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« Le haut-commandement des armées allemandes en 1870 » du lieutenant-colonel Léonce Rousset

Revue militaire général n°58
Histoire & stratégie
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Retenu en écho à la célébration des 150 ans de la guerre de 1870-71, le thème de cette publication est aussi l’occasion de redécouvrir les enseignements qui en furent tirés. Or ceux du lieutenant-colonel Léonce Rousset - saint-cyrien (1868-1870) qui a fait partie de l’Armée de Metz lors de la guerre franco-allemande de 1870 et a combattu contre la Commune de Paris (1871) ; mais aussi écrivain militaire et député de Verdun de 1902 à 1906 - illustrent parfaitement la bascule d’intensité que constitua pour le haut-commandement français, ce conflit symétrique majeur.


Rousset les exprime notamment et sans concession, dans son livre sur le haut-commandement en 1870. L’extrait qui clôt cette note de lecture, est particulièrement explicite sur le désarroi des généraux français désorientés et éperdus face à une situation de « haute intensité » n’entrant pas dans leur schéma mental forgé par leur expérience opérationnelle. Celle-ci pourtant longue, diverse et pleine de bravoure faillit totalement face à un adversaire novice mais formé à l’étude de la guerre. Une publication de ces pages aurait mérité qu’une analyse y soit associée pour expliquer la nature des critiques portées par l’auteur, mais les faits sont si clairs qu’il est aisé d’établir quelques conclusions sur les risques de situations similaires dans l’avenir.

Aboutissant au même constat, Foch a su en tirer des principes généraux, ce que ne fait pas vraiment Rousset qui à cet égard, est plus factuel dans son analyse. C’est ainsi que, impressionné par « …la faiblesse des Autrichiens [en 1866] qu’aurait dû instruire la guerre de 1859, devant les Prussiens qui ne se sont pas battus depuis 1815. Les premiers ont fait la guerre sans la comprendre (comme d’ailleurs les Français de 1870 qui ont bien guerroyé cependant) ; les seconds l’ont comprise sans la faire, mais ils l’ont étudiée[1] », le lieutenant-colonel Foch put rédiger sa fameuse conférence à l’école de guerre sur les principes de la guerre. Une telle critique pousse même Foch à renier l’axiome en vue que la guerre ne s’apprend que par la guerre et à jeter les bases de ses principes. L’école de la guerre est selon lui insuffisante car elle ne sert pas d’instruction mutuelle aux officiers et donc de préparation aux combats futurs : « faire la guerre sans esprit et sans réflexion n’ouvre pas les idées sur les principes qui la régissent » et « la réalité du champ de bataille est qu’on y étudie pas ; simplement on fait ce que l’on peut pour appliquer ce qu’on sait. Dès lors pour y pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien ». C’est ce même état d’esprit qui transparaît dans la citation de Foch que reprend le colonel Troistorff en introduction de son article dans le dossier de cette présente publication.

Laissons maintenant s’exprimer le lieutenant-colonel Rousset à travers un extrait de son livre « Le Haut Commandement des armées allemandes en 1870[2] ».

Il débute son propos par l’évocation des premiers combats d’août 1870 du 2e corps de l’armée du Rhin commandé par le général Frossard qui passe la frontière pour prendre Sarrebruck. Les Prussiens se sont retirés de la ville mais ils lancent une offensive quelques jours après et remportent de nombreux combats les 5 et 6 août. Cette bataille de Spicheren bien que méconnue, a grandement favorisé l’invasion allemande qui a suivi. En quittant Sarrebruck, Frossard commet en effet de graves erreurs. On lui reprochera notamment d’avoir ordonné la retraite trop tôt alors qu’il possédait encore de nombreuses réserves. Il n’empêche que cette retraite se généralise à toutes les troupes françaises, laissant le champ libre aux Prussiens. Lisons maintenant les enseignements de Rousset :

