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L’influence de l’Égypte dans le monde arabe aujourd’hui

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 44
Relations internationales
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Aujourd’hui, si l’Égypte est toujours et indéniablement une grande puissance régionale, culturelle et militaire arabe, dotée d'un pouvoir politique restauré, elle reste cependant criblée de faiblesses démographiques, économiques et sécuritaires.


En 2015, l’Égypte officialise l’achat auprès de la France de 24 Rafales français et de deux bâtiments de projection et de commandement. Ainsi, et pour un montant de plus de six milliards d’euros, elle semble s’attacher à conserver une place de premier ordre au sein du monde arabe; mais y parvient-elle vraiment et a-t-elle les moyens d’influencer le monde arabe aujourd’hui? Est-elle, au lendemain des révoltes populaires qui ont renversé successivement deux régimes, capable de s’affirmer en tant que puissance moderne?

 

En 2011, les mouvements de révolte arabe initiés en Tunisie en réponse aux abus du gouvernement Ben Ali se propagent aux autres pays voisins (Algérie, Libye, Bahreïn, Yémen, Syrie…). L’année suivante, ne pouvant plus faire face à la pression populaire, Hosni Moubarak, à la tête de l’Égypte depuis trente ans, remet sa démission. Brutalement, le pays semble alors prêt au changement qui ouvre la voie vers plus de démocratie, davantage de libertés individuelles et un renouveau économique. Mais, rapidement, les ambitions des manifestants s’estompent au fur et à mesure que l’armée s’empare par la violence des pouvoirs censés préparer à la transition démocratique. Seule force politique viable, le parti des Frères musulmans accède légalement et pour la première fois au pouvoir lors des élections législatives, puis présidentielles. C’est pourtant un parti totalitaire, réprimé sous Nasser et qui revendique l’islamisation de la vie politique et l’application de la chari’a. Son candidat, Mohamed Morsi, dirige alors l’Égypte. Mais après quelques mois seulement, ce nouveau gouvernement est renversé par un coup d’État militaire en juillet 2013. Abdel Fattah al-Sissi, ancien ministre des armées, s’engage alors à redresser le pays en l’espace de deux ans.

Aujourd’hui, si l’Égypte est toujours et indéniablement une grande puissance régionale, culturelle et militaire arabe, dotée d'un pouvoir politique restauré, elle reste cependant criblée de faiblesses démographiques, économiques et sécuritaires telles qu'elle dépend des perfusions financières extérieures, américaines et arabes.

Comme elle l’a démontré dans le passé, l’Égypte s’est forgée une place de choix dans le monde arabe. Mais les différentes difficultés qu’elle traverse actuellement et dont elle ne semble pas parvenir à se défaire sont encore trop nombreuses pour laisser une chance aux quelques progrès affichés.

 

De par sa situation entre Maghreb et Machreck, entre Méditerranée et continent africain, l’Égypte bénéficie d’une situation géographique privilégiée. Concernant le monde arabe, elle est pour ainsi dire au carrefour entre deux mondes très différents que l’histoire a unis durant la période ottomane. C’est justement durant cette même époque qu’elle s’est affirmée en tant que grande nation et en tant qu’exemple pour les provinces arabes soumises à la Sublime porte de Constantinople.

 

