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Pertinence pour le combat d’infanterie contemporain des acquis de la Grande Guerre

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Étudier l’héritage transmis par la Grande Guerre pour l’infanterie contemporaine, c’est décrire une modernisation sans précédent entre 1914 et 1918. C’est aussi réaliser un trait d’union de près d’un siècle pour montrer qu’au-delà de l’évolution technique, les fondements ont perduré et demeurent pertinents. C’est surtout se projeter dans l’avenir pour vérifier que l’infanterie contemporaine est armée pour répondre aux défis qui l’attendent.


Finalement, pour les auteurs, c’est démontrer que le dénominateur commun entre les infanteries d’hier et d’aujourd’hui demeure sa capacité d’adaptation permanente face à toute rupture stratégique.

 

«Il est bon de prévoir et de se souvenir,

un œil dans le passé, et l’autre vers l’avenir».

Publilius Syrus, Sentences – 1er s. av JC

 

Lorsqu’on évoque la Première Guerre mondiale dans l’imagerie populaire, on pense tout à tour au soldat mal équipé en pantalon garance, aux divisions-brigades-régiments-bataillons aux effectifs importants, à une manœuvre basée sur l’offensive à outrance… Au massacre du Chemin des Dames… À l’infanterie, «chair à canon»… Dès lors, toute comparaison avec l’infanterie d’aujourd’hui paraîtrait incongrue.

Pour autant, au-delà de cette image d’Épinal à la fois réelle et fantasmée, l’infanterie de 1918 n’est déjà plus celle de 1914. Elle connaît des évolutions notables tant dans ses équipements que dans son organisation ou son emploi. Au sortir de la Grande Guerre, la définition du Général Debeney dans la Revue de l’infanterie 1920-1925 pourrait d’ailleurs parfaitement s’adapter au contexte actuel: «L’infanterie moderne marche précédée et flanquée de projectiles de tous calibres; elle transporte à l’air libre, ou sous blindage, un feu puissant qui lui est propre, elle manœuvre. Elle est redevenue l’arme du mouvement. De tous ses moyens d’action, un seul n’a pas changé: le cœur – et c’est le plus puissant».

 

De cette analyse en première approche, plusieurs questions s’imposent. Alors que l’arrivée du système Scorpion risque de révolutionner les normes d’engagement à l’horizon 2025, en quoi l’héritage du combat de l’infanterie française de la Grande Guerre est-il adapté au combat de l’infanterie d’aujourd’hui? Les évolutions tant techniques que géopolitiques actuelles induisent-elles inévitablement une évolution dans l’organisation et les normes d’emploi d’une arme? S’inscrit-on dans une logique de rupture ou de continuité?

 

Sans méconnaître le caractère multinational et la diversité que recouvre le terme générique d’infanterie, l’étude se focalisera sur le combat que mène ou peut mener l’infanterie française, motorisée et «félinisée». Elle n’a pas pour ambition de traiter de façon détaillée le volet stratégique abordé par Bernard Schnetlzer dans «Les erreurs stratégiques pendant la Première Guerre mondiale». Elle n’a pas non plus pour but d’évoquer de manière aussi exhaustive la métamorphose de l’armée de Terre brillamment exposée par le Colonel Goya dans «La chair et l’acier». Mais, s’appuyant notamment sur les documents de doctrine de l’époque, cet article veut mettre en perspective l’héritage de la Grande Guerre pour l’infanterie contemporaine face aux défis à venir.

 

«Reine des batailles» des conflits d’hier et d’aujourd’hui, l’infanterie doit conserver, du riche héritage issu de la Grande Guerre, sa capacité d’adaptation pour pouvoir faire face à une éventuelle rupture stratégique.

 

Pour le démontrer, il conviendra tout d’abord de souligner les acquis de la Première Guerre mondiale constituant encore les fondements de l’infanterie contemporaine, puis de mettre en évidence leur évolution à travers une adaptation progressive. Enfin, il s’agira de vérifier si, fort de cet héritage, l’infanterie est capable de répondre aux défis qui l’attendent.

 

L’infanterie de la Grande Guerre et la prise en compte du «facteur feu»

 

La Première Guerre mondiale, mère de toutes les guerres modernes, marque le début d’une nouvelle ère. Les premiers mois voient en effet le télescopage de deux modèles: les manœuvres «napoléoniennes» héritées du XIXème siècle et l’apparition d’un armement moderne de plus en plus destructeur. Face à cette situation nouvelle, l’armée française et l’infanterie en particulier doivent s’adapter et se moderniser. Cette évolution, imposée par le «facteur feu», passe notamment par une adaptation d’éléments qui réagissent l’un sur l’autre: la doctrine, l’organisation fonctionnelle et les procédés de combat.