« L’échauffourée du 6 août n’a pas eu les suites qu’elle comportait ; du moins n’a-t-elle fait que proroger la catastrophe à laquelle était vouée l’armée française. Mais […] c’est uniquement parce que, de notre côté, le haut commandement, désorienté et éperdu, n’a su profiter de rien. Il est devenu tout à coup aveugle, sourd et muet, et, dans son impuissance, n’a réussi qu’à réglementer la confusion et le désordre. Devant un pareil effondrement ; la stratégie prussienne pouvait se donner bien des licences, et ne risquait pas grand’chose à être dirigée de loin. Ses fautes se payaient un peu plus cher, voilà tout ; mais elle avait les moyens d’y mettre le prix, et, à ne trouver jamais devant elle qu’une bravoure impuissante, elle commençait à se sentir rassurée sur l’issue d’une lutte qu’elle n’avait certainement pas entreprise sans appréhension. Car elle existait bien réellement, en dépit de ses imperfections ou de ses défaillances. La nôtre, hélas ! ne représentait que le néant ».

Il ne serait pas équitable, cependant, d’envisager la question à ce point de vue unique. Le commandement à la guerre n’est pas une simple abstraction, inspiratrice des opérations ou des manœuvres. Il est aussi, et plus immédiatement, la source des énergies et le ressort des volontés fécondes. Son influence permanente et souveraine domine encore plus les réalités de l’action que les événements dont elles dérivent. Souvent même, elle corrige les seconds pour les premières, et provoque des résultats supérieurs aux causes elles-mêmes, en suppléant par la vigueur et la ténacité à ce qui manque d’ampleur au concept. On a vu pendant la campagne de 1859 [Guerre d’Italie NDLR], un commandement hardi conduire à des succès prodigieux une troupe de soldats valeureux ; malgré la misère d’une stratégie enfantine. On a vu souvent des généraux compromis, tel Wellington à Waterloo, se tirer, à force d’énergie, d’une situation désespérée. On n’a jamais vu, et on ne verra jamais, la mollesse et l’indolence triompher de la volonté et de la décision.

Lors donc qu’un combat, se fût-il allumé fortuitement ou même à l’encontre de projets formels, a pris, par suite des circonstances, une intensité telle que le rompre devient une impossibilité ou simplement un danger, le devoir du commandement est d’inspirer à tous, officiers et troupes, le sentiment d’une nécessité supérieure à toute combinaison, la nécessité de vaincre. Engager la lutte était une faute, soit. La conduire sans la vigueur nécessaire en serait une autre, et plus grave assurément, parce que la dépression morale que provoquerait une pareille attitude serait le pire de tous les maux.

Quand on se bat, c’est pour triompher, et il n’y a plus alors à se préoccuper de telle ou telle conception stratégique, de telle ou telle manœuvre savante ou subtile qu’on avait pu préalablement rêver. Il s’agit uniquement de démoraliser son adversaire, et de prendre sur lui l’ascendant que, seul, donne le succès. « Une bataille perdue est une bataille que l’on croit perdue » disait le prince de Ligne ; et un général français, résumant d’un mot la morale du combat de Spicheren, a pu écrire, avec un sens profondément philosophique : « le général Frossard, non battu, a cru l’être et il l’a été ; le général de Zastrow, à moitié battu, mais ne voulant pas l’être, ne l’a pas été. Voilà le secret de la victoire prussienne ».

Quant au résultat, je disais tout à l’heure qu’il ne valait pas les 5 000 hommes qu’il avait coûtés. Peut-être ai-je eu tort, car, à tout prendre, le retentissement de cette victoire, stratégiquement nulle, a été énorme. Elle a exalté les Allemands, déprimé encore davantage le commandement français, et contribué à l’affolement déplorable de l’opinion et de la presse[3]. Elle n’était donc point stérile, tandis que le moindre échec fût devenu désastreux.

Mais à qui les Prussiens la doivent-ils, puisque leur généralissime ne l’a ni préparée, ni dirigée, ni voulue ? Est-ce à leurs troupes ? Non, certes, car les nôtres valaient mieux, sinon par la quantité, du moins par la qualité, et la supériorité numérique de l’assaillant ne compensait pas cette différence. La bravoure déployée par le 2e corps a dépassé tout éloge, et ne pouvait être plus haute. Est-ce donc à l’excellence de leur tactique ? Pas davantage, car, à proprement parler, celle-ci n’a existé que dans le détail et nulle part un effort combiné n’a été même esquissé.

