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Petite histoire des grandes unités

Réflexion Libre
Engagement opérationnel
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Tandis que la doctrine et les discours consacrent, au-dessous du commandement « opératif »,  trois sacro-saints « niveaux de commandement tactiques terrestres », substituts incompris aux grandes unités interarmes de jadis, comme une condition de la cohérence du commandement, l’observation des opérations réelles montre que nous ne mettons en œuvre la plupart du temps en tout et pour tout qu’un seul échelon de commandement.


Une étude rapide de l’histoire des grandes unités interarmes, appliquée aux conditions d’aujourd’hui, permettrait de mieux comprendre que, comme au XVIIème siècle, nous n’avons plus besoin aujourd’hui que d’un commandement d’armée dirigeant directement les échelons d’exécution.

 

Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, les armées en campagne ne connaissaient que deux échelons de commandement : l’armée et le bataillon (1). Toute force militaire isolée sur un des théâtres de la guerre était appelée « armée », placée sous le commandement d’un  « général (2) », entouré de nombreux lieutenants-généraux qui prenaient chaque jour à tour de rôle le commandement en son nom.

 

L’armée en principe restait toujours groupée, toute division ou détachement, dans les conditions de déplacement de l’époque, la mettant en danger de ne pouvoir se regrouper en cas de rencontre avec l’armée ennemie. On n’en séparait des corps (3) importants qu’exceptionnellement, pour les besoins d’une avant-garde, d’une arrière-garde ou pour toute autre mission jugée nécessaire qu’on confiait alors ordinairement à un lieutenant-général. Le bataillon et l’escadron étaient le pion tactique de base et l’unité de compte des armées.

 

Comme les régiments qui les fournissaient avaient un nombre très variable de bataillons, on prit l’habitude de les grouper par brigades (4), regroupement plus ou moins temporaire d’un nombre à peu près homogène de bataillons, dont le commandement fut confié à un colonel puis à un maréchal-de-camp. Le bataillon et la brigade furent donc la première articulation de l’armée pour livrer bataille, tandis que corps ou divisions, qui étaient des détachements de l’armée, en constituaient une articulation entre les batailles, pour cette partie de l’art qu’on appela au XVIIIème siècle « grande tactique » ou parfois « logistique » et qu’on peut rapprocher de ce que les modernes appellent désormais « opératif ».

Il faut ajouter que les armées les plus modestes de l’époque alignaient tout de même déjà entre 10.000 et 30.000 hommes, effectifs considérables si on les compare aux « armées » françaises contemporaines et si on tient compte du fait que ces commandements s’exerçaient sans aucun véritable organe de commandement : l’hiver 1674, Turenne mène ainsi en Alsace 25.000 hommes, sans commandements subalternes, sans véritable état-major, et avec une organisation logistique rudimentaire.  


 
Au milieu du XVIIIème siècle, le développement de l’administration, les progrès techniques des armements, les améliorations dans l’organisation des armées, se conjuguèrent avec la croissance des effectifs pour rendre à la fois possible et nécessaire la division de l’armée. Celle-ci résultait de la convergence de trois besoins :  
                                                          
- Mouvoir, loger et nourrir une armée aux effectifs de plus en plus importants obligeait à la diviser en portions d’une taille compatible avec les routes et les ressources disponibles dans une zone ou une vallée. Pierre de Bourcet (5), dans ses Principes de la guerre des montagnes, appelle ainsi « division » le plus gros corps susceptible de se déplacer et de se nourrir dans une vallée.

 

- Livrer une bataille ou un combat sur un champ de bataille toujours plus étendu, partagé en compartiments de terrain distincts, et avec des effectifs plus importants, exigeait d’articuler l’armée en ensembles tactiquement autonomes, donc disposant chacun des capacités de toutes les armes, infanterie, cavalerie, et artillerie, devant se soutenir mutuellement. Maurice de Saxe (6) dans Ses Rêveries appelle ainsi de ses vœux la création de formations interarmes qu’il appelle « légions », par référence à la légion romaine qui, dans l’esprit du temps, combinait « organiquement » des « armes » variées (7). L’exigence de cette composition interarmes permanente était accentuée chez Bourcet par le risque qu’une « division » de l’armée engagée dans une vallée séparée se voit forcée de livrer bataille au gros de l’armée ennemie. Dans cet esprit la « division » devient donc la plus petite partie de l’armée capable de livrer une bataille (8)

