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Réflexions sur les évolutions technologiques et la supériorité tactique

Réflexion Libre
Tactique générale

Crédit photo ECPAD
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L’évolution des armes est-elle « au cœur de la compréhension des batailles » ou au contraire « indigne d’une étude académique » ?


Je crois devoir répondre au propos d’un éminent confrère commis dans un récent numéro de la Lettre de la doctrine (1), tendant à réduire les facteurs d’évolution de la tactique à la seule question de l’évolution technique des armements, à coup d’exemples historiques dont l’interprétation me parait entachée d’une certaine mythologie.

La question n’est pas de savoir si l’évolution des armes est « au cœur de la compréhension des batailles » ou au contraire « indigne d’une étude académique ». Aucun historien sérieux n’a jamais mis en doute l’importance de l’évolution des armements et son lien avec celle de la tactique. A l’inverse, les exemples de réduction des facteurs de la tactique à ce seul facteur des armements sont légion et les interprétations erronées qui en ont résulté ont souvent conduit à de graves mécomptes.  


Il est relativement facile d’observer les effets physiques produits dans le combat par telle unité équipée de tel armement. Il est infiniment plus compliqué d’isoler, dans les causes des résultats d’un combat, les effets physiques des effets psychologiques, et plus encore, parmi les innombrables facteurs influant sur les effets tactiques, ce qui tient exclusivement aux caractéristiques techniques des armes. Les effets dévastateurs d’un armement nouveau ont toujours stupéfié les contemporains, focalisé les commentaires, fourni au vaincu un alibi, au vainqueur un motif de gloire, au marchand de canons une publicité, au monarque une bonne raison d’augmenter les impôts.

Et à tous une excellente raison de négliger l’étude d’une multitude d’autres facteurs, étude politiquement dangereuse, économiquement inepte, intellectuellement aride, et pour laquelle les anciens manquaient des outils que mettent à notre disposition les sciences et  la technologie modernes. D’où une tendance universelle à la « reductio ad technologia », aggravée par la tournure scientiste des Lumières puis par la prétention prométhéenne de l’industrie moderne, qu’ébranlèrent à peine les nouvelles sciences humaines, significativement qualifiées de « molles ».  


La supériorité de la légion sur la phalange macédonienne doit plus à l’articulation manipulaire adoptée après les guerres samnites et liée aux réformes sociales et militaires de la République, à une organisation et à une discipline rigoureuses, à une tendance nationale à tirer les leçons des défaites et à adopter équipements et matériels étrangers dès qu’ils sont éprouvés (2) , qu’à une supposée facilité à pivoter, donnée au légionnaire par son pilum comparé à l’encombrante sarisse: si la sarisse était techniquement condamnée au IIème siècle av. J.C., comment la pique aurait-elle de nouveau dominé les champs de bataille du XVème au XVIIème ap. J.C. ?   


Ce ne sont ni les caronades, « innovation » vieille alors de plus de vingt ans, ni le choix de « rompre la ligne », tactique déjà pratiquée par Suffren en plusieurs occasions (3), qui valurent  à Nelson la victoire de Trafalgar et le firent entrer dans la légende, mais l’écrasante supériorité manœuvrière de ses capitaines et de ses gabiers, amarinés par quinze années de croisières ininterrompues devant Brest et Rochefort, payées de graves mutineries, face à des équipages français désorganisés par la Révolution, privés d’officiers par la Terreur et l’émigration, et cloués au port durant de nombreuses années. Sans compter l’emploi d’un code de signaux  plus efficace et la difficulté pour les alliés de coordonner les manœuvres de bâtiments et d’équipages de deux langues et deux nations différentes.
                                                         