 

 

  • L’adaptation de l’infanterie face à la réalité des affrontements

 

Assurément, dès la bataille des frontières, le développement du «facteur feu» remet en cause la doctrine prônée par le haut commandement français et la manière de la diffuser.

22 août 1914, journée la plus sanglante de l’histoire militaire française. Cette date symbolise à elle seule la faillite de la doctrine de l’offensive à outrance[1], échec accentué par l’impréparation et l’instruction insuffisante de la troupe. Théorisée lors des conférences de 1911 du Colonel de Grandmaison, cette doctrine est mise en application dans les premiers mois du conflit. Elle privilégie le mouvement, le choc d’une attaque frontale sans manœuvre préalable. L’accent est mis sur la force morale, l’esprit de sacrifice, la volonté de prendre coûte que coûte l’ascendant sur l’adversaire. C’est le mythe de la bataille décisive.

Cet aveuglement doctrinal est pourtant dépassé face au «feu qui tue». Entre 1914 et 1918, la «densité matérielle» et la puissance de feu dans lesquelles évolue le fantassin sont en effet démultipliées. En 1914, le fusil Lebel muni de sa baïonnette est l’arme l’infanterie de façon uniforme et l’on compte six mitrailleuses par régiment. En 1918, l’armement s’est multiplié et diversifié[2]. On compte 36 mitrailleuses par régiment. Réalisée à l’arrière du front, l’instruction technique devient primordiale pour optimiser l’emploi de ces nouvelles capacités et les faire accepter par la troupe. Dès juin 1917, le Général Pétain, nouveau général en chef, en fait l’une de ses priorités[3].

Dans le même temps, le feu et le mouvement deviennent des éléments complémentaires et indissociables dans la manœuvre. Permettant la destruction matérielle, le feu apparaît comme un élément primordial sans lequel le mouvement n’est plus possible. Le mouvement, entraînant la destruction morale de l’adversaire, reste l’élément décisif qui permet d’exploiter l’action destructrice obtenue par le feu. Comme le résume cette maxime, feu et mouvement sont en somme étroitement liés: «La défense est le feu qui arrête, l’attaque est le feu qui marche, la manœuvre est le feu qui se déplace»[4]. Cette évolution de la doctrine s’appuie sur un cercle vertueux de recueil des enseignements du front, de rédaction de notices d’emploi au sein de la section instruction du 3ème bureau, puis de diffusion des «bonnes pratiques» aux unités combattantes. L’infanterie s’inscrit déjà dans un mécanisme d’adaptation réactive.

 

  • Un nouveau modèle construit autour du FM et du groupe de combat

 

De la même manière, le «facteur feu» a une double incidence dans l’organisation fonctionnelle. Si les unités d’infanterie sont initialement constituées en fonction du facteur nombre pour procurer un effet de masse lors de l’offensive, cette logique ne résiste pourtant pas aux pertes terribles des premiers engagements[5]. Dès lors, le facteur nombre ne jouera plus jamais le même rôle.

En effet, une première remarque s’impose. L’augmentation de la puissance de feu s’accompagne en parallèle d’une diminution des effectifs à la fois globale et au sein des unités combattantes[6]. Cette rationalisation des effectifs s’explique en partie par la capacité de destruction accrue de l’armement moderne. Une arme automatique délivre en effet une puissance de feu équivalente à celle de 40 fantassins équipés de fusil Lebel, permettant un effet maximum avec un effectif minimum. Le facteur nombre est ainsi supplanté par les facteurs feu et matériel qui, à quantité déterminée, fixeront le nombre d’unité formée. À l’armistice, on comptera ainsi moins de bataillons d’infanterie qu’à la mobilisation. Les unités élémentaires auront vu quant à elles leur effectif réduit de 30%.

