Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

La vaillance malheureuse, l’exploit inachevé, l’essai non transformé

Revue militaire général n°58
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

L’opposition de certains députés à la réforme profonde du système militaire voulue par Napoléon III et portée sur les fonts baptismaux par le maréchal Niel n’a pas permis de disposer d’effectifs suffisants et entraînés pour s’opposer à la machine de guerre des différents États allemands en 1870. La garde nationale mobile et, plus généralement, les différents corps auxiliaires, que leurs détracteurs de la veille ont été contraints de mettre sur pied, ont pour autant suppléé l’armée régulière, défaite à Sedan ou enfermée à Metz, maintenant l’espoir d’un retournement de la situation pendant cinq mois.


Les grands anniversaires sont souvent l’occasion de célébrer les victoires, mais également de s’interroger sur les causes des défaites. 150 ans après les événements douloureux de 1870, il n’est pas dénué d’intérêts de revenir sur cette débâcle, non pour s’attarder sur les raisons de ce cuisant échec, qui ont déjà fait l’objet de nombreuses publications, mais pour essayer de comprendre comment le conflit a pu durer six mois alors que les forces vives de l’armée impériale étaient défaites à Sedan, un mois et demi après la déclaration de guerre, ou enfermées dans Metz, deux semaines plus tard, situation inédite depuis la création d’une armée permanente par Charles VII, le 26 mai 1445.

Pendant cinq mois, la défense de la France et l’espoir que la situation se rétablirait furent confiés à des soldats de fortune que rien ne prédisposait à tenir des armes puisque, peu de temps après son accession au trône, Napoléon III avait estimé que la garde nationale, héritière des milices de la Monarchie en leur donnant un cadre formel, n’avait plus de raison d’exister. Rétablie dans l’urgence, c’est pourtant cette garde qui donna beaucoup d’inquiétude aux Allemands, à tel point que le maréchal von Moltke, leur chef, leur rendit un vibrant hommage. Devant un cercle d’officiers prussiens qui brocardait, non sans un certain dédain, ces soldats qu’ils avaient combattus, le vieux maréchal sortit de son silence pour leur adresser cette remarque : « Souvenez-vous qu’après Sedan et après Metz, nous croyions la guerre finie et la France abattue et que pendant cinq mois, ces armées improvisées ont tenu les nôtres en échec. Nous avons mis cinq mois à battre des conscrits et des mobiles. C’étaient des foules, j’en conviens avec vous ; mais ces cohues nous tenaient tête. Vous pouvez oublier ces choses, vous qui n’avez eu que le contentement de la victoire ; mais je ne l’oublie pas, je vous l’avoue et je n’en souris pas, car j’ai eu le tracas et le grand souci de cette résistance inattendue[1] ».

Après avoir abordé succinctement les origines et l’évolution de cette troupe auxiliaire, nous essaierons d’entrevoir comment la levée en masse a permis de résister à l’envahisseur contre toute attente et de changer, pour la première fois en Europe, la tournure de la guerre.


Genèse et évolution de la garde nationale.

Si le terme de garde nationale n’apparut qu’en 1791, ce n’était pas, dans son esprit, une invention de la Révolution ; elle était l’héritière de la milice bourgeoise, que l’affranchissement des villes avait contraint de mettre sur pied pour suppléer la tutelle protectrice des seigneurs au Moyen Âge. D’ailleurs, les chartes d’affranchissement des communes précisaient généralement le service militaire auquel étaient désormais astreints les citadins. Cette milice comprenait tous les habitants en état de porter les armes. Jusqu’à sa suppression, elle avait pour missions de défendre les biens et les personnes, de veiller au repos de la cité et de prêter main-forte aux magistrats.

C’est à certaines de ces milices bourgeoises que Philippe Auguste fit appel pour compléter l’ost royal et battre à Bouvines, le 27 juillet 1214, la coalition menée par le roi anglais Jean sans Terre soutenue par l’empereur du Saint-Empire Othon IV. Commandée par le duc Eudes de Bourgogne, l’aile droite de l’armée royale était composée des hommes d’armes et des milices de Bourgogne, de Champagne et de Picardie[2]. Cette première dérogation au rôle local dévolu à ces milices allait faire école, mais il fallut attendre plusieurs siècles pour que cette pratique trouvât une pleine légitimité, au grand regret des pouvoirs successifs qui regrettaient de devoir respecter les coutumes établies, leur permettant difficilement d’adapter ce principe à l’échelle de la France.