 

- L’absence de commandements intermédiaires dans une armée trop grosse pour que le général et ses troupes puissent se voir avait plusieurs effets néfastes : l’armée était encombrée de généraux sans emplois dont les chevaux et la suite « mangeaient la paille et le pain de l’armée » (9), la discipline était d’autant moins fermement maintenue que, les officiers n’étant pas nourris, ceux-ci devaient quitter leur troupe pour quémander leur pitance auprès des généraux qui tenaient à cet effet « table ouverte » là où on trouvait des ressources, donc forcément en dehors des camps. Ces inconvénients nombreux amenèrent le duc de Broglie, alors commandant de l’armée d’Allemagne (10), malgré les réticences du ministre et les protestations des gentilshommes et des courtisans, à affecter un lieutenant-général et quelques maréchaux de camp à chaque division de l’armée et à renvoyer tous ceux qui n’avaient pas d’affectation. La division n’est alors rien d’autre que le commandement confié de manière permanente à un lieutenant-général, ou la plus grosse portion d’armée que puisse commander directement un officier général.  

 


Le Comte de Guibert ne fera que synthétiser ces trois héritages en normalisant la composition de la division avec laquelle entreront en campagne les généraux de la République : un commandement permanent affecté à un lieutenant-général (11), composé organiquement d’un nombre normé de bataillons d’infanterie (12), de batteries, et d’escadrons, articulation essentielle du commandement, de la manœuvre interarmes, et du soutien. Guibert et ses successeurs croient cette division capable de livrer seule bataille à une armée ennemie de l’époque, ce que démentira la leçon de Marengo.

Cette expérience amènera Bonaparte, plutôt que de redéfinir la composition de la division, à diviser l’armée en portions plus importantes, organiquement composées de plusieurs divisions, d’une brigade de cavalerie légère et d’une réserve d’artillerie, portion qu’il appellera « corps d’armée. » La marche vers Ulm et Austerlitz, puis la marche de l’armée à travers le Harz vers Iena et la bataille d’Auerstadt (13), consacreront pour plus de 100 ans le corps ainsi organisé comme la véritable division d’armée telle que l’imaginaient Guibert, Saxe, Bourcet ou Broglie, la plus petite portion capable de livrer bataille seule tout en pouvant se déplacer et se soutenir sur une route.  


De tout cela on peut déduire que bataillons, régiments, et brigades, organisations administratives et articulations de l’armée dans la bataille, constituent fonctionnellement un seul et même niveau de la guerre, celui de l’exécution dans le combat ou la bataille, tandis que divisions et corps d’armée, véritables « portions d’armée » ou « mini-armées », articulations de l’armée pour les besoins de la campagne, en constituent un autre niveau fonctionnel que l’on peut soit interpréter comme intermédiaire entre le niveau précédent et celui de l’armée, ou bien confondre avec le niveau fonctionnel de l’armée lui-même. De là découlent peut-être les difficultés que nous avons, à distinguer concrètement les fonctions de la division de celles du corps, et celles du corps de celles du théâtre.

 


La croissance industrielle et les systèmes de mobilisation générale viendront brouiller cette distinction simple dès 1914, l’armée n’étant plus la force de circonstance seule sur un théâtre mais une formation quasi organique alignée au coude à coude avec ses voisines, sous l’autorité d’un « groupe d’armées » flanqué lui-même par d’autres groupes d’armées voisins. L’énormité des effectifs, l’immensité des fronts et leur profondeur, la complexité des mouvements de masses par l’utilisation du chemin de fer notamment, l’apparition ou le développement rapide de fonctions nouvelles nombreuses (artillerie, génie, aviation, transmissions, etc.), la mise en service de nombreuses armes nouvelles, les changements apportés aux tactiques et aux procédures, tout concourt non seulement à augmenter le nombre des échelons de commandement mais aussi à répartir entre eux les fonctions : la division devient ainsi le commandement organique permanent et l’organisation tactique élémentaire combinant artillerie et infanterie, l’armée le commandement chargé de livrer ce qu’on appelle encore en France en 1918 « la bataille », le groupe d’armée l’échelon notamment chargé de l’organisation des arrières (travaux d’aménagements des stationnements, dépôts logistiques, voies ferrées, réseaux de manœuvre, etc.) et de la préparation des divisions aux nouvelles conditions du combat14.

