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La plupart ne reviendront pas

cahier de la pensée mili-Terre
Témoignages
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Davantage qu’un récit, « La plupart ne reviendront pas » est le témoignage d’un jeune officier d’artillerie italien sur le front russe. Seulement 28 jours sont racontés dans cet ouvrage, mais quelles journées, celles de la retraite des forces germano-italiennes depuis le Don, du 19 décembre 1942 au 17 janvier 1943, menacées en permanence d’encerclement par les forces russes. Il s’agit donc non pas tant d’un carnet de route que du regard d’un témoin plongé dans cette tourmente, témoin qui  fit parti des survivants de cette agonie où seulement 10 % des Italiens survécurent.


La plupart ne reviendront pas  peut être lu au moins sous trois angles distincts mais complémentaires. Le premier, incontournable, foudroie le lecteur, il s’agit de la souffrance du combattant et d’une inévitable réflexion sur l’éthique du soldat. L’aspect historique de cet épisode assez méconnu de la seconde guerre mondiale vient ensuite. Enfin, un volet tactique est aussi particulièrement mis en évidence au travers de la retraite d’une troupe qu’elle soit ordonnée coté allemand ou transformée en déroute côté italien.

Les témoignages dans la littérature ne manquent pas quand il s’agit de décrire la souffrance humaine. Les horreurs de la guerre, souvent décrites de manière pathétique comme au cours de la première guerre mondiale, principal argument des pacifistes, trouvent dans ce livre une approche rare. En effet, si la souffrance physique, la souffrance morale, la peur de la mort sont omniprésentes, elles sont toujours exposées sans haine, sans esprit de vengeance, avec une étonnante compassion. Cela n’empêche pas l’auteur de porter des jugements : sur la barbarie et l’inhumanité des soldats allemands qui abattent les prisonniers, achèvent ou abandonnent leurs alliés italiens ; sur la barbarie des soldats russes et surtout des partisans en guise de revanche face aux forces de l’Axe, de représailles vis-à-vis de leur propre population ; sur la faiblesse des troupes italiennes et l’impéritie de son commandement ; sur ses propres renoncements d’officier enfin devant la faim, le froid, le désir de sauver sa peau. Mais dans cette description d’ensemble dure et âpre, c’est avant tout l’humilité de l’auteur qui ressort ; humilité face à ses propres faiblesses, compassion devant les égarements de ses camarades, volonté malgré tout de préserver son humanité pour ne jamais sombrer dans la bestialité de certains alliés ou adversaires. Enfin, pour se rendre compte de l’importance de la rapidité des pertes italiennes, écoutons l’auteur commenter son arrivée à Tchertkovo après 11 jours de retraite : « combien d’entre nous arrivèrent à Tchertkovo ? Selon les calculs que nous autres officiers avons fait par la suite, nous évaluions que sur les trente mille hommes pris dans la poche du Don, nous avions été huit mille environ à parvenir jusque là ».

L’aspect historique du témoignage d’Eugénio Corti est aussi un élément de lecture remarquable. Lorsque l’ouvrage paraît en 1947 la surprise est énorme en Italie. D’une part car dans cette période l’Italie est très influencée par le parti communiste et que le combattant soviétique fait partie des libérateurs de l’Europe ; d’autre part parce que ces trente mille Italiens qui ont combattu sur le front de l’est sont quasiment tous morts ou ont préféré oublier ce tragique épisode. Comme une leçon de mémoire envers ses compatriotes, l’auteur réhabilite ces combattants italiens en exhumant leur histoire, prouvant par son engagement futur auprès des troupes italiennes libres à Monte-Cassino que l’honneur d’un soldat n’est jamais perdu. Il nous faut nous replonger dans cet atmosphère très particulière de l’après-guerre en Italie et en Europe pour comprendre toute la force, la portée de ce récit, qui, même jusqu’à aujourd’hui, est resté unique en son genre. Le jeune Eugenio Corti, en juin 1942 se porta volontaire sur le front russe. Il voulait se rendre compte par lui-même de la valeur de ses alliés allemands, de la transformation de la Russie en Union soviétique. Il en est revenu conforté dans ses convictions morales et éthiques ; écœuré par la planification systématique de la barbarie allemande tout en soulignant les qualités de ses combattants ; ébahi par la manipulation par les autorités soviétiques du soldat russe, capable, alors, des pires exactions.

Enfin, le volet tactique complète la lecture de l’œuvre. Bien sûr, aucune théorie particulière n’y est développée, aucun traité n’est présenté. Mais avec une étonnante lucidité, Eugénio Corti, décrit la retraite de son corps d’armée et il en ressort une analyse tactique d’une telle action militaire. Le comparatif est frappant entre l’organisation allemande et la débâcle italienne. Du côté allemand, le repli est planifié et la logistique ne fait jamais défaut, tout comme l’ordre qui règne au sein des unités, et ce jusqu’aux plus bas échelons. Du côté italien c’est la déroute dès les premières heures : les véhicules et le matériel sont abandonnés, pour l’essentiel du fait de l’absence de carburant, le ravitaillement en vivres et pour ainsi dire inexistant, le commandement, aux niveaux opératif et tactique, est absent, même les quelques généraux présents sont totalement déboussolés. Corti décrit de nombreuses fois cette désorganisation dont voici un exemple : « ce spectacle me ramena au début de la retraite, aux camions qui fuyaient couverts de grappes humaines... Quelques jours plus tard ce phénomène avait pris des proportions incroyables… Des colonnes de véhicules automobiles, mêlées à des colonnes d’hommes à pied, fuyaient en proie à une panique indescriptible. Des gens s’accrochaient aux bâches des camions puis, à bout de force, se laissaient rouler à terre , finissant souvent écrasés. [1]» La volonté de quelques officiers d’ordonner cette retraite n’y changera rien ; cette dernière se transformera en déroute et seuls les Allemands parvinrent à maintenir un semblant de cohérence chez les Italiens et permirent la survie de quelques milliers d’entre eux[2]. Ce résultat fut d’ailleurs d’autant plus regrettable que la division « Pasubio »[3] ne s’était jamais laissé enfoncer sur le front russe.

«La plupart ne reviendront pas » est donc plus qu’un simple témoignage sur la guerre. Il est d ‘abord un ouvrage unique car il décrit un épisode marquant du front russe jusqu’alors inédit. Il a en outre permis d’avoir une vision de ces combats dégagée des systèmes de pensée d’alors. Il apporte ensuite un enseignement évident sur la difficulté de maintenir ordre et organisation au sein d’une force dans le cadre d’une retraite. Enfin, il peut être le préalable à la lecture du roman « le cheval rouge », vaste fresque du même auteur, dont une bonne partie de l’action se situe sur ce même front russe, et qui mériterait lui aussi une fiche pour en promouvoir la lecture.

 

 

[1] Op. Cit p 138

[2] « plusieurs fois je me demandais…ce qu’il fut advenu de nous sans les allemands. Et malheureusement il me faut bien répondre ceci : seuls nous autres italiens serions tous tombés aux mains de l’ennemi .» op.cit. p 141

[3] la division Pasubio avec la division Torino représentaient les deux divisions italiennes du 35ème corps d’armée germano-italien

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Titre : La plupart ne reviendront pas
Auteur(s) : le Chef de bataillon Sébastien PY
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