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La résilience de la société française en 1914-1918: quelles leçons pour l’avenir ? 2/2

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Histoire & stratégie
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  • La propagande: un vecteur privilégié pour soutenir la résilience

La propagande, une notion d’origine religieuse (la congrégation De propaganda fide a été fondée au XVIIème siècle pour «propager la foi»), est devenue en 1914-1918 un aspect de la guerre totale. Ses excès et sa généralisation la font passer bien souvent pour du «bourrage de crâne». Toutefois, elle a aussi un impact, certes difficile à mesurer, qui contribue à formater l’opinion. En constituant un environnement culturel et social, elle est un terrain propice pouvant favoriser la résilience. La propagande s’exerce dans quatre directions:

  • à l’intérieur du pays, auprès des populations et des soldats mobilisés, dont il s’agit de soutenir le moral.
  • auprès des alliés, pour garantir la cohésion des alliances.
  • auprès de l’adversaire, pour le démoraliser. Mais du fait de la censure et de la propre propagande de l’ennemi, elle rencontre finalement assez peu d’écho auprès de lui.
  • auprès des neutres, pour les éclairer, voire les rallier.

 

Ses principaux thèmes évoquent la «croisade des démocraties» contre le militarisme prussien (surtout après la défection de la Russie); ils insistent sur la guerre du droit, la justice, la défense des nationalités opprimées (Alsaciens-Lorrains, Polonais, Tchèques); ils font également état des responsabilités morales des empires centraux dans le déclenchement du conflit. D’autres thèmes moins idéologiques soulignent les atrocités d’un adversaire qualifié de «barbare»: rappels de la violation de la neutralité belge, des exécutions de civils, d’atrocités commises sur les enfants (thème des «mains coupées»), du bombardement de la cathédrale de Reims… Chaque pays développe en outre des thèmes spécifiques. Faisant appel à la mémoire de la nation, la France se présente comme la «patrie de la Révolution», voire la «fille aînée de l’Église». Son message passe assez aisément auprès de l’opinion publique puisqu’il porte sur la défense du territoire national.

 

En France, la propagande est sous le contrôle conjoint des ministères des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine. Au début de 1916 est créée une maison de la presse (devenue commissariat général de la propagande en mai 1918) qui centralise les différents efforts. Parallèlement, est fondé un centre d’action et de propagande contre l’ennemi. Désormais, le mot «propagande» est ouvertement employé. Mais au-delà de ces instances officielles, de nombreuses associations patriotiques participent également à la mobilisation des esprits, parfois avec le soutien des pouvoirs publics, comme le Comité catholique de propagande française à l’étranger. Le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts est chargé de superviser le style artistique des expressions graphiques.

 

La presse est le principal instrument de propagande. Elle use de techniques rédactionnelles pour atténuer l’effet de certaines informations, contribuant à contrôler celles-ci: euphémismes («rectification de lignes» pour «repli» ou «retraite»), désinformation, sous-information… La presse est aussi visée par la censure, surnommée «Anastasie», qui est complémentaire de la propagande par sa fonction d’encadrement de l’opinion publique[1]. En janvier 1915, elle est placée sous le contrôle du bureau de la presse au ministère de la Guerre. À partir des demandes des différents services, celui-ci formule des consignes, comme l’interdiction de certains thèmes politiques, militaires, sociaux… Toutefois, la censure ne peut durablement dissimuler certains faits: même si la presse n’indique pas le nombre de morts, par exemple, les avis nécrologiques suggèrent le taux élevé des pertes. La censure ne peut que limiter l’aire de diffusion de l’information, en décaler la prise de conscience, c’est-à-dire, en d’autres termes, fragmenter l’opinion.

 

L’image est un autre vecteur de propagande contribuant à la mobilisation des esprits. Ce sont d’abord les affiches, surtout utilisées à partir de 1915. Elles visent à faire peur, notamment en 1917-1918, quand l’ardeur patriotique s’essouffle, en recourant à des représentations apocalyptiques. Elles cherchent à manipuler l’opinion en faisant participer symboliquement à la guerre la population à l’arrière, qui vit en dehors des combats, et en montrant aux combattants qu’ils ne sont pas oubliés. Cela passe par l’appel à la contribution financière: «Ils versent leur sang pour la France, versez votre argent». Enfin, les affiches cherchent à entraîner, à mobiliser, en mettant en avant par exemple des figures de soldats.

