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Évolutions technologiques et opérations modernes

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 48
Histoire & stratégie
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«Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action». Cette globalité de l’homme selon Bergson pourrait aisément convenir au chef militaire qui, non seulement doit raisonner sa manœuvre dans toutes les dimensions directes et indirectes, actives et passives concourant à l’atteinte de l’objectif stratégique visé, mais qui, surtout, doit agir en conscience du redémarrage de la cité une fois la situation stabilisée et la paix revenue.


Le paradoxe de la modernité

 

Parmi les facteurs qui contribuent à la réussite de l’action militaire, il y a bien évidement les qualités intrinsèques du soldat et son aptitude à commander, agir et manœuvrer dans des conditions difficiles face à un ennemi déterminé. Mais il y a également les moyens dont il dispose pour anticiper l’action, puis prendre et conserver l’ascendant sur son adversaire. Car, si le soldat doit être bien sélectionné, bien formé et bien entraîné, il doit également être bien équipé. Et c’est là que la technologie fait son entrée sur le champ de bataille où elle tient désormais une place à la fois prépondérante et paradoxale. En effet, si elle contribue indubitablement à la supériorité opérationnelle des unités qui en disposent, elle n’en constitue pas moins un facteur de nivellement de la puissance lorsque son caractère dual la rend accessible au plus grand nombre. Ce paradoxe de la modernité doit être pris en compte et géré pour conserver ce temps d’avance sur l’adversaire qui donne, in fine, la victoire.

Dans ce cadre, quel rapport peut-on établir entre évolutions technologiques et opérations modernes?

D’évolutions en ruptures, la technologie a toujours eu un impact majeur sur la conception de la guerre et la conduite des opérations. Les évolutions technologiques récentes agissent comme de véritables catalyseurs des risques de la conflictualité contemporaine avec comme conséquence la mutation des rapports entre belligérants.

Penser la guerre de demain suppose  alors  de  commencer  par identifier et bien comprendre ces risques pour au mieux les prévenir, sinon les maîtriser, et au moins les contenir avec les modes d’action les plus adaptés.

Le spectre des menaces est multiple et il se manifeste dans des domaines de natures très variées. Si le terrorisme militarisé cristallise les attentes sécuritaires de la société civile en raison de sa proximité à la fois géographique et temporelle, la résurgence des expressions de puissance de certains États rappelle la nécessité de disposer d’un outil militaire moderne, crédible et modulable, apte à faire face aux nouvelles menaces avec un éventail capacitaire complet.

Dans ce contexte, il convient d’anticiper les éléments constitutifs des opérations dites «modernes», chacun dans son acception la plus large.

 

Un monde numérisé et un champ de bataille robotisé: vers de nouveaux espaces de confrontation

 

La dernière rupture technologique date déjà des années 90 et résulte des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). La réalité de la numérisation des échanges sur le plan économique comme sur le plan sociétal a rejoint le champ de l’action militaire en apportant une plus grande fluidité des communications et une mise en réseau des capteurs d’information et des vecteurs d’action.

Dans ce monde numérisé où tous les acteurs, qu’ils soient individus, organisations ou États, sont interconnectés, une masse d’informations et de données considérable est générée en permanence avec des degrés d’intérêt extrêmement variables. Il s’agit désormais de disposer des capacités permettant de la traiter pour comprendre les situations et discerner les éléments clés pour pouvoir anticiper l’intention de l’adversaire et ainsi manœuvrer avec succès tous les moyens cinétiques et non cinétiques, directs et indirects à notre disposition. Plus que jamais, la cyber- conflictualité est une réalité qui illustre le caractère global et élargi de l’action de défense.

En outre, le champ de bataille classique, dans ses quatre dimensions, n’est plus le terrain d’engagement exclusif du combattant humain. Le soldat manœuvre aujourd’hui avec des modèles mathématiques d’analyse de données et au côté de robots inhabités aériens ou terrestres, passifs ou actifs, mobiles ou fixes. Les opérations modernes ont franchi un stade: elles sont passées de la mécanisation à la robotisation. Préserver le potentiel humain de combat et identifier pour agir avec précision et fulgurance dans un combat collaboratif, avec un partage de situation et une affectation optimisée du traitement de cibles, tels sont les effets recherchés par l’exploitation des capacités offertes dans un monde en mutation technologique.