Sur les théâtres isolés comme la Macédoine, la « force » est désormais appelée groupe d’armées. C’est entre 1916 et 1918, dans les états-majors d’armées et de groupes d’armées français, qu’on imagine les organisations d’états-majors que nous connaissons, les 1er, 2ème, 3ème et 4ème bureaux, et les assistants du chef d’état-major pour les opérations et pour la logistique qui deviendront les ACOS et DCOS d’aujourd’hui. Les Américains, ayant adopté en 1917 les structures et organisations françaises, les ramèneront avec eux en 1941, et les imposeront à l’OTAN jusqu’à la fin de la « Guerre froide », période de paix armée mettant encore en jeu des effectifs immenses dans des opérations potentiellement aussi complexes que celles de la 2ème guerre mondiale.


La fin de cette période est caractérisée par une décrue très rapide des effectifs des armées permanentes et par une diminution encore plus rapide des effectifs engagés, dans des opérations désormais très réelles mais aux caractères souvent fort peu « militaires ». En dehors de quelques grandes puissances, les échelons supérieurs des grands commandements de la période 1914-1990, groupe d’armée, armée, et même corps d’armée, ne subsistent que comme des références plus ou moins mythiques. Comme on a pris l’habitude d’appeler « armée » une grande formation organique permanente d’un volume important15, modèle qui ne semble plus désormais avoir d’emploi crédible, on prend l’habitude de dénommer « force » chaque groupement d’éléments, de toutes armes et « armées », déployés sur un théâtre pour des expéditions désormais appelée « opérations ».  

 


Les opérations contemporaines ne mettant le plus souvent en jeu que des « forces » de volume très réduit (des effectifs ne dépassant souvent pas ceux d’un ou deux bataillons), on prend l’habitude d’en confier le commandement à une simple brigade. On oublie au passage que la réduction des effectifs n’a pas été accompagnée d’une réduction équivalente de la complexité des opérations, les difficultés de la mise en œuvre des moyens purement militaires de la guerre classique ayant été remplacées par celles de la prise en compte par les militaires de tous les aspects politiques de conflits qu’on ne prétend plus mener mais résoudre.

En fait, le commandant de force sur un théâtre est fonctionnellement, et quel que soit son grade, un commandant « d’armée », comme l’était Turenne en Allemagne à la fin de la Guerre de Trente ans : ses fonctions  exigent aujourd’hui de disposer d’un état-major assez important pour faire face à des difficultés bien supérieures à ce qu’une brigade est normalement chargée de faire. Mais ce général n’a pour autant que faire de commandements intermédiaires16 pour diriger les quelques bataillons et les moyens d’appui et de soutien souvent « échantillonnaires » qui lui sont confiés. En pratique, comme au XVIIème siècle,  il n’y a plus que deux échelons de commandement dans nos opérations : l’armée et le bataillon17.  


C’est sans doute pourquoi les « niveaux tactiques terrestres », auxquels nous nous accrochons encore comme le naufragé à son épave mais que nous avons eu la mauvaise inspiration « d’indexer » sur les grandes unités interarmes, sont si peu utiles pour organiser nos commandements. C’est pourquoi encore il semble parfaitement pertinent d’entraîner et employer au commandement de la « force » les états-majors que nous appelons encore « corps d’armée », « niveau 1 », « division », et « niveau 2 », états-majors qui ont toujours été fonctionnellement dédiés à assister le commandant d’une armée ou d’une fraction d’armée.

 

C’est pourquoi enfin on ne peut que regretter l’attachement du commandement à nos sacro-saints « trois niveaux de commandement tactique terrestres » comme à la notion de « composante terre », celui de nos brigades à l’idée d’un commandement intermédiaire supposé seul capable de commander des compagnies et des bataillons, et l’acharnement de l’armée de terre à recréer une organisation adoptée autrefois pour une armée d’un million d’hommes.

 

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1 Et pour la cavalerie l’escadron qui comptait alors généralement deux compagnies. 

2 Celui-ci était souvent nommé « maréchal », du nom que portaient au Moyen-Age, notamment en Angleterre et dans les ordres militaires, les chefs exerçant au nom du souverain ou du maître le commandement du corps de bataille. En France l’intéressé était nommé « connétable » s’il commandait au nom du Roi l’ost tout entier, fonction qui sera remplacée par celle de Maréchal général  à partir de Turenne. L’appellation de « général » donnée pour « général d’armée » est restée par exemple dans l’US Army. 