 

La photographie de presse joue un rôle important aussi. En théorie, l’État doit être seul producteur et diffuseur d’images pour le front. Ainsi, une section photographique de l’armée est créée au printemps 1915 et intégrée dans le bureau d’information de la presse. Mais les journaux tels Le Miroir ou L’Illustration font aussi appel aux clichés des soldats, même si ces derniers n’ont pas le droit d’emporter des appareils photos en ligne. La guerre est le sujet central, mais il n’y a pas de scènes de combats (du fait du matériel trop encombrant, de temps de pose trop longs, d’ennemi peu visible). Au début de la guerre, la mort des siens est peu représentée, ou seulement de manière neutre et lointaine ou partielle. Elle est alors instrumentalisée pour stigmatiser l’ennemi, un barbare qui assassine. Plus répandue, la photographie de la mort de l’adversaire participe de la culture de guerre: il s’agit de se réjouir devant la mort de l’Autre. L’image concourt ainsi à banaliser la violence et à briser un tabou ancestral. Mais, à partir de 1915, la mort est supprimée des reportages photographiques – comme après les attentats de ce début du XXIème siècle. Même lorsque sont présentées des scènes de bataille, il n’y a aucun corps. L’accent est désormais mis sur la vie quotidienne des soldats dans les tranchées. Ainsi, sous prétexte de se rapprocher de la réalité de la guerre, les reportages en occultent l’essentiel. L’héroïsme dans la mort s’est déplacé vers un héroïsme au quotidien, sans doute parce que la mort dans les tranchées n’est plus perçue comme héroïque. Elle est devenue collective et anonyme, donc affreuse. C’est «voir/ne pas voir la guerre»[2].

 

Avec la guerre, les producteurs de films doivent repenser le cinéma en termes de valeurs (bien/mal, ennemi/ami) et non plus techniques (réel/fiction, direct/reconstitué). Les actualités deviennent un terrain de guerre. C’est pourquoi apparaissent des sections cinématographiques auprès des services photographiques des armées. Chaque prise de vue doit être un point de vue sur les événements (ce glissement est le fondement de la propagande). Les documentaires s’attachent à rassurer l’opinion et à souligner la barbarie et la faiblesse de l’adversaire. Leur brièveté ne leur permet pas de donner une vue d’ensemble du conflit, mais leur répétition hebdomadaire donne le sentiment d’une sorte d’engrenage. Le mouvement leur donne une réalité (temporelle) plus puissante que celle de la photo.

 

  • La banalisation de la guerre

D’autres formes de propagande contribuent à banaliser la guerre en la rendant proche et acceptable, en la faisant quotidienne, tout en l’«euphémisant»[3].

Éditées à des millions d’exemplaires, les cartes postales sont le vecteur de la correspondance privée et familiale. Elles véhiculent des représentations en lien avec la guerre, le poilu ordinaire, la virilité, les embusqués… D’autres évoquent les chefs militaires (Joffre), les allégories (de la France, de la République), les héritages historiques (Jeanne d’Arc, Napoléon), présentent des prières ou des textes bibliques pastichés (Notre Père, les 10 commandements). Les cartes postales puisent à différents registres, sentimental, humoristique, patriotique, qui permettent de juguler un peu l’angoisse, ou tout au moins de la placer à un niveau contrôlable. Ces cartes contribuent à banaliser la guerre en en diffusant une image mythique. Toute image réaliste est évitée.

 

Il en va de même pour la propagande de nature commerciale. La guerre est utilisée à des fins publicitaires contribuant à soutenir le moral de la population. La réclame pour divers produits (savon, bouillon Duval, pneus Michelin, biscuits piou-piou...) évoque leur utilité pour les soldats ou compare leurs qualités avec la vertu des Poilus ou l’efficacité des armes. Une telle propagande cherche aussi à montrer que les entreprises font ainsi preuve de patriotisme. La culture de guerre s’insinue au quotidien.

 

Des objets patriotiques, en forme d’obus, de cartouches ou de casques, ainsi que des jouets (jeux de l’oie guerriers, panoplies d’uniformes) sont largement diffusés. Ils participent à l’entreprise de banalisation (trivialisation) de la guerre. À travers celle-ci, la réalité du conflit est dissimulée, maîtrisée, pour nourrir les mythes. Ce processus permet de s’accommoder de la guerre, sans l’exalter ni la glorifier, en l’intégrant dans un monde familier et ordinaire.