Enfin, si les nouvelles technologies ont contribué à accélérer le tempo de la manœuvre, elles ont également fait apparaître de nouveaux espaces de confrontation dans lesquels la notion de rapport de force s’exprime de façon totalement  différente  de  celle  que le  Maréchal Foch  a conceptualisée.  Un  tweet «informé» ou «désinformé» relayé dans une série de blogs peut avoir des répercussions majeures pouvant créer un déséquilibre tel que le rapport de force initialement construit s’inverse. Une forme moderne de la dépêche d’Ems, en quelque sorte! Une attaque informatique de nos systèmes de commandement, de logistique ou de nos systèmes d’armes interconnectés limiterait certainement, voire annihilerait l’action  amie.  Maîtriser  ce  nouvel  espace  d’affrontement  est  donc  un  impératif stratégique.

 

Quand innovation rime avec opération

 

La technologie irrigue désormais les opérations. Les évolutions fulgurantes de ces dernières années ont été des game-changers majeurs dans le rapport à l’autre et a fortiori dans la confrontation de forces. Elles vont continuer de l’être avec comme conséquence l’obligation d’adapter en permanence nos équipements et nos modes d’action tactiques aux possibilités offertes par ces évolutions technologiques. Développée dans le document Action terrestre future, cette thématique de l’adaptation des besoins capacitaires aux évolutions de la menace et de l’intégration du progrès technologique  dans  le  développement  de  ces  capacités  oriente  naturellement  la réflexion  vers  l’innovation  et  ses  champs  d’application.  Les  équipements,  mais également leur soutien et la logistique associée, sont les premiers bénéficiaires des perspectives offertes par les nouvelles technologies.

 

Des incubateurs d’innovation inédits

La science et le progrès trouvaient historiquement leurs appuis moraux et financiers au sein de structures étatiques. Le monde actuel est en train de s’affranchir de cette règle. Les GAFA1  en sont une parfaite illustration. Avec leurs dizaines de milliards d’euros d’investissements annuels consacrés à la recherche et au développement (R&D), ces conglomérats ont su croître sur le terreau de la mondialisation en exploitant à leur optimum les technologies de l’information et de la communication. En matière d’innovation, ils devancent à présent les États et leurs outils de défense dans de nombreux domaines.

La marchandisation qui en résulte entraîne, de fait, un accès plus large et moins contrôlé à ces nouvelles technologies. À tel point que les game-changers militaires ne sont plus uniquement issus de la R&D des bases industrielles et technologiques de défense. Il s’agit d’être capable, dans un laps de temps très court, de les identifier et de les comprendre pour en maîtriser les implications et les utilisations potentielles dans les engagements futurs. Cette interaction des technologies duales arrivées à maturité avec les capacités militaires doit donc être exploitée avec agilité pour les rendre rapidement opérationnelles et les intégrer dans nos équipements en service.

 

De nouvelles perspectives

Parallèlement, il est vital de maintenir un effort d’investissement dans la R&D de défense pour rester dans cette course à l’innovation dont l’État ne peut être absent. En effet, il est essentiel pour la France de maintenir son avantage technologique dans le haut du spectre de la R&D. Les domaines de très haute technologie que sont par exemple l’intelligence artificielle, la robotique ou encore les neurosciences, créeront les outils de sa supériorité à l’horizon des prochaines décennies. Le combat collaboratif info-valorisé, mis en œuvre par le groupement tactique interarmes (GTIA) SCORPION, en sera une traduction concrète pour les forces terrestres. La guerre des objets connectés est déjà une réalité tactique avec de véritables enjeux stratégiques. L’emploi systématique des drones et des robots terrestres en complément de l’action humaine doit être considéré avec ambition pour préserver la capacité de combat des forces engagées.

L’accélération des boucles décisionnelles au moyen de systèmes de communication plus rapides, ou le perfectionnement des algorithmes d’aide à la décision puisant leur matière première dans le big data sont autant d’exemples d’application de ces technologies duales qui doivent venir renforcer les facteurs plus classiques de supériorité opérationnelle, tout en contribuant à la résilience de nos systèmes.

Notons que ces mêmes technologies continueront de donner à l’adversaire des capacités de nivellement et finiront de dissiper le fantasme de l’omnipotence technologique.

D’autres ruptures se préparent, comme celles des nanotechnologies qui sont prometteuses et dont on peut entrevoir les premières traductions, mais restent aujourd’hui encore hors de portée d’une application militaire de masse.

 

Le combat de la modernité se gagne aussi à l’arrière!

 

La performance du combat de contact SCORPION, imprégné des technologies les plus modernes et matures, s’accompagne de l’impérative nécessité de créer les conditions d’un soutien efficace des systèmes d’armes qui les exploitent. En effet, le besoin d’endurance des équipements futurs engagés dans des conflits tout autant exigeants qu’aujourd’hui nous impose de disposer de systèmes de soutien performants et capables de capitaliser, eux aussi, sur les évolutions technologiques.

