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Limitons les limitations

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La version provisoire de la MEDO publiée par le CDEF sous le nom de MEDO-T mentionne, en lieu et place des contraintes, des « limitations », « contraintes » et « restrictions », nouveautés qui ont déclenché une intense cogitation dans le microcosme des formateurs (et que dire de celui des formés ?) On se perd en conjectures sur les causes et les conséquences de ces changements de termes, certains n’hésitant pas à y voir un changement de méthode.


En réalité il n’y a pourtant aucun changement d’aucune sorte, le CICDE ayant juste, par une étrange déformation mentale, brutalement décrété que la nécessaire interopérabilité passait par l’adoption d’homonymes français aux termes employés en Anglais, quitte à tenter d’effacer d’un trait de plume des siècles d’usage.

Jusqu’ici les méthodes de raisonnement françaises ne connaissaient que des contraintes, dont des usages récents avaient fini par altérer la signification. La décision du CICDE, entérinée de fait par le CDEF au nom d’une sacro-sainte « interopérabilité », ouvre un abyme de questions : Faudra-t-il désormais remplacer systématiquement des termes français consacrés par l’usage par leur équivalent anglais afin d’être « interopérables » ? Les synonymes sont-ils vraiment synonymes ? Et pour s’en tenir à la MEDO et à sa logique intellectuelle : quels sens nouveaux les termes adoptés apportent-ils à la méthode ? Faut-il y voir une altération méthodologique ou seulement un changement de termes sans conséquences aucunes ?

Depuis au moins deux générations, l’usage militaire français employait le mot « contraintes » pour exprimer toutes limites imposées d’autorité par un chef à la liberté d’action qu’il concédait à ses subordonnés. Dans l’usage commun, le terme a un sens un peu plus large car, si Larousse le définit comme une nécessité à laquelle on soumet quelqu’un ou un acte ayant pour but de forcer à faire quelque chose, Robert, lui, y voit également plus généralement une entrave à la liberté d’action, que cette entrave résulte d’une volonté ou d’une situation de fait. 

Ce sens général avait d’ailleurs fini par prévaloir dans le TTA 106 et la MEDO 2009 qui définissaient les contraintes comme des « prescriptions ou données objectives de toute nature imposées et constituant une entrave à la liberté d’action du chef, entraînant des mesures à prendre.» La notion de « donnée de toute nature » dont on ne disait pas par qui elle était imposée - par le chef ? ou par l’environnement ? - avait fini par s’étendre à toute difficulté d’apparence insurmontable, effaçant de fait la notion de prescription. La définition du TTA 106 est fautive et introduit un biais, non par rapport à l’usage commun mais par rapport à la logique de la méthode, laquelle étudie les « données objectives de toute nature » avec les facteurs temps, terrain, forces amies et forces ennemies, et considère en principe que rien n’est jamais impossible et que seules des directives peuvent interdire absolument certaines actions. Dans le contexte particulier des processus décisionnels, la contrainte serait donc plus pertinemment définie comme une « prescription constituant une entrave impérative à la liberté d’action. » 

 

Il ne s’agit pas ici de nuances sémantiques purement théoriques : lorsqu’un traitant baptise « contrainte » le fait que la traversée de telle rivière s’avèrera extrêmement difficile, il veut exprimer l’avis que cette traversée est impossible pratiquement – opinion toujours gravement excessive - alors qu’il exprime l’idée qu’elle est interdite en quelque sorte juridiquement. Or aucune traversée n’est réellement impossible et, si une manœuvre envisagée exige de la réaliser, la question sera pour ce traitant de dire quelles conditions et quelles moyens seront nécessaires et donc de proposer au chef des choix. Baptiser contrainte une telle donnée est donc une erreur méthodologique grave et non une vague imprécision sémantique. 

 

Il se trouve que l’usage militaire anglais et américain appelle ces contraintes  « limitations » et croit bon de distinguer parmi elles des contraintes positives ou obligations qu’il dénomme « constraints » et des contraintes négatives ou interdictions qu’il dénomme « restraints »(1).

Cet usage ne change rien à la signification des termes. Les « limitations » résultent en théorie de prescriptions du supérieur, comme chez nous elles revêtent un caractère impératif, comme chez nous on les trouve dans les ordres reçus et on les étudie comme des faits d’où on tirera des conclusions. Et comme chez nous mais pas plus, le niveau de maîtrise méthodologique de la masse des traitants, cumulé aux fatigues des exercices ou campagnes, aux désordres organisationnels, et aux approximations pédagogiques(2) conduit à de dangereuses erreurs de méthode propres à mener vers des conclusions totalement erronées. 

Les termes adoptés par le CICDE ne sont pas fautifs en eux-mêmes. Il s’agit de termes incontestablement français et la lecture du dictionnaire indique que leur sens est proche du mot contrainte. Contrainte et restriction dérivent tous deux de la racine latine –stringere (3), serrer, et « limitation » se définit comme l’action d’imposer des limites, avec comme synonyme « restriction ! »

 

On pourrait donc estimer que la décision du CICDE n’a pas de conséquence grave, si on ne tenait compte du fait qu’elle vient contredire un usage commun ancré de longue date, qu’elle crée une confusion propre à réduire encore l’efficacité des états-majors, alors même que ce changement n’apporte strictement aucun avantage nouveau. On ne peut pas soutenir sérieusement que l’homonymie serait de nature à améliorer la compréhension mutuelle entre les alliés. Tout esprit est capable de concevoir que l’Anglais dit d’une façon ce que le Français dit autrement. La nouveauté qu’on prétend introduire ici n’a aucun intérêt et crée un inutile désordre. Il faut donc la rejeter au motif que ce qui ne rapporte rien est toujours trop cher. C’est pourquoi l’école d’état-major a décidé pour l’heure de s’en tenir à l’usage et de conserver le terme « contrainte » dans l’emploi qui était le sien.

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(1) Les documents de doctrine, les plans et les ordres mentionnent donc indifféremment les « limitations » en général ou plus précisément les « constraints and restraints », ce qui revient précisément au même.

(2) Tous les staff officers US ont appris que les constraints sont des « must do » et les restraints des « must not do ». Mais le sens vague du verbe must, qui signifie aussi bien qu’on a le devoir de le faire ou qu’on a intérêt à le faire, conduit à une confusion totale entre contraintes et impératifs, confusion qui est patente aussi bien dans les EM français.

(3) Qui donne restringere, astringere, constringere, qui tous ont le sens de resserrer d’une manière ou d’une autre.  Une mention spéciale pour constringere d’où dérive « contrainte » mais aussi « constrictor » : comment mieux exprimer le fait qu’imposer des contraintes finit par étouffer ou « incapaciter » le subordonné ?

 

 

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Titre : Limitons les limitations
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
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