Alors même qu’il était sous domination ottomane, le pays a rapidement suscité les convoitises européennes. L’expédition de Bonaparte de 1798 à 1801 a été vécue comme un véritable choc par cette province ottomane, choc lié à l’avancée technologique et culturelle de la France. Cette pénétration européenne a aussi et surtout été à l’origine de la renaissance intellectuelle, la Nahda, qui allait s’étendre progressivement durant le XIXème siècle aux différentes provinces arabes. Des auteurs tels que Rifa’a al-Tahtawi ou, à une époque plus contemporaine, Naguib Mahfouz, seul écrivain arabe prix Nobel de littérature, ont participé à l’image d’une Égypte source de savoir. L’avance qu’elle a prise dans le domaine des sciences est d’ailleurs consacrée par l’ouverture de l’université du Caire en 1908. Durant cette époque de renouveau, c’est l’armée qui a probablement le plus profité des efforts de modernisation. Méhémet Ali (1769-1849), militaire d’origine albanaise qui gravit la hiérarchie et s’empare habillement du pouvoir en 1805, inaugure d’importantes réformes en instaurant notamment la conscription. Dès lors, son armée met la main sur de nombreux territoires, rétablit l’ordre au nom du sultan ottoman et confère surtout à l’Égypte une plus grande autonomie. Au cours du temps et en dépit du protectorat instauré par la Grande-Bretagne en 1882, le pays s’affiche comme celui de l’émancipation du joug ottoman ou colonial et obtient un début d’indépendance dès 1922. Cet héritage militaire est encore bien présent aujourd’hui, l’armée égyptienne étant la force la plus importante du continent africain. Forte de 500.000 hommes pour une population de 85 millions d’habitants, elle s’appuie également sur le ministère de la production militaire ou l’Organisation arabe pour l’industrialisation, ce qui lui confère une puissance économique de premier ordre. Toutefois, décrire l’armée égyptienne ne peut se faire sans évoquer sa dépendance vis-à-vis des financements extérieurs.

En premier lieu, l’aide américaine mise en place depuis les accords de Camp David en 1978 et quasi ininterrompue depuis. Celle-ci a été estimée à 1,3 milliard de dollars pour 2013, soit près d’un tiers de son budget et couvrirait 80% de ses dépenses d’équipement. La dépendance vis-à-vis des États-Unis a pris un autre visage lorsque le Caire a fait le choix en 1991 de s’engager dans la coalition américaine contre l’Irak. Si cette stratégie lui a permis d’effacer la dette militaire contractée par Sadate auprès des Américains (environ sept milliards de dollars), elle a surtout mis en évidence un manque de solidarité entre pays arabes. De plus, l’économie égyptienne dépend aujourd’hui beaucoup de la volonté des États du Golfe. Alors que les soulèvements de 2012 et 2014 s’étaient bâtis sur fond de crise économique, que le gouvernement de l’ex-président Mohamed Morsi avait dû faire face à des pénuries d’essence et à des pannes d’électricité sans précédent, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont généreusement apporté une aide financière de huit milliards de dollars à l’Égypte dès la prise de pouvoir par Abdel Fattah al-Sissi. Ainsi, pour le nouveau gouvernement, la reprise économique est cruciale au même titre que la lutte contre le terrorisme; ce sont les deux objectifs clés de la politique actuelle. Dans ce cadre-là, l’année 2015 s’est conclue sur un bilan économique plutôt positif. En effet, en dépit d’une industrie d’extraction à la peine en raison de la chute des cours des hydrocarbures, d’autres secteurs, notamment manufacturiers, touristiques ou liés à la construction, ont stimulé l’économie locale. Sur ce point-là, les premiers mois de l’année 2016 s’annoncent très prometteurs pour l’économie locale; la Chine a passé des accords avec l’Égypte pour un investissement total de 15 milliards de dollars dans l’électricité, les transports et l’infrastructure. À cela, il convient d’ajouter la part croissante des revenus du canal de Suez. Abdel Fattah al-Sissi a lancé le pari de son extension pour doubler la capacité de passage maritime et faire progresser ses revenus actuels, passant ainsi de cinq à 13,2 milliards à l’horizon 2023. Si le montant des prévisions peut porter à discussions, cette entreprise menée par le président s’avère être déjà un succès. D’abord, parce que le projet a été finalisé en un an comme il l’avait annoncé, mais surtout parce que le président a réussi à impliquer directement la population égyptienne, qui a participé à hauteur de 80% du financement. Ce faisant, il a atteint un objectif important: celui de fédérer les Égyptiens autour de ses projets et de sa politique.

 

Du moins, c’est ce que l’on peut croire dans une première approche. La vérité est cependant toute autre car, même si le pouvoir en place semble être restauré, la société égyptienne actuelle demeure fortement divisée et le territoire difficilement contrôlé.