L’augmentation de la puissance de feu s’accompagne surtout d’une plus grande autonomie des petits échelons et d’une décentralisation du commandement jusqu’au niveau chef de section voire chef de groupe. Les unités d’infanterie adoptent des formations moins denses et plus souples d’emploi, construites autour du fusil-mitrailleur (FM). En 1918, la section est articulée en deux demi-sections de combat identiques, chacune comportant une arme automatique et trois fusils lance-grenades Vivien-Bessières, permettant la manœuvre au plus petit échelon. Cette articulation, véritable révolution au regard des formations adoptées au début de la guerre, présente cependant le désavantage de placer sous les ordres d’un seul homme un volume de force trop lourd et trop dispersé pour un commandement optimal. Le modèle retenu après guerre sera composé de trois groupes de 13 fantassins commandés par un sergent. Chaque groupe sera composé d’une équipe de fusil-mitrailleur et d’une équipe de grenadiers voltigeurs. Ce modèle garantit le meilleur équilibre entre la composante feu et la composante mouvement.

Le groupe de combat ainsi né constitue l’innovation majeure du combat d’infanterie au XXème siècle. Il demeure aujourd’hui encore l’élément de base de la manœuvre de la section d’infanterie.

 

  • Impact tactique de la généralisation de l’arme automatique

 

Plus encore, le «facteur feu» bouleverse le combat d’infanterie en lui-même et son interdépendance avec les autres armes. La vision selon laquelle «l’artillerie détruit et neutralise les armées ennemies, l’infanterie occupe le terrain»[7] est devenue trop réductrice.

Après la victoire de la Marne et la stabilisation des fronts, les armes à tir tendu ne sont plus suffisantes. La diversification de l’armement confère une plus grande autonomie et élargit le spectre d’emploi. La manœuvre est ainsi vue comme un moyen de produire des feux au point, au moment et à l’intensité voulue. Lors de la phase de progression, il s’agit de rendre intenable la position défensive adverse et de protéger son propre mouvement. Lors de la phase d’abordage, il s’agit de chasser l’ennemi puis de nettoyer la tranchée. Lors de la phase d’occupation, il s’agit d’établir une ligne de feu suffisamment forte pour empêcher toute contre-attaque. La généralisation de la mitrailleuse garantit à la fois l’économie des moyens sur le front et la concentration des forces lors des ruptures de contact. Elle entraîne également la dilution des unités afin de se soustraire au feu. Le fusil-mitrailleur, arme d’accompagnement, permet, lui, la

conservation du terrain conquis. Moins rapide et moins précis, il agit en complément lorsque l’utilisation de la mitrailleuse n’est pas possible.

Pour sortir de l’enlisement et de la guerre de positions, l’infanterie ne peut plus manœuvrer seule. Le combat de l’infanterie de 1918 est ainsi l’antithèse de celui de 1914. Il s’inscrit dans un cadre interarmes voire interarmées avec l’évolution de la cavalerie et de l’artillerie et l’apparition des chars légers et de l’aviation. L’évolution de la logistique et la généralisation de l’utilisation du train, des camions voire des taxis permettent le redéploiement rapide des unités sur le front, garantissant l’effet de surprise et la liberté d’action.

Les combats ne sont plus livrés de manière indépendante, mais sont intégrés dans un ensemble complexe et moderne avec une puissance de feu démultipliée. La complexification de la tâche du fantassin au sortir de la Grande Guerre entraîne ainsi le développement de la spécialisation et de l’interdépendance entre les hommes et les armes. L’infanterie, au cœur de cette révolution, devient l’arme intégratrice par excellence.

 

La Grande Guerre aura vu deux écoles s’affronter: l’une encourageant l’audace et le choc, l’autre privilégiant la méthode et le feu. L’infanterie, synthèse de ces deux écoles, s’est trouvée au centre d’un processus de modernisation initié dès les premiers mois du conflit. De la naissance du groupe de combat aux prémices du combat interarmes, les acquis de la Première Guerre mondiale ont perduré. Ils demeurent pertinents par leur adaptation continue dans l’organisation et la doctrine de l’infanterie moderne.

 

L’infanterie contemporaine et l’approfondissement des acquis de la Grande Guerre

 

Ainsi, ces principes initiés en 1918 se sont développés et renforcés lors de l’évolution de l’infanterie jusqu’à aujourd’hui. Cette évolution s’est particulièrement manifestée à travers une meilleure prise en compte de l’instruction, le développement de la mobilité et de la protection ainsi que le perfectionnement du combat interarmes.