Pour décharger les troupes réglées de la garde des places, leur permettre de se consacrer pleinement au combat et aux manœuvres, et lui donner ainsi la possibilité de disposer de troupes en nombre suffisant, au moment où il se préparait à affronter ses adversaires de la Ligue d’Augsbourg, Louis XIV confia au marquis de Louvois, secrétaire d’État à la Guerre, le soin de s’inspirer du principe des anciennes milices communales et des francs-archers, pour organiser les milices provinciales. L’ordonnance du 29 novembre 1688 prévoyait que chaque paroisse, village ou commune devait fournir un milicien. Pendant les deux années de leur service, ceux-ci s’assemblaient chaque dimanche et chaque jour de fête dans le village central de la compagnie pour s’entraîner.

Le 13 juillet 1789, l’Assemblée nationale demanda au Roi de renvoyer les troupes qu’il avait fait venir à Paris pour rétablir l’ordre et de confier la garde de la capitale à la milice bourgeoise. Le lendemain, craignant un débordement populaire, la municipalité de Paris décida de créer une garde qui recruta spontanément dans les couches les plus aisées. Le 15 juillet, Louis XVI nomma Lafayette commandant en chef de la garde parisienne et l’impulsion donnée par cette initiative gagna rapidement la province. L’organisation de la garde nationale fit l’objet d’un décret de 1791, qui prenait soin de supprimer « les anciennes milices bourgeoises, compagnies d’arquebusiers, fusiliers, chevaliers de l’arc ou de l’arbalète, compagnies de volontaires et toutes autres, sous quelque forme et dénomination que ce soit[3] ». Désormais, tous les Français âgés de plus de 18 ans étaient tenus de faire inscrire leurs noms sur un registre détenu par la commune. L’article 3 du décret précisait que les gardes nationales ne formaient ni un corps militaire, ni une institution dans l’État : « Ce sont les citoyens eux-mêmes appelés au service de la force publique ». Mais à la préservation de la sécurité intérieure pour laquelle cette garde avait été créée, s’ajouta bientôt la mission de combattre les ennemis extérieurs.

Pendant tout le règne de Napoléon Ier, les gardes nationaux servirent essentiellement de réserve à l’armée active et furent mobilisés au gré des campagnes. Ainsi, pour renforcer les effectifs de l’armée impériale décimée en Russie, le sénatus-consulte du 3 avril 1813 mettait-il à la disposition du ministre de la Guerre 180 000 hommes et confiait la défense des frontières de l’Ouest et du Midi aux gardes nationales sédentaires.

Maintenue sous des formes diverses par les différents régimes qui se succédèrent, la garde nationale conserva peu ou prou les mêmes missions. Acclamé par ces bourgeois en armes lors de son avènement en 1830, Louis-Philippe en déplora amèrement la passivité 18 ans plus tard, avant d’abdiquer, montrant à quel point cette bourgeoisie, bien souvent « avide de distinctions », n’avait pas dû s’attirer les faveurs du régime au point qu’elle se sacrifiât pour le préserver.

Par décret du 11 janvier 1852, le Prince Président Louis-Napoléon, supprima la garde nationale car, au regard des expériences passées, il redoutait que cette institution, dont les convictions étaient jugées plutôt républicaines, au moins dans son inspiration, ne se retournât contre le pouvoir et « qu’en armant indistinctement tout le monde », elle ne fût « qu’une préparation à la guerre civile ». Elle ne fut réorganisée que dans les localités « où leur concours était jugé nécessaire pour la défense de l’ordre public[4] ». Mais le préambule prenait soin de préciser qu’elle devait être une garantie non contre le pouvoir mais contre le désordre et l’insurrection. Forte de cette ouverture, la garde fut maintenue à Paris. Cette décision allait s’avérer lourde de conséquences car, en dehors de la capitale, les jeunes hommes qui, jusque-là, étaient astreints à un service minimum en étaient désormais déchargés et les communes récupérèrent les armes mises à leur disposition pour les envoyer dans les arsenaux.

Le 3 juillet 1866, l’armée prussienne battait l’armée autrichienne à Sadowa, à la plus grande consternation de Napoléon III. La surprise venait moins de la défaite de l’Autriche que de la nature de la victoire de l’adversaire, de la qualité de son armée, de son commandement, de l’évolution de son armement et de l’exécution de ses manœuvres. Le général von Moltke avait repris à son compte les grands principes dont Napoléon Ier s’était inspiré pour vaincre ses adversaires. Cette défaite et l’effondrement militaire de l’Autriche laissaient la France seule face aux ambitions prussiennes. Partisan convaincu du service obligatoire et du recrutement régional depuis son accession au pouvoir, Napoléon III eut le tort de soumettre son projet à l’approbation d’un comité qui n’était pas acquis à la cause d’une armée nationale. Il attendit le 19 janvier 1867 pour appeler le maréchal Niel au ministère de la Guerre ; cette nomination avait pour objectif de faire voter et appliquer la nouvelle loi militaire dont la disposition principale était l’institution de la garde nationale mobile. Dans l’esprit du nouveau ministre, non seulement elle devait être armée, exercée, appelée périodiquement sous les armes et commandée par les officiers de l’armée active mais il estimait qu’en cas de guerre, elle devait être versée dans les régiments de ligne. Le conseil d’État puis le Corps législatif allaient se charger de la vider d’une grande partie de sa substance, pendant l’année qui suivit. Le 1er février 1868, Napoléon III promulguait la loi Niel ; dans son préambule, son auteur reconnaissait que cette garde ne pourrait atteindre son effectif normal que cinq ans après sa promulgation, soit en 1873.