Le développement des savoir-faire historiques de l’armée de Terre à l’aune des évolutions technologiques repose sur de multiples leviers au nombre desquels figure le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres.

Il prend, dès lors, une véritable dimension stratégique, notamment avant l’engagement, en contribuant à l’efficacité opérationnelle des forces par la reconstitution des capacités critiques,  mais  également  une  dimension  tactique  en  contribuant  à  l’agilité  et

l’endurance des forces terrestres par le maintien du niveau requis de disponibilité des matériels. L’accélération du tempo opérationnel générée par l’info-valorisation doit donc logiquement s’accompagner d’une accélération des boucles du soutien et des processus du MCO terrestre.

Parmi les axes de progrès sur lesquels porte l’effort de modernisation du MCO terrestre et qui sont repris dans un plan stratégique 2017-2020, il en est quatre qui présentent un réel intérêt à l’aune des évolutions technologiques en cours ou prévisibles.

La maintenance prédictive avec le procédé des HUMS2 est prometteuse; elle nécessite toutefois d’être parfaitement encadrée et adaptée aux besoins spécifiques militaires. De même la télémaintenance (reach back), avec toutes les limites liées aux capacités des supports de communication. Toutes deux contribuent potentiellement au maintien du tempo de la manœuvre et au gain de disponibilité d’un matériel.

 Vient ensuite l’instrumentation (RFID3) de la gestion de flotte pour une optimisation des potentiels des véhicules, en particulier pour les parcs soumis à une forte pression.

La prévision logistique des rechanges est également un axe fort d’exploitation de la technologie pour modéliser les besoins en consommation courante et en situation de crise. En effet, l’estimation «temps de paix» des profils d’emploi des matériels ne correspond que rarement, voire jamais, au contexte opérationnel «du moment», comme le montre l’engagement récent des canons CAESAR.

Enfin, l’anticipation des obsolescences et la maîtrise technique recouvrent le vaste domaine du recueil des enseignements tirés du MCO des matériels terrestres en opération extérieure comme sur le territoire national ou en préparation opérationnelle, avec notamment l’exploitation des faits techniques.

La transformation vers le modèle MCO-T 2025 est donc bien lancée. Elle doit répondre à la fois aux impératifs de disponibilité technique et de régénération, tout en anticipant le soutien des équipements de la force SCORPION, fruits de l’exploitation des évolutions technologiques récentes. Seule l’exploitation maximale des possibilités offertes par les NTIC, sur la base d’un système d’information technique et logistique intégré, permettra de tirer tous les bénéfices du big data MCO terrestre.

 

En définitive, le rapport entre la technologie et les opérations modernes reste une question de mesure et d’équilibre. Il réside dans un juste niveau de maîtrise et une exploitation optimale des évolutions technologiques, alliés à un travail de réflexion prospective préalable, pour éviter de penser la guerre de demain avec les outils d’hier et ne pas créer les outils de demain pour des schémas tactiques révolus. Cette démarche permet de garantir le bon ordre des priorités afin que la stratégie et l’évaluation du risque conduisent le processus de prise en compte des évolutions technologiques dans les équipements, et non l’inverse.

 

 

 

Saint-cyrien de la promotion «MONTCALM» (1980-1982) et officier du génie, le Général de corps d’armée Francis AUTRAN sert dès sa sortie d’école dans les troupes de montagne (1988- 1990), puis à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr comme commandant de compagnie (1990-1993). Affecté à la Légion étrangère en 1998, il prend le commandement du 2ème  régiment étranger de génie en 2001. À l’issue, il rejoint l’état-major de la 27ème brigade d’infanterie de montagne comme chef d’état-major, puis l’état-major de l’armée de Terre en 2006 comme chef du bureau Plans. Nommé général de brigade en 2009, il commande la 7ème brigade blindée puis l’école du génie, avant de rejoindre en 2012 l’état-major de l’armée de Terre au poste de sous- chef d’état-major Plans et programmes. Promu général de division en 2013, il prend la fonction d’adjoint au directeur de la stratégie de la Direction générale de l’armement à l’été 2015. Il est nommé directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres en 2016. Il a participé à de nombreuses missions opérationnelles au Liban, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en République de Côte d’Ivoire. Il a, en particulier, commandé la force interarmées de l’opération LICORNE en 2009-2010.Il est breveté du collège interarmées de défense et ancien auditeur du Centre des hautes études militaires et de l’Institut des hautes études de la défense nationale.

 

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2 Health and usage monitoring systems

3 Radio frequency identification

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Titre : Évolutions technologiques et opérations modernes
Auteur(s) : Général de corps d’armée Francis AUTRAN
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