 

  • L’accroissement constant du besoin d’instruction technique et d’entraînement collectif

 

La capacité fondamentale de l’infanterie est de pouvoir s’adapter à son environnement. Cette adaptation n’est possible que par l’application du continuum instruction technique ? entraînement tactique ? enseignements opérationnels, directement hérité des principes d’instruction de la fin de la Première Guerre mondiale. Le but de cette instruction est d’arriver à «une liaison plus intime entre les armes et une adaptation continue aux conditions nouvelles de combat que créent les armements modernes»[8].

Aujourd’hui, ce besoin en instruction technique s’est confirmé et amplifié avec la complexification des matériels et des systèmes d’arme de l’infanterie. Cette technicité accrue fait peser le risque d’une perte de polyvalence et d’une spécialisation du fantassin. L’idée d’une spécialisation trop importante de l’infanterie avait déjà été rejetée en 1917 par le Général Pétain qui, refusant la création de «Stoβtruppen»[9] à la française, préféra conserver des unités équipées et instruites de manière uniforme.

Parallèlement, le temps restreint consacré à l’entraînement ainsi que la disponibilité des matériels des unités rendent nécessaire une instruction collective centralisée. Si les moyens de simulation permettent en partie de s’affranchir de ces contraintes, les délais importants de maîtrise collective des systèmes d’arme et d’intégration dans la manœuvre restent incompressibles. Ce principe d’instruction collective centralisée avait déjà été initié pendant la Grande Guerre dans les camps divisionnaires où étaient diffusées les bonnes pratiques tirées de retours d’expériences du front. Il a d’ailleurs été conforté par la création du pilier «formation et entraînement» dans le nouveau modèle de l’armée de Terre[10].

 

  • La problématique du volume du groupe et de son véhicule

 

L’infanterie contemporaine a également hérité du principe fondamental de la structure du groupe de combat. Construit autour du fusil-mitrailleur et de ses capacités de feu lors la Grande Guerre, le groupe d’infanterie est aujourd’hui défini par rapport aux capacités de mobilité et de protection de son véhicule de combat.

Les dernières années de la Grande Guerre avaient déjà vu l’avènement sur le champ de bataille de l’artillerie d’assaut en accompagnement de l’infanterie. Certains y avaient alors discerné les prémices de l’infanterie blindée actuelle: «transformation progressive en infanterie cuirassée mobile», «transport par char des éléments du groupe de combat – char mitrailleuse»[11]. Progressivement, pour répondre à la double contrainte de mobilité et de protection, ce véhicule est passé de véhicule d’accompagnement à la pièce centrale autour de laquelle se structure le groupe d’infanterie. Aujourd’hui, il est devenu un véritable véhicule de combat, remplaçant le char d’accompagnement de la Grande Guerre, mais aussi le fusil-mitrailleur comme arme majeure du groupe.

Cependant, cette évolution a eu plusieurs effets pernicieux. D’une part, pour répondre à l’équilibre nécessaire entre mobilité, puissance de feu et protection, les capacités d’emport des véhicules de combat d’infanterie ont été diminuées. En élevant au rang de quasi-dogme le principe de «un véhicule pour un groupe»[12], le volume du groupe a été drastiquement diminué jusqu’à sept combattants débarqués. On est bien loin du volume critique de dix combattants défini par les enseignements de la Grande Guerre. D’autre part, si la motorisation de l’infanterie est aujourd’hui nécessaire au vu des normes d’engagement actuelles, le véhicule ne doit pas devenir le nouveau paradigme du combat d’infanterie. Le principe fondamental de l’infanterie selon lequel «elle se déplace en véhicule et combat à pied»[13] reste toujours valable. Le véhicule n’est qu’un élément participant à la manœuvre du groupe et de la section, offrant mobilité, protection et appui. Il est donc nécessaire de trouver le juste compromis entre puissance, mobilité, autonomie, protection et adaptabilité à la mission pour donner au fantassin sa pleine efficacité. Les futurs véhicules d’infanterie du programme Scorpion[14], Griffon et VBMR légers s’inscriront dans cette dynamique.

 

  • De la liaison entre les armes à l’intégration interarmes

 

Mais la plus grande des évolutions au cours de la Grande Guerre correspond certainement aux prémices du combat interarmes. L’exemple du 23 octobre 1917 en est une parfaite illustration: «Précédant notre infanterie, restant en liaison intime avec elle, [les chars] ont réduit au canon de nombreuses mitrailleuses»[15]. Cette «liaison entre les armes» telle qu’elle était décrite au sortir de la Grande Guerre n’a cessé d’être approfondie depuis. Elle est devenue coopération interarmes puis finalement véritable intégration interarmes.