 

Puisque les deux premiers mouvements populaires ont eu raison des régimes de H. Moubarak puis de celui de M. Morsi, l’actuel gouvernement militaire d’al-Sissi, conscient du risque d’une nouvelle grogne populaire, a cherché l’adhésion de sa population par divers moyens quitte à étouffer les premières tentatives contestataires. Au lendemain de la chute de M. Morsi, le président par intérim avait annoncé une feuille de route prévoyant des élections et l’élaboration d’une nouvelle constitution. Celle-ci a été adoptée par référendum en 2014 après avoir été préparée par un «comité des 50» constitué de personnalités triées et ne comptant que cinq femmes. Une fois élu, le président al-Sissi s’est donné deux ans pour redresser la situation du pays, ravagé par quatre années d’instabilité politique. D’un point de vue politique, on peut affirmer que le processus démocratique progresse grâce à la tenue d’élections présidentielles et législatives. Mais ce sont des mesures qui masquent cependant la réalité d’un système fortement contesté qui favorise le soutien à al-Sissi tout en évitant que ne reproduise le phénomène électoral qui a conduit les Frères musulmans au pouvoir. L’expérience du président Moubarak déchu, de l’accession au pouvoir des Frères musulmans démocratiquement élus a très probablement suffi à al-Sissi pour que ce dernier décide de réduire les libertés offertes par les scrutins et pour mener des campagnes de réduction des soutiens de l’ancien président M. Morsi. Ainsi, dès septembre 2013, les Frères musulmans sont arrêtés par milliers et leurs biens sont saisis. Ils deviennent par décret une organisation terroriste en décembre 2013, ce que fera également l’Arabie saoudite quelques mois plus tard. À partir de là, le climat dégénère rapidement, une ambiance de suspicion réciproque s’installe. Au printemps 2014, la justice condamne à mort des centaines de partisans de M. Morsi, dont M. Badie, chef de la confrérie. Le magistrat M. Nagy Shehata symbolise cette orientation actuelle d’une justice expéditive et pro-al-Sissi. À la tête de la Cour extraordinaire pour juger les affaires de terrorisme, il affiche un zèle réel pour les condamnations collectives, à mort ou à perpétuité, et sans prendre en compte les droits individuels. En 2014, lors de procès collectifs, il a ainsi condamné 183 personnes à la peine capitale et 230 à la prison à vie. Cette violente répression déchire le pays. Plutôt que de mater la rébellion, elle attise la révolte et peut même faire basculer les plus hésitants vers l’extrémisme. C’est probablement là l’une des forces majeures des groupes d’activistes qui opèrent régulièrement au Caire et dans la «zone tampon» du Sinaï. D’ailleurs, la menace terroriste ne peut plus se résumer à un rapport pro-al-Sissi contre pro-Morsi; c’est à présent une menace aux multiples visages qui secoue régulièrement le pays en dépit d’un renforcement sécuritaire aussi répressif qu’aveugle. Au Caire, des nouveaux groupuscules, nourris par la haine contre le pouvoir en place, ont vu le jour. «Résistance populaire», «Molotov» ou encore «Ajnad Masr» sont nés de la radicalisation de jeunes générations face à la répression. Et ils constituent un recrutement de choix pour les groupes les plus radicaux prônant le djihadisme global en Syrie ou dans le Sinaï. Coupée du reste de l’Égypte, la région du Sinaï demeure une zone soumise à l’état d’urgence, contrairement au reste du pays. Elle abrite désormais le groupe «Province de Sinaï», qui a fait allégeance à l’EI en novembre 2014 et qui a accru ses capacités de frappe tout en se rapprochant des groupes actifs en Syrie, en Irak ou en Libye.

La population du Sinaï est pourchassée et séparée du reste de l’Égypte; cela déstabilise le pays et le prive d’une partie de ses compétences humaines. Ceci est accentué par le fait que l’Égypte souffre depuis plusieurs années du départ à l’étranger d’une partie de sa population qualifiée. Aujourd’hui, le nombre total d’émigrés égyptiens, difficilement quantifiable car nombre d’entre eux sont en situation illégale, oscillerait entre trois et sept millions. Ces émigrés travaillent dans le Golfe pour l’essentiel, dans la Libye voisine, mais aussi en Europe ou en Amérique du nord. Ce phénomène met l’accent sur l’incapacité pour ce pays à pourvoir aux besoins fondamentaux de sa population et à la fédérer autour d’une dynamique économique nationale qui le mettrait au premier plan régional. En revanche, il accroît sa dépendance vis-à-vis des pays étrangers pourvoyeurs d’emploi et de revenus.