C’est le commandement seul qui est responsable du succès, parce qu’il en a été le facteur unique, et par commandement, il faut entendre ici l’action matérielle et morale exercée hiérarchiquement et sur place par les détenteurs de l’autorité, c’est-à-dire par les chefs directs de la troupe.

Jamais, peut-être, on n’a vu dans une armée accord plus complet de vues, concours plus absolu de volontés, ni concordance d’efforts plus entière. Une fois la 14e division [prussienne qui mena l’offensive] aux prises avec l’ennemi, c’est à qui lui amènera des renforts, à qui la fera soutenir dans sa tâche. Qu’elle ait eu raison ou tort de s’engager, personne n’en a cure. Elle a, dans un but déterminé qui lui a paru s’imposer, entrepris une affaire délicate ; cela suffit, on l’aidera. […] Le spectacle n’était pas moins suggestif sur le champ de bataille, où quatre généraux, appelés successivement par le privilège de l’ancienneté ou du grade à exercer le commandement, donnaient l’un après l’autre l’exemple de l’accord le plus parfait et de la plus étroite communion de vues. Ici, le canon avait ruiné toute velléité d’indépendance et étouffait tout sentiment autre que celui de la solidarité. On rivalisait, du haut en bas de l’échelle, pour donner à un acte discutable d’initiative la consécration du succès. Le concours de toutes les bonnes volontés, de tous les instincts militaires était si fermement mesuré et si formellement acquis, que leur combinaison procurait aux troupes jetées là par éléments disparates et s’infiltrant sur le terrain, comme on l’a dit, « goutte à goutte » une puissance de cohésion presque égale à celle de solides unités constituées.

Dans ce concert impeccable, à peine a-t-il été possible de relever deux dissonances ; car ni l’abstention du général de Zastrow, qui n’a pas osé donner un ordre ferme, ni la mollesse du général de Gneisenau, qui n’a pas su amener sa division, n’ont eu d’imitateur. Ces défaillances sont bien peu de chose au regard de l’indécision, de la lenteur et de l’incohérence qu’ont montrées les diverses unités du 3e corps français, dont pas une, dans le désordre d’une direction vacillante et timorée, n’a pu, malgré le peu de distance, secourir le général Frossard !

Et cependant, les généraux français étaient, à un bien plus haut degré que les Allemands, des hommes de guerre, des vétérans dont on ne comptait plus les campagnes ni les actions d’éclats. Depuis leur naissance à la vie militaire, ils n’avaient presque jamais cessé de batailler, et certains d’entre eux même jouissaient d’un prestige que leurs adversaires leur enviaient. A ceux qui citaient orgueilleusement leurs courtes prouesses de la guerre de Bohême, ils pouvaient répondre par une longue théorie de dates glorieuses, Afrique, Isly, Sébastopol, Grande Kabylie, Magenta, Solferino, Puebla ! Ils étaient braves autant que les plus braves, et se croyaient invincibles parce qu’ils étaient invaincus.

Hélas ! Si leur illusion était profonde, le réveil a été bien douloureux ! Ils ont connu très vite, à leurs dépens et aux nôtres, que le courage, chez le chef, devient presque une vertu négative s’il ne s’allie à d’autres qualités concrètes et principales, le jugement, la décision, la méthode, la doctrine, dont l’ensemble constitue l’essence même du commandement. Ces qualités, que n’avaient pas développées chez eux les campagnes de nature spéciale auxquelles ils avaient pris part, ils les dédaignaient, ou mieux ils les ignoraient, tandis que leurs antagonistes avaient mis à les acquérir et à les exploiter toutes les forces de leur intelligence et de leur volonté.

 

[…]

 

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[1] Lieutenant-colonel Ferdinand Foch : « Des principes de la guerre » Paris Berger-Levrault, 1903, page 5.

[2] Op. cit. Pages 57 à 66.

[3] Toute comparaison avec la situation actuelle n’est pas volontaire.

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Titre : « Le haut-commandement des armées allemandes en 1870 » du lieutenant-colonel Léonce Rousset
Auteur(s) : Colonel (R) Philippe COSTE
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