Aujourd’hui, la collaboration entre les armes est réalisée jusqu’au plus bas échelons. Elle prend la forme de structures permanentes ou quasi permanentes au niveau du bataillon et de la compagnie (GTIA, SGTIA[16]) ou de circonstance au niveau de la section (DIA[17]). Ces structures ont la particularité de regrouper sous un commandement tactique unique l’ensemble des capacités opérationnelles des différentes armes, facilitant ainsi la synergie dans la manœuvre, mais également et surtout la complémentarité des effets. Cette intégration interarmes systématique permet ainsi de créer des structures ad hoc adaptées à la mission et aux circonstances.

Pour autant, afin d’éviter la dénaturation du combat et en particulier la prépondérance des appuis au détriment des unités de mêlée, cette intégration interarmes a besoin d’une arme support. Alors que dès 1920, «[l’infanterie], seule arme complète, est l’arme principale au profit de laquelle les autres s’emploient»[18], elle reste aujourd’hui encore l’arme intégratrice par excellence. Cette fonction intégratrice impose en parallèle une révolution culturelle. Le chef ne doit plus penser uniquement en fantassin, mais bien faire évoluer son raisonnement tactique vers une synergie des effets. Il doit maîtriser les contraintes et effets liés à chaque arme afin d’optimiser la «co-opération» et la complémentarité entre les armes.

L’intégration interarmes nécessite donc un effort de formation des chefs en particulier, qui doivent être imprégnés dès le début de leur formation de cet environnement interarmes. Aussi, il ne s’agit pas de céder à la tentation de l’identité interarmes, mais au contraire de s’appuyer sur l’identité forte d’armes telle que l’infanterie pour bâtir des référentiels communs.

 

L’infanterie française a su faire évoluer les grands principes fondateurs hérités de la Grande Guerre, qui restent au cœur des préoccupations actuelles. Ces fondements seront-ils toujours pertinents pour les combats que les fantassins auront à mener demain? Et surtout, l’infanterie saura-t-elle s’adapter aux changements majeurs comme elle a su le faire lors de la Grande Guerre?

 

L’infanterie contemporaine au défi

 

L’infanterie de 1914, fruit d’une lente évolution du modèle «napoléonien», s’est trouvée cruellement inadaptée face à l’émergence d’un facteur inattendu et l’avènement de la guerre moderne. Alors que l’héritage de la Grande Guerre pour l’infanterie contemporaine est avéré, l’infanterie d’aujourd’hui n’est-elle pas dans la même situation que sa devancière avec une possible inadaptation face à une nouvelle rupture stratégique?

Pour éviter cet écueil, elle doit être prête à répondre aux défis qui l’attendent: faire face à l’émergence d’une nouvelle menace, assimiler les évolutions technologiques en cours, anticiper un possible saut technologique.

 

  • L’infanterie face à une nouvelle menace 

 

Assurément, l’infanterie, s’intégrant dans un ensemble plus large à vocation interarmes et interarmées, occupera une place prépondérante face à une menace à la fois diffuse et complexe.

En effet, même si la résurgence d’un affrontement du fort au fort n’est pas à exclure, la menace la plus probable à court terme pourrait être celle d’un ennemi hybride. Cet ennemi disposerait de capacités conventionnelles, emploierait des modes d’actions dissymétriques voire asymétriques[19], et appuierait sa propagande par des moyens de communication de masse. L’identification précise des contours de cette menace reste pourtant difficile. L’exemple actuel de l’EI, l’une des forces hybrides les plus redoutables, cristallise d’ailleurs les réflexions. Rompu aux modes d’action propres au combat asymétrique, l’EI a également été capable de conquérir un vaste territoire en adoptant une manœuvre offensive classique.

Face à cette hybridation, la stratégie actuelle d’endiguement par des frappes aériennes a montré ses limites car elle ne parvient pas à neutraliser la menace. La réponse à apporter passe sans doute par une intervention au sol avec un modèle de forces dont la définition demeure complexe. Ainsi, «le combattant contre-hybride devra savoir maîtriser les méthodes de la manœuvre interarmes face à un adversaire à la puissance de feu létale, tout en appréhendant les subtilités sociales d’un conflit complexe»[20].