 

Au final, l’Égypte ne semble pas avoir saisi l’opportunité d’une réelle remise en question lui permettant à court terme d’apporter un souffle nouveau à toute la région. Elle devrait, pour ce faire, commencer par repenser sinon renverser définitivement ce qui l’enracine dans les valeurs passées et l’empêche de se renouveler. La puissance démesurée de l’armée et le poids de la religion sont deux facteurs qui freinent son développement. Ainsi, le renforcement des capacités militaires contribue d’abord au renforcement du pouvoir en place. Mais peut-être les Égyptiens eux-mêmes sont-ils incapables de concevoir leur avenir autrement que par la force militaire depuis la révolution de 1952 et l’accession au pouvoir des officiers libres?

Peut-être sont-ils tout autant incapables de se défaire de la religion qui divise tant le pays et menace son intégrité territoriale? D’ailleurs, la nouvelle constitution consacre toute sa place à la religion plutôt qu’elle la limite. Ainsi, l’article 2 stipule que «l’Islam est la religion de l’État et l’arabe la langue officielle…» et que «… les principes de la chari’a islamique constituent la source principale de la législation…». Cette nouvelle constitution offre de même de belles perspectives à l’université d’al-Azhar qui est désormais «…la principale référence pour les questions religieuses et le monde…(Art.7)».

 

Enfin, est-il possible que l’Égypte d’aujourd’hui accède bientôt à davantage de démocratie? Tout semble indiquer que non car le président actuel joue un rôle essentiel pour la stabilité et l’avenir du pays. Comme ses prédécesseurs historiques, Abdel Fattah al-Sissi cherche à inscrire son action dans la durée en s’appuyant sur des projets monumentaux. Et, comme eux, il est parvenu à asseoir son autorité auprès d’une audience internationale, principalement arabe. Quitte à confirmer ou à accroître la dépendance de l’Égypte.

 

 

Références:

  • Jean-Yves Cara et Charles Saint Prot «Évolution constitutionnelle de l’Egypte» avec le texte de la Constitution de 2014. Éd. OEG, 2014.
  • Vincent Battesti et François Ireton «L’Égypte au présent, inventaire d’une société avant révolution». É Actes Sud, 2011.
  • Henry Laurens «L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945». Éd Collin, 2000.
  • Sophie Pommier «Égypte, l’envers du décor». É La Découverte, 2008.
  • Chantal Verdeil, Delphine Pages-El-Karoui, M’hamed Oualdi «Les ondes de choc des révolutions arabes». Open Edition Book, 2014.
  • Mériam N. Belli «An incurable past : Nasser’s Egypt then and now». Ed. University Press of Florida, 2013.
  • Galal Amin «Whatever happened to the Egyptians?». The American University in Cairo Press, 2000.

 

 

Après avoir intégré l’École militaire interarmes en 2003, le Capitaine Jean-Jacques CAMPANER a choisi de servir dans l’arme du matériel. Chef de la section de maintenance du 7ème régiment du matériel détachée auprès du 4ème régiment de chasseurs de Gap, il participe successivement à l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2007 puis à la mission ISAF de l’OTAN en Afghanistan en 2008. Toujours au 7ème régiment du matériel de Lyon mais comme commandant d’unité élémentaire, il est déployé avec sa compagnie en Afghanistan de 2011 à 2012. Après avoir ensuite servi au sein du corps de réaction rapide de Lille, il est affecté au CESAT/EMSST pour suivre une scolarité en arabe auprès de l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris.

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Titre : L’influence de l’Égypte dans le monde arabe aujourd’hui
Auteur(s) : le Capitaine CAMPANER
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