De la Grande Guerre à aujourd’hui: perceptions, questions, réponses

 

Dans quelle mesure les attitudes de résilience de la société française de 1914-1918 peuvent-elles, sinon inspirer, orienter ou influencer les comportements actuels, du moins les éclairer et aider à les comprendre?

 

  • De l’utilité et des limites des comparaisons

Après les attentats du 13 novembre 2015, l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, spécialiste de la Grande Guerre, s’est livré à un exercice de comparaison, montrant comment l’opinion française a retrouvé, le temps de quelques semaines, des formes d’une culture de guerre pouvant rappeler certains aspects de l’été 1914[4].

 

Il souligne ainsi l’appel à l’union sacrée, une expression reprise notamment par le Premier ministre de l’époque et relayée par les principaux médias. C’est le signe d’un patriotisme revendiqué et affirmé. L’historien montre aussi comment la désignation de l’ennemi comme «barbare» ou «sauvage» fait écho aux propos tenus contre les Allemands qui avaient commis des «atrocités» contre les civils lors de l’invasion de 1914. Les symboles patriotiques sont à nouveau mis en avant, de la Marseillaise, parfois entonnée spontanément après les minutes de silence à la mémoire des victimes, au drapeau tricolore, arboré jusque sur les façades de maisons particulières. La figure de la République est centrale dans ces représentations, avec des rassemblements et des lumignons sur la place du même nom à Paris, devant la statue éponyme. C’est aussi l’éloge des héros qui fait penser au précédent de la Grande Guerre: les morts des attentats ont été mis à l’honneur lors d’une cérémonie aux Invalides, comme pour des combattants tombés en opérations. Un «appel des morts», comme lors des cérémonies commémoratives des 11 novembre, a également eu lieu. Une décoration spécifique, quatrième ordre national, a même été créée à l’intention des «victimes du terrorisme» en 2016: elle n’est pas sans rappeler l’institution de distinctions spécifiques pendant et après la Grande Guerre. Ce sont également les membres des forces de l’ordre, par ailleurs acclamés par la population, ainsi que les sapeurs-pompiers qui ont été héroïsés. Des volontaires ont afflué, jusqu’à 1.500 par jour, dans les bureaux de recrutement des armées, vers la réserve et la gendarmerie. Ce mouvement peut rappeler les engagements, en nombre certes beaucoup plus élevé, de l’été 1914. Enfin, il faut souligner la «prégnance» religieuse, comparable à certains égards aux formes de religiosité de guerre: offices dans les lieux de culte à la mémoire des défunts, dépôts de bougies ou de fleurs sur le parvis de certaines églises, etc. Tout cela pourrait concourir à la résilience de la société.

 

Pourtant, cet élan n’a pas duré, d’autant que la France n’a plus été directement visée pendant quelques mois. Les attentats suivants, survenus certes au cœur des vacances estivales (juillet 2016), n’ont pas suscité le même élan, la même ferveur, les mêmes pratiques. Les Français ont rapidement retrouvé leurs habitudes, leurs pratiques, leur mode de vie.

  • Les difficultés apparentes de la résilience actuelle

Comme durant la Grande Guerre, la société perçoit les menaces qui pèsent sur elles, mais avec la différence que le djihadisme islamiste est moins directement visible et identifiable sur le sol national que ne l’étaient par exemple les Allemands. Il ne surgit, au moins dans les médias, que ponctuellement, à l’occasion d’attentats, de démantèlements de réseaux ou d’arrestations de suspects. C’est ce qui explique l’effet de «sidération» qui se produit après chacune de ses expressions violentes et les appels circonstanciels à la résilience. Mais qu’en est-il sur le moyen terme? Comment dépasser «l’émotion» du moment?

 

Une autre difficulté, soulignée par de nombreux experts, tient à la définition du contexte de cette menace. Ainsi, pour certains responsables militaires ou politiques, il s’agit d’une «guerre». Mais le terme fait débat, car il semble très éloigné des réalités constatées comme des représentations médiatiques et historiques traditionnelles de la guerre (1914-1918, dont on commémore en même temps le centenaire): les forces profondes du pays ne sont pas mobilisées, même partiellement; il n’y a pas de distinction entre l’arrière et l’avant; le discours du politique se voulant mobilisateur n’est pas suivi de mesures concrètes, hormis l’état d’urgence. La situation rappellerait davantage la guerre d’Algérie, un autre conflit qui a longtemps été présenté comme de simples «opérations de maintien de l’ordre». Tout cela concourt à brouiller le message, à susciter l’incompréhension, à être source de tensions, à avoir des effets anxiogènes.