Le succès défensif du 93 Higlanders à Balaklava n’est guère qu’une image d’Epinal et il ne doit sans doute pas grand-chose au rifle muskett pattern 1851, fusil rayé certes, mais de gros calibre et de portée encore réduite, à platine à percussion et chargement par la bouche, développé pour tirer la balle Minié française. En l’occurrence, il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’une attaque secondaire de cavalerie donnée en montée par de la cavalerie très légère (les cosaques ont toujours été réputés dans l’armée russe pour leur mauvaise tenue au feu), avec un effectif inférieur d’un tiers et sans appui de l’artillerie, contre une infanterie formée selon la règle du temps et universellement reconnue depuis deux siècles pour la puissance de son feu et sa fermeté en défensive (les généraux d’Espagne disaient qu’elle était inexpugnable), ait été repoussée. C’est pourquoi les exceptionnels mérites du pattern 1851 furent si peu reconnus que sa production ne dura que deux ans (4) et qu’il fut remplacé immédiatement par le Pattern 1853, de calibre plus petit et plus précis, qualités qui ne lui auraient d’ailleurs donné aucun avantage face à de la cavalerie sur les collines de Balaklava…


Si les mitrailleuses de Reyffie furent bien employées comme des batteries d’artillerie en 1870, il ne s’ensuit pas qu’elles furent déployées « à l’arrière des mouvements de l’infanterie » et loin de la ligne de feu. En raison de sa portée et de ses trajectoires tendues, l’artillerie française était justement, contrairement à son adversaire, peu capable de tirer par-dessus les troupes et continuait en conséquence de se déployer en avant de la ligne, et les mitrailleuses ne firent pas exception. Et s’il fallut attendre en réalité 1913 pour que l’infanterie dispose de mitrailleuses (à raison d’une section de deux pièces par bataillon), c’est sans doute avant tout que les premiers matériels s’apparentaient à de l’artillerie légère par leurs contraintes de mise en œuvre et que leur rareté rendait leur emploi concentré plus souhaitable pour obtenir des effets tactiques importants.  


Aucune arme ni aucun système nouveau n’a jamais à lui seul expliqué une victoire, une défaite, ou une évolution des formations, dispositifs et manœuvres constituant ce qu’on appelle la tactique. Le succès et l’échec tactiques résultent toujours de la combinaison d’une multitude de facteurs techniques, industriels, logistiques, administratifs, démographiques, géographiques, politiques, culturels, sociaux, sanitaires, psychologiques, moraux, organisationnels, etc. et plus encore de la confrontation, heureuse ou pas mais toujours contingente, d’une combinaison contre une autre sur un terrain et dans une circonstance particulière. D’où le caractère profondément hasardeux des « leçons » générales et définitives tirées dans l’émotion de « l’affaire » comme des interprétations ultérieures. D’où également l’apparente « cécité » des contemporains, leur lenteur à adapter leurs méthodes et la propension de leurs successeurs à toujours « préparer la guerre d’hier » en croyant préparer la suivante.  


Réduire l’histoire militaire à un exposé de facteurs rationnels est vain, chercher à y deviner les évolutions futures est pire. Aucune simulation n’a jamais permis de prédire les effets tactiques que produiraient telle ou telle arme nouvelle dans la bataille future. La guerre s’est presque toujours révélée le seul banc d’essai valable et l’ennemi non seulement le meilleur mais le seul instructeur (5). Et il n’est pas impossible que la prétention contemporaine à prédire l’avenir, grâce à des modèles mathématiques élaborés mais basés sur des données à la fiabilité douteuse, se révèle finalement comme un vain avatar de la consultation des Pythies.

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(1) Colonel P. Santoni, Opportunités technologiques et perspectives tactiques, in Lettre de la doctrine n°7, CDEC, Paris, mars 2017

(2) Pour les importations techniques pratiquées par les Romains, au pilum d’origine samnite ou gauloise, et au gladius d’origine ibérique, on pourrait ajouter le scutum lui aussi samnite ou gaulois, le casque d’inspiration celte, la dolabra, les caligae gauloises, etc.

(3) Avec des bonheurs inégaux, compte tenu notamment de la résistance de ses capitaines et de l’inhabileté de ses équipages, justement !
                                                          
(4) Longévité à comparer à celle de son prédécesseur, le Brown Bess, resté en service de 1722 à 1838 !

(5) Comme le montre fort à propos le capitaine Legrand, dans le même numéro de la même publication, à propos des résultats des multiples expérimentations menées avant 1914 pour déterminer les règles d’emploi du 75.

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Titre : Réflexions sur les évolutions technologiques et la supériorité tactique
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
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Armée