3 Ces corps séparés étaient appelés indifféremment corps, division, détachement, division d’armée, détachement d’armée, corps d’armée, etc. sans que ces appellations ne recouvrent aucun structure ou composition normalisée. 

4 De l’Italien brigatta.  

5 Pierre Joseph de Bourcet (1700-1780), dauphinois,  fils d’un capitaine de compagnie franche de Louis XIV, maréchal  de camp, ingénieur du Roi, a servi en Allemagne sous le duc de Broglie, dans les Alpes et en Italie. Il a fondé à Grenoble la première école d’état-major. Ses Principes de la guerre des montagnes sont, selon Camon, la base du système de guerre de Napoléon. 

6 Maurice, comte de Saxe (1696-1750), fils bâtard de l’électeur de Saxe et roi de Pologne, maréchal général des camps et armées du Roy en 1747 (bien qu’allemand et protestant !), se distingue dans la guerre de Succession d’Autriche, notamment par la prise puis la défense de Prague suivis d’une difficile retraite vers le Rhin (17411742)  puis par une succession de victoires (Tournai et Fontenoy, 1745 ; Rocourt, 1746 ; Lawfeld, 1747). 

7 Il faut observer que cette organisation permanente interarmes est caractéristique à l’époque des troupes légères, chasseurs de Fischer, arquebusiers de Grassin, etc., dont Maurice de Saxe, qui préférait la « petite guerre » aux risques d’un siège ou d’une bataille,  était un fervent partisan.

8 Une bataille signifie alors universellement l’affrontement général de deux armées, les engagements entre des portions d’armée étant tout aussi universellement appelés « combats ». La division de Bourcet  est une articulation temporaire de circonstance sans composition définie mais doit par fonction être capable d’affronter seule le gros de l’armée ennemie. 

9 Sans compter les nombreux gentilshommes qui, comme aux siècles précédents, se montaient et s’armaient à leurs frais et rejoignaient l’armée où ils servaient en dehors de toute organisation. 

10 Victor-François, duc de Broglie (1718-1804) battu à Rossbach sous Soubise (1757), vainqueur à Sonderhausen (1758) et Bergen (1759) sous Contades, est nommé commandant de l’armée d’Allemagne et fait Maréchal en 1759 en remplacement de Contades battu à Minden (dernière période de la Guerre de Sept Ans).  A la fois détesté pour son caractère et estimé pour ses qualités militaires, aussi bien par le ministre de la guerre, le maréchal de Belle-Isle, que par le Roi, il réalisa dans son armée les recommandations sur le commandement qu’avait esquissées un de ses prédécesseurs, le maréchal de Clermont. A Louis XV qui se plaignait du mauvais caractère du duc,  Noailles aurait  dit un jour : « Cet homme-là n’est bon qu’à la tête des armées. Je vous conseille de l’y envoyer. »  

11 D’où les appellations de lieutenant-general en Anglais ou de General Leutnant en Allemand, qui sont restées dans beaucoup d’armées aux généraux de division. 

12 Ou de régiments puisque celui-ci devient à cette époque un commandement « opérationnel » alors qu’il avait surtout été jusque-là une entité administrative pour l’entretien et la mise sur pieds de l’armée en temps de paix. Régiment vient de l’Allemand Regiment qui signifie littéralement « ordonnance » dans les sens où on l’entend dans « compagnies d’ordonnance » ou « gouverner par ordonnances ». 

13 Auerstadt est bien une bataille puisque Davout y affronte avec son corps le gros de l’armée prussienne tandis qu’inversement Napoléon affronte avec son gros à Iena l’arrière garde prussienne donc un corps détaché.  

14 Ce qu’on appelle aujourd’hui RETEX et entrainement, soit les missions des 7èmes bureaux.  


15 On observera qu’au même moment, la 1ère armée française, qui était composée de corps d’armée, devient la force d’action terrestre, désormais composée de « brigades ». 

16 De « divisions » au sens où l’aurait entendu Turenne. 17 On peut observer également que la pression des économies amène à adopter dans tous les domaines les solutions d’organisation de l’armée d’Ancien régime : privatisation des soutiens, civilianisation, recours à des sociétés militaires privées, etc.  

 

 

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Titre : Petite histoire des grandes unités
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
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