 

Cette guerre qui n’est pas dite s’accompagne d’une difficulté à désigner clairement l’ennemi[5]. Sans revenir sur cette question régulièrement soulevée par les analystes, il s’agit d’en mesurer la portée pour appréhender les enjeux de la résilience de la société. Celle-ci est facilitée par la claire distinction entre l’ennemi et l’ami, invariant de la culture de guerre. Les confusions autour de la désignation de l’adversaire – et même le fait de ne pas réellement parler d’adversaire ou d’ennemi – contribuent à brouiller les esprits.

 

La société française actuelle est plus éclatée et plus individualiste qu’elle n’était il y a un siècle, ce qui ne facilite pas les solidarités, l’entraide, l’esprit de communauté nationale. Toutefois, celle de 1914 n’était pas si unie qu’elle paraît avec le recul: de fortes tensions politiques, sociales et religieuses fracturaient le pays. Pourtant, à l’éclatement de la guerre, qui fait basculer le pays dans une temporalité et une réalité différentes, elle réalise l’union sacrée, même si celle-ci connaît aussi des limites et des accrocs. En réalité, chaque tendance, courant ou parti rallie l’union sacrée par intérêt, ou tout au moins mesure les inconvénients à ne pas le faire, voire à s’y opposer. Le communautarisme est une autre caractéristique de la société actuelle: il peut faire craindre l’abstention de soutien, voire l’opposition de certaines franges de la population en cas de conflit. Mais, durant la Grande Guerre, les pouvoirs publics se sont inquiétés des effets de l’appel au djihad lancé par le sultan-calife à Constantinople en novembre 1914, notamment sur les habitants d’une Afrique du Nord coloniale. Or celle-ci n’a pratiquement pas bougé[6].

 

La résilience en 1914-1918 était possible parce que chacun, ou presque, savait quel était son devoir: servir sous l’uniforme et combattre, produire des armes, cultiver pour nourrir la population, s’impliquer dans des associations charitables au profit des blessés, des prisonniers, des réfugiés, des mobilisés, autant de modes d’engagement et de mobilisation dans l’effort de guerre. Or, aujourd’hui, les citoyens comprennent moins quel peut être leur devoir. Certains se sont engagés dans l’armée – où ils se retrouvent parfois à accomplir des missions Sentinelle sans grandeur; d’autres sont prêts à s’investir d’une manière ou d’une autre pour contribuer à renforcer le lien social. Mais les possibilités d’engagements concrets ne sont pas pléthoriques, tandis que les besoins ne semblent pas non plus réellement définis. Les initiatives ne sont pas encouragées par les pouvoirs publics.

 

  • Les enjeux

Le rôle des médias est bien sûr déterminant, mais il est difficile de concevoir aujourd’hui la presse en tant qu’instrument de propagande comme en 1914-1918. «L’information» est néanmoins un «pilier de la résilience sociétale» par la «prise de conscience des risques» qu’elle peut favoriser, et par la «relativisation des chocs» à laquelle elle peut contribuer[7]. Mais il y a plusieurs difficultés. D’une part, les médias dans une démocratie disposent d’une grande liberté: c’est ce qui fait leur force et leur intérêt. Toute tentative de contrôle se retournerait alors contre les pouvoirs publics. En même temps, la liberté de la presse est un élément central de la société française: la brider serait donner raison au djihadisme islamiste terroriste. Or l’opinion publique a peu confiance dans les médias. Une autre difficulté tient au fait que la presse, surtout télévisée numérique, s’inscrit dans une temporalité immédiate, alors que la résilience demande du temps.

 

Face à l’adversité, aux crises, aux tensions internationales, au terrorisme, la cohésion sociale est indispensable. La population est le centre de gravité des stratégies des nouveaux fauteurs de troubles. Aussi, l’une des modalités de la résilience doit être sociétale[8]. Elle se travaille par l’établissement de liens sociaux, par l’éducation, par les activités collectives, par les célébrations communes, qu’elles soient festives (coupe du monde de football) ou commémoratives, par les engagements associatifs.

