faire qu’un simple drill des procédures : LIVEX, bordées J+N, bascules de PC réellement jouées, etc ;

-disposer de plans (confidentiels) de remontée en puissance et les éprouver par des exercices du type « mobilisation RO2 », « mobilisation RO1 à pleine capacité ». Cela implique une affectation prévisionnelle de ces réservistes, visant à optimiser leur emploi en cas de crise grave et soudaine. En complément indispensable de ces plans, constituer des stocks stratégiques.

 

Face à la contestation de notre supériorité aérienne, retrouver une véritable capacité de défense sol-air d’accompagnement, en termes de quantité de moyens ASA et de matériels qui seraient, contrairement au PAMELA, capables de supporter la ferraille du champ de bataille.

 

Face au déni d’accès, accroître nos capacités d’action à longue distance :

 

-poursuivre le développement des feux terrestres à longue portée, en explorant davantage les options obus, trop rapidement écartées par le « lobby missilier » ;

-accroître nos capacités d’infiltration (« très grande hauteur » sous oxygène ; sous-marine ; etc.). Le COS mène actuellement plusieurs expérimentations et études sur ces sujets.

 

 

Conclusion

 

Le 31 août dernier, le président Macron rappelait son ambition pour les Armées : « l’armée française demeurera la première d’Europe et la seconde du monde libre ». Pour cela la LPM 19-25 marque une augmentation importante des budgets des Armées avec près de 197,8 Mds d’€ prévus entre 2019 et 2023. Au sein de cette LPM, l’innovation apparaît comme un levier majeur pour garantir l’autonomie stratégique de la France et la supériorité opérationnelle de nos Armées. Parmi les objectifs définis, l’un est particulièrement précis : « se doter des outils et des processus permettant d’accélérer la diffusion des innovations, de mieux intégrer l’innovation issue du secteur civil et de mieux prendre en compte l’innovation de rupture ».

Concrètement, cette LPM appelle l’Armée de Terre à :

 

-renforcer sa vision capacitaire dans la conduite des investissements ;

-améliorer l’adéquation des équipements à ses besoins, tant en termes de fonctionnalité et de coûts que de délais de mise à disposition ;

-de conférer plus d’agilité et d’adaptabilité aux processus d’acquisition ;

-de mieux intégrer dans les programmes le MCO des équipements, leur coût d’utilisation et les infrastructures associées.

 

Nous l’avons vu, les menaces à prendre en compte dans le processus d’innovation capacitaire sont de types, de probabilité d’occurrence et d’importance très différents. Pour autant, aucune de ces menaces ne peut être exclue de nos champs d’étude et d’exploration et ce dans un contexte budgétaire, juridique et politique contraint. Il convient donc, pour répondre aux ambitions fixées par la Nation, d’assouplir le carcan juridique et administratif dans lequel s’inscrit la politique d’innovation, de multiplier les voies d’approvisionnement afin de raccourcir au maximum la boucle de l’innovation qui va de l’identification d’un besoin à sa livraison aux Forces et enfin de prioriser ces derniers. Notre capacité opérationnelle en dépend.

 

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1- Selon la publication russe Rossíyskaya Gazeta (édition du 30 avril 2014)

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Titre : Se prémunir de la surprise et du contournement
Auteur(s) : CC FO Corman
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