Hormis certaines dispenses, elle comprenait tous les jeunes gens âgés de 21 à 26 ans, aptes à porter les armes, qui n’avaient pas été retenus dans les contingents annuels prélevés pour l’armée active, qui représentaient environ un tiers de chaque classe. La durée du service dans la garde nationale mobile était de cinq ans. L’effectif théorique était calculé sur cinq classes de 116 000 hommes et sur 15 000 officiers et sous-officiers, soit un total de 550 000 hommes.

En rupture avec le mode de désignation des officiers de la garde nationale organisée en 1830 qui prévoyait la sélection des officiers par un suffrage triennal, la loi Niel précisait que ceux-ci étaient nommés par l’Empereur pour sélectionner les chefs de préférence parmi d’anciens militaires et éviter que les fonctions qui leur étaient confiées ne le fussent par des gens dont la compétence était limitée. Les chefs de bataillon et les capitaines étaient prioritairement sélectionnés parmi d’anciens officiers et parmi les notables jouissant d’une considération à l’abri de toute atteinte et d’une influence due à leurs fonctions, leur nom, leur valeur et leur mérite personnel. Les lieutenants et les sous-lieutenants pouvaient être recrutés parmi les personnes n’ayant jamais servi dans l’armée pour permettre ainsi aux jeunes gens instruits d’accéder au corps des officiers dans la mobile.

Dans les faits, la mise en place de l’encadrement se fit avec beaucoup de précautions pour éviter de désigner des officiers qui fussent hostiles à l’Empire, comme ceux de la garde nationale sédentaire l’avaient été pour la Monarchie de Juillet qui en avait tant redouté la défection. Bien souvent, avant de nommer l’encadrement, l’autorité militaire prenait l’avis de l’administration préfectorale, pour pouvoir écarter ceux dont la fidélité à l’égard du pouvoir laisserait à désirer.

Les gardes devaient être soumis à des exercices qui avaient lieu dans le canton de leur domicile et à des réunions par compagnie ou par bataillon ; la loi limitait ces obligations à quinze exercices par an. Le maréchal Niel avait voulu expérimenter l’instruction des mobiles avec les 18 bataillons de Paris. À partir du 27 juin 1869, les officiers et soldats pouvaient assister à des cours du soldat, du peloton et d’« intonations ». Puis vinrent les convocations ; contre toute attente, au lieu de manier le chassepot, les mobiles durent exécuter des marches et des contre marches, sous un soleil brûlant ; aussi, les rangs s’éclaircirent-ils rapidement au profit des cabarets voisins. Les officiers furent rappelés à l’ordre et invités à apporter plus de sévérité dans l’exercice de leurs fonctions. L’indiscipline prit un caractère si grave que le ministre suspendit finalement les séances d’instruction. Le décès du maréchal Niel, survenu le 13 août 1869, et son remplacement par le général Le Bœuf n’allaient pas arranger la tournure des événements car ce dernier préférait ne pas désavouer les parlementaires peu favorables à cette réforme et qui l’avaient portée au ministère de la Guerre.

 

[…]

 

---------------------------------------------

[1] Général Jean-Baptiste DUMAS : « La guerre sur les communications allemandes », Paris, Berger-Levrault, 1891, p. VII.

[2] Georges DUBY : « Le dimanche de Bouvines », La Flèche, Gallimard, 1998, pp. 50, 76, 80 et 244.

[3] Législation relative à la garde nationale (de 1789 au 22 mars 1831) : recueil de lois, décrets, ordonnances et autres actes de l’autorité concernant la garde nationale, p. 36.

[4] Louis GIRARD : « La Garde nationale », Paris, Plon, 1964, p. 339-340.

Séparateur
Titre : La vaillance malheureuse, l’exploit inachevé, l’essai non transformé
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Denis CHEVIGNARD
Séparateur


Armée