Face à une menace qui cumule les spécificités de chacun des modes de guerre, le modèle des GTIA, structure modulaire et polyvalente par excellence, semble parfaitement adapté. Face à un ennemi polymorphe et en perpétuelle adaptation, l’infanterie, de par sa réversibilité et sa capacité de contrôle continu du milieu, en serait la pierre angulaire. Le fantassin deviendrait donc l’archétype du combattant contre-hybride.

 

  • L’infanterie face aux évolutions technologiques en cours

 

Plus encore, l’infanterie contemporaine doit être capable d’assimiler, sans perdre son âme, les évolutions technologiques actuelles ou à venir telles que Félin ou le système Scorpion.

Il ne s’agit d’ailleurs pas ici de remettre en cause les indéniables avantages que procurent ces systèmes en termes d’agression, de protection, de partage de l’information ou d’info-valorisation. La technologie agit directement comme un multiplicateur d’efficacité et renforce la conviction d’emporter la décision rapidement. Elle répond en effet au double enjeu qui consiste à frapper l’adversaire en limitant sa propre exposition. Elle contribue à accroître la capacité d’initiative et la rapidité d’action, facteurs clés des succès militaires.

Pour autant, certains écueils doivent être évités. En effet, la tentation pourrait être grande de comparer de manière purement arithmétique les capacités du fantassin «félinisé» au fantassin «ancienne génération» et d’en tirer des conclusions hâtives sur l’organisation ou les normes d’engagement de l’infanterie. Cette vision réductrice, par effet de seuil, remettrait inévitablement en cause la cohérence des unités déployées et leur capacité à agir sur le milieu. De même, alors que les systèmes d’information (SI) sont désormais les véritables «centres nerveux» de nos sociétés, ils constituent autant de sources de vulnérabilité pour le domaine militaire. Les systèmes d’armes, de plus en plus dépendants des SI, pourraient être rendus inopérants par une attaque cyber. L’utilisation des nouvelles technologies doit donc reposer sur la culture de la résilience avec l’éventualité d’avoir à opérer en mode dégradé. Ainsi, «le défi est de rédiger des ordres capables de résister à la perte de supériorité électromagnétique et au silence radio».[21]

L’éventualité d’avoir à opérer sans outil technologique ne doit donc pas être écartée. Facteur nécessaire au succès, le domaine technologique doit conserver le soldat au cœur de tout SI. Renouant avec le combat au corps à corps de leurs aînés de 1914, les fantassins de l’opération Serval 1 ont su déloger un ennemi retranché dans les cavités de l’Adrar des Ifoghas. Ainsi, sans renoncer aux avantages que lui procurent les évolutions technologiques actuelles ou initiées, l’infanterie doit conserver sa culture de rusticité et d’arme des 300 derniers mètres. En effet, comme le rappelle la citation introductive du Général Debeney, «de tous ses moyens d’action, un seul n’a pas changé: le cœur – et c’est le plus puissant».

 

  • L’infanterie face à un saut technologique

 

Dans un domaine connexe, l’émergence du phénomène de robotisation du champ de bataille doit être appréhendée comme un moyen de démultiplier les capacités de l’infanterie contemporaine et non comme un moyen de substitution.

En effet, la robotisation pourrait contribuer à améliorer les capacités physiques et sensorielles du fantassin. Alors que le poids des équipements du combattant ne cesse d’augmenter, elle permettrait notamment de décupler la protection, l’endurance, la force, d’accélérer les mouvements et de réaliser des gestes plus précis. Les projets d’exosquelettes américains «Hulc» ou français «Hercule» vont dans ce sens. La miniaturisation devrait permettre, quant à elle, d’implanter des outils cyber à l’intérieur du corps, comme ce patch électronique mis au point aux États-Unis qui permet de pratiquer à distance des examens médicaux de base. Encore au stade embryonnaire, la concrétisation de ces projets permettrait l’avènement de fantassins quasi-cyborg[22] sur le champ de bataille.

Au-delà de cet avenir fantasmé ou de la volonté de réinventer le concept de «zéro mort», la substitution du fantassin par des humanoïdes[23] semi-autonomes soulèverait en revanche un problème à la fois juridique et éthique. L’automatisation pose en effet des questions relatives au contrôle stratégique. Comment garantir le contrôle d’une machine jusqu’au dernier moment? Quel crédit apporter au jugement d’un automate dépourvu d’intelligence artificielle? Qui de l’actionneur ou du décideur assumerait la responsabilité en cas d’accident ou d’attaques involontaires? De même, la robotisation présente le risque éthique d’une double distanciation du combattant vis-à-vis du champ de bataille. Une distanciation morale qui se manifesterait par le glissement possible de la notion de sacrifice-courage vers une notion d’auto préservation[24], voire la confrontation de robots et d’humains dans un affrontement dissymétrique. Une distanciation physique qui se matérialiserait par une perte de contact avec la population et le milieu, caractéristiques fondamentales de l’infanterie.