 

L’importance de l’éducation à la citoyenneté, au «vivre ensemble», aux «valeurs» de la société française, à l’esprit de défense, est un préalable nécessaire pour forger la cohésion d’une nation et donc sa capacité à réagir face à l’adversité. Certes, les formules, reprises à l’envi par les médias et les politiques, peuvent parfois faire illusion et donner l’impression d’un prêt-à-penser. La question des valeurs peut aussi faire débat – mais sans doute pas plus qu’à la veille de 1914 lorsque les Français étaient divisés entre cléricaux et anticléricaux, républicains et monarchistes… Ils se retrouvaient cependant sur l’essentiel, la patrie, le devoir, le civisme…

 

Se préparer à faire face à la menace, par des exercices collectifs de confinement dans les écoles ou les établissements publics, peut faciliter la résilience, même si l’exemple de soldats surentraînés victimes de stress post-traumatique témoigne que rien n’est définitivement acquis de ce point de vue. Les civils de la Grande Guerre vivant dans les villes à proximité relative du front ont appris à se protéger des bombardements, à descendre dans les abris: ils ont pu sauver leur vie, mais aussi se préparer à rebondir.

 

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 insiste, entre autres, sur les acteurs institutionnels et publics de la résilience, comme sur le lien armées-nation, certes plus difficile à maintenir qu’en 1914-1918 lorsque c’était l’armée-nation qui était mobilisée. Mais «le recrutement, la reconnaissance du métier des armes, le soutien de la population à l’action des forces ainsi que la capacité de résilience face à une crise dépendent en grande partie de la vigueur du lien qui unit ces forces à la société française»[9]. Le livre blanc appelle aussi à une «démarche associant à l’objectif de résilience du pays les collectivités territoriales ainsi que les grands opérateurs d’importance vitale»[10]. Mais ce ne sont que des moyens institutionnels complémentaires et facilitateurs de la résilience sociétale.

 

Finalement, ce qui compte, c’est la volonté de résilience. Cette attitude est d’ailleurs valorisée dans les médias par les politiques et jusque dans l’opinion qui veut continuer à vivre normalement, «as usual». C’est une forme d’expression immédiate de la résilience, qui implique par exemple de continuer «à sortir», pour montrer que l’on n’a pas peur et que le terrorisme ne doit pas empêcher le pays de fonctionner.

 

Ces quelques réflexions montrent comment l’expérience éprouvante de la guerre vécue par les Français en 1914-1918, sans être directement transposable à la situation conflictuelle actuelle, peut néanmoins révéler les ressorts profonds d’une société et sa capacité à dépasser ses divisions pour surmonter la souffrance, le deuil et les menaces. La résilience résulte de la mobilisation consentante de tout un peuple fort de ses valeurs, de son histoire et de sa cohésion, et qui peut être encadré, accompagné ou supporté par des moyens institutionnels. Cette résilience peut être facilitée par les médias et par l’exaltation de figures de «héros», du Poilu de 1914-1918 aux inconnus qui se lèvent dans le danger.

 

 

 

[1] Voir Olivier Forcade, «La censure en France pendant la Grande Guerre», Fayard, 2016, 474 p.

[2] Laurent Gervereau et al. (dir.), Voir/ne pas voir la guerre. Histoire des représentations photographiques de la guerre (catalogue d’exposition), Paris, BDIC / Somogy, 2001, 351 p.

[3] George Mosse, «De la Grande Guerre au totalitarisme: la brutalisation des sociétés européennes», Paris, Hachette littératures, 1999, 291 p.

[4] Stéphane Audoin-Rouzeau, «L’après-13 novembre. Naissance et mort d’une “culture de guerre”?», Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2017/2, n° 134, p. 11-19.

[5] Jean-Yves Le Drian, «Qui est l’ennemi?», Paris, éditions du Cerf, 2016, 96 p.

[6] Jean-Yves Le Naour, «Djihad 1914-1918. La France face au panislamisme», Paris, Perrin, 2017, 301 p.

[7] Thierry de Montbrial et Dominique David - IFRI (dir.), «Ramses 2017 - Un monde de ruptures - Terrorisme, Moyen-Orient, Crise européenne», Paris, Dunod, 2016, p. 57.

[8] Ibid.

[9] Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, Paris, 2013, p. 122.

[10] Ibid.

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Titre : La résilience de la société française en 1914-1918: quelles leçons pour l’avenir ? 2/2
Auteur(s) : le Capitaine (R) Xavier BONIFACE
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