Agissant en complément, le robot pourrait dans l’avenir décharger avantageusement le fantassin des tâches fastidieuses afin de lui permettre de préserver sa capacité opérationnelle jusqu’à l’engagement. Les robots capteurs ou «mules»[25] pourraient s’intégrer harmonieusement au groupe de combat d’infanterie. Ils pourraient tout autant entraîner une évolution de la structure existante comme cela avait été le cas avec l’avènement du fusil-mitrailleur en 1915.

 

Conclusion

 

Inadaptée et dépassée dans les premiers mois de la Grande Guerre, l’infanterie s’est inscrite dans un processus de modernisation sans précédent. Ainsi, en 1918, elle fait référence. C’est alors l’infanterie la plus performante au monde. Diffusés dès cette époque aux contingents américains et canadiens, les acquis de l’infanterie de la Première Guerre mondiale en termes de doctrine, d’organisation ou d’emploi ont perduré jusqu’à aujourd’hui. Ils se sont développés à travers une adaptation progressive et constituent toujours des enjeux majeurs.

En définitive, s’il est un acquis que l’infanterie française a su faire perdurer de 1918 à nos jours, c’est bien sa faculté à se réinventer, à assimiler les évolutions et à répondre efficacement à la menace.

Comme l’infanterie de 1914 face au «facteur feu», la cavalerie française de 1940, victime de la fossilisation de la pensée militaire de nos armées de l’entre-deux guerres, s’est trouvée inadaptée face au «facteur mouvement» exploité par les unités allemandes. Mais s’appuyant sur l’expérience acquise par les Alliés, la cavalerie s’est adaptée aux conditions de la guerre mécanisée moderne. Même si depuis la Deuxième Guerre mondiale son seul affrontement face à un ennemi blindé remonte à la première guerre du Golfe, l’arme blindée française a également su faire évoluer ses modes d’action en fonction des changements des conflits d’aujourd’hui.

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Saint-cyrien, officier parachutiste des troupes de marine, le Chef de bataillon LAMY a exercé les fonctions de chef de section et de commandant d’unité au 8ème RPIMa avant d’occuper le poste d’officier traitant au bureau études et prospective de l’École des troupes aéroportées. Au cours de son temps de commandement, il a notamment participé en 2012, en collaboration avec la Section technique de l’armée de Terre, à l’expérimentation et à la démonstration de combat collaboratif SCORPION.

 

Saint-cyrien, officier des troupes de marine, le Chef de bataillon CATALAN a exercé la fonction de chef de section au 2ème RIMa avant d’occuper le poste de conseiller «formation-infanterie» auprès des forces armées djiboutiennes. Après avoir commandé une compagnie de combat au 21ème RIMa, il occupait dernièrement la fonction de formateur des officiers chefs de section à la division d’application de l’École de l’infanterie.

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[1] Cette doctrine est enseignée à l’École de guerre, notamment par le Général Foch, qui en est directeur de 1907 à 1911. Il écrit dans «Des principes de la guerre»: «Pas de victoire sans bataille: la victoire est le prix du sang […] La guerre n’est que sauvagerie et cruauté et […] ne reconnaît qu’un moyen d’arriver à ses fins, l’effusion sanglante».

[2] Les unités d’infanterie sont notamment équipées de grenades à main, de grenades à fusil, de fusils mitrailleurs Chauchat, de canons d’accompagnement de 37 mm et de mortiers Stockes de 81 mm.

[3] Guy Pedroncini, «Pétain général en chef», Paris, PUF, 1974, p.78.

[4] Commandant Laure, «Au 3e bureau du G.Q.G», Paris, Plon-Nourrit, 1921.

[5] En août et septembre 1914, les armées françaises perdent 329.000 hommes, tués, disparus ou prisonniers.

[6] Entre 1914 et 1918, le nombre de fantassins passe de 1.526.000 (71,6%) à 851.000 (50,4%). Dans le même temps, une compagnie d’infanterie passe de 250 à 175 hommes. La diminution des effectifs de l’infanterie ou de la cavalerie s’explique également par la montée en puissance, à partir de 1915, de l’artillerie lourde, du soutien, de l’aviation d’observation et de chasse pour la protéger.

[7] Colonel Dessofy de Csernek, «Quelques réflexions sur l’infanterie», dans La revue d’infanterie – 60ème volume, Lavauzelle, 1922.

[8] Guy Pedroncini, op. cit., p 76.

[9] «Troupes de choc», unités d’élite de l’armée impériale allemande durant la Première Guerre mondiale. Elles furent créées dans l’esprit de la guerre de positions. Fer de lance d’un assaut, elles bénéficiaient, de par leur statut, d’armes différentes de celles des autres soldats.

[10] Le modèle «Au contact», adopté à partir de 2015, décrit l’organisation de l’armée de Terre en huit piliers dont un pilier «Formation et entraînement» contenant une École du combat interarmes.

[11] François-André Paoli, «L’armée française de 1919 à 1939», Tome 1 «La reconversion de l’armée française en 1919», ministère des Armées – service historique, 2ème partie «La remise en route de l’instruction».

[12] La doctrine d’emploi de la section d’infanterie sur VAB Ultima (INF 36.001 Additif Ultima) prévoit d’embarquer les quatre groupes de la section dans cinq véhicules, rompant avec ce quasi-dogme pour la première fois.

[13] «Sa finalité première: le combat débarqué au contact après approche sous blindage», INF 20.001 Doctrine d’emploi de l’infanterie, 2002, p.21.

[14] Intégré dans le projet armée de Terre 2020, Scorpion vise à renouveler les moyens majeurs du combat au contact et à renforcer l’aptitude opérationnelle des forces de contact. Le premier GTIA Griffon sera projetable en 2020. La première BIA Scorpion (deux GTIA Griffon – un GTIA Jaguar) sera projetable en 2023.

[15] Guy Pedroncini, op. cit., p 74.

[16] Groupement tactique interarmes (bataillon), sous-groupement tactique interarmes (compagnie).

[17] Détachement interarmes (section).

[18] François-André Paoli, «L’armée française de 1919 à 1939», Tome 2 «L’armée française de 1920 à 1924», ministère des Armées – service historique, 4ème partie «L’évolution des moyens».

[19] «Les conflits dissymétriques mettent en opposition des forces armées de nature similaire, mais de structures, de volumes, d’équipements et technologies et de doctrines différents. Les conflits asymétriques sont d’un type dans lequel il y a disparité de nature des buts de guerre, des moyens et des manières d’agir» - FT02 Tactique générale.

[20] Élie Tenenbaum, «Le piège de la guerre hybride», IFRI, octobre 2015, p.38.

[21] Général de corps d’armée Yakovleff, conférence d’ouverture sur le module de tactique générale, CESAT, 11/09/15.

[22] Terme issu de la science-fiction, il désigne un être humain ayant reçu des greffes de parties mécaniques.

[23] Un robot humanoïde ou androïde est un robot dont l’apparence générale rappelle celle d’un corps humain.

[24] Thèse développée par Grégoire Chamayou, «Théorie des drones».

[25] Le robot «mule» quadrupède BigDog, créé en 2005 par une société américaine, a été testé en condition réelle par l’armée américaine en 2009 en Afghanistan.

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Bibliographie

 

-          GQG / 3ème bureau, «Manuel du chef de section d’infanterie», Imprimerie nationale, 1918;

-          Ministère de la Guerre, La revue d’infanterie – 57ème volume, Lavauzelle, 1920;

-          Commandant LAURE, «Au 3ème bureau du G.Q.G», Paris, Plon-Nourrit, 1921;

-          Ministère de la Guerre, La revue d’infanterie – 60ème volume, Lavauzelle, 1922;

-          Colonel Miquel, «Enseignements stratégiques et tactiques de la guerre 1914-1918», 2ème éd, Lavauzelle, 1926;

-          Guy Pedroncini, «Pétain général en chef», Paris, PUF, 1974;

-          François-André Paoli, L’armée française de 1919 à 1939, Ministère des Armées – service historique;

-          Colonel Michel Goya, «La chair et l’acier – L’invention de la guerre moderne (1914-1918, Taillandier, 2004;

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Titre : Pertinence pour le combat d’infanterie contemporain des acquis de la Grande Guerre
Auteur(s) : Chefs de bataillon Philippe LAMY et Mathieu CATALAN
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Armée